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Décisions

Cass. com., 9 juin 2015, n° 14-11.242

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Auchan France (SA)

Défendeur :

Cora (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Provost-Lopin

Avocats :

SCP Monod, Colin, Stoclet, SCP Roger, Sevaux, Mathonnet

Paris, du 6 nov. 2013

6 novembre 2013

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Cora utilise le slogan " gros volumes = petits prix " ; que reprochant à la société Auchan France (la société Auchan) d'avoir commis des actes de concurrence parasitaire en diffusant des catalogues comportant les slogans " prix mini sur gros volumes ", " gros volumes à prix mini " et " gros volumes grosses économies ", elle l'a assignée en paiement de dommages-intérêts ;

Sur les premier, deuxième et troisième moyens, réunis : - Attendu que la société Auchan fait grief à l'arrêt de sa condamnation alors, selon le moyen : 1°) qu'un opérateur économique ne peut être sanctionné sur le fondement de la concurrence parasitaire que s'il tire parti du travail intellectuel ou des efforts de créativité d'une entreprise concurrente ; qu'en se bornant, pour considérer que la société Auchan avait indûment tiré profit du slogan de la société Cora, à indiquer que ce slogan résultait " des efforts de promotion " de cette société, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la promotion fondée sur ledit slogan était le fruit d'un véritable travail intellectuel ou d'un effort de créativité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 2°) qu'elle faisait valoir que l'association des termes " gros volumes " avec l'idée d'un prix avantageux était banale dans le secteur de la grande distribution et que des slogans tels que " gros volumes et petits prix ", " gros volumes, prix légers ", " gros volumes, spécial petits prix ", ou " les gros volumes à petits prix " avaient été utilisés à de nombreuses reprises par les différents acteurs du secteur ; qu'elle indiquait, en outre, que " l'approche petits prix-gros volumes " était un concept usuel auquel la presse spécialisée faisait souvent référence ; qu'en déduisant le caractère original de l'association des mots banals " gros volumes " et " petits prix " du seul fait que cette association ne fait pas partie du langage courant, sans répondre au moyen par lequel la société Auchan démontrait qu'une telle association était banale et considérée comme descriptive dans le langage de la grande distribution, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 3°) qu'elle faisait valoir que le slogan de Cora était dépourvu de toute identité visuelle, en s'appuyant sur trente-quatre affiches, reproduites dans ses conclusions, qui avaient été versées aux débats par Cora et qui démontraient que tant la calligraphie du slogan que le positionnement des termes " gros volumes " changeaient constamment et que les couleurs étaient différentes d'une affiche à l'autre ; qu'en relevant, pour écarter les contestations de la société Auchan, que cette dernière ne se prévalait que de " quelques copies d'encarts publicitaires ", la cour d'appel a dénaturé les termes du litige et violé l'article 4 du Code de procédure ; 4°)que les slogans utilisés par elle, " prix mini sur gros volumes " et " gros volumes à prix mini ", ne comportent pas de virgule ; qu'en retenant que la formule syntaxique utilisée par la société Auchan était identique à celle utilisée par la société Cora, dès lors que le " = " du slogan de Cora avait été remplacé, dans les slogans de la société Auchan, par une virgule, pour en déduire que les formules utilisées par elle étaient de nature à créer un risque de confusion dans l'esprit du consommateur, la cour d'appel a dénaturé les deux documents produits par la société Cora et reproduits dans ses conclusions, violant ainsi l'article 4 du Code de procédure civile ; 5°) qu'elle faisait valoir que le caractère distinctif du slogan de Cora résidait dans sa formulation mathématique ; qu'en estimant que les slogans litigieux induisaient un risque de confusion, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la formulation exclusivement littérale des slogans de la société Auchan n'excluait pas un tel risque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 6°)qu'une contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en relevant, d'une part, que l'utilisation de formules sans emploi de verbes est courant en matière publicitaire, et, d'autre part, que le fait de mettre en équivalence deux groupes de mots sans verbes ne constitue pas une norme référentielle en matière publicitaire, pour en déduire que les slogans de la société Auchan étaient de nature à créer un risque de confusion dans l'esprit du consommateur, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs contradictoires et a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 7°) que les slogans litigieux sont " prix mini sur gros volumes " et " gros volumes à prix mini " ; qu'en relevant que le slogan de la société Auchan était " gros volumes à mini prix ", pour en déduire qu'il avait une consonance et une résonnance équivalentes à celles du slogan de la société Cora " gros volumes = petits prix ", la cour d'appel a inversé les termes " prix " et " mini " et dénaturé la pièce produite par la société Cora et reproduite dans ses conclusions, violant ainsi l'article 4 du Code de procédure civile ; 8°) qu'en vertu du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, les entreprises sont libres d'adopter les slogans de leur choix, dans le respect du droit des marques et des règles relatives à l'interdiction des comportements parasitaires ; que l'application de ces règles ne saurait avoir pour conséquence d'étendre excessivement la protection d'un slogan qui se bornerait à associer des termes usuels et purement descriptifs ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a admis que les mots utilisés dans le slogan de Cora " gros volumes = petits prix " étaient banals et que leur association traduisait le principe général et consacré des économies d'échelle ; que, comme le faisait valoir la société Auchan , les slogans " prix mini sur gros volumes " et " gros volumes à prix mini ", ne reprenaient ni le caractère arithmétique de la formule de la société Cora ni les termes de cette formule, l'adjectif " petits " étant remplacé dans les slogans de la société Auchan par l'adjectif " mini " ; qu'en estimant, malgré ces différences, que la société Auchan avait commis des actes de concurrence parasitaire, la cour d'appel, qui a étendu de manière excessive la protection qu'elle reconnaissait à la société Cora sur son slogan, a violé l'article 1382 du Code civil ensemble le principe susvisé ; 9°) qu'une entreprise ne peut être sanctionnée sur le fondement de la concurrence parasitaire que s'il est établi qu'elle a manifesté une volonté de se placer dans le sillage d'une société concurrente ; que la circonstance qu'une entreprise se soit engagée, auprès d'un concurrent, à ne pas utiliser un slogan ou qu'elle ait été mise en demeure de cesser une telle utilisation est sans incidence sur la caractérisation de l'intention de l'entreprise de se placer dans le sillage de ce concurrent ; qu'en l'espèce, en estimant que la volonté délibérée de la société Auchan de se placer dans le sillage de la société Cora résultait du non-respect, par la société Auchan, de son engagement de 2002 et de l'absence de réponse aux mises en demeure de la société Cora, la cour d'appel, qui s'est prononcée par un motif inopérant, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, que, sous le couvert du grief infondé de dénaturation, le moyen, en sa troisième branche, ne tend qu'à remettre en discussion l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des éléments de preuve soumis au débat contradictoire ; Et attendu, en second lieu, que le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'une entreprise en profitant indûment de sa notoriété ou de ses investissements, indépendamment de tout risque de confusion ; qu'après avoir relevé que la société Cora utilise depuis vingt-cinq ans, lors de ses campagnes publicitaires, le slogan " gros volumes = petits prix ", qu'elle a créé, l'arrêt retient d'abord que l'association de deux groupes de mots de trois syllabes " gros volumes " et " petits prix ", chacun mis sur un pied d'équivalence, est distinctive de la société Cora puisqu'il est démontré que ce slogan, bien connu du grand public, est identifié par les consommateurs et les professionnels de la grande distribution comme attaché à l'enseigne ; qu'il ajoute que cette formule, lapidaire et percutante, a fait l'objet d'efforts de promotion et d'investissements de la part de la société Cora, qui a effectué de multiples opérations publicitaires ayant contribué à son lancement et sa réputation ; qu'il constate ensuite que la formule syntaxique utilisée par la société Auchan est identique à celle utilisée par la société Cora, peu important que le signe " = " soit remplacé par une virgule, la juxtaposition de deux groupes de mots équivalant à un signe égal, et que les formules de la société Auchan " prix mini sur gros volumes " et " gros volumes à prix mini " ont une consonance et une résonnance équivalentes à celles de la société Cora, à la différence du slogan " gros volumes grosses économies ", qui est trop dissemblable et ne sera pas retenu ; qu'il retient enfin que la reprise plagiaire de ce slogan ne peut être fortuite, de nombreuses façons d'exprimer la même idée pouvant être conçues par la société Auchan qui, au surplus, a été avertie à plusieurs reprises par la société Cora ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la neuvième branche, dont elle a pu déduire que la société Auchan avait commis des actes de concurrence parasitaire envers la société Cora, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche invoquée à la première branche ni de suivre la société Cora dans le détail de son argumentation, a légalement justifié sa décision ; d'où il suit qu'inopérant en ses troisième, quatrième, cinquième, sixième, septième et neuvième branches, le moyen n'est pas fondé pour le surplus ;

Mais sur le quatrième moyen, pris en sa troisième branche : - Vu l'article 455 du Code de procédure civile ; - Attendu que pour évaluer la réparation du préjudice, l'arrêt retient que la société Auchan a continué à exploiter le slogan " gros volumes grosses économies " postérieurement à l'assignation ;

Qu'en statuant ainsi, après avoir retenu que la diffusion de ce slogan ne constituait pas un acte de concurrence parasitaire, la cour d'appel s'est contredite ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : casse et annule, mais seulement en ce qu'il condamne la société Auchan France à payer à la société Cora la somme de 400 000 euros, l'arrêt rendu le 6 novembre 2013, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.