CA Douai, 2e ch. sect. 2, 28 mai 2015, n° 13-07229
DOUAI
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Tomasina, Malfaisan (ès qual.), FCF (SARL)
Défendeur :
Dubus, Delespaul
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Fontaine
Conseillers :
Mmes Barbot, Metteau
Avocats :
Mes Petigny, Ninove, Ferrand
M. Tomasina, gérant de la société Financière Coin Frites (la société FCF), exploitait un réseau de franchisés exerçant sous l'enseigne " Coin Frites " ayant pour objet l'exploitation d'une brasserie/friterie.
Le 19 novembre 2008, Mme Dubus et M. Delespaul ont conclu avec la société FCF un document précontractuel d'information (DPI) en vue de l'ouverture d'une brasserie franchisée à Villeneuve d'Ascq (centre commercial V2).
Le 13 mars 2009, Mme Dubus et M. Delespaul ont signé le bail dans lequel le fonds de commerce devait être exploité, en s'engageant à titre personnel dès lors que la société destinée à exploiter ce fonds n'était pas encore constituée.
Le 16 mars 2009, le contrat de franchise a été régularisé entre la société FCF, d'une part, et, d'autre part, Mme Dubus et M. Delespaul ainsi que la SARL Theo Frite alors en cours de formation.
La société Theo Frites a été constituée le 27 mars 2009, et l'exploitation du fonds de commerce a débuté le 19 mai 2009.
Le 18 février 2010, le franchiseur a résilié le contrat de franchise.
Le 21 juin 2010, la société Theo Frites a été placée en redressement judiciaire, la procédure étant convertie en liquidation judiciaire le 19 novembre 2010.
Parallèlement, Mme Dubus et M. Delespaul ont été condamnés à payer :
- à leur bailleur : la somme de 34 444,80 euro, suivant ordonnance de référé du 14 septembre 2010, au titre de l'arriéré locatif ;
- à la Banque Populaire du Nord : chacun la somme de 22 500 euro en leur qualité de cautions de la société Theo Frites en garantie d'un prêt professionnel de 75 000 euro, aux termes d'un jugement rendu le 7 décembre 2011.
C'est dans ces conditions que Mme Dubus et M. Delespaul ont fait assigner la société FCF prise en la personne de son liquidateur judiciaire, Me Malfaisan, ainsi que M. Tomasina, afin d'obtenir l'annulation du contrat de franchise et l'indemnisation de leur préjudice.
Par jugement rendu le 6 novembre 2013, le Tribunal de commerce de Lille a :
Prononcé la nullité du contrat de franchise,
Ordonné à Me Malfaisan ès qualités d'enregistrer au profit de Mme Dubus et de M. Delespaul une créance chirographaire de 158 000 euro,
Condamné M. Tomasina, personnellement et solidairement avec la société FCF, à payer à Mme Dubus et à M. Delespaul la somme de 158 000 euro, avec intérêts au taux légal à compter de la décision,
Ordonné à Me Malfaisan ès qualités d'enregistrer au profit de Mme Dubus et de M. Delespaul une créance chirographaire de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi que les dépens mis à la charge de la société FCF,
Condamné M. Tomasina, personnellement et solidairement avec la société FCF, au paiement d'une somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Me Malfaisan et M. Tomasina ont relevé appel dudit jugement le 19 décembre 2013.
PRETENTIONS DES PARTIES :
Aux termes de leurs conclusions signifiées le 13 mars 2014, Me Malfaisan, ès qualités, et M. Tomasina, demandent à la cour de :
Vu les articles 1134 et 1382 du Code civil,
Infirmer en totalité le jugement entrepris,
Partant, débouter M. Delespaul et Mme Dubus de l'intégralité de leurs demandes,
Condamner solidairement M. Delespaul et Mme Dubus au paiement d'une indemnité de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamner M. Delespaul et Mme Dubus aux dépens.
En premier lieu, s'agissant de la phase de conclusion du contrat, les appelants font valoir que :
1°) Sur les prévisionnels :
L'établissement des comptes prévisionnels relève de la compétence du franchisé, et non du franchiseur, ce dernier devant seulement fournir des éléments fiables pour y parvenir et n'engageant sa responsabilité que si les éléments sont grossièrement erronés ; le franchisé n'est pas dispensé de rechercher lui-même des renseignements afin d'être éclairé sur la pertinence et la rentabilité économique du projet ;
En l'espèce, le chiffre d'affaires pour un emplacement situé juste en face du centre commercial V2 n'était pas exagéré, comparé à celui réalisé dans des points de vente de moindre importance en termes de chalandise ;
D'ailleurs, le chiffre réalisé est bien inférieur à celui des autres points de vente malgré la qualité de l'emplacement, ce qui démontre que seule la qualité de l'exploitation est à l'origine de la non-réalisation des chiffres prévus ;
Ceux qui ont établi les prévisionnels sont les mêmes qui critiquent aujourd'hui M. Tomasina, MM. Rose et Luszcz étant en effet d'anciens associés de FCF par le biais de Nord Synergie Conseil, et M. Parent associé au sein de ce cabinet ; les attestations de ces trois personnes sont dès lors sujettes à caution ;
2°) Sur le choix du local :
C'est Mme Dubus qui a insisté pour installer le fonds à l'endroit finalement choisi malgré les conditions financières, escomptant bénéficier de la clientèle de ses anciens collègues ;
La qualité de l'emplacement est indéniable ; s'y trouve aujourd'hui un fonds à l'enseigne " Domino's Pizza " ;
3°) Sur la rédaction du bail :
Les intimés cherchent à faire supporter au franchiseur la responsabilité d'un bail mal négocié par eux, alors que celui-ci n'est pas conseil juridique du franchisé ;
4°) Sur le financement :
Les intimés n'ont pas été forcés d'investir toutes leurs économies comme ils le prétendent ; non seulement ils ne le démontrent pas, mais en outre, le rôle du franchiseur n'est pas de leur apporter un conseil financier ;
5°) Sur la validité du contrat de franchise :
Les intimés, qui n'avaient ni expérience, ni connaissance dans le domaine de la restauration rapide, ont bénéficié d'un réel transfert de compétences, même s'ils n'ont pas réellement cherché à les mettre en œuvre ;
Le but du contrat de franchise est aussi de faire progresser les franchisés, et le suivi et la formulation de préconisations relèvent du rôle d'animation du réseau joué par la société FCF ;
La marque " Coin Frites " n'est certes pas reconnue nationalement, mais tel est le lot de toutes les enseignes en voie de démarrage ;
C'est à tort que les premiers juges ont relevé des obligations pesant sur le franchisés et assimilables à des obligations de salariés (prix et horaires imposés), puisque l'essence d'un réseau de franchise est l'homogénéité.
En second lieu, concernant la phase d'exécution du contrat, les appelants exposent que :
Sont versés aux débats les justificatifs de la négligence des intimés dans la tenue de leur fonds et le respect des conditions de la franchise ; ils n'ont jamais tenu compte des observations qui leur ont été faites, d'où la résiliation du contrat à leur tort ;
Les affirmations suivant lesquelles M. Tomasina aurait voulu pousser les intimés à déposer le bilan pour racheter leur fonds ne sont pas démontrées.
Enfin, en droit, les appelants indiquent qu'ils ne comprennent pas les raisons de la demande de condamnation de M. Tomasina solidairement avec la société FCF, dès lors que n'est pas caractérisée à l'encontre de ce dernier une faute personnelle détachable de ses fonctions de gérant ; qu'au surplus, les premiers juges n'ont pas relevé l'absence de rachat effectif du fonds des intimés après sa mise en liquidation, ni la moindre démarche en ce sens.
Selon leurs conclusions signifiées le 6 mai 2014, Mme Dubus et M. Delespaul sollicitent :
Le débouté de l'ensemble des demandes présentées par les appelants,
La confirmation pure et simple du jugement entrepris, sauf en ce qui concerne le montant du préjudice financier,
La condamnation solidaire de " la société FCF " et de M. Tomasina à leur payer la somme de 191 444,80 euro au titre de leur préjudice financier,
La condamnation solidaire des appelants à leur payer la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens.
D'abord, les intimés exposent les circonstances de fait entourant la conclusion du contrat de franchise, et font notamment valoir que :
C'est M. Tomasina qui leur a présenté son expert-comptable lequel a établi les comptes prévisionnels de décembre 2008 à novembre 2011 ;
M. Tomasina les a assistés dans leurs démarches auprès des banques pour obtenir le financement de l'opération envisagée et, devant le refus des banquiers d'en financer la totalité, il leur a conseillé d'augmenter leur apport personnel au maximum ; ils ont donc investi toutes leurs économies (50 000 euro) ;
Ils se sont engagés personnellement au titre du bail, et M. Tomasina n'a pas attiré leur attention sur ce point ;
Dès le premier mois d'exploitation, le chiffre d'affaires de la société a été nettement inférieur à celui escompté, sans que M. Tomasina ne leur apporte aucune aide, n'ayant au contraire eu de cesse de critiquer leur gestion ; c'est ainsi que les relations entre les parties se sont dégradées.
Ensuite, à l'appui de leur demande de confirmation de la nullité du contrat de franchise, les intimés soutiennent en particulier que :
Les documents prévisionnels d'activité établis par l' expert-comptable de la société FCF les a gravement trompés afin de les inciter à signer le contrat et à investir d'importantes sommes ; la société qui a établi ces documents (Nord Synergie Conseil) était associée de FCF ; les prévisions en cause ne reposaient sur aucune réalité au regard des résultats des autres magasins (Quesnoy-sur-Deule et Roncq) et étaient irréalisables ; l'ampleur de la distorsion entre ces prévisions et la réalité ne peut s'expliquer par les reproches faits aux franchisés et va au-delà d'une simple erreur de conseil ;
De plus, les documents précontractuels, le contrat de franchise et ses annexes démontrent que le concept " Coin Frites " ne comporte aucun savoir-faire particulier ou original, et la marque aucune notoriété ;
Leur consentement a été vicié ;
Aux termes de l'article 1116 du même Code, le dol est une cause de nullité ; ainsi, un contrat de franchise est nul pour fourniture par le franchiseur d'informations fausses et trompeuses ayant trompé le candidat franchisé ;
En vertu de l'article 1131 du Code civil, le contrat de franchise est nul pour absence de cause si le franchiseur perçoit une rémunération sans contrepartie, laquelle consiste essentiellement dans le transfert, par le franchiseur, d'un savoir-faire original, d'une marque notoire et d'une assistance ;
Enfin, lorsqu'elle porte sur la substance de la chose qui en est l'objet, l'erreur peut justifier l'annulation du contrat, en application des articles 1110 et 1117 du Code civil, notamment quand les résultats obtenus sont très inférieurs aux prévisions transmises par le franchiseur ;
Le tribunal a prononcé la nullité du contrat pour absence de cause, et le jugement doit être confirmé sur ce premier point.
Par ailleurs, les intimés demandent la condamnation solidaire de M. Tomasina sur le fondement des articles L. 223-22 et L. 225-31 du Code de commerce, comme l'a fait le tribunal en retenant :
Le dol pratiqué par M. Tomasina qui a présenté des informations erronées pour élaborer le budget prévisionnel de la société Theo Frites,
La volonté de M. Tomasina de les mettre en difficulté en vue de racheter leur établissement à la barre du tribunal.
Les intimés estiment en effet que cette preuve est rapportée par les témoignages d'anciens salariés de la société Theo Frites, d'un ancien associé de la FCF et d'un autre de la société Nord Synergie Conseil ; qu'il en résulte que les comptes prévisionnels étaient établis au vu des chiffre d'affaires communiqués par M. Tomasina, afin d'attirer de futurs franchisés, à dessein de leur faire financer les travaux et de racheter leur affaire après dépôt de bilan ; que la faute détachable susceptible d'engager la responsabilité des dirigeants à l'égard des tiers est une faute intentionnelle d'une particulière gravité, incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales ; qu'elle peut être caractérisée même si le dirigeant agit dans la limite de ses attributions ; qu'en l'espèce, la faute personnelle de M. Tomasina est établie.
Enfin, s'agissant de leur préjudice, les intimés exposent qu'il consiste en :
La somme totale de 134 444,80 euro, correspondant à leurs apports en capital et au compte courant de la société Theo Frites, ainsi qu'en leurs condamnations au titre des loyers et du cautionnement ;
La somme de 57 000 euro correspondant à l'impossibilité pour eux de se rémunérer, compte tenu de la situation financière de leur société, alors que M. Tomasina avait prévu une rémunération mensuelle de 3 000 euro ;
Un préjudice moral que le tribunal a justement évalué en le fixant à 38 000 euro.
SUR CE,
Attendu qu'à titre liminaire, il importe d'indiquer que la cour a été avisée, par message transmis par la voie électronique le 19 mars 2015 " soit le jour même de l'audience " que le conseil des appelants, M. Tomasina et la société FCF, avait dégagé sa responsabilité ; qu'ainsi, aucun dossier, donc aucune pièce, n'ont été communiqués à la cour à l'appui du recours formé par ces parties appelantes ; que la cour statuera donc au vu des seuls justificatifs fournis par Mme Dubus et M. Delespaul, intimés ;
1°) Sur la demande de nullité du contrat de franchise
Attendu qu'en l'espèce, à l'appui de leur demande de nullité du contrat, M. Delespaul et Mme Dubus ne se prévalent d'aucun manquement au regard du document précontractuel d'information " dont le contenu est réglementé par les articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce ; qu'en effet, ils se fondent exclusivement sur le droit commun des obligations, excipant cumulativement d'un dol, d'une absence de cause, ou d'une erreur " le succès de l'un quelconque de ces moyens suffisant à entraîner nullité du contrat de franchise ;
Attendu qu'il résulte de l'article 1116 du Code civil que le dol n'est une cause de nullité de la convention que s'il émane de la partie envers laquelle l'obligation est contractée ou, dans le cas d'une personne morale, de son représentant légal ; que le dol suppose que soient caractérisées des manœuvres destinées à provoquer une erreur de nature à vicier le consentement du cocontractant, le caractère intentionnel de ces manœuvres et, enfin, le caractère déterminant de l'erreur ainsi provoquée ;
Attendu qu'en l'espèce, il résulte des pièces communiquées que, dans le cadre des pourparlers qui ont précédé la conclusion du contrat de franchise, M. Tomasina, gérant de la société FCF, a communiqué aux candidats franchisés qu'étaient M. Delespaul et Mme Dubus un budget prévisionnel daté du 28 octobre 2008 établi par l'expert-comptable de FCF (cf pièce n° 2 des intimés) ;
Que la communication de comptes prévisionnels n'est certes pas imposée par la réglementation en vigueur, mais la société FCF ayant délibérément fait choix de fournir ce type de documents, elle était alors tenue de communiquer des informations sincères, complètes, loyales et sérieuses ;
Que selon ce budget prévisionnel, les résultats de la société Theo Frites ont été évalués comme suit :
En 2008-2009 : un chiffre d'affaires de 535 200 euro pour un résultat net de 51 736 euro,
En 2009-2010 : un chiffre d'affaires de 561 960 euro pour un résultat net de 39 570 euro,
En 2010-2011 : un chiffre d'affaires de 590 058 euro pour un résultat net de 47 008 euro ;
Or, attendu que, dans la réalité des faits, les résultats de la société Theo Frites n'ont jamais atteint ces chiffres, et ce dès l'origine ; qu'en effet, les pièces comptables versées aux débats par les intimés, et non critiquées, montrent que :
Sur la période du 01-04-2009 au 30-06-2010 : le chiffre d'affaires s'est élevé à: 197 995 euro et les pertes à -71 310 euro ;
Sur la période du 01-07-2010 au 30-06-2010 : le chiffre d'affaires a représenté la somme de 48 816 euro, et les pertes -8 909 euro ;
Que l'écart entre les chiffres annoncés et les pertes réelles s'avère dès lors substantiel ;
Que le liquidateur de la société FCF et M. Tomasina, qui invoquent que ce résultat provisionnel ne serait pas exagéré au regard de la zone de chalandise couverte par le fonds exploité par la société Theo Frites, n'indiquent pas sur quelles bases s'est appuyé leur expert-comptable pour établir ce document prévisionnel ; qu'au demeurant, ils ne communiquent nullement les résultats des autres magasins franchisés à l'époque de la conclusion du contrat litigieux - dont ils excipent dans leur écritures (en page 2 §7) ;
Que bien plus, de leur côté, les intimés démontrent que pour l'exercice clos au 30 juin 2010 (soit un an après la conclusion du contrat en cause), les résultats de deux autres magasins franchisés étaient sans commune mesure avec ceux qui leur avaient été annoncés, pour être même très largement inférieurs puisqu'ils représentaient :
S'agissant du fonds " La friterie du coin " situé à Roncq : un chiffre d'affaires de 229 000 euro pour un résultat de + 2 000 euro (cf pièce n° 10 des intimés),
Quant au " Coin frites " de Quesnoy-sur-Deûle : un chiffre d'affaires de 291 000 euro pour un résultat de -4 600 euro ;
Que ces éléments discréditent ainsi totalement les prévisions communiquées par la société FCF en période précontractuelle ;
Qu'il suit de tout ce qui précède que les appelants ne démontrent pas le caractère raisonnable, voire tout simplement réaliste, des résultats prévisionnels qu'ils ont communiqué à leur cocontractant en phase précontractuelle ; qu'en conséquence, ces résultats sont dénués de tout caractère sérieux ;
Attendu que Mme Dubus et M. Delespaul, qui ne disposaient pas de la moindre expérience professionnelle dans le secteur d'activité considérée lors de la conclusion du contrat (ce que les appelants admettent eux-mêmes dans leurs écritures), n'étaient manifestement pas en mesure de déceler le caractère totalement irréaliste des chiffres attractifs qui leur étaient ainsi présentés par la société FCF sur la foi de pièces comptables offrant a priori toutes les garanties de fiabilité requises ;
Attendu, par ailleurs, que les appelants allèguent sans aucunement l'établir que les mauvais résultats enregistrés par la société Theo Frites seraient la conséquence d'une mauvaise gestion du restaurant par Mme Dubus et M. Delespaul qui n'auraient nullement tenu compte des observations du franchiseur ; qu'ainsi, aucune autre cause n'est susceptible d'expliquer l'échec de la société franchisée qui a été placée en redressement judiciaire très rapidement - près d'une année seulement après le début d'exploitation du fonds - puis quelques mois plus tard en liquidation judiciaire ;
Attendu qu'en considération de l'ensemble de ces éléments, la cour estime que la preuve est rapportée de ce que la société FCF a sciemment transmis à son cocontractant des prévisions exagérément optimistes sans justifier d'aucune étude préalable, donc des prévisions dépourvues de toute crédibilité et de tout sérieux ;
Qu'en procédant de la sorte, la société FCF s'est volontairement livrée à une présentation inexacte de son réseau, à dessein évident d'inciter M. Delespaul et Mme Dubus (via la société Theo Frites que ceux-ci ont constituée), à conclure le contrat de franchise litigieux, et à investir dans la création d'une brasserie franchisée ;
Que ces informations erronées, qui portaient sur la rentabilité escomptée du fonds de commerce franchisé à ouvrir, revêtaient un caractère déterminant du consentement de M. Delespaul et de Mme Dubus et de la société Theo Frites - ce que la société FCF ne pouvait naturellement ignorer - dès lors qu'un contrat de franchise a évidemment pour finalité de générer des profits pour les franchisés ; qu'en conséquence, par la communication de ces données comptables totalement déconnectées de la réalité, la société FCF a poussé M. Delespaul et Mme Dubus à conclure le contrat en cause sur la base d'une erreur déterminante de leur consentement ;
Attendu qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société FCF a adopté un comportement dolosif qui a vicié le consentement de ses cocontractants ;
Que dans ces conditions, la cour estime que le contrat de franchise doit être annulé sur le fondement de l'article 1116 du Code civil, sans qu'il soit besoin d'examiner le surplus des moyens invoqués à l'appui de cette demande de nullité ;
Que le jugement entrepris, qui a prononcé la nullité sur un autre fondement, sera donc confirmé sur ce point ;
2°) Sur la responsabilité personnelle du gérant
Attendu que, selon l'article L. 223-22 du Code de commerce : " Les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion " ;
Qu'en application de ce texte, le gérant engage sa responsabilité personnelle lorsqu'il a commis une faute personnelle détachable de ses fonctions de dirigeant ; que la faute est détachable lorsqu'elle satisfait à trois conditions : elle doit être intentionnelle, d'une particulière gravité, et incompatible avec l'exercice des fonctions sociales du dirigeant, même si ce dernier a agi dans les limites de ses attributions ; qu'ainsi, la faute séparable des fonctions est caractérisée et ne saurait être imputée à la personne morale chaque fois que le dirigeant, dont les fonctions ont fourni l'occasion ou les moyens de la faute, accomplit un fait délictueux (au sens civil du terme) en ayant conscience de causer un dommage à autrui - ce qui traduit un exercice anormal des fonctions de dirigeant, sous la forme d'un abus ou d'un détournement de pouvoir ;
Attendu qu'en l'espèce, premièrement, c'est bien M. Tomasina qui, agissant en sa qualité de gérant de la société FCF, a délibérément délivré à M. Delespaul et à Mme Dubus des données comptables dont il connaissait le caractère non sérieux dès lors que, se trouvant à la tête du réseau de franchisés, il connaissait les résultats réels de ces derniers ;
Que, deuxièmement, cette attitude dolosive revêt une gravité certaine dans la mesure où elle visait à forcer le consentement de candidats totalement inexpérimentés, afin de les engager dans les liens contractuels litigieux, alors que M. Tomasina ne pouvait méconnaître les conséquences financières graves que génèrerait l'insuccès de l'entreprise commerciale dans laquelle investissaient Mme Dubus et M. Delespaul ;
Que, troisièmement, une telle attitude n'est, à l'évidence, pas compatible avec l'exercice normal des fonctions de gérant, dès lors que ce mensonge, étayé par la production de pièces comptables dont M. Delespaul et Mme Dubus, non avertis, ne pouvaient douter de la fiabilité, est contraire à la loyauté et à la bonne foi qui doivent présider aux relations contractuelles, ainsi que le rappelle l'article 1134 du Code civil ;
Attendu que, pour l'ensemble de ces motifs, la cour estime que M. Tomasina a engagé sa responsabilité personnelle pour faute détachable ;
Qu'en conséquence, il doit répondre des conséquences dommageables de sa faute in solidum avec la société FCF, sa faute personnelle, qui s'est manifestée au travers de la société elle-même, ayant contribué à la réalisation du dommage ; que vis-à-vis des victimes, M. Tomasina doit donc réparation intégrale du préjudice aux côtés de la société FCF ;
3°) Sur les préjudices indemnisables
Attendu que la résolution du contrat entraîne l'anéantissement rétroactif de celui-ci, de sorte que les choses doivent être remises dans le même état que si les obligations nées du contrat n'avaient jamais existé ;
Que par ailleurs, le droit de demander la nullité d'un contrat pour dol n'exclut pas l'exercice, par la victime des manœuvres dolosives, d'une action en responsabilité pour obtenir, de leur auteur, réparation du préjudice qu'elle subit, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ;
Que le préjudice souffert doit être intégralement réparé, sans perte ni profit pour la victime ;
Attendu qu'en l'occurrence, les premiers juges ont alloué à Mme Dubus et à M. Delespaul l'indemnisation suivante :
Au titre des pertes financières subies : " 120 000 euro (105 139,92 euro + les intérêts estimés sur cautions) " (sic) - sans que la cour ne puisse expliquer ces chiffres ;
Et au titre du préjudice moral : 38 000 euro ;
Attendu qu'il ne ressort pas des conclusions des appelants la moindre critique s'agissant des postes de préjudice admis par les premiers juges, non plus que concernant leur évaluation ;
Qu'en revanche, les intimés réclament, à titre incident, la réformation du jugement uniquement s'agissant de l'indemnisation de leur préjudice financier, admettant l'évaluation de leur préjudice moral ; que l'indemnisation allouée à ce titre par les premiers juges sera donc reprise par la cour ;
Attendu que concernant leur préjudice financier, les intimés sollicitent la somme totale de 191 444,80 euro incluant :
134 444,80 euro correspondant à :
5 000 euro au titre de leurs apports au capital social de Theo Frites
50 000 euro au titre de leurs apports au compte courant d'associés de Theo Frites
34 444,80 euro au titre de leur condamnation au paiement des loyers
45 000 euro au titre de leur condamnation en faveur de la banque, en exécution de leur cautionnement
57 000 euro au titre de l'impossibilité de se rémunérer compte tenu de la situation financière de la société Theo Frites, indemnité calculée en fonction des prévisions effectuées par M. Tomasina (3 000 euro par mois X 19 mois) ;
Attendu en premier lieu que, s'agissant de ce dernier poste de préjudice, la cour observe que, lors même que le contrat litigieux n'aurait pas été conclu, il n'est pas démontré que Mme Dubus et M. Delespaul auraient assurément perçu de tels revenus dont ils auraient été privés en raison de la seule exploitation du fonds franchisé ; que ce préjudice étant hypothétique, aucune indemnisation ne saurait leur être accordée à ce titre ; que Mme Dubus et M. Delespaul seront donc déboutés de cette prétention, par voie d'ajout au jugement entrepris, dès lors que, si les premiers juges ont rejeté le surplus des demandes de Mme Dubus et de M. Delespaul, il ne ressort toutefois pas des motifs de leur décision qu'ils auraient examiné ce poste de préjudice dont ils étaient pourtant saisis ;
Attendu en second lieu que, si Mme Dubus et M. Delespaul n'avaient pas conclu le contrat litigieux :
D'une part, ils n'auraient pas constitué la société Theo Frites, ni, dès lors, réalisé un apport en capital de 5 000 euro, ni un apport en compte courant de 50 000 euro dont les intimés ne contestent ni la réalité, ni le montant ;
D'autre part, ils ne se seraient pas portés cautions solidaires de la société franchisée en garantie du prêt souscrit par celle-ci lors du démarrage de son activité, et n'auraient donc jamais été condamnés à exécuter cet engagement à hauteur de 45 000 euro à la suite de la défaillance de la société Theo Frites, emprunteur principal ;
Enfin, ils n'auraient pas conclu le bail destiné à l'exploitation du fonds de la société franchisée, et n'auraient donc pas subi la condamnation au paiement de l'arriéré locatif généré par la faillite de Theo Frites ce qui représente la somme de 34 444,80 euro ;
Qu'ainsi, l'ensemble des préjudices allégués à ce titre sont en lien direct et certain avec la conclusion du contrat annulé et donc avec le dol commis par le franchiseur et son gérant ;
Que par ailleurs, la société Theo Frites se trouvant en liquidation, il est certain que Mme Dubus et M. Delespaul n'ont aucune chance de recouvrer à l'encontre de cette société, fût-ce pour partie seulement, les sommes ci-dessus listées ;
Qu'en conséquence, c'est à raison que Mme Dubus et M. Delespaul demandent l'indemnisation à ces divers postes de préjudices ;
Que le jugement entrepris, qui n'a que partiellement fait droit à la demande formulée au titre du préjudice financier, sera donc réformé ; que par conséquent, doivent être allouées à Mme Dubus et M. Delespaul les sommes de :
- 134 444,80 euro au titre du préjudice financier,
- et 38 000 euro au titre du préjudice moral ;
Que ces sommes doivent simplement être fixées au passif de la société FCF, celle-ci se trouvant en liquidation judiciaire ;
Qu'en revanche, M. Tomasina doit être condamné au paiement de ces sommes, lesquelles produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt s'agissant de l'indemnisation relative au préjudice financier dont la cour modifie le quantum, et à compter du jugement s'agissant de celle relative au préjudice moral que la cour confirme, en vertu de l'article 1153-1 du Code civil ;
4°) Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile
Attendu que les intimés ne critiquent pas le jugement entrepris en ce qu'il a fixé leurs créances de dépens et d'indemnité procédurale dans le cadre de la procédure collective de la société FCF ; que ces dispositions seront dès lors confirmées ;
Attendu que le comportement de M. Tomasina étant à l'origine du litige, celui-ci, qui succombe en son recours, sera condamné seul aux dépens d'appel, ainsi qu'au paiement d'une indemnité procédurale complémentaire au titre de l'appel conformément à l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs LA COUR, Réforme le jugement entrepris en ce qu'il, Condamne M. Tomasina solidairement avec la société FCF au paiement d'une indemnité de 158 000 euro, Ordonne à Me Malfaisan, ès qualités, d'enregistrer une créance chirographaire de 158 000 euro au profit de Mme Dubus et de M. Delespaul, Statuant de nouveau de ces chefs, Deboute Mme Dubus et M. Delespaul de leur demande d'indemnisation à hauteur de 57 000 euro au titre d'une impossibilité de se rémunérer, Fixe la créance chirographaire de Mme Dubus et de M. Delespaul au passif de la société FCF comme suit, 134 444,80 euro au titre du préjudice financier, et 38 000 euro au titre du préjudice moral, Condamne M. Tomasina à payer à Mme Dubus et à M. Delespaul les sommes suivantes en réparation de leur préjudice, 134 444,80 euro au titre du préjudice financier, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, et 38 000 euro au titre du préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter du jugement déféré, Confirme le jugement entrepris pour le surplus de ses dispositions, Y ajoutant, Condamne M. Tomasina à payer à Mme Dubus et à M. Delespaul la somme complémentaire de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne M. Tomasina aux dépens d'appel.