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Décisions

CA Angers, ch. com. A, 2 juin 2015, n° 13-01726

ANGERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Gauvrit

Défendeur :

La Maille Francaise (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Van Gampelaere

Conseillers :

Mmes Monge, Portmann

Avocats :

Mes Langlois, Dubreuil, Brouin, Jagel

T. com. Le Mans, du 18 mars 2013

18 mars 2013

FAITS ET PROCÉDURE

La SAS La Maille Française est spécialisée dans le commerce d'articles de textiles et de bonneterie en tous genres, qu'elle commercialise dans la France entière depuis 1974, soit par des salariés VRP, soit par des agents commerciaux.

Le 16 décembre 2009, elle a signé un contrat d'agent commercial à effet du 1er janvier 2010, avec Monsieur Gauvrit, qui succédait à M. Guéron.

Monsieur Gauvrit devait exercer son mandat d'agent commercial sur le secteur constitué des départements 22-29-35-37-44-49-53-56-72-79-85 et 86.

L'article 6 de ce contrat d'agent commercial prévoyait que "le chiffre d'affaires, pour l'ensemble des départements visités, devra être de 400 000 euro pour l'année".

Par lettre du 28 novembre 2011, la SAS La Maille Française a informé Monsieur Gauvrit qu'elle mettait un terme à son contrat d'agent commercial en raison de l'insuffisance de son chiffre d'affaires annuel au vu de son objectif contractuel.

Par lettre du 25 avril 2012, Monsieur Gauvrit a réclamé à la SAS La Maille Française, par l'intermédiaire de son Conseil, une somme de 68 885,85 euro à titre d'indemnité de résiliation du contrat d'agent commercial.

La société La Maille française ayant refusé de verser cette indemnité, Monsieur Gauvrit a saisi le Tribunal de commerce du Mans aux fins de la voir condamnée à lui verser la somme de 68 885,85 euro à titre d'indemnité compensatrice de rupture, avec intérêt de droit à compter de la mise en demeure du 25 avril 2012, étant précisé qu'il scindera, par la suite, cette demande comme suit : 45 923,90 euro au titre de l'indemnité compensatrice et 22 691,95 euro en réparation du préjudice subi eu égard au caractère volontairement brusque et vexatoire de la rupture du contrat.

Par jugement prononcé le 18 mars 2013, le Tribunal de commerce du Mans a :

- confirmé à M. Patrick Gauvrit que la société la Maille Française reconnaît le principe de son droit à percevoir une indemnité compensatrice pour rupture de son contrat d'agent commercial,

- condamné ladite société à verser à Monsieur Gauvrit une somme de 10 685,64 euro au titre de l'indemnité compensatrice de rupture de son contrat d'agent commercial ainsi que 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- rejeté la demande en réparation du préjudice subi eu égard au caractère volontaire, brusque et vexatoire de la rupture du contrat d'agent commercial,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné la société la Maille Française aux dépens.

Monsieur Gauvrit a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 1er juillet 2013.

Les deux parties ont conclu et l'ordonnance de clôture a été rendue le 9 mars 2015.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 954 du Code de procédure civile, à leurs dernières conclusions respectivement:

- du 6 mars 2015 pour M. Patrick Gauvrit,

- du 5 mars 2015 pour la société la Maille Française,

qui peuvent se résumer comme suit.

M. Patrick Gauvrit demande à la cour :

- de rejeter les attestations de Mme Bayerlait et de Mme Labatut,

- d'infirmer le jugement entrepris excepté en ce qu'il a confirmé que la société la Maille Française lui reconnaissait le principe du droit à une indemnité compensatrice pour rupture de son contrat d'agent commercial, confirmé que l'article L. 134-12 du Code de commerce n'interdit pas la réparation du préjudice spécifique subi par l'agent lorsque les causes de cette cessation ont un caractère fautif, condamné la société la Maille Française à lui payer la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- d'infirmer le jugement du tribunal de commerce en ce qu'il n'a pas reconnu le principe d'une indemnité compensatrice pour rupture de son contrat d'agent commercial égale à deux ans, de dire et juger que cette indemnité doit être égale à deux années de commission,

- de condamner la société la Maille Française à lui payer, à titre principal, la somme de 45 923,90 euro au titre de l'indemnité compensatrice de rupture du contrat d'agent commercial, subsidiairement celle de 32 056,91 euro et très subsidiairement celle de 21 371,28 euro,

- de condamner la société la Maille Française à lui payer, en réparation du préjudice subi eu égard au caractère volontairement brusque et vexatoire de la rupture, à titre principal la somme de 22 961,95 euro et à titre subsidiaire celle de 16 028,46 euro, outre intérêts de droit à compter de la mise en demeure du 25 avril 2012,

- en tout état de cause, de condamner la société la Maille Française à lui payer une somme de 3000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens de première instance et d'appel, les derniers étant recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Pour solliciter le rejet des attestations de Mesdames Labatut et Bayerlait, il fait valoir qu'elles ne respectent pas les dispositions de l'article 202 du Code de procédure civile (mentions obligatoires, lien de subordination).

Il prétend qu'il doit bénéficier de l'indemnité compensatrice prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce, dès lors que la cessation du contrat n'est pas intervenue pour l'une des causes prévues à l'article L. 134-13 du même Code, notamment pour faute grave, mais pour non-atteinte de ses objectifs, lesquels étaient selon lui irréalisables dans un contexte de baisse du chiffre d'affaire de la société la Maille Française. Celle-ci a d'ailleurs reconnu le principe de cette indemnité dans ses conclusions de première instance en proposant de lui verser une somme de 8 014,23 euro.

Concernant son montant, il soutient à titre principal qu'il doit correspondre, "selon la jurisprudence, la doctrine et les usages de la profession" à deux années de commissions calculées sur la moyenne des trois dernières années, soit 45 923,80 euro. Il précise que même si son contrat n'a duré que deux ans, il convient d'intégrer le montant des commissions perçues en 2009 par son prédécesseur, dès lors que la société la Maille Française a nécessairement donné son accord à la cession du contrat de M. Guéron, s'agissant d'une convention "intuitu personae", que si M. Guéron n'avait pas cédé son contrat, la société la Maille Française aurait dû lui verser une indemnité compensatrice, que le nouveau contrat d'agent commercial n'a été signé que quinze jours après la convention régularisée avec M. Guéron et enfin que lui-même a acquis le contrat de ce dernier pour la somme de 30 000 euro.

Subsidiairement, il demande que lui soit allouée une indemnité égale à deux ans de commissions, soit 32 056,91 euro.

A titre infiniment subsidiaire, il demande que celle-ci corresponde à deux tiers des commissions perçues en 2011 et 2012, soit 21 371,28 euro.

En ce qui concerne les dommages et intérêts complémentaires, il fait valoir que les dispositions de l'article L. 134-12 du Code de commerce n'interdisent pas l'indemnisation du préjudice subi en cas de rupture fautive du contrat d'agent commercial. Or, selon lui, la rupture est intervenue de manière brusque et vexatoire pour les motifs suivants :

- la société la Maille Française a cessé de l'approvisionner en échantillons pendant sept semaines, ce qui a eu une très forte incidence sur ses ventes, et donc sur son droit à indemnité,

- la société la Maille Française avait décidé de se séparer de lui dès le mois d'août 2011, ce dont plusieurs personnes, dont des clients, avaient été informées, sans que lui-même ne soit au courant,

- la société la Maille Française a tenté de réduire son préavis de rupture à un mois.

La société la Maille Française sollicite de la cour qu'elle confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, qu'elle déboute M. Patrick Gauvrit de toutes ses demandes, fins et conclusions et qu'elle le condamne à lui payer une somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Concernant le caractère abusif de la rupture, elle fait valoir que si elle a tout d'abord indiqué à M. Patrick Gauvrit que son préavis serait d'un mois, c'est en raison d'une erreur, que le motif de la rupture est parfaitement établi par les pièces qu'elle produit, alors pourtant que son mandataire avait accepté une clause d'objectifs, que lesdits objectifs étaient réalisables, et que M. Patrick Gauvrit a toujours été destinataire des échantillons lui permettant de travailler.

Elle conteste que la non-réalisation par M. Patrick Gauvrit de ses objectifs soit en lien avec la baisse de son chiffre d'affaire, soulignant que si ce chiffre d'affaires a diminué en 2008, il s'est depuis relativement stabilisé.

Enfin, mettant en cause les attestations produites par M. Patrick Gauvrit, la société la Maille Française conteste avoir pris la décision de rompre le contrat d'agent commercial de celui-ci au mois d'août 2011.

En ce qui concerne l'indemnité compensatrice, la société la Maille Française fait valoir qu'il n'existe aucun mode de calcul préfixe, que M. Patrick Gauvrit ne justifie pas de sa situation actuelle mais qu'il continue d'exercer une activité d'agent commercial pour une société concurrente sur le secteur de la Normandie, emportant avec lui sa clientèle et qu'il n'y a pas lieu de prendre en considération les commissions réalisées par M. Guéron, soutenant qu'elle a été tenue à l'écart des négociations relatives à la cession de la carte de ce dernier. Elle estime que, compte tenu de la faible durée des relations contractuelles et du peu d'apport de clientèle de M. Gauvrit, il convient de retenir, comme l'a fait le Tribunal de commerce du Mans, une somme correspondant à deux tiers de la moyenne de ses deux années de commission.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I - Sur la demande relative aux attestations de Mesdames Labatut et Bayerlait

Attendu si les attestations de Mme Labatut de Mme Bayerlait communiquées sous les numéros 5 et 16 par l'intimée ne respectent pas les prescriptions de l'article 202 du Code de procédure civile elles ne sont pas pour autant irrecevables ; qu'elles valent à titre de simples renseignements, dont il appartient au juge d'apprécier la valeur probante ;

II - Sur le droit à l'indemnité prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce

Attendu qu'aux termes de ce texte : "En cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi" ;

Attendu que ni le Code du commerce, ni aucune autre disposition conventionnelle ou réglementaire, ne définit la manière dont doit être fixée cette indemnité de rupture ; qu'elle est calculée en fonction du préjudice subi, selon les usages de la profession ; que ne correspondant pas à un droit de propriété de l'agent sur la clientèle, laquelle reste appartenir au mandant, il n'y a pas lieu d'intégrer, dans son calcul le prix de la carte payé par l'agent commercial ;

Attendu qu'en l'espèce, le droit à indemnisation de M. Gauvrit n'est pas contesté par la société La Maille française, laquelle ne démontre, ni même n'allègue qu'il a commis une faute grave à l'origine de la rupture ; que bien plus, elle a proposé, dans le cadre de la procédure devant le tribunal de commerce, le versement d'une somme de 8 014,23 euro correspondant selon elle à six mois de commissions;

Attendu que si les usages de la profession conduisent régulièrement les juridictions à accorder aux agents commerciaux dont le contrat est rompu, une indemnité correspondant à deux ans de commission, force est de constater qu'en l'espèce, M. Gauvrit n'a exercé son mandat que pendant deux ans, et que son apport de clientèle a été limité ; qu'en effet, les commissions perçues par M. Gauvrit, fixées en fonction du chiffre d'affaires réalisé, se sont élevées à 18 845,48 euro pour 2010 et 13 211,43 euro pour 2011, alors que son prédécesseur avait perçu, en 2009, 36 828,95 euro ;

Que si le chiffre d'affaires de la société avait beaucoup diminué en 2008 et 2009, il s'est stabilisé l'année suivante ; qu'en outre, certains commerciaux (Daroux, De Jonghe et Jérémy) avaient maintenu voire augmenté leur chiffre d'affaire ; que les problèmes de livraison connus par l'appelant à l'automne 2011 ne peuvent expliquer la baisse de ses résultats sur l'année précédente ;

Attendu que, dans ces conditions, il apparaît qu'en retenant la moyenne des commissions perçues par M. Gauvrit au cours des deux années de collaboration avec la société La Maille française, et en prenant les deux tiers, soit 8 mois, ce qui donne un résultat de 10 685,64 euro, le Tribunal de commerce du Mans a procédé à une juste évaluation du préjudice résultant pour M. Gauvrit de la rupture de son mandat ;

Que la décision entreprise sera donc, de ce chef, confirmée ;

III - Sur le préjudice résultant des conditions de la rupture

Attendu que nonobstant ce qu'indique Mme Bayerlait, dont les propos doivent être pris avec circonspection compte tenu de son lien de subordination avec l'intimée et qui ne fait d'ailleurs que préciser que Mme Vialle lui a semblé surprise du départ de M. Gauvrit, il est suffisamment établi par les attestations de Mme Vialle, cliente de la société La Maille française, et de M. Ferez, que dès l'été 2011, la société La Maille française avait envisagé de se séparer de M. Gauvrit et lui avait recherché un successeur ; que cependant, force est de constater que le seul fait de s'en ouvrir à une seule de ses relations commerciales, sans qu'il ne soit démontré que l'entreprise n'avait donné à ses intentions, une publicité plus large, ne suffit pas à conférer à la rupture un caractère vexatoire ;

Attendu sur le problème des échantillons, qu'il résulte de l'email de M. Gauvrit envoyé à son mandant le 8 octobre 2011, et du tableau, non contesté, établi par la société La Maille française, que les expéditions ont été interrompues seulement du 26 août au 10 octobre 2011 ; qu'elles ont donc repris dès que l'agent s'est plaint de la situation ;

Attendu que de même, la société La Maille française a, dès le 16 décembre 2011, donc peu de temps après la réception du courrier de M. Gauvrit, daté du 11 décembre 2011, confirmé à celui-ci que la durée du préavis serait, non pas d'un mois comme elle l'avait précédemment indiqué, mais de deux mois ;

Attendu que, dans ces conditions, il convient de confirmer également la décision en ce qu'elle a considéré que la rupture du contrat d'agent commercial n'était pas intervenue dans des conditions brusques et vexatoires, et en ce qu'elle a débouté M. Gauvrit de sa demande de dommages et intérêts complémentaires ;

IV - Sur les demandes accessoires

Attendu que le jugement du Tribunal de commerce du Mans sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens ;

Attendu que compte tenu de la confirmation de la décision de première instance, M. Gauvrit supportera les dépens afférents à l'instance d'appel ; qu'il n'y a pas lieu de faire application au profit de l'une ou l'autre des parties des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, de sorte que les demandes présentées de ce chef seront rejetées ;

Par ces motifs, La cour, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement rendu le 18 mars 2013 par le Tribunal de commerce du Mans, Y ajoutant, Rejette les demandes pour frais irrépétibles et toute autre demande plus ample ou contraire, Condamne M. Gauvrit aux dépens de l'instance d'appel.