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Décisions

CA Bastia, ch. civ. B, 27 mai 2015, n° 13-00921

BASTIA

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Rocade Distribution (SAS)

Défendeur :

Trottel Distribution (SAS), Corsaire (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Piazza

Conseillers :

Mmes Deltour, Bart

Avocats :

Mes Carta, Alexandre, Canarelli, Combier

T. com. Ajaccio, prés., du 18 nov. 2013

18 novembre 2013

EXPOSÉ DU LITIGE

La SAS Rocade Distribution qui exploite un supermarché "Leclerc" à Ajaccio a créé une activité "Drive" zone industrielle de Sarrola-Carcopino sous l'enseigne "Drive Leclerc Grand Ajaccio".

Elle a fait paraître dans le journal Corse Matin du 21 septembre 2013 une publicité comparative des prix pratiqués entre Leclerc Drive et Carrefour Drive, présentant le panier du Leclerc Drive moins cher que celui du Drive Carrefour.

Vu l'assignation en référé délivrée à la SAS Rocade Distribution à la requête de la SAS Corsaire et la SAS Trottel Distribution le 3 octobre 2013 qui, se prévalant d'un trouble manifestement illicite occasionné par cette publicité, demandait notamment, au juge des référés du Tribunal de commerce d'Ajaccio qu'il soit ordonné à celle-ci de faire cesser tout moyen de publicité litigieuse sous astreinte de 5 000 euro passé un délai de 8 jours à compter de la signification de l'ordonnance, qu'elle soit condamnée au paiement d'une astreinte de 10 000 euro par infraction constatée en cas de renouvellement d'une telle publicité, et d'une somme provisionnelle de 20 000 euro à valoir sur le préjudice économique et d'image, et qu'il soit ordonné la publication de la décision aux frais de la SAS Rocade Distribution dans l'édition locale de Corse Matin dans les 15 jours de la signification.

Vu l'ordonnance de référé rendue le 18 novembre 2013 par le président du Tribunal de commerce d'Ajaccio qui :

- condamne la SAS Rocade Distribution à faire cesser par tout moyen la publicité litigieuse sous astreinte de 1 000 euro par jour passé un délai de 8 jours à compter de la signification de l'ordonnance,

- ordonne la publication de la décision aux frais de la société Rocade Distribution dans l'édition locale du quotidien Corse Matin et ce, dans un délai de 15 jours à compter de la signification,

- condamne la SAS Rocade Distribution au paiement d'une somme de 1 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens,

- rejette toutes autres demandes fins et conclusions contraires à la décision,

- statue sur les dépens.

Vu la déclaration d'appel de la SAS Rocade Distribution, prise en la personne de son représentant légal en exercice, reçue au greffe de la cour le 25 novembre 2013.

En ses dernières conclusions déposées le 30 juin 2014, la SAS Rocade Distribution sollicite l'infirmation du jugement et la publication de l'arrêt, outre une indemnité de 5 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile. Elle soutient en substance que la SAS Corsaire n'a pas d'intérêt à agir puisqu'elle n'a pas d'activité "Drive" concurrente, que, s'agissant d'une publicité ponctuelle, la décision prise de la faire cesser est dépourvue de sens et que la demande d'indemnité provisionnelle est sans objet puisque la publicité n'est pas irrégulière au fond.

Dans leurs écritures du 25 novembre 2014, la SAS Corsaire et la SAS Trottel Distribution demandent la confirmation de l'ordonnance, sauf en ce qu'elle a rejeté leur demande visant au prononcé d'une astreinte et au paiement d'une indemnité provisionnelle de 20 000 euro. Elles sollicitent de ces chefs le prononcé d'une astreinte de 10 000 euro par infraction constatée en cas de renouvellement d'une telle publicité illicite et la condamnation de l'appelante au paiement d'une somme provisionnelle de 20 000 euro à valoir sur leur préjudice économique et d'image. Elles demandent enfin à la cour de se réserver le pouvoir de liquider les astreintes, et de condamner l'appelante au paiement d'une indemnité de 4 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens en ceux compris le coût des constats d'huissier.

L'instruction a été clôturée par une ordonnance en date du 28 janvier 2015, fixant l'audience de plaidoiries au 13 mars. A cette date, l'affaire a été renvoyée à l'audience des débats du 27 mars 2015, audience à laquelle les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 27 mai 2015.

Sur ce, LA COUR

L'appelante reproche à l'ordonnance de s'être prononcée de façon injustifiée, en raison, notamment, de l'absence d'activité "Drive" de la société Corsaire, et en considération du caractère ponctuel et instantané de la publicité litigieuse. Elle ajoute qu'elle se fonde sur des investigations personnelles du juge et ne tient pas compte des constats d'huissier qu'elle a communiqués.

Les intimées font valoir que la publicité comparative litigieuse est sans conteste de nature à induire le public en erreur au sens de l'article L. 121-1 du Code de la consommation, ainsi qu'elle entend en justifier par la production de plusieurs constats d'huissier.

Aux termes de l'article 873 alinéa 1er du Code de procédure civile (et non pas 809 du même Code visé par erreur dans l'assignation), la juridiction des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Le dommage imminent s'entend du "dommage qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer" et le trouble manifestement illicite résulte de "toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit".

Il s'ensuit que, pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté, à la date à laquelle le juge statue, et avec l'évidence qui s'impose à la juridiction des référés, l'imminence d'un dommage, d'un préjudice ou la méconnaissance d'un droit, sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines.

Même si la publicité visée par l'assignation initiale a aujourd'hui cessé et même si le référé est dès lors devenu sans objet au moment où la cour statue, il appartient à la présente juridiction d'appel de déterminer si la demande était justifiée lorsque le premier juge a statué.

Il se déduit des termes de l'assignation initiale devant le juge des référés que l'illicéité manifeste du trouble invoqué dans leur assignation par les sociétés intimées repose sur l'existence d'une pratique commerciale trompeuse au sens des dispositions des articles L. 121-1 et L. 121-28 [sic] du Code de la consommation et concerne, plus précisément, une publicité parue le 21 septembre 2013 dans le journal Corse Matin, à l'initiative de la SAS Rocade Distribution enseigne "Leclerc", support également affiché sur la façade du magasin Leclerc Ajaccio Imperial, trompeuse en ce qu'elle se comparerait à un "Carrefour Drive" d'Ajaccio qui n'existe pas, et en ce qu'elle présenterait un panier de consommation courante de 21,82 % moins cher que celui commercialisé par Carrefour Drive. Tous les supports postérieurs à cette date, non visés dans l'assignation, sont indifférents à l'appréciation sur laquelle le premier juge a statué.

La cour relève à titre liminaire que l'extrait de l'article incriminé de Corse Matin du 21 septembre 2013 n'est pas produit, l'article communiqué en pièce 3 des intimées étant celui du 28 septembre 2013 non visé dans l'assignation, et s'agissant de l'affiche apposée sur le magasin, annexée au constat d'huissier établi le 26 septembre 2013 par Me Garin Forestier huissier de justice requis par les intimées, elle est quasi illisible.

En premier lieu, la SAS Corsaire qui entend solliciter le paiement d'une indemnité provisionnelle en réparation de l'atteinte invoquée à l'image de la marque Carrefour par cette publicité, a qualité à agir, au sens des dispositions de l'article 31 du Code de procédure civile, sauf à démontrer, ce que ne fait pas la société appelante, que "Carrefour" et "Carrefour Drive" sont des marques distinctes.

En second lieu, le juge se fonde, pour constater l'existence d'un trouble manifestement illicite, sur le seul constat d'huissier dressé le 24 septembre 2013 par Me Garin Forestier, huissier de justice requis par les sociétés intimées, qui établit que le site Internet "Drive Ajaccio" n'est pas actif et que local situé Cours Prince Impérial est en chantier et n'est pas ouvert, alors qu'il résulte du constat établi le 18 septembre 2013 par Me Armani, huissier de justice requis par la SAS Rocade Distribution qu'il existe un autre "Carrefour Drive" à Ajaccio, adossé au Carrefour Market situé quartier Mezzavia, dont le site Internet est bien actif, dont les prix comparés révèlent de significatives différences.

En troisième lieu et surtout, rien ne permettait d'établir qu'à la date où le juge a statué, la publicité incriminée par voie de presse avait perduré au-delà de la parution dans le quotidien Corse Matin du 21 septembre 2013, et s'agissant de l'affichage concomitant dans le magasin, constaté dans le constat dressé le 26 septembre 2013 par Me Garin Forestier, au-delà de cette date.

L'ordonnance déférée doit donc être infirmée et les sociétés Corsaire et Trottel Distribution déboutées de leurs demandes, aucune imminence d'un dommage, d'un préjudice ou méconnaissance d'un droit, au sens des dispositions susvisées, ne pouvant être constatée de façon évidente et certaine par le premier juge à la date des débats du 28 octobre 2013.

Il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de publication de la présente décision présentée par la société appelante, en considération de l'ancienneté de la publicité incriminée, et de celle de la publication ordonnée par la juridiction déférée qu'elle aurait vocation à "corriger".

L'issue du litige comme le périmètre de la saisine du juge des référés justifient le rejet de toutes les autres demandes formées par les SAS Trottel Distribution et Corsaire.

L'équité commande de condamner celles-ci au paiement d'une indemnité de 2 000 euro à la société appelante en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Les sociétés intimées qui succombent supporteront les dépens d'appel.

Par ces motifs, LA COUR : Infirme l'ordonnance entreprise, Statuant à nouveau, Dit que la SAS Corsaire a qualité à agir, Dit n'y avoir lieu à référé en l'absence de trouble manifestement illicite, Y ajoutant, Dit n'y avoir lieu à publication de la présente décision, Déboute la SAS Corsaire et la SAS Trottel Distribution de toutes leurs demandes, Condamne la SAS Corsaire et la SAS Trottel Distribution à payer à la SAS Rocade Distribution une indemnité de deux mille euros (2 000 euro) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la SAS Corsaire et la SAS Trottel Distribution aux dépens de première instance et d'appel.