CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 18 juin 2015, n° 14-00493
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Keroler (SAS)
Défendeur :
Carrefour Marchandises Internationales (SAS), Interdis (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mme Lucat, M. Birolleau
Avocats :
Mes Boccon-Gibod, Guidoux, Guerre, de Lammerville
Faits et procédure
De 2005 à 2010 la société Keroler a été un fournisseur de produits de pâtisserie à marque de distributeurs du groupe Carrefour (Carrefour, Champion, Cora, ...).
Les sociétés Carrefour Marchandises Internationales (ci-après société Carrefour) et Interdis assuraient pour le groupe Carrefour les négociations et les relations commerciales avec la société Keroler, qui ont été formalisées par des contrats de fourniture de produits contrôlés, le dernier en date du 14 novembre 2008.
En 2009, un certain nombre de références de la société Keroler ont été arrêtées sans que pour autant les relations commerciales entre la société Keroler et le groupe Carrefour en soient altérées.
Début 2010, parallèlement à une renégociation du contrat de fourniture qui n'a pas abouti, de nouveaux déréférencements ont eu lieu, sans information préalable selon la société Keroler, puis la rupture totale des relations commerciales a été notifiée par le groupe Carrefour le 26 mai 2010 avec un préavis de 10 mois, dont l'exécution (ou l'inexécution) fait, principalement, l'objet du présent litige.
C'est dans ces conditions que la société Keroler a fait assigner les sociétés Carrefour et Interdis devant le Tribunal de commerce de Paris le 9 novembre 2011 et aux audiences des 7 septembre 2012 et 5 avril 2013.
Par jugement rendu le 16 décembre 2013, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Paris a :
- déclaré la société Keroler irrecevable dans ses demandes;
- condamné la société Keroler à payer la somme de 2 500 euro à la société Carrefour d'une part et à la société Interdis d'autre part au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu l'appel interjeté par la société Keroler le 8 janvier 2014 contre cette décision.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Keroler le 4 mars 2015, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
- dire et juger que la clause de conciliation figurant à l'article 23 du " contrat de fourniture de produits contrôlés " signée entre les parties est inapplicable aux litiges portant sur la rupture brutale des relations commerciales ;
- dire et juger recevables les demandes de la société Keroler ;
- dire et juger que les sociétés Interdis et Carrefour ont brutalement rompu les relations commerciales établies avec la société Keroler, sans respecter un préavis suffisant tenant compte de l'ancienneté des relations commerciales ;
- dire et juger que les relations en cause portaient sur la fourniture de produit à marque de distributeur ;
- dire et juger que les sociétés Interdis et Carrefour auraient dû en l'espèce respecter un préavis de 12 mois ;
Par conséquent :
- condamner les sociétés Interdis et Carrefour in solidum à payer à la société Keroler la somme de 578.237 euro correspondant à 12 mois, de marge brute, en réparation du préjudice financier résultant de la rupture brutale des relations commerciales ;
- condamner les sociétés Interdis et Carrefour in solidum à payer à la société Keroler la somme de 157 442 euro correspondant à la perte de marge brute résultant du déréférencement partiel sur les 5 mois ayant précédé l'annonce de la rupture des relations commerciales ;
- condamner les sociétés Interdis et Carrefour in solidum à payer à la société Keroler la somme de 54 571 euro en réparation de l'ensemble des frais de personnel engagés en pure perte en raison du non-respect du préavis de rupture des relations commerciales ;
- condamner les sociétés Interdis et Carrefour in solidum à payer à la société Keroler la somme de 18 407 euro au titre de l'indemnisation des produits fabriqués en pure perte, et de leur destruction ;
- condamner les sociétés Interdis et Carrefour in solidum à payer à la société Keroler la somme de 25 772,45 euro au titre de l'indemnisation des emballages restant en stock ;
- condamner les sociétés Interdis et Carrefour in solidum à payer à la société Keroler la somme de 12 776,92 euro au titre de factures demeurant impayées, majorées des pénalités de retard égales au taux d'intérêt appliqué par la banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majorée de 10 points de pourcentage à compter de leur date d'exigibilité ;
En tout état de cause :
- condamner les sociétés Interdis et Carrefour in solidum à payer à la société Keroler la somme de 25 000 euro, sauf à parfaire, en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'appelante soutient l'inapplicabilité des clauses de conciliation et de médiation en ce qu'elles visent exclusivement " les différends relatifs à la validité, l'exécution et à l'interprétation du contrat " ; que l'action a été engagée sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce, donc délictuel ; relevant au surplus de juridictions spécialisées.
Elle fait valoir que les sociétés Interdis et Carrefour ont brutalement rompu les relations commerciales avec elle sans respecter aucun préavis car dans les faits, les relations commerciales ont été rompues brutalement par la société Carrefour indépendamment du préavis artificiel non respecté du 26 mai 2010, car il y a eu un déréférencement de la quasi-totalité des produits fabriqués par la société Keroler dès janvier 2009.
Vu les dernières conclusions signifiées par les sociétés Carrefour et Interdis le 23 février 2015, par lesquelles il est demandé à la cour de :
A titre principal,
- confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions ;
- constater que la société Keroler n'a pas respecté les procédures de conciliation amiable et de médiation prévues par l'article 23 du contrat de fourniture de produits contrôlés conclu entre la société Interdis et la société Keroler le 14 novembre 2008 ;
En conséquence,
- dire et juger que la société Keroler est irrecevable en ses demandes.
A titre subsidiaire,
- dire et juger que la société Interdis n'a commis aucune faute à l'occasion de la fin des relations commerciales avec la société Keroler ;
En conséquence,
- débouter la société Keroler de l'ensemble des demandes formées par elle dans le cadre de la présente instance ;
En tout état de cause :
- condamner la société Keroler à verser à la société Interdis et à la société Carrefour Marchandises Internationales la somme de 20 000 euro chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
In limine litis, les intimées demandent la confirmation du jugement en ce qu'il a rejeté les demandes formées par la société Keroler, cette dernière n'ayant pas respecté les procédures de conciliation préalable et de médiation contractuellement convenues entre les parties car cette clause est applicable au présent litige et son non-respect rend irrecevables les demandes de la société Keroler.
Elles affirment, à titre subsidiaire, que la société Keroler ne saurait prétendre à l'indemnisation qu'elle réclame au titre d'une prétendue rupture brutale partielle pendant la durée du préavis, le délai de préavis accordé par le groupe Carrefour ayant été suffisant.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
Considérant que la société Keroler affirme qu'elle est recevable en son action en ce que la clause de conciliation et de médiation préalable prévue au contrat ne peut pas s'appliquer au contentieux portant sur la rupture brutale des relations commerciales qui relève de juridictions spécialisées ;
Considérant que l'article 23 du contrat stipule :
" Avant toute action contentieuse, les Parties chercheront, de bonne foi, à régler à l'amiable leurs différends relatifs à la validité, l'exécution et à l'interprétation du contrat. Les parties devront se réunir afin de confronter leurs points de vue et effectuer toutes contestations utiles pour leur permettre de trouver une solution au conflit qui les oppose. Les parties s'efforceront de trouver un accord amiable dans un délai de 30 jours à compter de la notification par l'une d'elles de la nécessité d'un accord amiable, par lettre recommandée avec avis de réception.
A défaut d'accord amiable les parties conviennent de soumettre leur différend sous l'égide du Centre de Médiation et d'Arbitrage de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris. Les parties organiseront la médiation selon le règlement de médiation en vigueur... " ;
Considérant que cette clause vise toute action contentieuse en organisant une phase de conciliation et de médiation pré-contentieuse obligatoire de sorte qu'elle ne saurait être limitée aux litiges ayant un fondement contractuel ; qu'il importe peu que cette clause n'ait pas visé le contentieux spécifique de la rupture brutale des relations commerciales qui constitue un différend relatif à l'exécution du contrat puisqu'il s'agit des conditions dans lesquelles, il y a été mis fin, la société Carrefour justifiant sa décision par le manque de succès des produits Keroler ; que c'est donc à bon droit que les premiers juges ont déclaré la société Keroler irrecevable.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
Considérant que les sociétés Carrefour et Interdis ont dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à leur charge, qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif.
Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré, Condamne la société Keroler à payer aux sociétés Carrefour et Interdis la somme de 5 000 euro chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Keroler aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.