CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 24 juin 2015, n° 14-01570
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Région Île-de-France
Défendeur :
Nautin, Bonnaud, Durand, Jacquety, Boulay, Leleu, Pendaries, Bonnetain, Piaud, Masse, Sananes, Feneon (SELARL), Compagnie Générale de Batiment et de Construction (Sté), Nord France Boutonnat (SA), Bouygues Batiment Île-de-France (SA), Entreprise de Travaux Publics André et Max Brezillon (SA), Bouygues (SA), Gespace France (SA), Société Industrielle de Construction Rapide (SAS), Fougerolle (SAS), Spie (SA), Spie SCGPM (SA), Dumez Construction (SAS), Vinci Construction (SAS), Eiffage Construction (SAS), Société de Participations et de Gestions Immobilières (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
Mmes Nicoletis, Bouvier
Avocats :
Mes Fisselier, Dupeux, De Silva, Dreyfus, Mokhtar, Gonzalez, Teytaud, Goossens, Hardouin, Kuperman, Lataste, Taze Bernard, Delabriere, Haddad, Fromantin, Bensimhon-Cance, Buret, Selnet, Kneuse, Etevenard, Otto, Lallement, Vogel, de Abreu, Autier, Hercot, Roumens, Pantaloni, Normand Bodard, Boccon Gibod, Lapp, Picart, Selinsky, Guizard, Chauchat
Rappel des faits et de la procédure
I. La région Île-de-France a été chargée de la gestion, de l'entretien et de la construction des lycées en Île-de-France, en application de la loi de décentralisation du 22 juillet 1983, modifiée par la loi du 25 janvier 1985.
Un vaste programme de rénovation et de reconstruction du patrimoine immobilier scolaire a été lancé entre 1988 et 1997 donnant lieu à la conclusion de 241 marchés de travaux pour un coût global de 23,3 milliards de francs.
De 1991 à 1997, le Conseil régional a attribué :
- 101 marchés d'entreprises de travaux publics pour une dépense globale de 13,3 milliards de francs qui ont fait l'objet d'appels d'offre lancés par "vagues" ;
- 59 marchés de conception-rénovation attribués selon la procédure de conception rénovation (jury de concours, projet réunissant une entreprise, un BET, un architecte) représentant une dépense de 4 milliards de francs ;
- 81 marchés dits de grosses réparations ont été passés sous la forme traditionnelle entre 1988 et 1997 pour un montant global de 3,2 milliards de francs.
Ces marchés associaient, dans un marché unique, trois prestations de nature différente : la construction ou la réhabilitation proprement dite, la maintenance de l'établissement pendant dix ans et le financement de l'opération par l'entreprise attributaire du marché, au moyen d'un crédit égal au montant du prix des travaux et de la maintenance, consenti par l'entreprise à la collectivité territoriale sur une période de dix ans et remboursable en dix annuités constantes.
La région Île-de-France a eu recours à un assistant à la maîtrise d'ouvrage dit "AMO", en l'espèce la société Patrimoine Ingénierie, bureau privé d'études techniques d'ingénierie qui a assuré une très large mission d'assistance au cours de toute la procédure d'appel d'offres.
Entre 1989 et 1994, 214 marchés d'AMO ont été attribués.
Le 9 octobre 1996, des élus du Conseil régional d'Île-de-France appartenant au mouvement politique "Les Verts" ont dénoncé au procureur de la République de Paris des irrégularités commises à l'occasion de la passation des marchés portant sur la rénovation et la construction des lycées de la région Île-de-France.
Le 9 avril 1997, le Commissaire du gouvernement, près de la chambre régionale des comptes d'Île-de-France, a adressé au Procureur de la République les observations définitives de cette juridiction sur les marchés de réhabilitation et de maintenance des lycées de la région, laissant apparaître de nombreuses irrégularités dans la procédure d'attribution desdits marchés.
II. Le Procureur de la République de Paris a ouvert une information le 3 juin 1997, des chefs de faux, usage de faux, favoritisme, recel et ententes, à l'occasion de la préparation et de l'attribution des marchés de construction et de rénovation des lycées de la région Île-de-France.
La région Île-de-France s'est constituée partie civile dans le cadre de l'instruction, par courrier du 7 juillet 1997, après une délibération du 3 juillet 1997 de la commission permanente du Conseil régional d'Île-de-France.
A la suite d'une procédure d'instruction, des responsables, fonctionnaires et mandataires de la région étaient condamnés pour favoritisme, complicité de participation personnelle et déterminante à une entente anticoncurrentielle et complicité de corruption passive par jugement du 26 octobre 2005. En sa qualité de partie civile, la région Île-de-France a limité ses demandes à la réparation de son préjudice moral.
Par arrêt du 27 février 2007, la Cour d'appel de Paris a confirmé les dispositions pénales du jugement, déclaré recevable la constitution de partie civile de la région Île-de-France, condamné les intéressés à lui payer la somme de 100 000 euro au titre de son préjudice moral outre, à la charge de chacun, une indemnité de 1 000 euro au titre des frais irrépétibles.
Par arrêt du 20 février 2008, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par plusieurs appelants.
III. Par décision rendue le 9 mai 2007, le Conseil de la concurrence a sanctionné le système d'ententes mis en place par les entreprises attributaires des marchés METP et/ou leurs ayants-droit.
Par arrêt du 3 juillet 2008, la Cour d'appel de Paris, statuant sur les recours introduits par les sociétés Sicran SPIE San SPIE SCGPM, Vinci Construction, Dumez Construction, en présence de la région Île-de-France, a rejeté l'ensemble de ceux-là, à l'exception du recours introduit par Vinci Construction au nom de la société Campenon Bernard. A cette exception près, l'ensemble des condamnations prononcées sur le fondement de l'article 420-1 du Code de commerce a été confirmé tant en leur principe qu'en leur quantum.
Par arrêt du 13 octobre 2009, la Cour de cassation a rejeté l'ensemble des pourvois formés par les sociétés SPIE, SPIE SCGPM, SICRA, Vinci Construction, Dumez Construction.
IV. Par actes des 7, 8, 9, 10, 13, 14 et 15 octobre 2008, la région Île-de-France a assigné devant le juge des référés du Tribunal de grande instance de Paris les personnes morales et les personnes physiques mises en cause afin d'obtenir leur condamnation à lui payer une provision de 76 millions d'euro correspondants à 5 % de surprix sur le montant global des marchés litigieux attribués, outre les intérêts au taux légal à compter du 7 juillet 2007.
La demande de provision de la région Île-de-France a été rejetée par jugement en état de référé, le 15 janvier 2009 et la région Île-de-France renvoyée à saisir le juge du fond.
V. Par assignations délivrées les 9, 10, 11, 17, 18 et 22 février 2010, la région Île-de-France a saisi le juge du fond (tribunal de grande instance de Paris) pour obtenir la condamnation de l'ensemble des défendeurs à lui payer in solidum la somme de 358 840 743 euro en principal outre les intérêts au taux légal à compter du 7 juillet 1997, en réparation du préjudice subi du fait des ententes illicites nouées à l'occasion du programme de rénovation des lycées qui se sont déroulées entre 1998 & 1997 ; elle a actualisé ses prétentions en sollicitant la condamnation in solidum des défendeurs à lui verser la somme de 232 134 173,40 euro en réparation de son préjudice matériel.
Les défendeurs ont soulevé, à titre principal, plusieurs fins de non-recevoir.
Par jugement du 17 décembre 2013, le Tribunal de grande instance de Paris, a :
- déclaré prescrite l'action en indemnisation formée par la région Île-de-France ;
- déclaré irrecevable la région Île-de-France en ses demandes principales en indemnisation formées envers l'ensemble des défendeurs ainsi qu'en ses demandes accessoires ;
- condamné la région Île-de-France à verser les indemnités suivantes sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile :
o A Monsieur Jacques Bonnaud : 10 000 euro
o A Monsieur Patrick Bonnetain : 10 000 euro
o A Monsieur Bruno Boulay : 10 000 euro
o A Monsieur Jacques Durand : 10 000 euro
o A Monsieur Xavier Jacquety : 10 000 euro
o A Monsieur Patrick Leleu : 10 000 euro
o A Monsieur François Masse : 10 000 euro
o A Monsieur Gérard Pendaries : 10 000 euro
o A Madame Daniel Piaud : 10 000 euro
o A Monsieur Gilbert Sananes : 10 000 euro
o A la société Compagnie Générale de Bâtiment et de Construction (CBC) : 10 000 euro
o A la SA SPIE : 15 000 euro
o A la SA SPIE SCGPM : 15 000 euro
o A la SAS Dumez Construction : 15 000 euro
o A la SAS Vinci Construction : 15 000 euro
o A la SAS Eiffage Construction : 15 000 euro
o A la SARL Nord France Boutonnat : 10 000 euro
o A la SARL Société de participations et de gestions immobilières : 15 000 euro
o A la SA Bouygues Batiment Île-de-France : 15 000 euro
o A la SA Entreprise de Travaux Publics André et Max Brezillon : 15 000 euro
o A la SA Bouygues : 15 000 euro
o A la société Gespace France : 15 000 euro
o A la société Industrielle de Construction rapide : 15 000 euro
o A la SAS Bougerolle : 15 000 euro
- dit n'y avoir lieu à prononcer l'exécution provisoire du présent jugement,
- rejeté toutes les autres demandes plus amples ou contraires formées par les parties.
VI. Le 22 janvier 2014, la région Île-de-France a interjeté appel de cette décision.
VII. Le 6 octobre 2014, le Préfet de Paris a adressé au Procureur Général un déclinatoire de compétence.
VIII. Par arrêt du 4 mars 2015, la cour rejetait la demande de transmission à la Cour de cassation de la question préjudicielle de constitutionnalité (QPC) proposée par les intimés.
IX.
* Par ses dernières conclusions du 5 février 2015, la région Île-de-France demande à la cour :
à titre principal :
- de statuer exclusivement sur la question de compétence, de déclarer le juge judiciaire incompétent au profit de la juridiction administrative, subsidiairement,
- si la cour rejette le déclinatoire, de surseoir à statuer pendant le délai prévu par l'ordonnance du premier juin 1828,
très subsidiairement, en cas de rejet du déclinatoire,
- de renvoyer devant le conseiller de la mise en état,
- de lui donner acte de ce qu'elle se réserve l'ensemble des moyens de fait et de droit développés par ses conclusions du 18 avril 2014,
en tout état de cause,
- de débouter les intimés de leurs demandes d'indemnité pour frais irrépétibles,
Monsieur le Procureur Général fait valoir que le juge judiciaire n'est pas compétent pour connaître l'action engagée par la région en réparation de son préjudice, s'agissant d'un litige né à l'occasion du déroulement de la procédure de passation d'un marché public, qui relève, comme les litiges relatifs à l'exécution d'un tel marché, de la compétence des juridictions administratives, que ces litiges présentent ou non un caractère contractuel. Il demande à la cour de constater la recevabilité du déclinatoire de compétence, de se déclarer incompétent pour connaître l'instance introduite par la région, subsidiairement, de surseoir à statuer afin que le Préfet puisse élever le conflit s'il l'estime opportun.
* Par conclusions du 24 mars 2015, la société anonyme Bouygues demande à la cour de :
à titre principal :
- déclarer l'article 25 de la loi du 24 mai 1872 non conforme à l'article 6 de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des Libertés fondamentales,
- déclarer les articles 4 alinéa 2 et 6 de l'ordonnance du premier juin 1828 non conformes aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment ses articles 12, 15 et 16,
- déclarer les articles 4 alinéa 2 et 6 de l'ordonnance du premier juin 1828 non conformes à l'article 6 de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des Libertés fondamentales,
- constater que la recevabilité du déclinatoire ne peut être admise, contraire au droit à être jugé dans un délai raisonnable garanti par l'article 6 de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des Libertés fondamentales,
- dire irrecevable le déclinatoire de compétence et confirmer la compétence judiciaire,
- constater que la compétence du juge judiciaire pour connaître de l'action de la région a déjà été admise, de manière définitive par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 27 février 2007 devenu définitif depuis l'arrêt de la Cour de cassation du 20 février 2008,
- dire irrecevable le déclinatoire de compétence et confirmer la compétence judiciaire,
- constater que les conditions de recevabilité du déclinatoire ne sont pas respectées en ce que le déclinatoire ne fonde la compétence de l'ordre administratif sur aucune disposition législative,
- dire irrecevable le déclinatoire de compétence et confirmer la compétence judiciaire,
- constater que le Préfet, le Procureur Général et la région ont adopté des positions radicalement contradictoires en matière de compétence de l'ordre judiciaire, en méconnaissance de l'obligation de loyauté dans la procédure et du principe selon lequel il est interdit de se contredire au détriment d'autrui, et ont méconnu l'article 122 du Code de procédure civile,
- dire irrecevable le déclinatoire de compétence et confirmer la compétence judiciaire, subsidiairement,
- dire qu'il y a lieu de surseoir à statuer jusqu'à ce que la juridiction se prononce sur la question préjudicielle suivante : " Les dispositions de l'ordonnance du premier juin 1828 relatives aux conflits d'attribution entre les tribunaux et l'autorité administrative et notamment ses articles 4 alinéa 2, et 6 sont-elles conformes à la Constitution d'une part, ainsi qu'aux principes généraux et aux droits protégés par la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (CESDH) d'autre part notamment en son article 6 ?",
très subsidiairement,
- dire que le juge judiciaire est en principe compétent, qu'il dispose d'un bloc de compétences pour les litiges relatifs aux infractions au droit de la concurrence, et en particulier ceux relatifs à l'indemnisation des victimes de pratiques anticoncurrentielles,
- dire que l'impératif de bonne justice exige que la compétence des juridictions judiciaires soit affirmée pour trancher l'entier litige à l'égard de l'ensemble des codéfendeurs,
- déclarer mal fondé le déclinatoire de compétence,
- débouter la région et le Ministère public de leurs demandes, en tout état de cause :
- débouter le Préfet, le Ministère Public et la région de toutes leurs demandes, -renvoyer devant le conseiller de la mise en état,
- lui donner acte de ce qu'elle se réserve l'ensemble des moyens de fait et de droit développés dans ses conclusions du 18 juin 2014,
- condamner le Préfet solidairement avec la région à lui payer la somme de 20 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles,
- les condamner aux entiers dépens.
* Par conclusions du 14 janvier 2015, la société anonyme Bouygues Bâtiment Île-de-France et la société Entreprise de Travaux Publics André et Max Brezillon ont demandé à la cour de :
- prononcer l'irrecevabilité subsidiairement le mal fondé du déclinatoire de compétence,
- déclarer irrecevable les conclusions du Ministère Public du 28 octobre 2014,
- débouter la région Île-de-France de toutes ses demandes,
- condamner les parties succombantes aux dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
* Par conclusions du 25 mars 2015, la société par actions simplifiée Eiffage Construction demande à la cour de :
à titre principal,
- dire que le déclinatoire est irrecevable, rejeter toutes prétentions contraires, à titre subsidiaire,
- le dire mal fondé, rejeter toutes prétentions contraires, en tout état de cause,
- condamner le Préfet de Paris à lui verser la somme de 15000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et supporter les entiers dépens.
* Par conclusions du 27 mars 2015, la société anonyme Gespace France demande à la cour de :
à titre principal,
- dire le déclinatoire irrecevable,
à titre subsidiaire,
- le dire mal fondé, le rejeter,
en tout état de cause,
- condamner la région Île-de-France à lui verser la somme de 50 000 euros au titre de l'indemnité pour frais irrépétibles, ainsi qu'à supporter les entiers dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
* Par conclusions du 16 janvier 2015, les sociétés par actions simplifiées Vinci Construction et Dumez Construction demandent à la cour de :
à titre principal,
- constater que la compétence des juridictions civiles a déjà été tranchée, déclarer en conséquence le déclinatoire de compétence irrecevable, subsidiairement,
- rejeter le déclinatoire, se déclarer compétente, en tout état de cause,
- leur donner acte de ce qu'elles se réservent l'ensemble des moyens de fait et de droit développés dans leurs conclusions d'appel du 16 juin 2014,
- condamner la région Île-de-France à leur payer la somme de 30 000 euros au titre de l'indemnité pour frais irrépétibles,
- condamner la région Île-de-France aux entiers dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice des dispositions de l'art 699 du Code de procédure civile.
* Par conclusions du 15 janvier 2015, les sociétés anonymes Spie Opérations et Spie SCGPM demandent à la cour de :
- déclarer irrecevable et mal fondé le déclinatoire de compétence,
- condamner le Préfet de Paris et la région Île-de-France in solidum à leur payer la somme de 10 000 euros au titre de l'indemnité pour frais irrépétibles,
- les condamner in solidum en tous dépens.
* Par conclusions du 15 janvier 2015, la société à responsabilité limitée Société de Participations et de Gestions Immobilières (SPGI) demande à la cour de :
- déclarer irrecevables le déclinatoire ainsi que les conclusions du Ministère Public du 2 novembre 2014,
-subsidiairement, les dire mal fondés,
- condamner la région Île-de-France à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l'indemnité pour frais irrépétibles et à supporter les dépens.
* Par conclusions du 15 janvier 2015, la société par actions simplifiée Société Industrielle de Constructions Rapides (SICRA) demande à la cour de :
- déclarer irrecevable le déclinatoire de compétence du Préfet,
- dire que les dispositions de la loi "Murcef" sont inapplicables,
- dire que le déclinatoire de compétence se heurte au principe du procès équitable retenu par l'article 6-1 de la CESDH,
- le dire mal fondé, débouter la région de toutes ses demandes,
- condamner la région Île-de-France à lui payer la somme de 20 000 euros au titre de l'indemnité pour frais irrépétibles et à supporter les dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice des dispositions de l'art 699 du Code de procédure civile.
* Par conclusions du 30 mars 2015, la société anonyme Compagnie Générale de Bâtiments et de Construction (CBG) et Monsieur Patrick Bonnetain demandent à la cour de :
- juger le déclinatoire irrecevable, subsidiairement,
- le rejeter, mal fondé, en tout état de cause :
- condamner in solidum le Préfet de Paris et la région Île-de-France à leur payer la somme de 20 000 euros au titre de l'indemnité pour frais irrépétibles et à supporter les dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
* Par conclusions du 30 mars 2015, la société à responsabilité Nord France Boutonnat demande à la cour de :
- juger le déclinatoire irrecevable, subsidiairement,
- le rejeter, mal fondé, en tout état de cause :
- lui donner acte de ce qu'elle se réserve l'ensemble des moyens de fait et de droit développés dans ses conclusions du 18 juin 2014,
-condamner in solidum le Préfet de Paris et la région Île-de-France à leur payer la somme de 20 000 euros au titre de l'indemnité pour frais irrépétibles et à supporter les dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
* Par conclusions du 30 mars 2015, la société par actions simplifiée Fougerolle demande à la cour de : à titre principal,
- dire le déclinatoire de compétence irrecevable, à titre subsidiaire,
- le dire mal fondé, en tout état de cause,
- lui donner acte de ce qu'elle se réserve l'ensemble des moyens de fait et de droit développés dans ses conclusions d'appel signifiées au fond,
- condamner la région à lui payer la somme de 20 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles,
- condamner la région aux entiers dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
* Par conclusions du 15 janvier 2015, monsieur Léon Nautin demande à la cour de : principalement,
- déclarer le Préfet, le Ministère Public et la région irrecevables en leurs demandes d'incompétence,
- déclarer le déclinatoire irrecevable, contrevenant aux dispositions de l'article 6-1 de la CEDH,
- dire la région Île-de-France irrecevable en ses moyens de défense, subsidiairement,
- constater que la connaissance de la responsabilité de Monsieur Nautin relève de la seule compétence judiciaire, rejeter le déclinatoire en conséquence,
- lui donner acte de ce qu'il se réserve de conclure sur les moyens invoqués avant la question de compétence,
- condamner in solidum le Préfet de Paris et la région Île-de-France à lui payer la somme de 20000 euros au titre de l'indemnité pour frais irrépétibles et à supporter les dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice des dispositions de l'art 699 du Code de procédure civile.
* Par conclusions du 13 janvier 2015, Messieurs Jacques Bonnaud, Jacques Durand, Bruno Boulay et Xavier Jacquety demandent à la cour de :
à titre principal :
- déclarer irrecevable le déclinatoire de compétence du Préfet, alors que le tribunal correctionnel de Paris s'est jugé compétent pour connaître l'action civile initiée à leur encontre par jugement définitif du 26 octobre 2005, subsidiairement,
- rejeter le déclinatoire en raison de leur qualité de personnes physiques de droit privé et se déclarer compétente,
en tout état de cause :
- condamner la région Île-de-France à leur payer la somme de 30 000 euros au titre de l'indemnité pour frais irrépétibles et à supporter les dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
* Par conclusions du 26 mars 2015, monsieur François Masse demande à la cour de : à titre principal :
- dire que l'action civile a déjà fait l'objet d'une décision définitive de la cour de Paris du 27 février 2007,
- dire que le déclinatoire se heurte au principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui,
- déclarer le déclinatoire irrecevable, subsidiairement :
- dire que seul le juge judiciaire peut statuer sur l'action engagée par la région contre lui,
- dire que cette compétence ne pourrait qu'être partagée,
- dire que l'action a été engagée avant l'entrée en vigueur de la loi Murcef,
- dire que le Préfet, le Ministère public, la région ne citent pas de disposition législative en vertu de laquelle le litige relève de la compétence administrative,
- dire que le déclinatoire et les exceptions d'incompétence sont contraires aux droits garantis par l'article 6-1 de Convention Européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, notamment le principe de l'égalité des armes et/ou le droit à être jugé dans un délai raisonnable,
- rejeter le déclinatoire, en toute hypothèse,
- lui réserver le bénéfice de ses précédentes écritures.
* Par conclusions du 26 mars 2015, Monsieur Gilbert Sananes demande à la cour de : à titre principal :
- déclarer irrecevable le déclinatoire, pour violation du principe de l'égalité des armes et du délai raisonnable,
- à défaut que le juge judiciaire s'est prononcé définitivement sur sa compétence depuis le mois d'octobre 2005,
subsidiairement,
- juger le déclinatoire mal fondé,
en toutes hypothèses,
- rejeter le déclinatoire,
-condamner le Préfet solidairement avec la région Île-de-France à lui payer la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 ainsi qu'aux entiers dépens.
* Par conclusions du 30 mars 2015, Monsieur Patrick Leleu demande à la cour de :
- déclarer irrecevable le déclinatoire de compétence,
- débouter le Préfet, la région Île-de-France et le Ministère Public de leurs demandes,
- renvoyer les parties devant le conseiller de la mise en état,
- lui donner acte de ce qu'il se réserve de conclure sur les moyens de fait et de droit développés dans ses conclusions du 18 juin 2014,
- condamner le Préfet solidairement avec la région Île-de-France à lui payer la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 ainsi qu'aux entiers dépens.
SUR CE,
I. SUR LES IRRECEVABILITES
Sur l'irrecevabilité du déclinatoire :
Considérant que les intimés font valoir que le déclinatoire est irrecevable :
En raison de la non-conformité de l'article 25 de la loi du 24 mai 1872, à la Constitution du 4 octobre 1958, à l'article 6 de la Convention Européenne des droits de l'homme (CEDH) ainsi qu'à l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne :
Considérant qu'il est soutenu que l'article 25 de la loi du 24 mai 1872 n'est pas conforme à ces textes en ce que le Garde des Sceaux conserve in fine le pouvoir de décider quel ordre de juridiction doit connaître l'affaire, nonobstant les dispositions de la loi du 16 février 2015, de sorte que le droit à un tribunal impartial et le droit au recours effectif ne sont pas respectés,
Considérant que selon la région, l'inconstitutionnalité et l'inconventionnalité de ce texte ne peuvent être invoquées devant la cour d'appel, que ces textes auxquels les intimés font référence ne sont pas remis en cause par la procédure de répartition des compétences devant le Tribunal des conflits qui n'est pas une "juridiction à part entière" et ne tranche pas le litige au fond ; qu'elle rappelle que la procédure de conflit n'est pas susceptible de porter atteinte au droit au procès équitable prévu par l'article 6§1 de la CEDH,
Considérant que la cour retient que l'article 25 de la loi du 24 mai 1872 a été très récemment et profondément modifié par la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, que cette loi a prévu en son article 13 III 1 que "Les I et II entrent en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d'Etat et au plus tard, six mois après la promulgation de la présente loi", et a précisé en son article 13 III 2 alinéa 2 que "Jusqu'à ce renouvellement (celui des membres du Tribunal des conflits), les fonctions de président prévues par l'article 3 de la même loi dans sa rédaction résultant du 3° du I du présent article sont exercées par le vice-président précédemment élu en application de l'article 25 de ladite loi " ; qu'ainsi, contrairement à ce qui est soutenu, à compter du premier avril 2015, la présidence du Tribunal des conflits est assurée par le vice-président du Tribunal des conflits ; que certes, les dispositions relatives à la composition du Tribunal des conflits ne rentrent en vigueur qu'en 2017 ; que cependant si le Garde des Sceaux conserve la qualité de membre statutaire jusqu'au renouvellement des membres du Tribunal, il n'assure plus, dès le premier avril 2015, la présidence effective du Tribunal des conflits ; qu'il n'existe désormais aucune confusion des pouvoirs et aucune ingérence possible du pouvoir exécutif dans l'activité juridictionnelle ; que les moyens tirés de la non constitutionnalité et de la non conventionnalité de ce texte en raison de la présidence du Tribunal des conflits assurée par le Garde des Sceaux sont dès lors inopérants ; qu'il convient de les rejeter ;
En raison de la violation par les articles 4 alinéa 2 et 6 de l'ordonnance du premier juin 1828 de la Constitution Française du 4 octobre 1958, de l'article 6 de la CEDH et de l'article 47 de la Charte des Droits Fondamentaux de l'Union Européenne :
Considérant selon la société Bouygues et plusieurs autres intimés, que l'ordonnance de 1828 autorise une véritable ingérence du pouvoir exécutif dans le procès civil tout en méconnaissant les principes constitutionnels de sécurité juridique, de procès équitable, de bonne administration de la justice, et en méconnaissant les exigences de l'article 6 de la CEDH et de l'article 47 de la Charte, qu'à tout le moins, ces textes permettent une atteinte disproportionnée aux principes de sécurité juridique, au droit au procès équitable et à la bonne administration de la justice,
Considérant selon la région, que les moyens tirés de la non conventionnalité des dispositions de l'ordonnance du premier juin 1828 sont inopérants,
Considérant que la cour retient :
que l'article 4 alinéa 2 de l'ordonnance du premier juin 1828 dispose : "... Il ne pourra jamais être élevé de conflit après des jugements rendus en dernier ressort ou acquiescés, ni après des arrêts définitifs. Néanmoins, le conflit pourra être élevé en cause d'appel s'il ne l'a pas été en première instance..." et l'article 6 : "Lorsqu'un préfet estimera que la connaissance d'une question portée devant le tribunal de grande instance est attribuée par une disposition législative à l'autorité administrative, il pourra, alors même que l'administration ne sera pas en cause, demander le renvoi de l'affaire devant l'autorité compétente. A cet effet, le préfet adressera au procureur de la République un mémoire dans lequel sera rapportée la disposition législative qui attribue à l'administration la connaissance du litige.", que les dispositions relatives aux conflits de compétence élevés par le préfet ont été très récemment modifiées, qu'il apparaît néanmoins que celles-ci sont applicables aux déclinatoires de compétence présentés à compter du premier avril 2015, ainsi qu'il est précisé dans l'article 50 du décret 2015-233 du 23 février 2015 ; que l'ordonnance du premier juin 1828 est un texte de nature réglementaire, que la cour ne peut en examiner la constitutionnalité,
Considérant que la cour peut, en revanche, en juger la conformité à la CEDH et à la Charte des Droits Fondamentaux et en écarter l'application si elle l'estime non conforme ; que bien qu'ils s'en défendent, par la critique qu'ils font des dispositions de l'ordonnance du premier juin 1828, les intimés remettent en cause la liberté de l'Etat de choisir le système juridique qu'il estime approprié et les moyens qu'il utilise pour en assurer le respect, notamment par le déclinatoire de compétence ; que les dispositions conventionnelles ne peuvent limiter les conditions dans lesquelles le préfet use de la prérogative qu'ouvre à l'Etat l'ordonnance du premier juin 1828, quelles que soient les circonstances dans lesquelles il exerce ses pouvoirs, quels que soient les textes qu'il invoque et l'état de la procédure au cours de laquelle il forme le déclinatoire,
Considérant que le moyen sera rejeté ;
En raison de l'absence de disposition législative visée par le déclinatoire (article 6 de l'ordonnance 1828):
Considérant selon les intimés, que le texte de loi applicable au litige que doit viser le déclinatoire fait défaut : que la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 (loi Murcef) visée dans les motifs n'est pas applicable au litige, que la loi des 16 et 24 août 1790 est peu précise, que le décret-loi du 16 fructidor an III est un texte réglementaire ; qu'il est rappelé que le litige ne concerne pas un contrat administratif mais les conséquences de pratiques anticoncurrentielles qui sont des délits civils, qu'il est souligné que la jurisprudence invoquée par la région est contraire à la lettre de l'ordonnance de 1828 et aux principes fondamentaux ; que la région fait valoir que cette exigence interprétée souplement par le Tribunal des conflits est satisfaite ; que le ministère public soutient que le litige échappe à la compétence des tribunaux judiciaires par application de l'article 2 I de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 dite "Loi Murcef",
Considérant que la cour retiendra :
que le juge administratif ne peut statuer, en l'absence de disposition législative spéciale, sur la responsabilité d'une personne physique ou morale de droit privé, que pour justifier la connaissance du litige par le juge administratif, le déclinatoire de compétence du 14 octobre 2014 repris par le ministère public vise, dans le dispositif, l'article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret-loi du 16 fructidor an III, que le déclinatoire contient un rappel du principe interdisant aux tribunaux judiciaires de connaître du litige ainsi que des dispositions de la loi des 16 et 24 août 1790 ; que dès lors, peu important que le décret-loi du 16 fructidor an III ne soit pas un texte de loi, peu important encore le fait de savoir, à ce stade de la procédure, si la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 visée dans les motifs est ou non applicable, les prescriptions de l'article 6 de l'ordonnance de 1828 sont satisfaites,
Considérant que le moyen sera rejeté,
En raison de l'autorité de chose jugée des décisions définitives du 26 octobre 2005 et du 27 février 2007 (exigence de l'article 4 alinéa 1 de l'ordonnance du premier juin 1828) :
Considérant qu'il est soutenu par les intimés que le juge pénal a été saisi dès l'origine de la totalité du litige et notamment des intérêts civils afférents aux préjudices causés par les infractions ; que le tribunal correctionnel par son jugement du 26 octobre 2005, et, saisie de l'appel de onze prévenus, la cour d'appel de Paris, par arrêt définitif du 27 février 2007, ont admis implicitement la compétence judiciaire pour la connaissance de la réparation du dommage causé à la partie civile par les faits délictueux de sorte que le préjudice qui se rattache à ces faits et dont la réparation serait examinée en des temps différents en raison d'un fractionnement des demandes, ne peut être indemnisé par des juridictions relevant d'ordres différents ; que le principe d'"unicité de la procédure" doit être respecté, tant pour les personnes physiques en application des articles 3 et 4 du Code de procédure pénale que pour les personnes morales en raison de ce que leur responsabilité trouve sa cause soit dans leur faute personnelle soit dans leur qualité de commettant ; que l'admission de la compétence judiciaire sur laquelle il n'est pas besoin de statuer expressément s'impose ;
Considérant en revanche que, selon la région, l'article 4 de l'ordonnance de 1828 exige une décision expresse sur la compétence qui fait défaut dans ce litige, et que par ailleurs, l'objet de la demande, ici la réparation du préjudice matériel et l'identité des parties, sont différents ; que le ministère public estime qu'aucune décision définitive sur la compétence pour connaître la présente instance n'est intervenue,
Considérant que la cour retient : que le 7 juin 1997, la région s'est constituée partie civile devant le juge d'instruction "aux fins d'obtenir le cas échéant réparation des éventuels préjudices financiers ou moraux qui seraient établis par l'instruction", et que dans ses conclusions de partie civile devant la juridiction correctionnelle, elle entendait "dissocier la réparation de son préjudice moral devant la juridiction répressive de la poursuite de la réparation de son préjudice matériel devant la juridiction civile", qu'elle se faisait "donc donner acte de ce qu'elle poursuivra ultérieurement devant les juridictions civiles compétentes la réparation du préjudice matériel résultant des infractions aujourd'hui poursuivies devant la juridiction correctionnelle à l'encontre des prévenus." ; que le tribunal correctionnel, puis la cour ont statué sur la demande formée par la région en réparation de son préjudice qu'elle a limité au seul aspect moral de celui-ci, que les termes de l'article 4 de l'ordonnance de 1828 selon lesquels "Il ne pourra jamais être élevé de conflit après les jugements rendus en derniers ressort ou acquiescés, ni après les arrêts définitifs" n'exigent pas que la juridiction se soit prononcée expressément sur sa compétence ; qu'en l'espèce, il ne lui a pas été demandé jusqu'à l'instance d'appel de statuer sur sa compétence et la juridiction n'a pas usé de la faculté d'examiner d'office sa propre compétence en application des dispositions de l'article 92 du Code de procédure civile ; que toutefois, pour statuer comme elle l'a fait jusqu'à présent, elle a admis nécessairement sa compétence dans des décisions désormais irrévocables ;
qu'il s'agissait pour la juridiction civile de se prononcer sur la réparation dans leurs aspects moral et matériel des conséquences dommageables de pratiques anticoncurrentielles procédant des mêmes faits constatés et jugés ; que pour autant, les créances dont la réparation a été demandée devant la juridiction pénale puis devant la juridiction civile sont distinctes ; qu'il n'y a pas d'identité d'objet ; qu'il n'y a pas non plus identité de parties, les intimés n'ayant pas tous été concernés par l'instance pénale,
que les effets du fractionnement des demandes de réparation sur la compétence relèvent de l'examen au fond de la compétence,
Considérant que le moyen sera rejeté ;
En raison de la renonciation à élever le conflit :
Considérant selon les intimés, qu'il existe des liens étroits entre le préfet et la région en application des dispositions de l'article 4141-1 du Code général des collectivités territoriales ; que le préfet n'a pas contesté les délibérations de la région en date du 3 juillet 1997 (décision de se constituer partie civile) et du 16 décembre 2005 (habilitation du président du conseil régional à ester en justice devant les tribunaux notamment de l'ordre judiciaire pour obtenir réparation du préjudice matériel), qu'il était parfaitement informé en application des dispositions du Code de l'éducation des décisions prises par la région en matière d'investissement pour les lycées ; que le procureur de la République qui veille au respect de l'ordre public et à l'application de la loi, est intervenu à tous les stades de la procédure sans s'interroger sur la compétence et contester le choix procédural de la région ; que le préfet, le procureur de la République ainsi que la région ont acquiescé aux décisions judiciaires, ont renoncé au privilège du déclinatoire où à demander à la cour de se déclarer incompétente ;
Mais considérant qu'il ne peut être déduit de l'absence de réactions ou d'observations sur la compétence de la part du préfet ou du ministère public, un acquiescement sur la compétence judiciaire ou encore une renonciation de la part du préfet au privilège du déclinatoire ; que pour la région, il sera statué plus loin,
Considérant que ce moyen sera rejeté,
Sur l'irrecevabilité tirée des principes fondamentaux de la procédure :
En raison de la violation de la loyauté procédurale "Nul ne peut se contredire au détriment d'autrui" :
Considérant que les intimés font valoir que le principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui doit être respecté ; qu'ils exposent que le préfet était parfaitement informé de la procédure, en application des textes et doit être assimilé à une partie au litige ; que de même, le procureur de la République qui veille au respect de l'ordre public et à l'application de la loi, est intervenu à tous les stades de la procédure sans s'interroger sur la compétence et contester le choix procédural de la région ; que leur comportement procédural est déloyal et porte préjudice aux intimés ; que les réquisitions du ministère public et les conclusions de la région doivent être déclarées irrecevables, de sorte que le déclinatoire est lui-même irrecevable,
Considérant que la région fait valoir qu'une telle fin de non-recevoir ne peut être opposée ni au préfet, non partie à l'instance, ni au ministère public qui ne fait que transmettre le déclinatoire du préfet, et qu'elle-même n'a fait que conclure sur le déclinatoire comme elle y avait été invitée et qu'elle "ne change aucunement sa position",
Considérant que la cour relève :
que l'information qui est donnée au préfet des décisions prises par le conseil régional d'engager la procédure de réparation du préjudice subi par la région et ses suites n'a pas pour effet de lui donner la qualité de partie au litige, de sorte que cette fin de nonrecevoir ne peut lui être opposée,
que les procédures en référé et au fond devant le tribunal de grande instance se sont déroulées "en présence" du procureur de la République sans qu'il fasse la moindre observation sur la compétence des tribunaux de l'ordre judiciaire pour connaître la demande de la région ; que les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance de 1828 précisent : "Le préfet adressera au procureur de la République un mémoire dans lequel sera rapportée la disposition législative qui attribue la connaissance du litige.
Le procureur de la République fera connaître, dans tous les cas, au tribunal la demande formée par le Préfet et requerra le renvoi si la revendication lui paraît fondée." ; que ce texte donne au procureur de la République un rôle de transmission dans la procédure de déclinatoire tout en lui laissant la liberté de prendre les réquisitions de son choix ; qu'en l'espèce, le procureur général a conclu à l'incompétence de la cour ; qu'il n'existe donc aucune contradiction à rechercher entre l'absence d'observations du ministère public sur la compétence lors de la communication des dossiers qui lui a été faite, qui ne peut présumer son acceptation de la compétence des tribunaux judiciaires et la position qu'il a cru bon de retenir, que la région se contredit alors qu'elle a saisi tout d'abord la juridiction de l'ordre judiciaire pour statuer sur sa demande de réparation de son préjudice matériel, ayant ainsi tacitement mais nécessairement admis la compétence de cette juridiction et qu'elle a, ensuite, sur le déclinatoire de compétence, conclu en son incompétence pour connaître cette même demande ; que, par ce revirement procédural, elle crée un état d'insécurité juridique, allonge sans raison encore plus la durée de la procédure au détriment des intimés,
Considérant que la demande formée par la région tendant à voir dire la cour incompétente est irrecevable au regard de la violation du principe de la loyauté procédurale,
En raison de la violation des principes essentiels de la CEDH et de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (la Charte) :
Considérant que les intimés soutiennent que le pouvoir discrétionnaire conféré au préfet en application de l'ordonnance du premier juin 1828 donne lieu à une violation sinon une atteinte disproportionnée aux principes de sécurité juridique, de délai raisonnable, d'égalité des armes et de bonne administration de la justice ; que la région rappelle que les dispositions de l'article 6 de la CEDH ne peuvent limiter les conditions dans lesquelles le préfet exerce ses pouvoirs et ne peuvent être utilisées pour contester l'organisation juridictionnelle d'un état,
Considérant que la cour retient :
que, pour ce qui concerne le déclinatoire, les principes conventionnels ne peuvent remettre en cause la liberté de l'Etat de choisir le système juridique qu'il estime approprié et les moyens qu'il utilise pour en assurer le respect ; qu'au regard des objectifs qu'il poursuit, le déclinatoire de compétence ne porte pas atteinte de manière disproportionnée aux intérêts des intimés ; que la critique des intimés sera par conséquent rejetée,
qu'en revanche, il s'agit de juger si le bénéfice que la région tire de l'exercice du déclinatoire caractérise une violation des principes conventionnels invoqués,
Sur la sécurité juridique :
Considérant qu'il est soutenu par les intimés que faire droit à la demande de la région a pour conséquence de remettre en cause des décisions pourtant définitives alors que le justiciable doit pouvoir attendre une stabilité de l'organisation judiciaire et des principes qui la gouvernent et que nul n'avait contestés pendant de nombreuses années ; que la région fait valoir que les intimés ne peuvent ignorer l'existence d'une telle question sur la compétence,
Considérant toutefois qu'il a été précisé plus haut que l'autorité de la chose jugée des décisions prononcées en matière pénale sur les intérêts civils ne peut être utilement invoquée ; que pour le surplus, les critiques - cohérence du système, morcellement du contentieux- relèvent de l'examen "au fond" de la compétence de la cour pour connaître du litige,
Surle délai raisonnable :
Considérant que les intimés font valoir qu'il est porté atteinte au respect du principe du délai raisonnable par une prolongation artificielle de la durée de la procédure ; qu'en effet, les faits dont il est demandé réparation ont été commis au cours des années 1990 ; que la région ne peut soulever au bout de cinq ans de procédure l'incompétence de la juridiction qu'elle a elle-même saisie, ce qui aurait pour effet de reprendre le procès dès le début devant la juridiction administrative et d'allonger indûment la durée raisonnable de la procédure sans explication tirée de la complexité de l'affaire, de son enjeu, ou du comportement des parties ; qu'il est aussi observé de façon superfétatoire que désormais, la loi du 16 février 2015 ne donne plus au préfet la possibilité de présenter un déclinatoire au stade de l'appel,
Considérant que la région soutient que le déclinatoire ne remet pas en cause le principe du délai raisonnable, comme il a été déjà jugé, et que par ailleurs, les intimés ont pris le risque, en ne soulevant pas l'incompétence des juridictions judiciaires, de voir cette question soulevée d'office par la juridiction,
Considérant que la cour retient que l'organisation judiciaire doit permettre aux juridictions de garantir à chacun le droit d'obtenir une décision définitive sur les contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil dans un délai raisonnable ; que la cour constate que la demande d'incompétence a été formée plus de vingt années après la commission des faits ; que la région n'a pas poursuivi de sa propre initiative l'indemnisation de son préjudice devant le juge pénal, qu'elle a attendu cinq ans avant de saisir le juge civil d'un référé-provision et a ensuite choisi la juridiction civile pour se prononcer au fond, que c'est après quatre années de procédure que la région entend désormais décliner la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire ; que manifestement, le délai raisonnable que peuvent attendre les justiciables n'est pas respecté,
Sur l'égalité des armes :
Considérant également qu'il est soutenu par les intimés que grâce au déclinatoire, la région peut réaliser un "changement de pied procédural" contraire à la loyauté des débats, s'associer et donc invoquer une exception de procédure que, simple partie au procès, elle aurait été irrecevable à soulever à la fois à ce stade de la procédure et sans se contredire ; qu'elle a ainsi des avantages qu'elle ne pourrait avoir de "bénéficier" d'une seconde chance alors qu'il a déjà été jugé sur la compétence et qu'il a été acquiescé au jugement, et que de la sorte, certaines des parties ne disposeront pas des éléments nécessaires pour assurer leur défense ;
Considérant que la cour retient que l'égalité des armes doit donner à chaque partie la possibilité raisonnable de présenter sa cause - y compris ses preuves - dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire ; que la partie appelante bénéficie en effet d'un moyen de défense que sa qualité de demanderesse ne lui permet pas d'avoir, et ce, à un quelconque moment de la procédure, bien après avoir conclu au fond ; que la région profite d'un véritable "appui" qui lui permet de faire fi du respect des règles de procédure - ne pas se contredire au détriment d'autrui, ne pas respecter des règles relatives aux exceptions de compétence -, qui crée une véritable rupture dans l'égalité des parties quant à leurs droits et obligations dans la conduite de la procédure, sur la bonne administration de la justice :
Considérant également que les intimés invoquent le principe de "bonne administration de la justice" qui s'oppose à la recevabilité du déclinatoire,
Considérant que la cour retient que ce principe, consacré plus généralement par l'article 6 de la CEDH regroupant la célérité de la justice et l'égalité de traitement des justiciables, que les demandes actuelles de la région ne respectent pas, qu'il serait de plus remis en cause si la demande de réparation du préjudice né des mêmes faits devait être examinée par des juridictions d'ordre différent,
Considérant qu'il résulte de ces diverses énonciations et constatations que le déclinatoire du préfet est régulier et recevable mais que la demande tendant à l'incompétence de la juridiction judiciaire formée par la région est irrecevable,
II. SUR LE BIEN FONDE DU DECLINATOIRE :
Considérant que le préfet fait valoir que les actions en responsabilité contre les auteurs d'une entente précédant la conclusion d'un marché public relèvent du juge administratif, invoquant au soutien de son argumentation différentes décisions des juges administratifs et judiciaires, ensuite que ces actions relèvent exclusivement du juge administratif s'agissant de connaître des contrats de marchés de travaux publics comme tels soumis à la loi 2001-1168 du 11 décembre 2001 et impactés par les fautes des intimées qui ont eu pour objet et effet de vicier le consentement de la région ; qu'il est soutenu par le procureur général que l'action de la région en réparation de son préjudice résultant des fautes invoquées comme ayant affecté la passation des marchés examinés qui procèdent de contrats administratifs ne peut être connue que du juge administratif en raison de la directive n° 89-440 CE du 18 juillet 1989 en matière de coordination des procédures de passation des marchés publics, des dispositions de l'article 2 I de la loi 2001-1168 du 11 décembre 2001 dite "loi Murcef", en raison de l'avis du Conseil d'Etat du n° 349740 du 18 juin 1001, des jurisprudences du Conseil d'Etat du 19 décembre 2007 (arrêt Campenon Bernard), de la Cour de cassation du 18 juin 2014,
Considérant que les conclusions de la région ne sont pas prises en compte dès lors qu'elle est déclarée irrecevable en sa demande tendant à l'incompétence de cette juridiction,
Considérant que les intimés font valoir que s'agissant d'une action à caractère purement délictuel concernant des personnes de droit privé, seul le juge de l'ordre judiciaire peut la connaître ; qu'ils font également valoir que le juge judiciaire dispose d'un bloc de compétences pour les litiges relatifs aux infractions en droit de la concurrence, qu'ils rappellent l'impératif d'une bonne administration de la justice qu'il convient de respecter,
Considérant que la cour retient que l'action de la région est engagée au visa notamment des articles 1382, 1383 et 1384 alinéa 5 du Code civil, des articles L. 420-1 et L. 420-6 du Code de commerce : qu'elle a saisi le juge judiciaire d'une demande de réparation de son préjudice en agissant à la fois contre des personnes morales de droit privé condamnées pour des pratiques anticoncurrentielles par le Conseil de la concurrence, qu'elles aient été ou non contractantes, contre des personnes physiques de droit privé non contractantes condamnées certaines pour des délits de corruption active et trafic d'influence, d'autres pour des participations à une action concertée... entente empêchant, restreignant ou faussant le jeu de la concurrence, d'autres encore condamnées pour les deux délits par le juge pénal, contre des personnes morales de droit privé devant répondre en leur qualité de civilement responsables de leurs préposés, personnes physiques dans la cause ; qu'elle a valorisé son préjudice, non pas marché par marché, mais globalement, en faisant masse des surcoûts qu'elle dit avoir supportés à l'occasion des ententes pour l'opération de rénovation des lycées d'Île-de-France et demande la condamnation de tous les intéressés in solidum ; qu'elle a entendu conférer au litige un caractère indivisible,
Considérant que les défendeurs à l'action sont des personnes privées ; qu'en l'absence de disposition législative spéciale, le juge administratif ne peut connaître la demande en réparation sur le fondement de la responsabilité délictuelle formée par la région contre ces personnes, pour certaines encore non condamnées pour délits d'entente ou pour pratiques anticoncurrentielles, alors que les pratiques et délits ne peuvent être constatés et jugés que par le juge judiciaire ; que la loi Murcef, invoquée pour donner au juge administratif connaissance des litiges concernant les marchés publics n'est d'aucune utilité, rien n'établissant que les contrats en cause aient été passés en application du Code des marchés publics, étant observé en outre que, le préfet expose dans son déclinatoire que dans la mesure où ces travaux portent sur la réalisation de travaux publics, peu importe le " point de savoir si la loi Murcef trouve à s'appliquer",
Considérant que l'objet du litige est de dire responsables ou non de faits d'entente illicite des personnes privées et des personnes morales de droit privé en application de l'article 1382 du Code civil, d'obtenir l'indemnisation du préjudice résultant de fautes causées par des pratiques anticoncurrentielles commises par ces personnes de droit privé alors que les contrats n'étaient pas encore passés et alors que les fautes ne se situent pas dans le champ d'exécution du contrat ; que l'action ne se fonde pas sur le contrat mais trouve sa source en amont, sur un autre terrain, qu'elle s'inscrit dans la poursuite de l'exercice de l'action civile devant le juge pénal, s'agissant des conséquences matérielles d'actes faussant ou restreignant le jeu de la concurrence, et dans le prolongement de la décision du Conseil de la concurrence, s'agissant des pratiques anticoncurrentielles ; que cette action de nature délictuelle ne peut être absorbée par le droit des contrats,
Considérant que l'action est indépendante de tout lien contractuel entre les parties ; que, tout d'abord, l'action est engagée contre certaines entreprises et des personnes physiques qui n'ont pas été titulaires du marché à l'issue de la procédure de mise en concurrence et que les effets attachés à l'existence d'un marché passé par une entité adjudicatrice de droit public ne peuvent être étendus aux litiges indemnitaires dirigés contre les personnes physiques ou morales n'ayant pas remporté ces marchés ; qu'ensuite, contrairement à ce que soutient le préfet, aucune faute dolosive n'a été invoquée par la région,
Considérant de surcroît que le bloc de compétences en matière de pratiques anticoncurrentielles au profit du juge de l'ordre judiciaire a été consacré par le législateur dans l'ordonnance du premier décembre 1986 qui a conféré au juge judiciaire la connaissance du contentieux des décisions du Conseil de la concurrence, dans l'article L. 420-7 du Code de commerce qui a précisé la compétence des juridictions civiles et commerciales ; que le 23 janvier 1987, le Conseil constitutionnel précisait : "Si le Conseil de la concurrence... est appelé à jouer un rôle important dans l'application de certaines règles relatives au droit de la concurrence, il n'en demeure pas moins que le juge pénal participe également à la répression des pratiques anti-concurrentielles sans préjudice de celles des autres infractions intéressant le droit de la concurrence ; qu'à des titres divers, le juge civil ou commercial est appelé à connaître les actions en responsabilité ou en nullité fondées sur le droit de la concurrence ; que la loi présentement examinée tend à unifier sous le contrôle de la Cour de cassation l'ensemble de ce contentieux spécifique, et ainsi à éviter ou supprimer des divergences qui pourraient apparaître dans l'application et dans l'interprétation du droit de la concurrence" ;
Considérant enfin qu'il n'est pas soutenu que le litige met en cause l'exercice de prérogative de puissance publique ou encore l'organisation du service public,
Considérant que la compétence du juge judiciaire à connaître du présent litige ne méconnaît pas le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, qu'elle respecte la nécessité d'une bonne administration de la justice, en évitant les morcellements de compétences, en supprimant les divergences qui pourraient apparaître ; qu'elle respecte l'exigence d'un délai raisonnable pour juger un litige dont les différents aspects sont examinés par le juge judiciaire depuis bientôt vingt ans,
Considérant qu'il se déduit de l'ensemble de ces constatations et énonciations que la cour d'appel de Paris est compétente pour examiner le litige,
Considérant que les parties seront renvoyées à la mise en état pour la poursuite de l'instance,
Par ces motifs LA COUR, déclare irrecevables les demandes d'incompétence de la région Île-de-France, déclare recevable et régulier le déclinatoire de compétence, se dit compétente pour connaître des demandes d'indemnisation formées par la région Île-de-France contre les intimés, renvoie les parties à la mise en état du 6 octobre 2015 (en cabinet) pour la poursuite de l'instance devant la cour, réserve les dépens.