Cass. com., 23 juin 2015, n° 13-25.082
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Core Distribution Inc (Sté)
Défendeur :
Castorama France (SAS), Etablissements Browaeys Brame (Sté), Axxom International SPRL (Sté), Miral conseil (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Darbois
Avocat général :
M. Debacq
Avocats :
SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, SCP Hémery, Thomas-Raquin
LA COUR : - Sur les premiers moyens du pourvoi principal et du pourvoi incident de la société Miral, rédigés en termes similaires, réunis : - Attendu que les sociétés Core et Miral font grief à l'arrêt de déclarer nulle pour défaut d'activité inventive la revendication 1 de la partie française du brevet européen n° 1 448 865 déposé le 29 juillet 2003 dont la société Core est copropriétaire et, en conséquence, de déclarer cette société irrecevable en ses demandes fondées sur la contrefaçon des revendications, et de rejeter celles de la société Miral formées sur le même fondement alors, selon le moyen : 1°) que le sens et la portée des revendications doivent, en tant que de besoin, s'interpréter à la lumière de la description qui les accompagnent dans le brevet ; que, dans leurs écritures régulièrement déposées devant la cour d'appel, les sociétés Core et Miral rappelaient qu'aux lignes 1 et 2 de la page 10 de la traduction du brevet, il était clairement précisé que le collier isole des impacts associés au repliage de l'échelle, " le connecteur et le collier peuvent agir pour isoler la férule 150 des impacts associés au repliage d'une échelle " ; que les sociétés Core et Miral en déduisaient que l'homme du métier comprend que le collier doit être en matériau souple, amortissant car s'il était en matériau dur, il ne saurait isoler la férule des impacts associés au repliage de l'échelle ; que pour dénier toute fonction d'amortissement au collier, séparée de la bague suivant les énonciations expresses du brevet, la cour d'appel, tout en examinant la teneur de la description pour appréhender la revendication et en admettant ce faisant la nécessité d'une interprétation du brevet, s'est toutefois bornée à une interprétation littérale du brevet, en relevant que celui-ci ne mentionnait pas le terme d'amortissement ni ne faisait état d'une fonction d'amortissement, sans prendre en compte les termes précis et clairs de la description sur lesquels la revendication n° 1 du brevet invoqué se fondait, et dont il s'évinçait que la revendication n° 1 impliquait bien une fonction d'amortissement s'attachant au collier qui, séparé de la bague, agit pour isoler la férule des impacts ; qu'en statuant comme elle l'a fait, en s'arrêtant de manière inopérante à une lecture littérale du brevet, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 612-6 et L. 613-2 du Code de la propriété intellectuelle ensemble l'article 69, § 1, de la Convention de Munich du 5 octobre 1973 sur la délivrance de brevets européens ; 2°) qu'une revendication doit être prise dans sa totalité ; que l'activité inventive peut résulter de la combinaison de fonctions qui ne pouvait être mise en œuvre de manière évidente par l'homme du métier dans l'état antérieur de la technique ; qu'en l'espèce, il était constant que l'exigence selon laquelle " la seconde bague et le collier sont des pièces séparées " avait été ajoutée dans la revendication no 1 in fine, à la demande de l'examinateur de l'Office européen des brevets pour distinguer cette invention de l'antériorité constituée par le brevet McDonnell et permettre la délivrance du brevet européen ; qu'en déniant toute activité inventive par combinaison des fonctions résultant de la séparation de la bague et du collier, permettant une amélioration du coulissement conjuguée à un amortissement des chocs lors du repliage de l'échelle, sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette adjonction sollicitée par l'OEB n'était pas précisément justifiée par le fait que chaque pièce, désormais séparée, et pouvant donc être conçue de manière indépendante et constituée dans une matière différente, devait remplir une fonction propre, l'une dure pour faciliter le coulissement, l'autre molle pour amortir les chocs, d'où résultait par cette combinaison une amélioration sensible et conjuguée du coulissement et de l'amortissement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 612-6 et L. 613-2 du Code de la propriété intellectuelle ensemble l'article 69, § 1, de la Convention de Munich du 5 octobre 1973 sur la délivrance de brevets européens ; 3°) qu'une revendication doit être prise dans sa totalité ; que l'activité inventive peut résulter de la combinaison de fonctions qui ne pouvait être mise en œuvre de manière évidente par l'homme du métier dans l'état antérieur de la technique ; qu'en l'espèce, il était constant que l'exigence selon laquelle " la seconde bague et le collier sont des pièces séparées " avait été ajoutée dans la revendication no1 in fine, à la demande de l'examinateur de l'Office européen des brevets pour distinguer cette invention de l'antériorité constituée par le brevet McDonnell et permettre la délivrance du brevet européen ; que la cour d'appel a elle-même constaté que suivant le brevet la bague de guidage et le collier sont des pièces séparées, ce qui permet leur réalisation dans des matériaux différents et une conception indépendante ; que les sociétés Core et Miral invoquaient par ailleurs devant la cour d'appel le fait que le brevet précisait explicitement et clairement, lignes 1 et 2 de la page 10 de la traduction du brevet, que le collier isole des impacts associés au repliage de l'échelle, " le connecteur et le collier peuvent agir pour isoler la férule 150 des impacts associés au repliage d'une échelle " ; qu'en ne recherchant pas, abstraction faite de la question la mention d'un effet d'amortissement dans le brevet, si l'adjonction faite dans le brevet concernant la séparation de la bague et du collier, n'était pas justifiée par le fait que chaque pièce, désormais séparée, et pouvant donc être constituée dans une matière différente, devait remplir une fonction propre, l'une dure pour faciliter le coulissement, l'autre molle pour isoler des impacts, d'où résultait par cette combinaison une amélioration sensible et combinée du coulissement et de l'isolation des impacts au moment du repliage de l'échelle, combinaison produisant bien ainsi un effet technique supplémentaire caractérisant une activité inventive, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 612-6 et L. 613-2 du Code de la propriété intellectuelle ensemble l'article 69, § 1, de la Convention de Munich du 5 octobre 1973 sur la délivrance de brevets européens ; 4°) qu'en l'espèce, les sociétés Core et Miral faisaient valoir dans leurs écritures d'appel régulièrement signifiées que l'exigence formulée par la revendication n° 1, selon laquelle " la seconde bague et le collier sont des pièces séparées ", impliquait le recours à des matériaux différents, l'un dur pour faciliter le coulissement, l'autre mou pour amortir les chocs ; qu'elles invoquaient à l'appui de ce moyen la correspondance engagée avec l'examinateur de l'Office européen des brevets et soulignaient que cette différence de matériau inhérente à la séparation des deux pièces, n'en faisant qu'une dans l'état antérieur de la technique, produisait par une combinaison étroite l'amélioration conjuguée et significative des fonctions de coulissement et d'amortissement, révélatrice d'une activité inventive ; qu'en affirmant péremptoirement qu'aucun effet technique supplémentaire n'était produit par la mise en œuvre des deux groupes constitués par la bague de guidage et le collier, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 5°) que l'homme du métier est celui qui possède des connaissances et compétences normales et moyennes dans le domaine technique dont relève l'invention ; qu'en l'espèce, en affirmant, pour opposer l'antériorité du brevet Mc Donnell à la validité du brevet de la demanderesse, que l'homme du métier est un " spécialiste " des échelles télescopiques, la cour d'appel a violé l'article L. 611-14 du Code de la propriété intellectuelle ensemble l'article 56 de la Convention de Munich du 5 octobre 1973 sur la délivrance de brevets européens ; 6°) que l'homme du métier est celui qui possède les connaissances normales et moyennes de la technique en cause et est capable, à l'aide de ses seules connaissances professionnelles, de concevoir la solution du problème que propose de résoudre l'invention ; qu'en retenant, pour opposer à la validité du brevet litigieux l'antériorité constituée par le brevet Ets Gabriel Jardillier n° 2 575 780 déposé le 7 janvier 1985 décrivant un mât télescopique de grande hauteur pour antenne télécom résistant au vent et dépliable par air comprimé, qui n'a rien à voir avec une échelle télescopique, que l'homme du métier, en l'espèce dans le domaine des échelles pliables, possède des connaissances professionnelles relevant d'une autre spécialité que la sienne, en l'occurrence celles des concepteurs de tous mâts télescopiques, la cour d'appel a violé l'article L. 611-14 du Code de la propriété intellectuelle ensemble l'article 56 de la Convention de Munich du 5 octobre 1973 sur la délivrance de brevets européens ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir examiné la teneur de la description, l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, qu'il n'est précisé, ni dans celle-ci, ni dans le brevet, que le collier soit constitué d'un matériau différent de celui de la bague et puisse, par l'utilisation d'un certain matériau, amortir les chocs lors du repliage de l'échelle ; qu'il en déduit que la fonction d'amortissement ne saurait être prise en considération ; qu'en cet état, la cour d'appel, qui ne s'est pas bornée à une lecture littérale de la revendication 1 mais en a souverainement apprécié la portée au regard de la description de l'invention, a légalement justifié sa décision ;
Attendu, en deuxième lieu, qu'après avoir énoncé que l'existence d'une combinaison brevetable implique la reconnaissance d'une fonction propre obtenue par le groupement de moyens et caractérisée par la production d'un effet technique distinct de la somme des effets techniques de ses composants, la cour d'appel, qui n'avait pas à prendre en considération des éléments extérieurs au brevet et n'était pas tenue de s'expliquer sur les modifications intervenues lors de la procédure de délivrance de ce titre, a, en se référant exactement aux critères distinguant la combinaison de la simple juxtaposition de moyens, retenu, par une appréciation souveraine, l'inexistence d'une combinaison impliquant une activité inventive, résultant du fait que la seconde bague et le collier sont des pièces séparées, et a, ainsi, légalement justifié sa décision ;
Attendu, en troisième lieu, qu'ayant, dans leurs conclusions d'appel, soutenu que l'homme du métier de l'invention est un spécialiste des échelles télescopiques, les sociétés Core et Miral ne sont pas recevables à présenter devant la Cour de cassation un moyen incompatible avec ces écritures ;
Et attendu, enfin, qu'après avoir relevé que l'invention, portant sur une échelle télescopique et les procédés de fabrication associés, se propose d'améliorer le coulissement de l'échelle afin d'en faciliter le déploiement, la cour d'appel a pu retenir que l'homme du métier spécialisé dans le domaine technique des échelles télescopiques possède aussi des connaissances dans des domaines techniques voisins du sien, comme celui des mâts télescopiques ;
D'où il suit que le moyen, irrecevable en sa cinquième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Et sur le second moyen du pourvoi principal et le second moyen du pourvoi incident de la société Miral, partiellement rédigés en termes identiques, réunis : - Attendu que les sociétés Core et Miral font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes au titre de la concurrence déloyale alors, selon le moyen : 1°) que constitue nécessairement une faute le fait, pour un distributeur, de résilier le mandat exclusif qui le lie à un fournisseur afin de proposer à moindre prix, aux clients de ce fournisseur, un produit similaire ou comparable ; qu'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si le démarchage par la société Browaeys de la société Castorama avec laquelle elle était jusqu'alors en relation pour le compte de la société Miral, afin de lui vendre directement une échelle présentant les mêmes caractéristiques techniques à un prix inférieur, après une rupture partielle du mandat exclusif de vente qui la liait à la société Miral, ne caractérisait pas un comportement déloyal ou parasitaire visant à tirer profit des efforts et investissements déployés par cette dernière ainsi que par la société Core, la cour d'appel, qui s'est bornée de manière inopérante à écarter une concurrence déloyale émanant de la société Castorama, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 2°) que le silence opposé à l'affirmation d'un fait ne vaut pas à lui seul reconnaissance de ce fait ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la société Miral établissait que son chiffre d'affaires avait baissé de manière significative entre 2009 et 2010, soit dans une période où la société Browaeys a entrepris de commercialiser des échelles concurrentes ; que pour dénier, toutefois, tout lien de causalité entre le comportement de la société Browaeys et la chute de chiffre d'affaires de la société Miral, la cour d'appel s'est contentée de relever que la société Miral n'a pas répondu au fait, allégué par la société Browaeys, selon lequel concomitamment à la saisie contrefaçon pratiquée, la société Core a entrepris de traiter directement avec la société Castorama ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1315 du Code civil ;
Mais attendu que les faits dénoncés par le moyen n'étant pas susceptibles de constituer, à eux seuls, des actes de concurrence déloyale, la cour d'appel ne peut pas se voir reprocher de ne pas avoir effectué la recherche invoquée à la première branche ; que le moyen, inopérant en sa seconde branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident des sociétés Axxom International, Etablissements Browaeys Brame et Castorama France, qui est éventuel, Rejette les pourvois.