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Décisions

CA Chambéry, ch. soc., 28 avril 2015, n° 14-01609

CHAMBÉRY

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Vernoud, AMC Informatique

Défendeur :

Caisse RSI Auvergne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Greiner

Conseillers :

Mmes Regnier, Hacquard

Avocat :

Me Cataldi

TASS Savoie, du 30 déc. 2013

30 décembre 2013

Le 29-07-2013, la Caisse Nationale du Régime Social des Indépendants (RSI) a fait signifier à M. Vernoud, gérant de la société AMC Informatique, une contrainte du 12-07-2013 afférente à l'échéance du 1er trimestre 2013 pour un montant de 3 073 euro en principal.

Saisi le 31-07-2013 par M. Vernoud d'un recours, le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de la Savoie a, par jugement du 30-12-2013, validé la contrainte dans son entier montant outre les majorations de retard et les frais de signification.

Suite à la notification de cette décision le 09-01-2014, M. Vernoud a relevé appel le 17-01-2014.

M. Vernoud demande à la cour, (instance n° 14-00168), par conclusions soutenues oralement à l'audience, de :

- déclarer son appel recevable, en l'absence de taux du ressort pour interjeter appel ;

- ordonner au RSI de produire les éléments démontrant qu'il a procédé aux démarches nécessaires à son inscription au registre prévu à l'article L. 411-1 du Code de la mutualité, faute de quoi il serait constaté que le RSI n'a pas qualité à agir et à demander le paiement des cotisations sociales ;

- constater que les contraintes émises par le RSI constituent une pratique commerciale agressive interdite par le Code de la consommation et sanctionnées par le Code pénal et aviser le ministère public du délit commis ;

- se déclarer incompétent pour connaître du litige, qui relève du contentieux du Code de la consommation et se dessaisir au profit de la chambre civile de la cour d'appel.

Par conclusions du 04-07-2014 (instance n° 14-1609), M. Vernoud a déposé un mémoire visant à soulever une question prioritaire de constitutionnalité au motif qu'aucun des articles du Code de la sécurité sociale n'établit l'obligation pour les assesseurs du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de lire les dossiers des requérants et que dès lors, le procès qui s'en suit n'est pas équitable, constituant une violation des garanties essentielles offertes à tous justiciables par la constitution française et la Convention Européenne des Droits de l'Homme et des Libertés ainsi que par la Charte des Droits Fondamentaux de l'Union Européenne.

Le RSI en réplique, déclare que l'appel est irrecevable, le jugement ayant été rendu en dernier ressort, le litige étant inférieur à 4 000 euro, conformément à l'article R. 142-25 du Code de la sécurité sociale.

Il ajoute que les dispositions critiquées étant d'ordre réglementaire et non législatif, aucune question prioritaire de constitutionnalité ne peut être posée.

Le ministère public s'en rapporte quant à la question prioritaire de constitutionnalité.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Les instances RG 14-01609 et RG 14-00168, connexes, seront jointes.

Sur la recevabilité de l'appel

Aux termes de l'article R. 142-25 du Code de la sécurité sociale, " le tribunal des affaires de sécurité sociale statue en dernier ressort jusqu'à la valeur de 4 000 euro. La décision du tribunal des affaires de sécurité sociale n'est pas susceptible d'opposition ".

Toutefois, le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale statue en premier ressort, à charge d'appel, sur les différents relatifs à la CSG et à la CRDS, ainsi que sur les litiges concernant la taxe sur les contributions destinées à financer les prestations complémentaires de prévoyance, la contribution patronale au financement des retraites " chapeau " et la contribution spécifique sur les avantages de préretraite d'entreprise.

Or, il résulte de la mise en demeure avant poursuites délivrée à M. Vernoud que parmi les cotisations à recouvrer, une somme est réclamée au titre de la CSG et de la CRDS.

Par ailleurs, s'il est de principe que le fait d'invoquer un élément indéterminé comme moyen sans pour autant constituer un chef de demande ne peut donner à la demande elle-même un caractère indéterminée, il n'en va pas de même lorsque on est en présence de la contestation d'une décision d'affiliation au régime de sécurité sociale. Cette contestation équivaut à une demande indéterminée, quand bien même le montant des cotisations réclamées à la suite de cette affiliation est inférieur au taux du dernier ressort.

En l'occurrence, M. Vernoud conteste le principe même du droit du RSI à recouvrer des cotisations, soutenant notamment ne pas relever de cet organisme. Ce moyen n'est pas seulement une contestation opposée au paiement de la contrainte litigieuse, mais a trait à l'affiliation même de l'appelant au RSI. La demande présente ainsi un caractère indéterminé, ce qui rend le jugement entrepris susceptible d'appel.

L'appel interjeté par M. Vernoud sera déclaré recevable.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité

Pour décider de la transmission de cette question à la Cour de cassation, trois conditions cumulatives doivent être réunies (Ord.7 nov. 1958, art. 23-2) :

- la disposition législative dont la constitutionnalité est contestée doit être applicable au litige ou à la procédure;

- la même disposition ne doit pas avoir déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs ou le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances;

- la question ne doit pas être dépourvue de caractère sérieux.

Il est de principe que, dès lors qu'un justiciable a recours à un tribunal, il doit bénéficier, dans le déroulement du procès, de garanties fondamentales de procédure, de nature à renforcer les mécanismes de protection des droits que lui confèrent la Convention européenne des droits de l'homme et le Pacte des droits civils et politiques.

En conséquence, les droits de la défense doivent être respectés, de même que le principe du contradictoire, les débats devant être loyaux et publics, tandis que l'accès à un juge indépendant et impartial doit être effectif, la procédure devant garantir équité, publicité, célérité et laïcité.

En l'espèce, M. Vernoud fait valoir que le tribunal des affaires de sécurité sociale est une formation fondée sur l'échevinage, les assesseurs n'ayant pas obligation de lire préalablement les dossiers avant l'audience.

Il considère ainsi que ce sont les dispositions du Code de procédure civile qui ne sont pas conformes aux principes résultant de la constitution et des textes sus-rappelés.

Mais pour qu'une question prioritaire de constitutionnalité puisse être déférée à la Cour de cassation, il faut au préalable qu'elle concerne une disposition législative.

Si les règles de procédure devant les juridictions françaises relèvent en général du pouvoir réglementaire, M. Vernoud invoque une non-conformité de dispositions législatives, en l'occurrence les articles L. 142-1 à L. 142-8, L. 144-1 et L. 144-2 du Code de la sécurité sociale, comme n'imposant pas aux assesseurs de lire les dossiers.

La demande est ainsi recevable.

Devant le tribunal des affaires de sécurité sociale, la procédure est orale, avec pour conséquence que les parties peuvent présenter oralement, aux audiences du tribunal, non seulement tous leurs moyens de fait et de droit, mais aussi leurs prétentions.

Ainsi, ce sont les moyens développés oralement à l'audience qui seuls, pourront être pris en considération par le tribunal. Certes, une partie peut se contenter à cette occasion de se référer aux conclusions écrites qu'elle aura déposées, préalablement ou non.

Mais en tout état de cause, ce n'est qu'au moment de l'audience où le tribunal est en mesure de connaître les moyens et prétentions des parties. En conséquence, le fait de lire ou non les conclusions avant l'audience et de consulter les pièces du dossier qui auraient été éventuellement déposées ne peut avoir une quelconque incidence sur le déroulement de la procédure.

Suite à l'audience, les juges ont la possibilité de mettre l'affaire en délibéré, au cours duquel ils ont tout loisir de consulter le dossier et d'en lire les pièces utiles et pertinentes.

C'est ainsi que, si l'affaire a été plaidée le 9 décembre 2013, elle a été ensuite mise en délibéré à la date du 30-12-2013, ce qui a laissé le temps au tribunal dans son ensemble de délibérer après avoir lu les dossiers de chacune des parties.

Dans ces conditions, les droits de M. Vernoud ont été respectés, les règles de la procédure orale permettant le respect des exigences d'un procès équitable.

La question posée s'avère être ainsi dénuée de caractère sérieux.

Sur la qualité à agir du RSI M. Vernoud fait valoir que le RSI doit, pour agir, démontrer être inscrit au Conseil Supérieur de la Mutualité, par application de l'article L. 411-1 du Code de la mutualité.

Si les directives 92-49 du 18-06-1992 et 92-96 du 10-11-1992 ont pour objet d'organiser le marché européen de l'assurance sur la base de la liberté d'établissement et de la libre prestation de service, sont exclues de son champ d'application les assurances comprises dans un régime légal de sécurité sociale.

Or, il est de principe que le régime social des indépendants est un régime de sécurité sociale, ce qui exclut d'une part l'application des directives susvisées, et d'autre part, ne confère pas au RSI le caractère d'une mutuelle, l'affiliation au RSI résultant d'une obligation légale et statutaire et non d'un contrat synallagmatique de droit privé, comme en disposent les articles L. 111-1, R. 111-1, L. 623-3 et 623-2 du Code de la sécurité sociale.

Parce que l'affiliation est obligatoire et non contractuelle, et que la contrepartie de l'avantage social est le paiement des cotisations sociales, alors que le principe d'une mutuelle repose sur l'adhésion de ses membres dans un cadre contractuel, individuel ou collectif, le RSI n'avait pas à se conformer aux dispositions du Code de la mutualité.

Le RSI a donc qualité pour agir.

Sur la contrainte

Le RSI tenant son pouvoir de délivrer des contraintes de la loi (article L. 244-9 du Code de la sécurité sociale), les dispositions du Code de la consommation régissant les pratiques commerciales agressives ne sont pas applicables.

La contrainte délivrée l'a été après envoi d'une mise en demeure, conformément aux articles L. 244-2 et R. 244-1 du Code de la sécurité sociale. La procédure a été ainsi respectée.

Aucune critique n'est élevée par M. Vernoud quant à un éventuel non-respect des modalités de calcul des cotisations litigieuses.

C'est donc par une exacte appréciation des circonstances de la cause que le premier juge a validé la contrainte délivrée.

Le jugement déféré sera ainsi confirmé en toutes ses dispositions.

Par ces motifs, LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré, Prononce la jonction des instances RG 14-01609 et RG 14-00168, Déclare l'appel de M. Jean-François Vernoud recevable, Dit n'y avoir lieu à transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. Jean-François Vernoud, Confirme le jugement rendu le 30 décembre 2013 par le Tribunal des affaires de sécurité sociale de la Savoie en toutes ses dispositions, Dit n'y avoir lieu de dispenser M. Jean-François Vernoud du paiement du droit fixé par les dispositions du 2ème alinéa de l'article R. 144-10 du Code de la sécurité sociale.