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Décisions

CA Caen, ch. soc., 20 mars 2015, n° 12-03591

CAEN

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

URSSAF de Basse Normandie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Teze

Conseillers :

Mme Guenier-Lefevre, M. Brillet

Avocat :

Me Mosquet

TASS Alençon, du 26 oct. 2012

26 octobre 2012

Le 21 mai 2012, M. X exerçant la profession de chirurgien-dentiste, a formé opposition à une contrainte émise le 11 avril 2012 par l'URSSAF de l'Orne et signifiée le 14 mai 2012 au titre de la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) afférentes au 1er trimestre 2012 représentant les sommes de 3 492 euro en principal et de 188 euro au titre des majorations de retard.

Par jugement en date du 26 octobre 2012, le tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Orne a :

- déclaré régulière et recevable en la forme l'opposition formée par M. X mais l'a débouté de sa demande de sursis à statuer en attente de l'issue de la question prioritaire de constitutionnalité transmise à la cour de cassation par le tribunal de grande instance d'Evry par jugement du 28 juin 2012 sur la conformité de l'article L. 244-9 du Code de la sécurité sociale aux articles 2 et 16 de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 ;

- déclaré l'opposition mal fondée et en conséquence validé la contrainte du 11 avril 2012, signifiée le 14 mai 2012 et condamné M. X au paiement de la somme de 3 680 euro sans préjudice des majorations de retard en cours ;

- condamné le même à payer à l'URSSAF la somme de 200 euro à titre de dommages-intérêts pour recours abusif ;

- condamné M. X à payer à l'URSSAF la somme de 200 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile outre celle de 71,48 euro au titre des frais de signification sans préjudice des frais postérieurs de mise à exécution.

M. X a interjeté appel de cette décision le 19 novembre 2012.

Le 4 juillet 2014, il a déposé devant la cour une question prioritaire de constitutionnalité dans un mémoire distinct rédigé comme suit : "aucun des articles du Code de la sécurité sociale n'établit l'obligation pour les assesseurs du tribunal des affaires de sécurité sociale de lire les dossiers des requérants.

Il est dès lors patent que les dispositions des articles L. 142-1 à L. 142-8 et des articles L. 144-1 et L. 144-2 du Code de la sécurité sociale portent atteinte aux droits et libertés garantis par la constitution".

Par avis du 4 juillet 2014 transmis aux parties le 7 juillet, le Procureur général a estimé que la question posée était dépourvue de tout lien avec la solution du litige en cours et de sérieux et qu'il n'y avait pas lieu de surseoir à statuer.

Appelée à l'audience du 10 juillet 2014, l'affaire a été renvoyée et retenue à l'audience du 15 janvier 2015.

Aux termes de ses conclusions déposées reprises oralement auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, M. X a demandé à la cour de :

- ordonner la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité déposée et le sursis à statuer en attente de l'issue de la procédure ;

- surseoir à statuer en attente de l'issue de l'action pénale sur la plainte avec constitution de partie civile déposée contre l'URSSAF de Basse Normandie des chefs d'extorsion de fonds et pratique commerciale agressive ;

- ordonner à l'URSSAF de justifier des démarches nécessaires à son inscription au registre visé à l'article L. 411-1 du Code de la mutualité dans le délai prévu à l'article 4, et à défaut de constater que l'URSSAF a été dissoute de plein droit et n'a pas qualité à agir en paiement de cotisations sociales;

- de se déclarer incompétente dans sa formation de chambre sociale pour connaître du litige constitutif de pratiques commerciales agressives contraires au Code de la consommation et se dessaisir au profit de la chambre civile de la cour et s'agissant de faits sanctionnés par le Code pénal, d'aviser sans délai le procureur de la république du délit commis par l'URSSAF, en application de l'article 40 du Code de procédure pénale.

Au cas où il ne serait pas fait droit à ses demandes en transmission de question prioritaire de constitutionnalité, sursis à statuer, exception d'incompétence et fins de non recevoir, M. X a indiqué à l'audience reprendre les moyens développés au fond devant le premier juge relatif aux dispositions des directives européennes 92/49/CE et 92/96/CE transposées par la loi n° 94/678 du 8 août 1994 dans le Code de la sécurité sociale, livre IV dont il est en droit de se prévaloir et sollicité l'infirmation du jugement et l'annulation de la contrainte en litige.

Aux termes de ses conclusions déposées reprises oralement auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, l'URSSAF de Basse Normandie venant aux droits de l'URSSAF de l'Orne a demandé au contraire de :

- débouter M. X tant de sa demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité que de ses autres demandes ;

- confirmer le jugement ;

- condamner M. X au paiement d'une indemnité de 6.000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

M. X a été autorisé à produire en délibéré la décision de justice invoquée à l'appui de son argumentation selon laquelle l'URSSAF constituait une "société".

Vu les observations de M. X transmises suivant fax du 19 janvier 2015;

Vu le courrier en date du 22 janvier 2015 de Me M. avocat de l'URSSAF tendant à leur rejet.

Motifs

- Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité

Selon l'article 61-1 de la Constitution, lorsque à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi de la Cour de cassation.

L'article 23-2 de cette même ordonnance prévoit la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité si les trois conditions cumulatives suivantes sont remplies :

- la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure ou constitue le fondement des poursuites ;

- elle n'a pas été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances ;

- la question présente un caractère sérieux.

Au soutien de la question prioritaire de constitutionnalité posée le 4 juillet 2014 dans les termes ci-dessus rappelés, M. X produit un courrier en date du 27 février 2014 d'un président d'une juridiction de sécurité sociale ayant refusé une demande de dispense de comparution d'une partie à un litige au motif que la procédure devant le tribunal des affaires de sécurité sociale, juridiction collégiale échevinale, est une procédure orale et "que les assesseurs ne peuvent lire les dossiers".

Mais, selon le principe d'oralité des débats régissant le contentieux général de la sécurité sociale, et à moins qu'il ait été recouru aux dispositions des articles 446-1 et suivants du Code de procédure civile, le juge n'est saisi que des conclusions développées oralement lors de la comparution des parties, sauf à se référer aux prétentions et moyens de fait et de droit qu'elles ont pu formuler par écrit.

Or, aucun des textes à valeur législative du Code de la sécurité sociale mis en cause par M. X ne fait interdiction aux membres des juridictions des affaires de sécurité sociale de prendre connaissance des écritures déposées par les parties dans le cadre précité ni postérieurement à la clôture des débats, d'examiner plus amplement au cours du délibéré de la décision, ces écritures ainsi que les pièces produites à l'appui des prétentions.

La question étant dépourvue de sérieux, il n'y a pas lieu d'ordonner sa transmission.

- Sur les pièces produites après clôture des débats

Etrangères à la décision de justice dont la production après clôture des débats avait été autorisée, les observations écrites de M. X adressées suivant fax du 19 janvier 2015 alors que la décision était en cours de délibéré, seront déclarées irrecevables en application de l'article 445 du Code de procédure civile.

- Sur l'exception de procédure et fin de non-recevoir

Aux termes de l'article L. 111-1 du Code de la sécurité sociale, la sécurité sociale de droit français repose sur un principe de solidarité nationale impliquant l'obligation pour les personnes travaillant sur le territoire français de s'affilier au régime dont elles relèvent (régime général des salariés, régime des salariés agricoles, régimes des non salariés ou régimes spéciaux) et leur assujetissement aux cotisations ou contributions correspondantes.

Il résulte de l'article L. 213-1 et de l'article L. 216-1 du Code de la sécurité sociale auquel le premier de ces textes renvoie que les unions de recouvrement des cotisations ou contributions de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) sont des organismes de droit privé chargées d'une mission de service public aux fins d'œuvrer à la mise en œuvre du régime de sécurité sociale obligatoire ainsi institué.

Disposant à ce titre de prérogatives de puissance publique, elles sont placées sous l'autorité publique.

Par ailleurs, les caisses et organismes de sécurité sociale qui n'ont aucun pouvoir sur la détermination de leurs ressources et prestations et qui concourent à la gestion du service public de la sécurité sociale remplissent une fonction exclusivement sociale hors de tout but lucratif de sorte qu'elles ne constituent pas des entreprises ainsi que le retient la justice communautaire.

Par suite, l'émission de contraintes pour le recouvrement des cotisations ou contributions concourant au financement des régimes de sécurité sociale ne peut relever des pratiques commerciales abusives sanctionnées par l'article L. 122-12 du Code de la consommation.

En conséquence, le litige relève de la compétence de la juridiction des affaires de sécurité sociale de sorte que l'exception d'incompétence au profit de la juridiction civile de droit commun sera écartée.

Tenant de l'article L. 213-1 précité de valeur législative, leur capacité juridique et leur qualité pour agir dans l'exécution des missions confiées, les unions de recouvrement ont le pouvoir d'agir ou de défendre en justice.

En conséquence, le moyen tiré du défaut de justification de l'inscription de l'URSSAF de Basse Normandie au registre prévu à l'article L. 411-1 du Code de la mutualité sera écarté comme inopérant.

En conséquence, la fin de non recevoir opposée par M. X sera rejetée.

- Sur le sursis à statuer

L'activité d'émission des contraintes exercée par l'URSSAF aux fins de recouvrement des cotisations et contributions sociales ne relevant pas des pratiques commerciales abusives ni d'extorsion de fonds, pénalement sanctionnés, il n'y a pas lieu de surseoir à statuer en attente de l'issue de la plainte avec constitution de partie civile déposée par M. X de ces chefs.

- Sur les autres contestations

C'est à juste titre que le tribunal saisi par M. X d'une demande de sursis à statuer en attente d'une décision du conseil constitutionnel sur la question de la constitutionnalité de l'article L. 244-9 du Code de la sécurité sociale transmise à la Cour de cassation par le Tribunal de grande instance d'Evry selon décision du 28 juin 2012, a refusé d'y faire droit, au motif que la faculté conférée par le législateur aux personnes morales de droit privé chargées d'une mission de service public, d'émettre des titres exécutoires pour le recouvrement des créances qu'elles fixent sans l'intervention du juge n'avait pas pour conséquence de transférer à ces personnes une fonction juridictionnelle portant atteinte aux dispositions constitutionnelles invoquées, en ce que les contraintes ainsi délivrées ne produisaient tous les effets d'un jugement qu'après épuisement des voies de recours ou validation par un juge.

Selon l'article L. 613-1 du Code de la sécurité sociale, est obligatoirement affilié au régime d'assurance maladie des travailleurs non salariés des professions non agricoles le groupe des professions libérales.

Aux termes de l'article L. 136-1 du même Code, "il est institué une contribution sociale sur les revenus d'activité et sur les revenus de remplacement à laquelle sont assujetties les personnes physiques qui sont à la fois considérées comme domiciliées en France pour l'établissement de l'impôt sur le revenu et à la charge à quelque titre que ce soit, d'un régime obligatoire français d'assurance maladie..."

Le tribunal a exactement estimé que M. X ne pouvait utilement invoquer pour échapper à l'application de ces textes le bénéfice des directives européennes 92/49/CE et 92/96/CE, après avoir rappelé la jurisprudence de la cour de justice des communautés européennes de laquelle il résulte que le droit communautaire ne porte pas atteinte à la compétence des Etats membres pour aménager leur système de sécurité sociale, que les organismes qui gèrent un régime obligatoire de sécurité sociale ne sont pas des entreprises au regard du droit communautaire, et que les régimes de sécurité sociale sont exclus du champ d'application de la directive 92/49.

De même la directive 92/96/CEE qui concerne l'assurance-vie est sans effet sur les législations internes de sécurité sociale.

Non autrement contesté, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté comme mal fondée l'opposition de M. X qui exerce une activité libérale et se trouve domicilié en France, validé les contraintes en cause et condamné l'appelant au paiement des frais de signification.

- Sur les dommages-intérêts pour recours abusif

Pour autant, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article R. 144-10 al 3 du Code de la sécurité sociale.

- Sur les dépens

Echouant dans son recours, M. X sera en revanche condamné à payer à l'URSSAF de Basse Normandie la somme de 1 200 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, laquelle somme s'ajoute à l'indemnité allouée par le tribunal au titre des frais irrépétibles de première instance.

Décision, LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, Ecarte les observations de M. X transmises par fax du 19 janvier 2015 ; Déboute M. X de sa demande en transmission de la question prioritaire de constitutionnalité déposée suivant mémoire du 4 juillet 2014 ; Rejette l'exception d'incompétence de la juridiction saisie et fin de non recevoir tirée du défaut de qualité pour agir de l'URSSAF de Basse Normandie ; Rejette la demande de sursis à statuer en attente de l'issue de la plainte avec constitution de partie civile déposée par M. X des chefs d'extorsion de fonds et pratiques commerciales abusives; Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a condamné M. X au paiement de dommages-intérêts pour recours abusif ; Infirmant sur ce seul chef, dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article R. 144-10 al 3 du Code de la sécurité sociale ; Ajoutant au jugement ; Condamne M. X à payer à l'URSSAF de Basse Normandie la somme de 1.200 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel ; Déboute les parties de leurs autres ou plus amples demandes.