ADLC, 13 mai 2015, n° 15-DCC-54
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à la prise de contrôle exclusif de la société Anonyme de la Raffinerie des Antilles par la société Rubis
L'Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 24 février 2015, relatif à la prise de contrôle exclusif par le groupe Rubis de la Société Anonyme de la Raffinerie des Antilles, formalisée par une offre d'achat en date du 1er août 2014 et une lettre de préemption des actions de Total par Rubis en date du 30 janvier 2015 ; Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ; Vu les engagements présentés les 26 mars, 20 avril et 5 mai 2015 par la partie notifiante ; Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l'instruction ; Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l'opération
1. Rubis est une société en commandite par actions de droit français, cotée à la bourse de Paris et détenue par environ 20 000 actionnaires, tant individuels qu'institutionnels. La société Rubis est actionnaire à 100 % de la société Rubis Energie (active en France et à l'international dans le secteur de la distribution de butane, propane et GPL-c et produits pétroliers sous enseignes Vitogaz, Easigas ou Rubis) et à 99 % de la société Rubis Terminal, active dans le secteur du stockage de produits liquides (produits pétroliers, engrais, produits chimiques). Dans les Antilles et Guyane françaises, Rubis exploite un réseau de stations-services sous l'enseigne ViTO et approvisionne des clients industriels en carburants, GPL, fiouls, lubrifiants et bitumes. Rubis détient également une filiale, SIGL, exploitant un centre d'emplissage de GPL en Guadeloupe, ainsi qu'une participation de 50 % dans Stocabu, qui détient des installations de stockage de GPL en Guadeloupe. Rubis détient aussi des parts dans un certain nombre de GIE de la région : 50 % du Groupement Pétrolier Avitaillement Rochambeau (ci-après " GPAR ") en charge de l'exploitation de la station de stockage de carburéacteurs, de l'approvisionnement et des prestations de mise à bord de carburant sur l'aéroport de Rochambeau en Guyane, 25 % du Groupement d'Exploitation des Installations de l'Aéroport de Pointe-à-Pitre (ci-après " GEIAP "), du Groupement Pétrolier d'Avitaillement de Pointe-à-Pitre (ci-après " GEPAP "), du Groupement d'Exploitation des Installations de l'Aéroport de Fort-de-France (ci-après " GEIAF ") et du Groupement Pétrolier de Fort-de-France (ci-après " GPAF "), qui ont pour objet la mise en œuvre de tous les moyens permettant l'exploitation en commun du dépôt d'hydrocarbures situé sur chacun de ces deux aéroports, ainsi que l'approvisionnement et des prestations de mise à bord de carburant. Enfin, Rubis détient 35,5 % du capital social de la Société Anonyme de la Raffinerie des Antilles (ci-après " SARA ").
2. La SARA est une société anonyme dont le siège social est situé en Martinique et dont l'objet social est la construction et l'exploitation d'une raffinerie de pétrole implantée en Martinique ainsi que la construction et l'exploitation de toutes installations connexes permettant le stockage et le transport de produits pétroliers bruts ou raffinés. Elle est actuellement détenue à 50 % par Total Marketing Services S.A. (ci-après " Total "), 35,5 % par Rubis et 14,5 % par Sol Petroleum Antilles (ci-après " Sol "). Outre la raffinerie située en Martinique, la SARA est propriétaire de dépôts situés en Guadeloupe et en Guyane, à partir desquels elle assure l'approvisionnement de ces îles en produits pétroliers finis et GPL, ainsi que d'oléoducs approvisionnant principalement les aéroports et des clients industriels. Les principales activités de la SARA sont le raffinage et la vente de carburants aux distributeurs présents en Martinique, Guadeloupe et Guyane.
3. L'opération consiste en la cession, par Total, de la totalité de ses actions dans la SARA. A l'issue de l'opération, Rubis détiendra 71 % capital de la SARA, après l'exercice par Sol de son droit de préemption. Sol, qui détiendra 29 % du capital, ne détiendra pas, à l'issue de l'opération, de droits de véto sur les décisions stratégiques de la SARA. En effet, en application du pacte d'actionnaires, dénommé Accord Principal (ci-après " l'Accord Principal "), signé entre les actionnaires de la SARA (1), cette société est gouvernée par un conseil d'administration composé de [...] membres qui rend ses décisions [confidentiel], à l'exception, d'une part, des décisions relatives [confidentiel] qui nécessitent l'unanimité, et, d'autre part, des décisions suivantes qui doivent être prise à la majorité des [confidentiel]. A l'issue de l'opération, Rubis sera en mesure de désigner [...] membres du conseil d'administration et disposera seul de la majorité des [confidentiel]. En ce qu'elle se traduit par le passage d'un contrôle conjoint de la SARA par Total et Rubis à un contrôle exclusif de la SARA par Rubis, l'opération notifiée constitue une opération de concentration au sens de l'article L. 430-1 du code de commerce.
4. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d'affaire hors taxe total sur le plan mondial de plus de 150 millions d'euros (Rubis : 2,49 milliards d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2013 ; SARA : [...] d'euros (2) pour le même exercice). Chacune de ces entreprises a réalisé en France un chiffre d'affaire supérieur à 50 millions d'euros (Rubis : [...] d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2013 ; SARA : [...] d'euros pour le même exercice). Compte tenu de ces chiffres d'affaires, l'opération ne relève pas de la compétence de l'Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l'article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
5. La SARA, située en Martinique, est la seule raffinerie de la zone Antilles-Guyane, tandis que Rubis est un acteur présent en amont de la raffinerie pour son approvisionnement et en aval sur les marchés de la distribution dans les trois départements. A ce titre, plusieurs marchés de la chaîne de valeur sont concernés par cette opération, sans toutefois que les parties y soient simultanément présentes :
- à l'amont, les marchés de l'approvisionnement en pétrole brut en provenance d'Europe du Nord et de l'approvisionnement en produits semi-finis et finis aux normes européennes, sur lesquels les actionnaires de la SARA sont les fournisseurs et la SARA, le client ;
- en intermédiaire, les marchés de la fourniture de produits raffinés, du stockage et du transport par oléoduc de produits pétroliers, sur lesquels la SARA est le fournisseur et les distributeurs de la zone Antilles-Guyane sont les clients.
A. LES MARCHÉS AMONT DE L'APPROVISIONNEMENT
1. LE MARCHÉ DE L'APPROVISIONNEMENT EN PÉTROLE BRUT
6. En matière de pétrole brut, la pratique décisionnelle (3) envisage l'existence d'un marché de la prospection, distinct des marchés de la production et de la vente de pétrole brut et distingue, au niveau de la production et de la vente, entre le pétrole brut et le gaz naturel. Ces marchés sont de dimension mondiale.
7. Ces définitions de marchés ne sont toutefois pas directement transposables au cas d'espèce. En effet, les départements des Antilles et de la Guyane françaises sont marqués par un certain nombre de spécificités, soulignées à plusieurs reprises par l'Autorité de la concurrence (4) : au-delà de l'insularité et de l'éloignement, ces départements sont également soumis, du fait de leur appartenance à l'Union européenne, au respect de normes environnementales plus strictes (5) que celles prévalant dans le reste de la région pour la mise en circulation de carburants sur leurs territoires. Ainsi, le pétrole brut utilisé pour la production de carburants répondant à ces normes est du pétrole léger, qui peut uniquement être importé depuis la Mer du Nord.
8. Par conséquent, un marché plus spécifique de l'approvisionnement en pétrole brut en provenance d'Europe du Nord, limité à la région Antilles-Guyane, doit être envisagé. Le test de marché a confirmé la pertinence de cette définition du marché, sur lequel la SARA est présente en tant que cliente tandis que Rubis est l'un de ses fournisseurs.
9. Par conséquent, l'analyse concurrentielle sera menée sur le marché de l'approvisionnement de la région Antilles-Guyane en pétrole brut en provenance d'Europe du Nord.
2. LE MARCHÉ DE L'APPROVISIONNEMENT EN PRODUITS PÉTROLIERS ET GPL
10. Il n'existe dans la zone Antilles-Guyane françaises qu'une seule raffinerie, exploitée par la SARA. La production de cette dernière ne suffisant pas à couvrir les besoins du marché, des importations de produits semi-finis ou finis s'avèrent nécessaires pour compléter la production de la SARA et répondre à la demande du marché. Ces produits doivent répondre aux exigences des normes européennes (produits finis) ou être facilement transformables pour répondre à des telles normes (produits semi-finis). Ainsi, un marché de l'approvisionnement en produits finis (aux normes européennes) et semi-finis (facilement transformables en produits finis aux normes européenne), limité à la zone Antilles-Guyane peut être envisagé.
11. Ce marché se distingue du marché aval de la vente hors-réseau notamment par les quantités plus importantes concernées et les modes de transport utilisés (bateau, rail et pipelines) et pourrait être segmenté par type de produits. Le test de marché effectué dans le cadre de la présente opération a confirmé l'existence d'un marché spécifique de l'approvisionnement de la zone Antilles-Guyane en produits semi-finis et finis mais n'a pas permis de confirmer ou d'infirmer la pertinence d'une segmentation selon le type de produits.
12. La partie notifiante estime qu'il conviendrait de limiter le marché aux produits en provenance d'Amérique du Nord et d'Amérique latine dans la mesure où la SARA s'approvisionne localement sur les continents américains, un approvisionnement en Europe n'étant pas envisagé en raison des coûts de transport qui y seraient associés. Cependant, un rapport de mars 2009 sur la fixation des prix des carburants dans les départements d'outre-mer6 a évalué le gain que représenterait pour les consommateurs un approvisionnement direct en produits raffinés issus de la Mer du Nord, plutôt que par raffinage de la SARA, et en a conclu qu'il " en résulterait, pour le consommateur final, un gain de l'ordre de 15 à 17 centimes pour le supercarburant et de 7 à 9 centimes pour le gazole, compte tenu d'un coût moyen du fret et des coûts d'approvisionnement ". En dépit de coûts de transport élevés, un approvisionnement depuis l'Europe est donc économiquement envisageable et ne peut être écarté.
13. Par conséquent, l'analyse concurrentielle sera menée sur le marché de l'approvisionnement de la région Antilles-Guyane en produits finis (aux normes européennes) et semi-finis (facilement transformables en produits finis aux normes européenne), sans qu'il soit besoin de distinguer par type de produits ou par provenance des produits, les conclusions de l'analyse étant inchangées en l'espèce. Sur ce marché, la SARA est présente en tant que cliente tandis que Rubis est l'un de ses fournisseurs.
6 Rapport rendu conjointement par l'inspection générale des finances, le conseil général des mines et l'inspection générale de l'administration sur demande du ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, de la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, de la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique et du secrétaire d'Etat chargé de l'outre-mer.
B. LES MARCHÉS INTERMÉDAIRES
1. LES MARCHÉS DU STOCKAGE DE PRODUITS PÉTROLIERS
14. La pratique décisionnelle (7) a distingué le marché du stockage du pétrole brut des marchés de stockage d'autres produits pétroliers, en raison de différences techniques liées aux particularités des produits, à la taille des bacs et aux caractéristiques des installations propres aux différents produits.
15. En l'espèce, le marché du stockage de pétrole brut n'est pas concerné par l'opération notifiée dans la mesure où la SARA ne dispose que de cuves de stockage de pétrole brut destiné aux besoins propres de sa raffinerie, le seul outil de transformation du pétrole brut dans la zone Antilles-Guyane.
16. S'agissant des produits raffinés, la pratique décisionnelle (8) a défini le stockage comme un " service effectué au moyen de dépôts destinés à la réception et à la distribution de produits raffinés (essence, gazole, fioul domestique) et consiste à assurer la mise à disposition aux opérateurs pétroliers (raffineurs, indépendants et grande distribution), moyennant des contrats de location, d'une partie de la capacité de réception du dépôt afin de permettre à des opérateurs de stocker, en l'occurrence, leur propre produit ". Sur ce marché, les dépôts d'importation, généralement situés en bord de littoral afin de permettre un ravitaillement aisé par moyen de transports massifs, sont distingués des dépôts de maillage qui sont situés à l'intérieur du territoire, ces dépôts se distinguant par leur capacité de stockage (9).
17. Une distinction par type de produits pourrait également être envisagée au sein du marché du stockage de produits raffinés, dans la mesure où chaque type de produit pétrolier doit nécessairement être stocké dans une cuve distincte.
18. Les répondants interrogés dans le cadre du test de marché ont confirmé la définition du marché du stockage retenue par la pratique décisionnelle mais ont révélé que la distinction traditionnelle entre les dépôts de maillage (ayant une zone de chalandise de 150 km) et les dépôts d'importation (ayant une zone de chalandise variable selon les moyens de transports auxquels ils sont reliés) était inadaptée pour la zone Antilles-Guyane en raison de l'insularité de la région et de la taille des territoires concernés.
19. En l'espèce, la SARA dispose de dépôts de stockage dans chaque département de la région Antilles-Guyane, mais les parties considèrent que la SARA n'est pas active sur le marché du stockage de produits raffinés, puisqu'elle ne propose pas de prestation de stockage, stockant uniquement les produits dont elle reste propriétaire jusqu'à leur enlèvement par les clients.
20. Il ressort cependant de l'instruction que les statuts de la SARA l'autorisent à proposer une prestation de stockage à ses clients, l'Accord Principal [confidentiel]. En outre, l'article 11 du décret n° 2013-1314 prévoit le principe d'un accès non discriminatoire aux installations de stockage qui sont indispensables à la distribution des produits réglementés et une demande de prestations de stockage émerge depuis que la SARA ne se substitue plus aux opérateurs de la zone pour leur obligation de stockage stratégique (10).
21. S'agissant de la délimitation géographique de ces marchés, les marchés ultramarins n'ont pas été examinés par les autorités de concurrence. Le test de marché n'a pas permis de trancher la question d'une délimitation au niveau de la région Antilles-Guyane ou de chaque île concernée.
22. Au cas d'espèce, la définition géographique exacte des marchés du stockage de produits pétroliers peut être laissée ouverte dans la mesure où l'analyse concurrentielle demeurera inchangée, quelle que soit l'hypothèse retenue. Les effets de l'opération seront examinés sur les marchés du stockage de produits raffinés au niveau de la zone Antilles-Guyane.
2. LE MARCHÉ DU TRANSPORT DE PRODUITS PÉTROLIERS PAR OLÉODUCS
23. La Commission européenne (11) et l'Autorité (12) ont analysé le marché des services de transport de produits raffinés par oléoducs, en retenant que " les oléoducs transportant les produits pétroliers finis (essences, gazole, fioul domestique) sont des outils logistiques employés à la réception et à la distribution de produits raffinés par différents opérateurs pétroliers, à savoir, les raffineurs, les indépendants ou la grande distribution. Les systèmes d'oléoducs indépendants sont, comme les dépôts pétroliers, une condition essentielle au maintien d'un environnement concurrentiel sur le marché de la distribution des carburants ".
24. Concernant la délimitation géographique du marché du transport de produits raffinés par oléoduc, les marchés ultramarins n'ont pas été examinés par les autorités de concurrence.
25. Les répondants au test de marché ont confirmé la définition du marché de produits retenue par la pratique décisionnelle, tout en soulignant la spécificité de la zone Antilles-Guyane par rapport au marché du transport de produits raffinés par oléoducs en métropole, puisqu'il n'existe pas, dans cette zone, de réseau de transport par oléoduc structuré, mais uniquement des oléoducs reliant la raffinerie ou les dépôts de la SARA à ses clients. Ainsi, pour la région Antilles-Guyane, le marché du transport de produits raffinés par oléoduc pourrait comprendre la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane réunies, ou chaque département séparément, voire être limité à un marché par oléoduc.
26. Au cas d'espèce, la question de la délimitation géographique exacte du marché du transport de produits raffinés par oléoduc peut être laissée ouverte, dans la mesure où les conclusions de l'analyse concurrentielle demeureront inchangées quelle que soit la délimitation retenue.
3. LES MARCHÉS DE LA FOURNITURE DE PRODUITS PÉTROLIERS ET DE GPL DANS LA ZONE ANTILLES-GUYANE
27. La pratique décisionnelle n'a jamais défini de marché intermédiaire de la fourniture de produits pétroliers et de GPL. En effet, seuls les marchés aval de la commercialisation des produits raffinés aux utilisateurs finaux ont été envisagés (13) dans la mesure où les produits, une fois raffinés ou importés, sont généralement vendus par les raffineurs, soit à leurs propres réseaux de stations services, soit à des clients industriels (détaillants non intégrés, industriels, collectivités, sociétés de transport...).
28. Dans les départements des Antilles et de la Guyane, comme la SARA est l'unique raffineur de la zone et dispose d'un monopole d'importation des produits raffinés, un marché intermédiaire de la fourniture de produits pétroliers et de GPL par la SARA aux opérateurs pétroliers doit être envisagé.
29. En l'espèce, la partie notifiante propose de retenir un marché de la fourniture de carburants et GPL aux Antilles et Guyane par la SARA recouvrant la vente de produits raffinés dit " sortie de raffinerie ", qu'ils soient importés ou raffinés par la SARA, aux distributeurs de la zone Antilles-Guyane.
30. Les répondants au test de marché ont confirmé la pertinence de cette définition de marché. Les différents carburants et combustibles étant fournis pour différents usages, une segmentation par type de produits peut également être envisagée.
31. S'agissant de la délimitation géographique du marché de la fourniture de produits pétroliers et de GPL, la pratique décisionnelle (14) retient une délimitation locale des marchés de la commercialisation des produits raffinés, en considérant que le marché se définit comme le lieu où se rencontrent l'offre, constituée par des raffineries et des dépôts où les raffineurs effectuent des ventes de produits raffinés, et la demande, constituée par les clients revendeurs ou clients finals. Le test de marché n'a pas permis de trancher la question d'une délimitation au niveau de la région Antilles-Guyane ou de chaque département concerné.
32. Au cas d'espèce, la définition géographique exacte des marchés de la fourniture de produits pétroliers et de GPL peut être laissée ouverte dans la mesure où l'analyse concurrentielle demeurera inchangée, quelle que soit l'hypothèse retenue. Les effets de l'opération seront examinés sur les marchés de la fourniture de produits raffinés dans la zone Antilles-Guyane.
III. Analyse concurrentielle
A. PRÉSENTATION DU CONTEXTE RÉGLEMENTAIRE
33. L'Autorité de la concurrence a constaté à plusieurs reprises (15) que la zone Antilles-Guyane est dépendante des importations de carburant. A son insularité et son éloignement, s'ajoute son appartenance à l'Union européenne qui l'oblige à utiliser des carburants aux normes européennes, rendant difficiles les importations depuis les pays voisins. Compte tenu de ces contraintes, de l'étroitesse des marchés et des économies que permet la massification des achats, il a été admis qu'il n'était pas économiquement rentable pour un opérateur de s'approvisionner seul et que la mutualisation de la logistique pour l'approvisionnement était le système le plus approprié.
34. Ainsi, la SARA exploite une raffinerie installée en Martinique, à laquelle sont adossés des dépôts, et dispose de dépôts en Guadeloupe et Guyane lui permettant d'assurer l'approvisionnement de ces départements. Elle est actuellement détenue par trois actionnaires, Rubis, Sol et Total, qui assurent son approvisionnement en produits bruts depuis l'Europe du Nord. Le raffinage local ne couvrant qu'une partie de la consommation des départements concernés, la SARA importe également, via ses actionnaires, des produits raffinés, qui doivent être conformes aux normes européennes ou facilement mis en conformité avec ces normes (produits semi-finis).
35. L'ensemble des capacités de stockage existantes en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane est donc détenu et opéré par la SARA, les produits stockés étant la propriété de la SARA. Il existe donc dans cette zone une seule société, la SARA, qui détient un monopole de fait sur l'importation et la revente des produits pétroliers et du GPL, ainsi que sur les infrastructures de stockage et de transport massif.
36. Cette situation de monopole ne concerne toutefois que l'amont de la chaîne d'approvisionnement, c'est-à-dire l'importation et le stockage. En aval, les carburants sont distribués par plusieurs opérateurs en concurrence.
37. L'existence de ces monopoles a justifié la mise en place d'une réglementation des prix, sur le fondement initial de l'article L. 410-2 du code de commerce qui prévoit une dérogation au principe général de liberté des prix en disposant que : " dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopole ou de difficultés durables d'approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires, un décret en Conseil d'Etat peut réglementer les prix après consultation de l'Autorité de la concurrence ".
38. S'agissant des carburants dans les DOM, le Conseil de la concurrence avait considéré en 1988 (16) qu'une telle réglementation était possible dans la mesure où " l'approvisionnement en produits pétroliers est assuré par une seule entreprise qui contrôle à la fois les opérations en raffinerie [...], d'importation [...] et de stockage [...] et où l'absence de concurrence au stade des prix de gros limite la concurrence par les prix dans la distribution de détail ".
39. En s'appuyant sur cet avis, le Gouvernement a instauré, par plusieurs décrets du 17 novembre 1988, une réglementation des prix de gros et de détail de certains produits pétroliers. Un décret n° 2003-1241 du 23 décembre 2003, pris après avis du Conseil de la concurrence n° 02-A-09 du 25 juin 2002 est venu renforcer cette réglementation dans les Antilles, notamment quant aux modalités de fixation des prix maximaux.
40. A la suite de la crise sociale de 2008-2009, et de l'avis n° 09-A-21 (17) de l'Autorité de la concurrence, la réglementation a été revue et le décret n° 2010-1332 du 8 novembre 2010, adopté après les avis de l'Autorité de la concurrence n° 10-A-03 du 3 février 2010 et n° 10-A-16 du 28 juillet 2010, a précisé la réglementation des prix. Ainsi, pour certains produits pétroliers, les préfets des DOM fixaient par arrêté les prix maximum, hors taxes, de sortie de raffinerie hors passage en dépôt, des importations hors passage en dépôt, d'acheminement des carburants entre la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, et pour l'ensemble du territoire de ces départements, de passage en dépôt, ainsi que les prix maximum, toutes taxes comprises, et les marges maximales correspondantes de la distribution au stade de gros et au stade de détail. Les préfets fixaient également les prix maximum de vente du GPL facturé au départ de l'usine par la société chargée du raffinage et, le cas échéant, du GPL importé ainsi que le prix maximum du GPL conditionné et le prix maximum de vente au détail du GPL.
41. La loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer, a introduit dans le code de commerce un article L. 410-3 qui dispose que : " dans les collectivités relevant de l'article 73 de la Constitution et dans les collectivités d'outre-mer de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Wallis-et-Futuna, et dans les secteurs pour lesquels les conditions d'approvisionnement ou les structures de marché limitent le libre jeu de la concurrence, le Gouvernement peut arrêter, après avis public de l'Autorité de la concurrence et par décret en Conseil d'État, les mesures nécessaires pour remédier aux dysfonctionnements des marchés de gros de biens et de services concernés, notamment les marchés de vente à l'exportation vers ces collectivités, d'acheminement, de stockage et de distribution. Les mesures prises portent sur l'accès à ces marchés, l'absence de discrimination tarifaire, la loyauté des transactions, la marge des opérateurs et la gestion des facilités essentielles, en tenant compte de la protection des intérêts des consommateurs ".
42. Sur ce nouveau fondement, le décret n° 2013-1314 du 27 décembre 2013 réglementant les prix des produits pétroliers ainsi que le fonctionnement des marchés de gros pour la distribution de ces produits dans les départements de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Martinique, adopté après l'avis de l'Autorité de la concurrence n° 13-A-21 (18), est venu pérenniser les modifications apportées par le décret n° 2010-1332 en renforçant la transparence dans le calcul des prix régulés et en modifiant la prise en compte des marges des opérateurs s'agissant des activités de raffinage et de stockage.
43. Ainsi, le dispositif prévoit d'abord que les préfets fixent mensuellement par arrêté les prix maximum de certains produits pétroliers (articles 2 et s.). Ces prix sont calculés en fonction des coûts supportés par les entreprises et de la rémunération des capitaux ou, le cas échéant, de leur marge commerciale. Les produits pétroliers règlementés sont les supercarburants sans plomb et gazoles, le fioul domestique, le pétrole lampant et les fiouls lourds. Les prix fixés par les préfets sont les prix maximum (i) de sortie de raffinerie, hors passage en dépôt (hors taxe), (ii) des importations, hors passage en dépôt (hors taxe), (iii) d'acheminement des carburants entre la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique (hors taxe), (iv) de passage en dépôt (hors taxe) et (v) de distribution au stade de gros et au stade de détail ((toutes taxes comprises) il s'agit en fait de marges maximum). Un arrêté d'application est intervenu le 5 février 2014 (19) pour préciser, notamment, les méthodes de fixation du prix mensuel de " sortie raffinerie ", ainsi que les niveaux de marge de distribution. L'arrêté prévoit en particulier quels sont les éléments représentatifs des coûts d'approvisionnement de la raffinerie en précisant les cotations à retenir pour chaque produit, brut, fini ou semi-fini, ainsi que les " autres coûts liés aux approvisionnements " que le préfet peut retenir, sur présentation de justificatifs ou de facture (articles 2-I-3 et 2-I-4).
44. Le décret prévoit également (articles 11 et 12) qu'un arrêté préfectoral établit la liste des installations de stockage de produits pétroliers règlementés " qui sont indispensables à la distribution de ces produits et qu'il serait impossible de reproduire par des moyens économiquement raisonnables. Les entreprises qui exploitent ces installations permettent aux opérateurs économiques d'y accéder dans des conditions non discriminatoires et pratiquent des prix orientés vers les coûts, incluant une rémunération raisonnable du capital ".
45. Le décret prévoit enfin pour le GPL que les préfets fixent mensuellement par arrêté les prix maximum (articles 6 et suivants) (i) de vente facturé au départ de l'usine par la société chargée du raffinage (hors taxe), (ii) du GPL importé (hors taxe), (iii) du GPL conditionné (hors taxe) et, (iv) de vente au détail (toutes taxes comprises).
46. Le décret permet donc une concurrence en prix puisqu'il ne fixe que des prix maximum et ne concerne pas tous les carburants distribués. En effet, les carburéacteurs et les carburants marins sont exclus de la règlementation.
B. ANALYSE DES EFFETS DE L'OPÉRATION
47. La présente opération se traduit par le passage d'un contrôle conjoint de Total et Rubis à un contrôle exclusif de Rubis sur la SARA. Dans plusieurs affaires précédentes, les autorités de concurrence ont souligné que le passage d'un contrôle conjoint à un contrôle exclusif n'est généralement pas en lui-même susceptible de modifier significativement les conditions de l'exercice de la concurrence. Cependant, dans des affaires plus complexes, concernant en particulier des parties en situation de concurrence avant la concentration, le fait que l'acquéreur exerce déjà un contrôle conjoint n'a pas empêché les autorités de concurrence d'analyser soigneusement les effets de l'opération sur la concurrence (20).
48. Au cas d'espèce, la perte du contrôle par Total au profit de Rubis aura pour conséquence de modifier les incitations de cette dernière dans la mesure où l'opération entraîne une modification structurelle des liens entre les marchés amont et aval, en raison du retrait de Total des marchés amont et intermédiaires, alors même que Rubis restera active sur les marchés amont et aval, tout en contrôlant seule l'acteur en monopole sur les marchés intermédiaires.
49. L'opération n'emporte aucun chevauchement d'activités. En effet, la SARA est active en tant que raffineur et est ainsi présente en amont sur les marchés du stockage de produits pétroliers, du transport de produits pétroliers raffinés par oléoduc et au niveau intermédiaire sur le marché de la fourniture de produits pétroliers et GPL dans la zone Antilles-Guyane, tandis que Rubis est quant à elle présente sur le marché de l'approvisionnement de la zone Antilles-Guyane en tant que fournisseur de la SARA en pétrole brut et produits semi-finis et finis aux normes européennes, sur les marchés aval de la vente de produits pétroliers hors réseau et en réseau, ainsi que sur les marchés du GPL. Les parties ont donc des activités à chaque niveau de la chaîne de valeur des marchés pétroliers.
50. Une concentration verticale peut restreindre la concurrence en rendant plus difficile l'accès aux marchés sur lesquels la nouvelle entité sera active, voire en évinçant potentiellement les concurrents ou en les pénalisant par une augmentation de leurs coûts. On parle alors de " verrouillage " ou de " forclusion " des marchés. Une telle situation accroît le pouvoir de marché de la nouvelle entité et lui permet d'augmenter ses prix ou de réduire les quantités offertes. Deux types de verrouillages sont distingués. Dans le premier cas, l'entreprise intégrée refuse de vendre un intrant à ses concurrents en aval, ou fournit cet intrant à un prix élevé, dans des conditions défavorables ou à un niveau de qualité dégradé (on parle de " verrouillage des intrants "). Cette forclusion peut être totale, lorsque les concurrents ne sont plus du tout approvisionnés, ou partielle, lorsque le durcissement des conditions tarifaires entraîne une augmentation des coûts des concurrents. Dans le second cas, la branche aval de l'entreprise intégrée refuse d'acheter ou de distribuer les produits des fabricants actifs en amont et réduit ainsi leurs débouchés commerciaux (" verrouillage de l'accès à la clientèle "). La pratique décisionnelle des autorités de la concurrence écarte en principe ces risques de verrouillage lorsque la part de l'entreprise issue de l'opération sur les marchés concernés ne dépasse pas 30 %.
51. Au cas présent, l'opération renforce l'intégration verticale du nouvel ensemble, en particulier, à l'amont, sur les marchés de l'approvisionnement et sur les marchés intermédiaires du stockage, du transport et de la fourniture de produits pétroliers et GPL. Les effets de l'opération seront donc examinés au titre des effets verticaux qu'elle est susceptible d'entraîner sur ces différents marchés.
1. LES MARCHÉS DE L'APPROVISIONNEMENT EN PÉTROLE BRUT ET EN PRODUITS PÉTROLIERS
52. La SARA dispose d'un monopole de fait sur l'importation du pétrole brut ainsi que des produits pétroliers semi-finis et finis, y compris pour les produits qui ne sont pas règlementés, dans les départements de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane. Elle dispose donc d'un monopsone dans ces départements.
53. Conformément à l'Accord Principal signé par les actionnaires de la SARA, le pétrole brut de la SARA lui est fourni par ses actionnaires : [confidentiel]. Aux termes de ces dispositions, la répartition de l'approvisionnement entre les actionnaires est calculée [confidentiel]. Cependant, dans les faits, la SARA s'est toujours approvisionnée exclusivement auprès de ses actionnaires, sans mise en concurrence, y compris pour les produits finis et semi-finis.
54. La SARA s'approvisionne donc exclusivement auprès de ses actionnaires tant pour le pétrole brut que pour les produits semi-finis et finis nécessaires pour compléter sa production. A titre d'exemple, en 2013, Total a fourni [30-40] % du pétrole brut de la SARA, Rubis [10-20] % et Exxon [50-60] %. [Confidentiel]. A l'issue de l'opération, la partie notifiante estime que la répartition de l'approvisionnement entre Rubis et Sol serait d'environ [60-70] % pour Rubis et [40-50]% pour Sol, pour la première année.
55. Une stratégie de verrouillage de l'accès aux intrants pourrait consister pour Rubis à augmenter le prix des produits importés vendus à la SARA, entrainant une augmentation des coûts de ses concurrents et au final une hausse des prix des produits vendus aux consommateurs sur les marchés aval. Il convient donc d'examiner la capacité et l'incitation de la nouvelle entité à mettre en œuvre une telle stratégie.
56. S'agissant de la capacité de Rubis à effectuer un tel verrouillage, il convient de constater que le décret n° 2013-1314 ne fixe pas de prix maximum d'achat du pétrole brut, mais prévoit un prix maximum de sortie de raffinerie des produits pétroliers et un prix maximum d'importation des produits finis et semi-finis. Pour fixer ces prix, l'arrêté du 5 février 2014 dispose que les préfets doivent tenir compte des coûts d'approvisionnement de la raffinerie, calculés en fonction des valeurs moyennes des cotations pour les périodes concernées, mais aussi des frais additionnels tels que les frais de trading ou honoraires, sur présentation de factures et justificatifs.
57. Concernant le pétrole brut, l'arrêté du 5 février 2014 prévoit que les frais additionnels sont plafonnés à 4,7 dollars par baril en moyenne sur l'année. Or, il ressort des éléments du dossier que les coûts additionnels à l'achat de pétrole brut [confidentiel]. Rubis ne sera donc pas en mesure d'augmenter le montant des frais additionnels et donc le prix du pétrole brut importé par la SARA.
58. Concernant les produits semi-finis et finis, aucun plafond n'est prévu pour les coûts additionnels liés à leur importation. Rubis disposera donc, à l'issue de l'opération, de la faculté d'augmenter les prix d'approvisionnement de la SARA pour ces produits. A cet égard, la partie notifiante a fait valoir que la prise en compte des coûts additionnels est soumise à l'appréciation du préfet qui ne les prendrait pas forcément en compte dans le calcul du prix maximum d'importation. Toutefois, la formulation de l'arrêté du 5 février 2014 ne permet pas d'affirmer que le préfet a un pouvoir discrétionnaire pour écarter les coûts additionnels présentés par la SARA pour le calcul du prix de " sortie raffinerie ", mais prévoit que ces coûts sont pris en compte " sur présentation de justificatifs ". Il convient au demeurant de noter que la partie notifiante n'a pas été en mesure de fournir de justificatifs pour étayer les coûts additionnels supportés par la SARA pour les dernières années, alors même que ceux-ci sont pris en compte tous les mois. Ainsi, il n'est pas possible de déterminer quels coûts seraient acceptés ou refusés par le préfet et donc d'exclure la possibilité d'une augmentation des coûts additionnels liés à l'importation de produits semi-finis ou finis par Rubis à l'issue de l'opération.
59. Cette augmentation des frais additionnels par Rubis lui permettrait d'augmenter les marges qu'elle réalise sur les ventes de produits semi-finis et finis à la SARA et serait répercutée sur les prix de sortie de raffinerie, et par conséquent sur les prix de commercialisation des produits raffinés au niveau des prix de gros et de détail.
60. S'agissant des incitations de Rubis à augmenter le prix des produits finis et semi-finis importés, il apparaît que, préalablement à l'opération, les approvisionnements de la SARA par ses actionnaires permettaient de couvrir l'essentiel des besoins en carburant de la zone Antilles-Guyane. Le volume de leur approvisionnement respectif correspondant approximativement à leurs besoins, toute augmentation des prix d'approvisionnement de la SARA se serait répercutée mécaniquement sur leurs prix d'achat des produits en sortie de raffinerie, rendant peu probable la possibilité d'une augmentation des prix des produits importés. En effet, pour l'année 2013 par exemple, Total a fourni [30-40] % du volume de pétrole brut et [50-60] % des produits semi-finis ou finis importés par la SARA et a représenté, tous produits confondus, [40-50] % des ventes de la SARA en sortie de raffinerie. Pour cette même année, Rubis a approvisionné la SARA à hauteur de [10-20] % de ses besoins en pétrole brut et [20-30] % de ses besoins en produits semi-finis et finis, tandis que sa part dans les ventes de la SARA s'élevait à [20-30] %. Dans l'ensemble, les actionnaires de la SARA ont fourni l'intégralité du pétrole brut et des produits semi-finis et finis de la SARA, et ont représenté [80-90] % de ses ventes en volume pour l'année 2013.
61. L'opération, se traduisant par un retrait de Total de l'actionnariat de la SARA, conduit à une modification structurelle des liens entre les marchés amont et aval dans la mesure où [50-60] % des ventes de la SARA seront désormais effectuées par des opérateurs sans lien capitalistique avec elle. Une augmentation des prix des produits semi-finis et finis importés par la SARA sera donc plus probable dès lors que, à l'issue de l'opération, les gains de Rubis dus à une augmentation des prix d'approvisionnement de la SARA seront supérieurs aux pertes liées à ses achats de produits raffinés en sortie de raffinerie, Rubis représentant [60-70] % de l'approvisionnement de la SARA et seulement [20-30] % de ses ventes. Dans ces conditions, l'intégration verticale qu'entraîne l'opération crée donc des incitations pour Rubis à augmenter les prix d'approvisionnement de la SARA en produits pétroliers semi-finis et finis.
62. La partie notifiante souligne cependant qu'une augmentation des coûts additionnels n'aurait pas d'impact sensible sur le marché, dans la mesure où ils ne représenteraient qu'une part " infime " des éléments entrant dans la méthode de calcul du prix de sortie raffinerie. La partie notifiante prend pour exemple le mois de décembre 2014, pour lequel elle indique que les coûts liés à l'importation de produits semi-finis et finis ont représentés moins de [0-5] % des coûts pris en compte dans la formule du prix et calcule ainsi qu'une hypothétique augmentation de [20-30] % de ces coûts engendrerait une modification des prix de sortie de raffinerie de l'ordre de [0-5] %.
63. L'hypothèse de calcul rapide soumise par la partie notifiante afin de démontrer qu'une augmentation des coûts additionnels n'aurait pas d'impact sensible sur le marché n'est toutefois pas suffisante pour écarter les doutes sérieux quant aux effets de l'opération sur la concurrence. En effet, un grand nombre de variables doivent être examinées pour évaluer l'effet exact d'une augmentation des coûts d'approvisionnement sur le marché, telles que le taux probable d'augmentation desdits coûts, les incitations du second actionnaire de la SARA à suivre l'augmentation, ou encore l'augmentation du taux de marge global pour Rubis et, par conséquent, sa capacité à pratiquer des prix plus concurrentiels à l'aval, etc. De plus, dans la mesure où Rubis dispose d'une majorité suffisante au conseil d'administration de la SARA pour imposer les décisions relatives aux contrats d'achat de pétrole brut, elle serait en mesure de réduire les approvisionnements en pétrole brut au profit d'importations de produits semi-finis et finis, augmentant ainsi l'impact sur les marchés aval d'une augmentation du prix d'importation des produits pétroliers semi-finis et finis. Il convient par ailleurs de constater que les coûts additionnels représentent de [0-5] % (carburéacteurs) à [10-20] % (butane) du prix total (incluant les coûts de transport) des produits finis et semi-finis importés par la SARA.
64. L'opération est donc susceptible de porter atteinte à la concurrence sur le marché de l'approvisionnement en produits semi-finis et finis. Pour y remédier Rubis s'est engagée à maintenir à leur niveau actuel les coûts additionnels liés à l'approvisionnement de la SARA en produits pétroliers semi-finis et finis proposés aux préfets de Guadeloupe, Guyane et Martinique, sans préjudice de la faculté de la SARA de répercuter, le cas échéant, des augmentations de coûts dûment justifiées résultant de circonstances extérieures.
65. En conséquence, sous réserve du respect des engagements proposés, qui seront détaillés plus loin, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés de l'approvisionnement en pétrole brut et produits pétroliers semi-finis ou finis.
2. LES MARCHÉS DU STOCKAGE DE PRODUITS PÉTROLIERS
66. La SARA dispose, en Martinique, de cuves de stockage de produits pétroliers au sein de la raffinerie du Lamentin d'une capacité de 170 000 m3 pour le pétrole brut et de 117 000 m3 pour les produits raffinés. En Guadeloupe, les cuves sont situées dans un dépôt d'une capacité de 102 700 m3, dans la zone industrielle de Jarry à Baie-Mahault. Enfin, en Guyane, la SARA dispose de deux dépôts, à Kourou et à Dégrad-des-Cannes, d'une capacité cumulée de 56 200 m3.
67. Il est à noter qu'EDF dispose également de cuves dédiées au stockage de fiouls lourd et domestique, servant à approvisionner ses centrales électriques, en Guadeloupe (Jarry Sud avec une capacité de stockage de 3 500 m3 de fioul domestique et EDF PEI avec des capacités de stockage de 43 390 m3), en Martinique (EDF PEI Bellefontaine avec une capacité de stockage de 46 110 m3 et Pointe des Carrières avec une capacité de stockage de 592 m3 de fioul domestique), ainsi qu'en Guyane (Dégrad-des-Cannes) avec des capacités de stockage de 28 300 m3.
68. De même, les groupements d'intérêt économique (GPAP, GPAF et GPAR), présents dans les aéroports de Pointe-à-Pitre, Fort-de-France et Rochambeau disposent de capacités de stockage propres pour le carburéacteur ([confidentiel] m3 en Guadeloupe, [confidentiel] m3 en Martinique et [confidentiel] m3 en Guyane).
69. Toutefois, les dépôts d'EDF et des groupements d'intérêt économique étant de capacité plus limitée, réservés à des carburants spécifiques et à des usages propres (alimentation des centrales électriques ou avitaillement des avions), ils ne peuvent être considérés comme des " outils logistiques employés à la réception et à la distribution de produits raffinés par les différents opérateurs pétroliers " (21) et ne sont pas susceptibles de faire l'objet de mises à disposition des opérateurs pétroliers afin de leur permettre d'avitailler leurs circuits de distribution ou des clients industriels.
70. Il en résulte que la SARA est le seul opérateur à disposer de dépôts de stockage de produits pétroliers à proprement parler dans la zone Antilles-Guyane et dispose à ce titre d'un monopole sur les capacités de stockage dans les départements de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane. La SARA dispose de capacités disponibles dans ses cuves, leur taux d'utilisation s'élevant à [50-60] % en Martinique, [40-50] % en Guadeloupe et [30-40] % en Guyane pour l'année 2014.
71. Une stratégie de verrouillage de l'accès aux intrants pourrait consister pour Rubis à empêcher l'accès de ses concurrents aux infrastructures de stockage de produits raffinés de la SARA dans les trois départements concernés. Il convient donc d'examiner la capacité et l'incitation de la nouvelle entité à mettre en œuvre une telle stratégie.
72. S'agissant de la capacité de Rubis à effecteur un tel verrouillage, il apparaît que l'accès aux infrastructures de stockage de la SARA est nécessaire aux opérateurs pétroliers pour leur permettre de respecter leur obligation de stockage stratégique et d'importer directement des produits finis. En effet, aucun opérateur pétrolier de la zone Antilles-Guyane n'est actuellement en mesure de respecter ses obligations au regard de la réglementation sur les stocks stratégiques dans la mesure où la SARA a cessé, à la fin de l'année 2014, de prendre à sa charge les obligations de stockage stratégique des distributeurs de carburants présents sur la zone.
73. Par ailleurs, l'accès aux infrastructures de stockage de la SARA est indispensable pour tout opérateur qui souhaiterait importer directement des produits finis sans passer par la raffinerie de la SARA. La possibilité d'un approvisionnement alternatif à la SARA a été considérée peu probable, voire impossible (22), en raison de la difficulté d'un approvisionnement en produits finis aux normes européennes dans la région et du coût élevé de transport des produits pour un opérateur agissant seul. Toutefois, cette possibilité ne peut être exclue s'agissant des carburants marins et des carburéacteurs qui peuvent être plus facilement importés des pays voisins puisqu'ils répondent à des normes internationales. En outre, il apparaît que des pays voisins, tel que le Suriname, ont annoncé être prêts à produire des produits pétroliers aux normes européennes, en particulier du diesel, dans un futur proche.
74. Ainsi, interdire ou discriminer l'accès aux dépôts de stockage permettrait à Rubis de pérenniser les monopoles de fait de la SARA sur les importations des produits pétroliers, y compris pour les produits qui ne sont pas règlementés, et donc sur l'ensemble des ressources de ses concurrents sur les marchés aval. En effet, ces derniers ne sont pas intégrés verticalement (23) et seront totalement dépendants de la nouvelle entité pour leur approvisionnement, faute de disposer d'une source alternative d'intrants. L'entrée d'un nouvel opérateur sur le marché du stockage est peu probable dans la mesure où les barrières à l'entrée sont très élevées et où une telle entrée ne serait pas économiquement rationnelle. Dans un rapport de mars 2009 sur la fixation des prix des carburants dans les départements d'outre-mer (24) il était à cet égard estimé que " la création d'un stockage concurrent se traduirait par un " ticket d'entrée " très élevé (duplication des coûts fixes), non justifié par les volumes mis à la consommation dans chaque département. A ce titre, le stockage est une facilité essentielle puisqu'il n'est pas reproductible à un coût acceptable tout en étant indispensable à l'exercice d'une activité de distribution ".
75. Les incitations de Rubis à refuser l'accès de ses concurrents aux infrastructures de stockage seront également renforcées à l'issue de l'opération.
76. En effet, préalablement à l'opération, une très grande majorité ([80-90] % en volume pour l'année 2013) des ventes de la SARA dans la zone Antilles-Guyane était réalisée auprès de ses actionnaires. Par conséquent, seules [10-20] % des ventes de carburants à l'aval dans la zone étaient effectuées par des tiers à la SARA, ce qui rendait peu probable la possibilité d'un approvisionnement alternatif à cette dernière, en particulier en raison des coûts importants de transport.
77. L'opération, se traduisant par un retrait de Total de l'actionnariat de la SARA, conduit à une modification structurelle des liens entre les marchés amont et aval dans la mesure où [50-60] % des ventes en aval seront désormais effectuées par des opérateurs sans lien capitalistique avec la SARA. La probabilité d'importations concurrentes à celles de la SARA pourrait s'accroître dès lors que les quantités de carburants concernées seraient plus importantes et permettraient de rentabiliser les coûts de transport. Dans ces conditions, les incitations de Rubis à refuser à ses concurrents l'accès aux dépôts de stockage de la SARA dans des conditions transparentes et non-discriminatoires, afin de ne pas remettre en cause le monopole de fait de la SARA sur les importations de produits pétroliers dans la zone Antilles-Guyane, seront renforcées.
78. Toutefois, pour examiner les incitations de la nouvelle entité à adopter une stratégie de verrouillage, les lignes directrices de l'Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations précisent qu'il convient d'examiner " les facteurs de nature à diminuer, voire à éliminer, de telles incitations, y compris le caractère illégal des tels comportements " (25). Il convient à cet égard de distinguer la situation des produits concernés par le décret n° 2013-1314 (" produits réglementés ") de celle des autres produits pétroliers.
79. En ce qui concerne les produits réglementés, c'est-à-dire les supercarburants sans plomb et gazoles, le fioul domestique, le pétrole lampant et les fiouls lourds, l'article 11 du décret précité prévoit le principe d'un accès, dans des conditions non-discriminatoire et à des prix orientés vers les coûts, aux infrastructures de stockage indispensables et " qu'il serait impossible de reproduire par des moyens économiques raisonnables ". La liste des installations " qui sont indispensables à la distribution de ces produits et qu'il serait impossible de reproduire par des moyens économiquement raisonnables " doit être établie par arrêté préfectoral. Dans la mesure où la SARA dispose, dans chaque île, des seules infrastructures de stockage de produits pétroliers existantes, cette disposition concerne, dans les faits, les dépôts de stockage de la SARA. Il s'ensuit que la mise en œuvre par la SARA d'une stratégie de verrouillage consistant à refuser un accès à ses infrastructures à des conditions non-discriminatoires et à des prix orientés vers les coûts méconnaitrait les dispositions du décret n° 2013-1314 et se heurterait pas conséquent aux actions prises par les pouvoirs publics sur son fondement.
80. En revanche, en l'absence de disposition réglementaire prévoyant une obligation d'accès aux infrastructures de stockage pour les carburants marins et les carburéacteurs, produits pétroliers qui ne font pas l'objet d'une réglementation, les incitations de la SARA à adopter une stratégie de verrouillage ne seront pas encadrées pour ces produits.
81. L'opération est donc susceptible de porter atteinte à la concurrence sur les marchés du stockage des carburants marins et carburéacteurs. Pour y remédier Rubis s'est engagée à ce que la SARA donne aux tiers un accès aux installations de stockage pour les produits non règlementés (carburéacteur et carburant marin), dans le respect du statut juridique, fiscal et douanier de la SARA et des obligations en découlant, à des conditions non discriminatoires à un prix orienté vers les coûts (tenant compte du principe de mutualisation des coûts et incluant une rémunération du capital).
82. En conséquence, sous réserve du respect des engagements proposés, qui seront détaillés plus loin, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés du stockage de produits pétroliers.
3. LES MARCHÉS DU TRANSPORT DE PRODUITS PÉTROLIERS
83. Il existe dans la zone Antilles-Guyane six oléoducs appartenant à la SARA et reliant ses installations (raffinerie ou dépôt de stockage) à des clients. Ainsi, en Martinique, la SARA dispose de trois oléoducs, le premier acheminant le carburéacteur jusqu'à l'aéroport de Fort-de-France, le deuxième acheminant du fioul lourd vers la centrale électrique d'EDF à Pointe des Carrières et le troisième transportant du GPL vers le centre emplisseur d'Antilles Gaz (Total). En Guadeloupe, un oléoduc achemine du carburéacteur jusqu'à l'aéroport de Pointe-à-Pitre, et un autre transporte du fioul lourd vers la centrale thermique de la société Péristyle. Enfin en Guyane, un oléoduc achemine du fioul vers la centrale électrique d'EDF à Dégrad-des-Cannes. Ainsi, la SARA dispose d'un monopole sur les infrastructures de transport par oléoduc dans les départements de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane.
84. Les oléoducs sont mis à la disposition des clients de la SARA, qui sont les GIE aéroportuaires [confidentiel], des clients industriels [confidentiel] ou des opérateurs pétroliers pour l'approvisionnement de leurs propres clients [confidentiel], par le biais de contrats de transport négociés de gré à gré.
85. Une stratégie de verrouillage de l'accès aux intrants pourrait consister pour Rubis à empêcher l'accès aux infrastructures de transport de produits pétroliers par oléoduc, ou à en augmenter le prix. Il convient donc d'examiner la capacité et l'incitation de la nouvelle entité à mettre en œuvre une telle stratégie.
86. S'agissant de la capacité de Rubis de mettre en œuvre une telle stratégie, il apparaît que les oléoducs de la SARA sont les seules infrastructures permettant de transporter massivement les produits raffinés de la raffinerie ou des dépôts de la SARA aux sites de certains clients. La seule alternative serait une livraison par cabotage ou par camion, beaucoup moins rapide.
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87. Or, aux termes de l'Accord Principal, Rubis pourra adopter seule les décisions relatives aux contrats conclus par la SARA à l'issue de l'opération. De plus, il ressort des éléments du dossier que certains contrats actuellement en vigueur entre la SARA et ses clients sont conclus pour des durées relativement courtes, égales à la durée pour laquelle l'opérateur pétrolier a obtenu un marché avec un client industriel, et contiennent une clause de résiliation permettant à la SARA de résilier les conventions avec un préavis de trois mois. Ainsi, Rubis serait en mesure de résilier ou ne pas renouveler les contrats de transport conclus entre la SARA et ses clients pour l'acheminement de carburants tels que le fioul ou le carburéacteur. Elle sera également en mesure d'augmenter les prix des tarifs de transport par ces oléoducs, ceux-ci ne faisant l'objet d'aucune réglementation.
88. S'agissant des incitations de Rubis à refuser l'accès aux infrastructures de transport par oléoduc de la SARA, celles-ci varient selon les clients concernés.
89. Pour les clients industriels, les incitations de Rubis à les discriminer ne devraient pas être significativement modifiées par l'opération, dans la mesure ils ne sont pas en concurrence avec Rubis sur les marchés aval.
90. Pour les GIE aéroportuaires, les incitations de Rubis à les discriminer ne devraient pas être significativement modifiées par l'opération, dans la mesure où les GIE, clients de la SARA pour le transport de carburéacteur par oléoduc, n'opèrent qu'au profit de leurs membres et sans exercer de discrimination entre eux, ainsi que cela ressort de leurs statuts. Or, Rubis est membre de l'ensemble de ces GIE. Cependant, s'agissant de la Guadeloupe, si Rubis est membre de [confidentiel], elle n'a aucun client dans l'aéroport de Pointe-à-Pitre et ne réalise donc aucune vente de carburéacteur en Guadeloupe. A l'issue de l'opération, Rubis aura donc une incitation à refuser ou à discriminer l'accès aux infrastructures de transport de carburéacteurs de la SARA dans ce département, dans le but de pénaliser Total et Sol, les principaux distributeurs de carburéacteurs dans la zone Antilles-Guyane.
91. Pour [confidentiel], la société ne contracte pas directement avec la SARA pour l'achat de son fioul lourd en Guadeloupe, mais est cliente de Total qui a lui même conclu un contrat de gré à gré avec la SARA [confidentiel]. Or, dans la mesure où Total est le principal concurrent de Rubis sur le marché aval de la vente hors réseau de fioul lourd aux clients industriels, sa part de marché s'élevant à [90-100] % en Guadeloupe, devant Rubis et Sol (respectivement [0-5] % chacun environ), il apparaît crédible que Rubis verrouille l'accès de ce concurrent aux infrastructures de la SARA, ce dernier étant totalement dépendant de la SARA pour approvisionner [confidentiel]. Un tel verrouillage aurait pour effet d'imposer au client de se tourner vers Rubis en tant que fournisseur de carburants si cette dernière était le seul opérateur pétrolier en mesure de conclure un contrat de transport de carburants par oléoduc entre sa centrale thermique et les dépôts de la SARA.
92. Dans ces conditions, l'intégration verticale qu'entraîne l'opération crée donc des incitations pour Rubis à refuser à ses concurrents l'accès à certains oléoducs de la SARA ou à en augmenter le prix et est susceptible de porter atteinte à la concurrence sur le marché du transport de produits pétroliers par oléoduc.
93. Pour y remédier, Rubis s'est engagée à ce que la SARA donne accès à ses infrastructures de transport par oléoduc à des conditions transparentes et non discriminatoires et à un prix orienté vers les coûts incluant une rémunération du capital, à tout opérateur en faisant la demande.
94. En conséquence, sous réserve du respect des engagements proposés, qui seront détaillés plus loin, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché du transport de produits pétroliers par oléoduc.
4. LES MARCHÉS DE LA FOURNITURE DE PRODUITS PÉTROLIERS
95. Du fait de son monopole sur les importations de produits pétroliers bruts, semi-finis et finis et en tant qu'exploitant de l'unique raffinerie et des dépôts de stockage de la zone Antilles-Guyane, la SARA dispose également d'un monopole de fait sur les marchés intermédiaires de la fourniture de carburants et de GPL aux distributeurs de produits pétroliers dans cette zone. A ce titre, elle fournit Rubis, Sol, Total, CAP, GPC et Cefber (26) en carburants routiers, gazole non routier, carburant marin, carburéacteur, fioul domestique, pétrole lampant, fioul lourd et GPL.
96. Une stratégie de verrouillage de l'accès aux intrants pourrait consister pour Rubis à empêcher l'accès de ses concurrents aux produits raffinés fournis par la SARA dans les trois départements concernés, ou à en détériorer les conditions, notamment en rendant plus difficile l'accès aux produits vendus par la SARA (horaires d'accès, informations quant aux fermetures exceptionnelles de la raffinerie, droits de chargement prioritaires, etc). Il convient donc d'examiner la capacité et l'incitation de la nouvelle entité à mettre en œuvre une telle stratégie.
97. S'agissant de la capacité de Rubis à mettre en place une telle stratégie, il convient de relever que l'article [confidentiel] de l'Accord Principal, [confidentiel], prévoit que les reprises de produits pétroliers et gaziers feront l'objet de contrats entre la SARA et les opérateurs sur le marché, et que ces contrats n'institueront pas de discrimination " injustifiée " entre les actionnaires et les autres opérateurs. Cette disposition s'applique à tous les produits vendus par la SARA, qu'ils fassent l'objet d'une réglementation tarifaire ou non.
98. De plus, le décret n° 2013-1314 et ses arrêtés d'application fixent chaque mois les prix maximum de " sortie raffinerie " des produits réglementés. S'agissant des produits non règlementés, l'article [confidentiel] de l'Accord Principal précise qu'en l'absence d'encadrement tarifaire pour un produit donné, les prix seront fixés par la SARA selon la même méthode que celle utilisée pour les produits réglementés et dispose par ailleurs, pour les carburants marins et les carburéacteurs, [confidentiel]. Dans les faits, la SARA applique actuellement à tous ses clients le prix maximum défini par arrêtés préfectoraux s'agissant des produits pour lesquels une réglementation existe. Il ressort également des éléments du dossier que la SARA applique à ses clients un tarif identique s'agissant des carburants marins et du carburéacteur, pour lesquels aucun prix maximum n'est fixé par les textes.
99. Interrogés dans le cadre du test de marché sur la possibilité pour la SARA d'opérer des discriminations, par exemple par le biais d'un approvisionnement préférentiel de ses actionnaires en cas de pénurie, les acteurs ont majoritairement indiqué qu'un tel scenario n'était pas envisageable et ne s'était jamais produit. Il apparaît en outre que les contrats actuellement en vigueur entre la SARA et ses clients pour la fourniture de produits pétroliers prévoient qu'en cas de stocks limités, les quantités de produits livrées seront calculées en proportion des besoins de tous les acheteurs du marché.
100. En dépit de ce qui précède, des discriminations tarifaires ou d'accès à l'issue de l'opération ne peuvent être exclues. En effet, s'agissant des produits réglementés, les arrêtés susmentionnés ne fixent que des prix maximum : ainsi, la SARA serait en mesure d'offrir des tarifs plus avantageux à Rubis, qui verrait ainsi ses marges augmenter, dans la limite des marges maximum fixées par arrêtés préfectoraux au niveau de la distribution de gros et de détail pour les distributeurs.
101. En outre, l'Accord Principal prohibe uniquement des discriminations " injustifiées " entre ses actionnaires et les tiers, sans préciser ni définir cette notion : il ne peut donc pas être exclu que des discriminations en faveur des actionnaires de la SARA, et en particulier de Rubis, soient opérées et justifiées, notamment dans la mesure où les charges des actionnaires quant à l'approvisionnement de la SARA vont être sensiblement augmentées du fait de l'opération. En effet, comme indiqué précédemment, préalablement à l'opération, une très grande majorité des ventes de la SARA dans la zone Antilles-Guyane était réalisée auprès de ses actionnaires, qui représentaient [80-90] % des ventes de la SARA et [90-100] % de son approvisionnement. L'opération se traduisant par un retrait de Total de l'actionnariat de la SARA, elle fait peser sur les actionnaires restants une charge d'approvisionnement beaucoup plus importante, alors même qu'il ressort des éléments du dossier que certains carburants sont difficiles à trouver dans la zone Antilles-Guyane, du fait de l'exigence des normes européennes.
102. Il convient par ailleurs de souligner que Rubis dispose d'une majorité suffisante au conseil d'administration de la SARA pour imposer les décisions relatives aux contrats de vente de produits. Il ne peut donc pas non plus être exclu à ce stade que, du fait de l'opération notifiée, Rubis modifie les contrats actuels, dont la durée est souvent relativement courte. Ainsi, il n'est pas certain que les contrats de vente de produits pétroliers et de GPL continuent de prévoir, à l'issue de l'opération, le principe d'un approvisionnement calculé au prorata des besoins du marché en cas de stocks limités.
103. S'agissant des incitations de Rubis à opérer des discriminations envers ses concurrents sur le marché de la fourniture de produits pétroliers et de GPL, l'examen des parts de marché de Rubis et de ses concurrents sur les marchés aval de la distribution de produits pétroliers et de GPL permet de constater qu'en dehors de Sol, aucun opérateur concurrent de Rubis ne sera intégré verticalement, [50-60] % des ventes en aval étant effectuées par des opérateurs sans lien capitalistique avec la SARA à l'issue de l'opération.
104. Dans ce contexte, toute discrimination tarifaire serait profitable pour Rubis, ses concurrents sur les marchés aval, notamment Total, le principal concurrent de Rubis sur tous les marchés concernés, n'ayant pas d'autres sources d'approvisionnement. Les marchés aval étant caractérisés par une concurrence en prix, Rubis tirerait avantage d'une baisse de ses prix d'achat de produits raffinés en proposant des prix moins élevés que ses concurrents à l'aval. En effet, pour les produits non règlementés (carburéacteur et carburant marin), les ventes se font par le biais d'appels d'offres donnant lieu à des contrats relativement courts (de 10 jours à deux ans) permettant aux clients de mettre régulièrement les opérateurs pétroliers en concurrence. Pour les produits règlementés, le décret n° 2013-1314 et ses arrêtés d'application ne fixant que des prix maximum, une concurrence en prix est également possible. Ainsi, s'agissant du marché aval de la vente hors réseau de produits pétroliers, la partie notifiante indique que " sur les marchés de la vente hors réseau, les contrats sont négociés avec les clients sur la base d'appels d'offres ou de gré à gré, en fonction des clients. La concurrence entre fournisseurs se fait sur la base de critères divers et variés, tels que les services fournis, la mise à disposition de matériel, les délais de livraison et les conditions de paiement consenties [...] des remises peuvent être octroyées, généralement en fonction des volumes achetés et/ou d'autres critères tels que la mise à disposition de matériel ".
105. Par ailleurs, Rubis sera également incitée à opérer des discriminations dans les conditions d'accès aux produits raffinés de la SARA. En effet, il ressort des éléments du dossier et du test de marché que la réactivité et la fiabilité des distributeurs de carburants sont des éléments importants leur permettant d'être plus compétitifs sur les marchés aval de la distribution. Par conséquent, dans l'hypothèse où Rubis disposerait de conditions d'accès plus favorables aux produits pétroliers et GPL vendus par la SARA, telles que, par exemple, des horaires d'ouverture plus larges ou un droit de priorité en cas de stocks limités, elle pourrait en tirer avantage sur les marchés aval, en dégradant l'offre de ses concurrents qui ne sont pas intégrés verticalement.
106. L'opération est donc susceptible de porter atteinte à la concurrence sur les marchés de la fourniture de produits pétroliers et de GPL dans la zone Antilles-Guyane. Pour y remédier Rubis s'est engagée à ce que la SARA approvisionne tout tiers en carburants et GPL à des conditions transparentes et non discriminatoires.
107. En conséquence, sous réserve du respect des engagements proposés, qui seront détaillés ci-après, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés de la fourniture de produits pétroliers et de GPL.
C. LES ENGAGEMENTS
1. LES ENGAGEMENTS PROPOSÉS
108. Afin de remédier aux effets anticoncurrentiels de l'opération sur les marchés de l'approvisionnement en produits pétroliers semi-finis ou finis, du stockage de produits pétroliers, du transport de produits pétroliers par oléoduc et de la fourniture de produits pétroliers et de GPL en Guyane, Guadeloupe et Martinique, Rubis a déposé, le 26 mars 2015, une proposition d'engagements. Ces derniers ont fait l'objet d'un test de marché auprès des concurrents et clients, qui a conduit à les modifier. Ils ont été formulés de manière définitive le 5 mai 2015. Le texte de ces engagements, joint en annexe, fait partie intégrante de la présente décision.
109. Les engagements proposés portent sur quatre marchés sur lesquels Rubis s'engage, pour une période de cinq ans qui peut être renouvelée une fois :
- à maintenir à leur niveau actuel les coûts additionnels liés à l'approvisionnement de la SARA en produits pétroliers finis et semi-finis, c'est à dire tels que proposés aux préfets de Guadeloupe, Guyane et Martinique en application de l'arrêté du 5 février 2014 relatif à la mise en œuvre du décret n° 2013-1314 du 27 décembre 2015, et pris en compte pour le mois d'avril 2015, sans préjudice de la faculté de la SARA de répercuter, le cas échéant, des augmentations de coûts résultant de circonstances extérieures (telle par exemple que l'évolution des normes règlementaires applicables aux produits pétroliers), à condition qu'elles soient dûment justifiées ;
- à conférer aux tiers un accès aux installations de stockage de la SARA, y compris les installations d'appontement et de déchargement, pour les produits qui ne font pas l'objet d'une réglementation tarifaire (carburéacteur et carburant marin) dans le respect du statut juridique, fiscal et douanier de la SARA, à des conditions non discriminatoires et à un prix orienté vers les coûts, incluant une rémunération raisonnable du capital ;
- permettre un accès des tiers aux infrastructures de transport par oléoduc de la SARA, incluant les installations d'appontement et de déchargement, à des conditions transparentes et non discriminatoires et à un prix orienté vers les coûts incluant une rémunération raisonnable du capital, à tout opérateur en faisant la demande, sous réserve que ce dernier dispose de la qualité ou autorisation nécessaire lui permettant d'acheter des carburants et du GPL en exemption de droits et taxes (tels que les statuts d'entrepositaire agréé, de destinataire enregistré ou de producteur d'électricité) ; - à ce que la SARA approvisionne tout tiers en carburants et GPL à des conditions transparentes et non discriminatoires, sous réserve que ce dernier dispose de la qualité ou autorisation nécessaire lui permettant d'acheter des carburants et du GPL en exemption de droits et taxes (tels que les statuts d'entrepositaire agréé, de destinataire enregistré ou de producteur d'électricité).
110. Rubis s'engage également à nommer un mandataire indépendant qui aura pour mission de s'assurer de l'exécution satisfaisante des engagements. Il sera notamment chargé de superviser la mise en œuvre de l'accès non discriminatoire des tiers aux infrastructures de stockage et de transport, des conditions tarifaires de cet accès et de la fourniture de produits pétroliers par la SARA. Ce mandataire devra être proposé à l'agrément de l'Autorité dans les 15 jours ouvrés suivant la présente décision.
2. L'APPRÉCIATION DES MESURES PROPOSÉES
111. S'agissant du marché de l'approvisionnement en produits pétroliers finis et semi-finis, l'engagement proposé de maintenir les coûts additionnels d'importation à leur niveau actuel empêchera toute augmentation des prix de la nouvelle entité à l'issue de l'opération dans la mesure où seuls les coûts additionnels ne sont pas réglementés.
112. Certains opérateurs interrogés dans le cadre du test de marché ont considéré qu'un engagement consistant à fixer un plafond, à leur niveau actuel, pour les frais additionnels liés aux importations de produits semi-finis et finis par la SARA, serait insuffisant pour remédier aux atteintes à la concurrence identifiées, préconisant plutôt un recours à des appels à concurrence, voire à un raffinage, par la SARA, de pétrole brut importé directement par des tiers.
113. Toutefois, il ressort des lignes directrices de l'Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations que l'Autorité veille à ce que " les mesures correctrices soient nécessaires et proportionnées, c'est-à-dire que les charges imposées aux entreprises, qui vont à l'encontre du principe de la liberté d'entreprendre, soient strictement nécessaires pour maintenir ou rétablir une concurrence suffisante et que le même résultat ne peut pas être obtenu par d'autres mesures moins contraignantes " (27). Il ressort de ce qui précède que l'Autorité applique, lorsqu'elle évalue le caractère suffisant d'un engagement proposé, un principe de proportionnalité au titre duquel elle recherche uniquement si l'engagement est suffisant pour pallier les atteintes à la concurrence identifiées sur le marché en cause. Le Conseil d'Etat a jugé, à ce sujet, qu'il incombe à l'Autorité d'user de son pouvoir de subordination à la réalisation effective d'engagements " à proportion de ce qu'exige le maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés affectés par l'opération " (28). Il en résulte que l'objet des engagements ne saurait être d'améliorer la situation concurrentielle préexistante à l'opération, mais uniquement de remédier de manière suffisante aux risques spécifiques d'atteinte à la concurrence engendrés par celle-ci.
114. En l'espèce, l'engagement proposé apparaît de nature à maintenir la concurrence à son niveau antérieur à l'opération, dans la mesure où les coûts pris en compte au titre du mois d'avril 2015 sont les mêmes que ceux retenus chaque mois depuis 2012 et où le risque identifié résidait précisément dans une augmentation de ces coûts. Par conséquent, l'engagement permet de répondre au risque identifié sur les marché de l'approvisionnement en produits pétroliers finis et semi-finis dans la zone Antilles-Guyane.
115. S'agissant du marché du stockage de produits pétroliers non règlementés, l'engagement proposé de donner aux tiers un accès aux dépôts de la SARA à des conditions non discriminatoires et à un prix orienté vers les coûts, incluant une rémunération raisonnable du capital, permettra aux concurrents d'importer directement ces produits sans passer par la SARA.
116. A cet égard, il convient de noter que la raffinerie de la SARA, située en Martinique, dispose du statut d'usine exercée, statut spécifique prévu par le code des douanes et qui a notamment pour conséquence de faire obstacle au stockage de produits importés non raffinés sur place dans les dépôts situés au sein de la raffinerie, sauf situation exceptionnelle telle que l'arrêt de la raffinerie pour maintenance. Ainsi, le statut actuel des capacités de stockage situées au sein de la raffinerie du Lamentin ne permet pas d'y stocker des carburants marins et carburéacteurs pour le compte d'opérateurs tiers. Toutefois, dans la mesure où il apparaît envisageable que le statut d'usine exercée puisse coexister avec celui d'entrepôt fiscal de stockage, lequel ne fait pas obstacle au stockage de produits importés, Rubis s'est également engagée à demander au service des douanes compétent le statut d'entrepôt fiscal de stockage pour une partie des capacités de stockage de produits non règlementés au sein de la raffinerie de la SARA.
117. En outre, l'engagement proposé concerne non seulement les dépôts de stockage, mais également les infrastructures d'appontements et de déchargement y afférentes, le test de marché ayant révélé qu'un accès à ces infrastructures était indispensable pour permettre d'accéder de manière effective à certaines capacités de stockage.
118. Cet engagement permet ainsi de répondre au risque identifié sur le marché du stockage, dans la mesure où il permettra aux concurrents de Rubis, immédiatement dans les départements de la Guadeloupe et de la Guyane, après obtention du statut d'entrepôt fiscal pour la raffinerie en Martinique, un accès aux capacités de stockage nécessaires pour, d'une part, s'acquitter d'une partie de leurs obligations de stockage stratégique et, d'autre part, procéder éventuellement à leurs propres importations de carburéacteur et de carburant marin. Ainsi, la demande de statut d'entrepôt fiscal de stockage en Martinique devra nécessairement porter sur des capacités de stockage suffisantes pour permettre de couvrir ces besoins.
119. S'agissant du marché du transport de produits pétroliers par oléoduc, l'engagement proposé de donner aux tiers un accès aux oléoducs de la SARA à des conditions non discriminatoires et à un prix orienté vers les coûts, incluant une rémunération raisonnable du capital, empêchera Rubis de discriminer l'accès aux infrastructures de la SARA.
120. A cet égard, si l'engagement précise que les tiers devront disposer de la qualité ou de l'autorisation nécessaire leur permettant d'acheter des carburants et du GPL en exemption de droits et taxes (tels que les statuts d'entrepositaire agréé, de destinataire enregistré ou de producteur d'électricité), il s'applique aux demandes émanant de tous les clients actuels de la SARA, opérateurs pétroliers et clients industriels. En effet, il ressort des éléments du dossier que tous disposent d'ores et déjà des autorisations nécessaires pour acheter des carburants et du GPL en exemption de droits et taxes.
121. L'engagement s'applique également aux installations d'appontement et de déchargement nécessaires pour utiliser de manière effective les oléoducs en cause. Les acteurs interrogés ont majoritairement considéré que cet engagement était utile et suffisant pour remédier aux risques d'atteinte à la concurrence identifiés par ce marché.
122. Cet engagement permet ainsi de répondre au risque identifié sur le marché du transport de produits pétroliers par oléoduc dans la zone Antilles-Guyane.
123. S'agissant du marché de la fourniture de produits pétroliers, l'engagement proposé d'approvisionner tout tiers en carburants et GPL à des conditions transparentes et non discriminatoires empêchera la SARA de favoriser Rubis vis-à-vis de ses concurrents sur les marchés aval.
124. Cet engagement a également vocation à s'appliquer à tous les clients actuels de la SARA, opérateurs pétroliers, gaziers ou clients industriels, dans la mesure où tous disposent des autorisations nécessaires pour acheter des carburants ou du GPL en exemption de droits et taxes. Les acteurs interrogés sur cet engagement ont majoritairement considéré qu'il était utile et suffisant pour répondre aux risques d'atteinte à la concurrence identifiés sur ce marché.
125. Cet engagement permet ainsi de répondre au risque identifié sur le marché de la fourniture de produits pétroliers dans la zone Antilles-Guyane en restaurant la situation qui prévalait avant la concentration.
126. En conséquence, l'Autorité considère que les engagements proposés sont suffisants pour éliminer les risques d'atteintes à la concurrence résultant de l'opération.
IV. Restrictions accessoires
127. L'accord signé par Total et Rubis comporte en annexe un contrat d'assistante technique et administrative, fournie par Total à la SARA à l'issue de l'opération, lequel contient en outre une clause de non-sollicitation à la charge des deux parties.
1. L'ASSISTANCE TECHNIQUE ET ADMINISTRATIVE A LA CHARGE DU VENDEUR
128. Aux termes du contrat d'assistance technique et administrative, Total fournira à la SARA des prestations de nature technique (assistance et conseil en matière environnementale, de procédures de maintenance, d'inspection et de réalisation de travaux d'entretien courant, d'analyse des pétroles bruts, de projets d'investissements, etc.) et administrative (conseils en matière de procédure ou d'organisation des achats, d'assurances, d'informatique dans le domaine douanier, etc).
129. La partie notifiante indique que, préalablement à l'opération, et depuis la création de la SARA, ces services étaient rendus en intragroupe par Total à la SARA, et le contrat en cause dispose dans son préambule que " La SARA entend, à l'issue du contrat, disposer de l'expertise, des solutions et des ressources nécessaires afin de ne plus recourir aux services du Prestataire et opérer elle-même la gestion technique et administrative décrite ci-dessus ".
130. La communication de la Commission sur les restrictions accessoires dispose que " les accords nécessaires à la réalisation d'une opération de concentration visent normalement à protéger la valeur cédée, à maintenir la continuité d'approvisionnement après la scission d'une ancienne entité économique ou à permettre à une nouvelle entité de démarrer ".
131. Ainsi, si un contrat d'assistance technique peut apparaître comme étant nécessaire pour assurer à la nouvelle entité une période transitoire lui permettant de démarrer, notamment en assimilant le savoir faire administratif et technique nécessaire, de tels contrats ne sont justifiés par l'objectif légitime de réalisation de la concentration que dans la mesure où leur durée et leur portée matérielle n'excède pas ce qui est raisonnablement nécessaire à cette fin.
132. En l'espèce, le contrat est conclu pour une durée de [...] ans à compter de la date à laquelle Total cessera d'être actionnaire de la SARA, [confidentiel]. Ce contrat constitue donc une restriction directement liée et nécessaire à l'opération, sous réserve de l'examen de son article 10, relatif à la non-sollicitation des employés.
2. LA NON-SOLLICITATION DES EMPLOYÉS
a) Les obligations à la charge du vendeur
133. L'article 10 du contrat d'assistance technique et administrative prévoit que les parties s'engagent, pendant la durée du contrat et pour une période de [...] ans suivant sa réalisation ou son expiration, à ne pas, directement ou indirectement, solliciter ou recruter les employés de l'autre partie.
134. Si une clause de non concurrence ou de non débauchage peut apparaître comme étant nécessaire à l'acquéreur pour bénéficier d'une certaine protection contre la concurrence du vendeur, de manière à être notamment en mesure de fidéliser la clientèle, ainsi que d'assimiler et exploiter le savoir faire, de telles clauses ne sont justifiées par l'objectif légitime de réalisation de la concentration que dans la mesure où leur durée, leur champ d'application territorial et leur portée matérielle et personnelle n'excède pas ce qui est raisonnablement nécessaire à cette fin.
135. Le point 20 de la communication de la Commission sur les restrictions accessoires dispose à cet égard que " les clauses de non-concurrence se justifient pour des périodes n'excédant pas trois ans lorsque la cession de l'entreprise inclut la fidélisation de la clientèle sous la forme à la fois du fonds commercial et du savoir-faire ". Son point 22 ajoute, s'agissant du champ d'application territorial des clauses de non-concurrence ou de non-sollicitation, que " la portée géographique d'une clause de non-concurrence doit être limitée à la zone où le vendeur offrait les produits ou les services en cause avant la cession, puisque l'acquéreur n'a pas besoin d'être protégé de la concurrence du vendeur dans les territoires où ce dernier n'était pas présent auparavant " (point 22).
136. En l'espèce, la clause de non-sollicitation stipulée dans le contrat de cession constitue une restriction directement liée et nécessaire sous réserve qu'elle se limite à une durée de 3 ans, pour la seule zone Antilles-Guyane.
b) Les obligations à la charge de l'acquéreur
137. L'article 10 du contrat d'assistance technique et administrative fait peser l'obligation de non-sollicitation à la fois sur le vendeur et sur l'acquéreur.
138. La communication de la Commission sur les restrictions accessoires dispose toutefois qu' " en règle générale, soit les restrictions en faveur du vendeur ne sont tout simplement pas directement liées et nécessaires à la réalisation de la concentration, soit elles doivent avoir une portée et/ou une durée plus limitées que celles des clauses en faveur de l'acquéreur " (point 17).
139. En l'espèce, la clause concernée se justifie par le fait que l'opération aura pour effet de mettre fin à l'intégration verticale du vendeur, alors même qu'il restera actif sur les marchés aval et continuera de faire face à la concurrence de la nouvelle entité, verticalement intégrée sur ces marchés et en situation de monopole sur les marchés amont. En revanche, conformément à la communication de la Commission précitée, sa durée devrait être plus limitée que celle en faveur de l'acquéreur.
140. Par conséquent, la clause de non-sollicitation stipulée dans le contrat de cession constitue une restriction directement liée et nécessaire sous réserve qu'elle se limite à une durée de 2 ans, pour la seule zone Antilles-Guyane.
DECIDE
Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 14-206 est autorisée sous réserve des engagements décrits ci-dessus et annexés à la présente décision.
Note :
1 Article [confidentiel] de l'Accord Principal
2 Ont été exclus du chiffre d'affaires les chiffres d'affaires internes, réalisés par la SARA avec ses actionnaires Rubis et Sol.
3 Voir notamment la lettre du ministre C2006-37 du 19 avril 2006, Vermillon/Esso, la décision de l'Autorité de la concurrence n° 11-DCC-203 du 20 décembre 2011 relative à l'acquisition par le groupe Vermilion de six concessions de mine d'hydrocarbures liquides et gazeux et la décision de la Commission européenne IV/M.1383 - Exxon/Mobil du 29 septembre 1999.
4 Avis n° 09-A-21 du 24 juin 2009 sur la situation de la concurrence sur les marchés des carburants dans les départements d'outre-mer ; Avis n° 13-A-21 du 27 novembre 2013 relatif aux projets de décrets réglementant le prix des carburants et du gaz de pétrole liquéfié dans les départements d'outre-mer ; Décision n° 11-DCC-102 précitée.
5 Directive 98/70/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 1998, concernant la qualité de l'essence et des carburants diesel et modifiant la directive 93/12/CEE du Conseil. Cette directive vise, dans le cadre d'un programme commun à la Commission, l'industrie pétrolière et l'industrie automobile à réduire les émissions de gaz d'échappement. Elle définit des spécifications minimales relatives à l'essence et aux carburants diesel destinés aux applications mobiles routières et non routières, qui sont motivées par des considérations liées à la protection de la santé et de l'environnement. Cette directive a été notamment modifiée par la directive 2009/30/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 en ce qui concerne les spécifications relatives à l'essence, au carburant diesel et aux gazoles.
7 Décisions de la Commission européenne n° COMP/M.1621 - Compagnie Nationale de Navigation/Sogelfa/Cim du 1er décembre 1997 et n° COMP/M.6644 - APG/PGGM/Challenger LBC Terminals du 31 août 2012, et Décision de l'Autorité de la concurrence n° 14-DCC-167 du 13 novembre 2014 relative à la prise de contrôle exclusif de la Société du Pipeline Sud-Européen par Total SA.
8 Voir notamment la décision de la Commission européenne n° COMP/M. 1464 - Total/Petrofina du 26 mars 1999, la décision du Conseil de la concurrence n° 03-D-41 du 4 août 2003 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la SA Dyneff à l'encontre de la société Total France et certaines de ses filiales sur les marchés afférents à la commercialisation de produits pétroliers raffinés dans le sud de la France, la lettre du Ministre C2008-68 du 27 août 2008, aux conseils de la société Macquarie, relative à une concentration dans le secteur du stockage d'hydrocarbures et la décision de l'Autorité de la concurrence n° 14-DCC-167 du 13 novembre 2014 relative à la prise de contrôle exclusif de la Société du Pipeline Sud-Européen par Total SA.
9 Voir les décisions précitées et notamment la lettre du ministre C2008-68 et la décision de l'Autorité n° 14-DCC-167.
10 Le caractère stratégique des produits pétroliers a conduit la France à imposer aux opérateurs la détention de stocks pour parer les conséquences d'une pénurie d'une source d'énergie polyvalente indispensable à l'économie. En pratique, l'obligation de réaliser des stocks stratégiques incombe à chaque opérateur agréé, en l'espèce les distributeurs de carburants et EDF ; voir notamment la directive n° 2009/119/CE du Conseil européen du 14 septembre 2009 faisant obligation aux Etats membres de maintenir un niveau minimal de stocks de pétrole brut et/ou de produits pétroliers ; le code de l'énergie et notamment ses articles L. 142-1 et suivants, le code de la défense et l'arrêté du 13 décembre 1993 modifié relatif à la constitution des stocks stratégiques pétroliers dans les DOM.
11 Décision de la Commission européenne COMP/M.1628 précitée.
12 Décision de l'Autorité n° 14-DCC-167 précitée.
13 Voir notamment les décisions de la Commission européenne n° IV/M.1383 et COMP/M.1464 précitées.
14 Ibid.
15 Avis n° 09-A-21 du 24 juin 2009 sur la situation de la concurrence sur les marchés des carburants dans les départements d'outre-mer ; avis n° 13-A-21 du 27 novembre 2013 relatif aux projets de décrets réglementant le prix des carburants et du gaz de pétrole liquéfié dans les départements d'outre-mer.
16 Avis du Conseil de la concurrence n° 88-A-04 du 16 mars 1988.
17 Avis de l'Autorité de la concurrence n° 09-A-21 du 24 juin 2009 relatif à la situation de la concurrence sur les marchés des carburants dans les départements d'outre-mer.
18 Avis n° 13-A-21 du 27 novembre 2013 relatif aux projets de décret réglementant le prix des carburants et du gaz de pétrole liquéfié dans les départements d'Outre Mer.
19 Arrêté du 5 février 2014 relatif à la mis en œuvre du décret n° 2013-1314 du 27 décembre 2013 réglementant les prix des produits pétroliers ainsi que le fonctionnement des marchés de gros pour la distribution de ces produits dans les départements de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Martinique.
20 Voir par exemple, au niveau national, les décisions de l'Autorité n° 11-DCC-34 du 25 février 2011 relative à l'acquisition du contrôle exclusif de Ne Varietur par GDF Suez, n° 13-DCC-90 du 11 juillet 2013 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Monoprix par la société Casino Guichard-Perrachon et n° 13-DCC-137 du 1er octobre 2013 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Transdev Group (ex-Veolia Transdev) par la Caisse des Dépôts et Consignations ainsi qu'au niveau européen, la décision de la Commission européenne du 17 décembre 2008 n° COMP/M.5141 KLM/Martinair.
21 Décision COMP/M.1464 précitée.
22 Avis n° 13-A-21 précité.
23 A l'exception de Sol qui a des participations dans la SARA, mais n'en détient pas le contrôle.
24 Rapport rendu conjointement par l'inspection générale des finances, le conseil général des mines et l'inspection générale de l'administration sur demande du ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, de la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, de la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique et du secrétaire d'Etat chargé de l'outre-mer.
25 Lignes directrices de l'Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations, §466.
26 Des réquisitions préfectorales ont également imposé à la société EDF, entre 2009 et 2014, de s'approvisionner en fioul lourd auprès de la SARA, au prix maximum de " sortie raffinerie ".
27 Paragraphe 574 des Lignes directrices
28 CE Assemblée, 23 décembre 2013, Sociétés M6 et TF1, n° 363702, 363719, au Recueil, point 3