CA Bastia, ch. civ. B, 24 juin 2015, n° 13-00404
BASTIA
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Bianc' & Neru (SARL)
Défendeur :
Notin
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Piazza
Conseillers :
Mmes Luciani, Rouy-Fazi
Avocats :
Mes Citolleux, Guiseppi
A la suite de la livraison de vêtements, dans le cadre de "contrats de partenariat" passés en avril et novembre 2010 entre Mlle Marie-Pierre Notin et la SARL Bianc' & Neru, aux termes desquels Mlle Notin s'engageait à commercialiser, dans sa boutique de Bonifacio, les produits de la marque Bianc' & Neru, une ordonnance d'injonction de payer rendue le 29 novembre 2011 par le président du Tribunal de commerce d'Ajaccio, la condamnait à payer à la SARL Bianc' & Neru la somme principale de 24 750,69 euro, outre les intérêts et frais de procédure.
Mlle Marie-Pierre Notin formait opposition à cette injonction dans les formes et délais légaux. Elle soutenait devant le tribunal que le contrat était nul pour absence de cause, au sens des dispositions de l'article 1131 du Code civil, en raison d'une contrepartie insuffisante par la société contractante, à son obligation d'approvisionnement exclusif. A titre subsidiaire, elle faisait valoir la violation des normes européennes en matière de fixation de prix, de la part de la SARL Bianc' & Neru, en lui imposant des prix de revente. Au final, elle sollicitait la somme de 22 812,57 euro, à titre de dommages intérêts, à compenser avec les sommes restant éventuellement dues à la SARL Bianc' & Neru.
Dans le jugement déféré du 25 mars 2013, le Tribunal de commerce d'Ajaccio a :
- déclaré nul le contrat de partenariat passé entre Mlle Notin et la SARL Bianc' & Neru,
- condamné la SARL Bianc' & Neru à payer à Mlle Notin la somme de 22 812,57 euro à titre de dommages intérêts,
- ordonné la compensation des sommes à devoir au titre des marchandises,
- débouté la SARL Bianc' & Neru de toutes autres demandes fins et conclusions,
- rejeté toutes autres demandes fins et conclusions contraires à la présente décision.
La SARL Bianc' & Neru a relevé appel de cette décision par déclaration au greffe du 17 mai 2013.
Par ordonnance du magistrat de la mise en état du 2 janvier 2014, Me Janie Borie huissier de justice à Bonifacio, a été désigné pour procéder à l'inventaire du stock de marchandises détenues par Mlle Notin. Il y procédait le 5 avril 2014.
Dans ses dernières écritures du 10 novembre 2014, la SARL Bianc' & Neru sollicite l'infirmation du jugement et la condamnation de Mlle Notin au paiement, au principal, de la somme de 24 750,69 euro assortie des intérêts légaux, depuis la sommation de payer du 23 septembre 2011, et à titre de dommages intérêts distincts des intérêts moratoires, la somme de 211,38 euro. A titre subsidiaire, elle sollicite la condamnation de l'appelante au paiement de la somme de 19 266,24 euro assortie des intérêts légaux, depuis la sommation de payer en date du 23 septembre 2011, et à titre de dommages intérêts distincts des intérêts moratoires, la somme de 211,38 euro. Elle fait notamment valoir qu'il n'existe aucune cause de nullité du contrat, le défaut éventuel de sa part d'animation d'une opération commerciale, à le supposer établi, et de son fait, n'étant pas une cause de nullité du contrat, pas plus que les prétendus retards ou erreurs de livraison, et qu'elle a respecté les termes du contrat. Elle ajoute que l'intimée reste redevable d'un solde de factures demeurées impayées, d'un montant de 24 750,69 euro, ou de 19 266,24 euro si le montant des invendus 2011 devait en être déduit.
Dans ses écritures du 9 septembre 2014, Mlle Marie-Pierre Notin demande à la cour de confirmer la décision, de dire qu'il y a lieu à remise en état par équivalent, à titre infiniment subsidiaire, de constater que la SARL Bianc' & Neru a violé l'article de l'article 4a du règlement n° 330/2010 de l'UE en lui imposant des prix de revente, de fixer à la somme de 22 812,57 euro les dommages intérêts dus en réparation de son préjudice, et d'ordonner la compensation de cette somme avec les sommes éventuellement dues, de débouter l'appelante du surplus de ses demandes, et de la condamner à lui payer une indemnité de procédure de 2 000 euro.
L'instruction a été clôturée par une ordonnance en date du 11 février 2015 qui a fixé l'audience de plaidoiries au 17 avril 2015. A cette date, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 24 juin 2015.
SUR CE
Sur la nullité du contrat :
Mlle Notin invoque deux moyens à l'appui de sa demande de nullité : à titre principal, l'absence de cause au sens des dispositions de l'article 1131 du Code civil, en ce qu'il y a aurait un déficit de contrepartie par la société contractante de l'obligation d'approvisionnement exclusif, et à titre subsidiaire, la violation des normes européennes en matière de fixation de prix, l'intimée lui ayant imposé des prix de revente.
Sur le premier moyen, il se déduit des "accords de partenariat" passés successivement en avril et novembre 2010 entre les parties, qualifiés de contrat de distribution exclusive à juste titre par le tribunal, que l'appelante s'engageait, en contrepartie de l'exclusivité que lui concédait Mlle Notin aux obligations suivantes qui n'apparaissent, a priori, ni dérisoires ni déséquilibrées :
- mettre à disposition l'enseigne de la marque,
- lui faire bénéficier de la communication sur la marque contre rémunération de 500 euro,
- communiquer son savoir-faire et ses techniques de vente (agencement, tenue de boutique...),
- lui proposer l'appui d'une agence de conseil en développement commercial contre participation de 1 000 ou 1 500 euro,
- lui assurer "un dialogue permanent" pour recueillir partager et traiter les informations,
- livrer dans les délais selon le référencement déterminé,
- sous réserve de possibilité de déstockage, reprendre les fins de séries en état à raison de 2 euro TTC la pièce,
- sous certaines conditions, reprendre les invendus.
Le tribunal ne pouvait annuler le contrat au seul motif que Mme Notin n'aurait pas bénéficié de l'action commerciale de l'agence de conseil, bien qu'elle prétende, sans d'ailleurs en justifier, qu'elle ait payé 500 euro à cette fin, en considération du paiement a minima très partiel de cette prestation, de la visite le 17 juin 2011 sur site de ladite agence dont il est produit le compte rendu, et surtout, s'agissant d'une obligation de "proposition" de la part de la société, du caractère facultatif de cette prestation.
Il n'est pas, par ailleurs, justifié d'un retard de livraison de la SARL Bianc' & Neru, qui démontre que 3 459 articles des 4 705 commandés pour la saison estivale 2011 avaient été livrés avant Pâques, et même, pour la moitié d'entre eux, avant le 23 mars 2011, alors encore qu'il est pareillement justifié que les commandes de Mme Notin se sont étalées pour la même saison du 8 février jusqu'au 26 mai 2011.
Le second moyen sera également écarté, puisque l'article 4a du règlement 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010, qui interdit les accords qui restreignent la capacité de l'acheteur de déterminer son prix de vente "sans préjudice de la possibilité pour le fournisseur d'imposer un prix de vente maximal ou de recommander un prix de vente, à condition que ces derniers n'équivalent pas à un prix de vente fixe ou minimal sous l'effet de pressions exercées ou d'initiatives par l'une des parties" ne s'applique pas lorsque, comme en l'espèce, le distributeur bénéficie, en vertu du contrat qui le lie à son fournisseur, de la liberté de fixer le prix de revente de ses produits, et que les circonstances de l'espèce n'apportent pas la preuve de l'existence d'une contrainte, exercée par le fournisseur, dans la fixation du prix de revente par son distributeur, cette contrainte n'étant ni justifiée ni même invoquée.
Le jugement qui a prononcé la nullité du contrat sera donc infirmé.
Sur la résolution du contrat :
Il est établi et non contesté par les parties que le contrat de partenariat qu'elles ont conclu n'a pas survécu au-delà du refus de paiement des lettres de change survenu au cours de l'été 2011.
La SARL Bianc' & Neru en demande la résolution, en considération de l'inexécution fautive par Mlle Notin de son obligation de payer les marchandises livrées. Elle poursuit en effet, le paiement deux factures demeurées partiellement impayées, correspondant à des livraisons de commandes non discutées par l'intimée :
- l'une, du 3 mai 2011, d'un montant de 46 065,88 euro pour le paiement de laquelle, seules deux lettres de change de 9 213,17 euro chacune, ont été payées, la troisième du même montant ayant été rejetée le 16 août 2011 pour provision insuffisante, et les autres non payées, soit un solde de 27 639,54 euro,
- l'autre, du 22 juin 2011, d'un montant de 19 795,74 euro, payée à l'aide de trois lettres de change de 6 598,58 euro chacune, la première ayant été rejetée le 27 juillet 2011 pour provision insuffisante, et les autres non payées, soit un solde de 19 795,74 euro.
Il convient de déduire du solde de ces deux factures demeurées impayées :
- l'avoir de 19 684,59 euro établi le 8 septembre 2011 après retour d'invendus 2011,
- la somme de 3 000 euro payée le 26 septembre 2011 par Mme Notin.
Il est donc justifié que Mlle Notin, qui, au demeurant, ne conteste ni le principe ni le montant de sa dette dans un courrier du 15 septembre 2011 adressé à la SARL Bianc' & Neru (exception faite de la valeur des marchandises 2010 non reprises soit la somme de 2 143,11 euro), reste redevable envers la société appelante de la somme de 24 750,69 euro, productive des intérêts au taux légal à compter de la sommation de payer du 23 septembre 2011.
Il sera donc fait droit à la demande de résolution du contrat, aux torts de Mlle Marie-Pierre Notin, la remise en état des parties comme si le contrat n'avait jamais existé impliquant, notamment, la restitution par celle ci des marchandises conservées, à savoir celles qui ont fait l'objet de l'inventaire contradictoire de Me Janie Borie, huissier de justice, commis par ordonnance du 2 janvier 2014 du conseiller de la mise en état, contre déduction, après restitution effective, de la valeur de cet ultime stock, évalué par l'appelante à la somme, non discutée par Mlle Notin, de 5 485,45 euro.
Enfin, la résolution fautive aux torts de Mlle Notin du contrat justifie qu'il soit fait droit à la demande en paiement de 211,38 euro à titre de dommages intérêts, dont il est justifié par l'appelante au titre des frais d'huissier engagés.
Sur les autres demandes :
L'équité commande de condamner Mlle Notin au paiement d'une indemnité de procédure de 1 000 euro à la société appelante.
Mlle Notin qui succombe supportera les dépens de première instance et d'appel.
Par ces motifs, LA COUR : Infirme le jugement entrepris, Statuant à nouveau, Déclare recevable et mal fondée l'opposition formée par Mlle Marie-Pierre Notin de l'ordonnance d'injonction de payer, prise le 29 novembre 2011, par le président du Tribunal de commerce d'Ajaccio, Prononce la résolution du contrat passé entre SARL Bianc' & Neru et Mlle Marie-Pierre Notin aux torts de celle-ci, Condamne Mlle Marie Pierre Notin à payer à la SARL Bianc' & Neru la somme de vingt-quatre mille sept cent cinquante euros et soixante-neuf centimes (24 750,69 euro) assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 septembre 2011, Condamne Mlle Marie-Pierre Notin à payer à la SARL Bianc' & Neru la somme de deux cent onze euros et trente-huit centimes (211,38 euro) à titre de dommages intérêts, Ordonne la restitution à la SARL Bianc' & Neru de la marchandise inventoriée le 5 avril 2014 par Me Janie Borie, contre paiement par SARL Bianc' & Neru de la somme de 5 485,45 euro, Condamne Mlle Marie Pierre Notin à payer à la SARL Bianc' & Neru une indemnité de mille euro (1 000 euro) au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne Mlle Marie Pierre Notin aux dépens de première instance et d'appel.