CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 3 juillet 2015, n° 13-06935
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Brelet Transport (SAS)
Défendeur :
Olivier Bertrand Distribution Grand Ouest (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Touzery-Champion
Conseillers :
Mme Prigent, M. Richard
Avocats :
Mes Ohana, Oillic-Audrain, Letellier, Villainne
Pendant 10 ans, la SAS Olivier Bertrand Distribution Grand Ouest (Olivier) précédemment dénommée Café In Bretagne Atlantique, qui déploie une activité de grossiste et entrepositaire de boissons, a confié à la société Brelet Transport (Brelet), qui exploite un fonds de commerce de transports public routier de marchandises, des prestations de transport.
Par mail du 28 décembre 2010, la société Olivier a signifié à la société Brelet la fin des relations commerciales à effet du 31 décembre suivant.
Estimant que cette rupture brutale des relations commerciales sans aucun préavis lui a occasionné un préjudice, la société Brelet a fait assigner sur le fondement de l'article L. 442-5-6 du Code de commerce, la société Olivier Bertrand Distribution Grand Ouest devant le Tribunal de commerce de Nantes lequel par jugement du 25 juin 2012 s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Rennes.
Selon jugement du 19 mars 2013, le Tribunal de commerce de Rennes a :
- débouté la société Brelet Transport de toutes ses demandes,
- condamné cette dernière à verser à la société Olivier la somme de 500 en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par conclusions signifiées le 14 octobre 2013 la société Brelet, appelante :
- sollicite l'infirmation du jugement entrepris,
- estime que la société Olivier a rompu de manière brutale le 28 décembre 2010 avec effet au 31 décembre suivant une relation commerciale établie depuis 10 ans sans respect d'un préavis,
- considère qu'elle doit être indemnisée du préjudice subi sur la base de 12 mois de préavis à multiplier par la marge brute moyenne mensuelle,
- réclame la condamnation de la société Olivier à lui verser les sommes de :
· 54 516 en principal avec intérêts de retard et capitalisation,
· 1 500 pour résistance abusive,
· 2 500 en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile.
Suivant écritures signifiées le 27 juillet 2013 la société Olivier, intimée :
- souhaite la confirmation du jugement querellé, le rejet des prétentions de la société Brelet,
- demande la condamnation de la société Brelet à lui verser la somme de 5 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La société Brelet reproche à la société Olivier d'avoir brutalement rompu les relations commerciales qu'elles entretenaient depuis 10 années, sans aucun préavis par mail du 28 décembre 2010 avec effet au 31 décembre suivant.
Pour sa défense, la société Olivier excipe de la situation de force majeure dans laquelle elle s'est trouvée ; à cet effet, elle explique que pour sauver son entreprise, qui avait perdu les sommes de 1 431 313 sur l'exercice clôturé au 31 décembre 2008 et 960.850 sur celui de 2009, elle a entendu obtenir de ses prestataires une diminution du coût des prestations en contrepartie d'une augmentation des volumes des marchandises transportées et que confrontée à la survie économique de son établissement, elle ne pouvait continuer à supporter le coût des prestations de la société Brelet. Elle estime en conséquence que la société Brelet est la seule responsable de la rupture puisqu'elle a refusé d'aménager ses tarifs en pleine connaissance de cause des efforts consentis par les concurrents.
En application des dispositions de l'article L.442-6, I, 5° du Code de commerce, "Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait par tout producteur, commerçant industriel ou personne immatriculée au registre des métiers (...) de rompre brutalement, même partiellement une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce par des accords interprofessionnels ; Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure".
La société Olivier ne saurait contester la durée de 10 années des relations commerciales entretenues par les parties, ainsi que le prouve la société Brelet par la production d'un état comptable datant d'avril 2000. Elle reconnaît également n'avoir donné aucun préavis à la société Brelet, puisqu'elle l'a informée de la rupture par mail du 28 décembre 2010 à effet du 31 décembre suivant. Elle invoque seulement une faculté de résiliation sans préavis en raison de la force majeure.
Or la situation économique dont elle se prévaut n'emprunte pas les caractéristiques de la force majeure et notamment l'irrésistibilité et l'imprévisibilité ; en effet, elle évoque elle-même une situation de concurrence difficile, une perte de chiffre d'affaires depuis 2008. Pour l'année 2010, les parties ont échangé un premier mail le 17 mars 2010, dont il résulte que la société Brelet a proposé une grille de tarifs 2010 avec une faible revalorisation de 1 % ; par ailleurs son responsable d'agence, M. Kowalski a terminé sa missive en remerciant la société Olivier pour sa confiance, s'est "déclare dispo pour échanger si besoin". Par un second mail du 15 novembre 2010, ce dernier a argué pour sa société d'une conjoncture difficile du fait des défaillances financières des collègues, de fermetures programmées d'entreprises, de l'impossibilité pour lui dans ce contexte économique difficile de revoir à la baisse ses conditions tarifaires, mais a néanmoins minimisé à la hausse ses tarifs, en "espérant continuer à travailler ensemble sereinement".
L'ensemble de ces pièces apporte la preuve que la conjoncture économique difficile l'était pour toutes les parties, que la société Olivier n'a jamais averti par écrit loyalement sa cocontractante d'une menace pesant sur leurs relations commerciales si elle ne baissait pas ses tarifs. En tout état de cause, la diminution de chiffre d'affaires invoquée par la société Olivier, au demeurant non démontrée par des pièces, ne saurait constituer un cas de force majeure exonérant l'auteur de la rupture de toute responsabilité.
Si la société Olivier avait le choix de rompre pour un motif qui lui est propre elle devait y procéder par l'envoi d'un délai de préavis écrit, afin que son partenaire puisse réorienter ses activités en temps utile ou puisse rechercher de nouveaux clients ou puisse mettre en œuvre une solution de remplacement.
Au cas particulier le délai de préavis doit s'apprécier par l'ancienneté des relations de 10 ans, le volume d'affaires et la progression afférente à l'année 2010, le fait que la société Brelet n'était pas en situation de dépendance, l'objet de l'activité, l'absence de garantie d'exclusivité au profit de la société Brelet ; dans ce contexte un délai de 9 mois constitue le temps nécessaire pour remédier à la désorganisation résultant de la rupture imposée par la société Olivier.
Pour le préjudice, la société Brelet réclame le paiement d'une somme de 55 516 correspondant à douze mois de marge brute moyenne. La société Olivier conteste cette réclamation dans la mesure où aucun bilan n'étant produit, l'impact sur son chiffre d'affaires ne peut être calculé, selon elle. Mais l'attestation de l'expert-comptable M. Dugast de la société Brelet du 29 novembre 2011, étayée par un rapport dans laquelle il explique ses modalités de calcul et la comparaison de deux sources de données, les extraits du grand livre auxiliaires clients, le détail des statistiques d'exploitation pour les années 2009 et 2010 sera retenue, d'autant que la société Olivier n'émet aucune critique sur la méthode de calcul et les chiffres servant de référence.
Dans ces conditions le préjudice de la société Brelet est évalué par la Cour à la somme de 35 536,50 (moyenne des deux dernières années de marge brute 3 948,50 X 9), majorée des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt s'agissant d'une créance indemnitaire, que devra lui régler la société Olivier.
La capitalisation des intérêts sera prononcée dans les conditions de l'article 1154 du Code civil.
La société Brelet sollicite également le paiement d'une somme de 1 500 pour résistance abusive. Mais une action non fondée ne suffit pas à caractériser l'abus du droit d'ester en justice, d'autant que les premiers juges avaient fait droit aux demandes de la société Olivier, de sorte que ce chef de demande ne peut prospérer.
En revanche, l'équité commande d'allouer à la société Brelet une indemnité de 2 500 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : Statuant contradictoirement, Infirme le jugement du 19 mars 2013 du Tribunal de commerce de Rennes en toutes ses dispositions. Statuant à nouveau, Condamne la Société Olivier Bertrand Distribution Grand Ouest à payer à la société Brelet Transport la somme de 35 536,50 en réparation de son préjudice, majorée des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, Dit que la capitalisation des intérêts sera prononcée dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, Condamne la Sas Olivier Bertrand Distribution Grand Ouest à verser à la société Brelet Transport la somme de 2 500 en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette toutes les autres demandes, Condamne la Sas Olivier Bertrand Distribution Grand Ouest aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.