Cass. crim., 8 juillet 2015, n° 14-81.572
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
M. Soulard
Avocat général :
M. Sassoust
Avocats :
SCP Piwnica, Molinié, Me Ricard
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la société X, contre lordonnance du premier président de la Cour dappel de Versailles, en date du 6 février 2014, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 27 février 2013, n° 11-88.471), a confirmé lordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à effectuer des opérations de visite et saisie en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles et a prononcé sur la régularité desdites opérations ; - Vu les mémoires produits, en demande et en défense ; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 450-4 du Code de commerce, 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, 591 et 593 du Code de procédure pénale, excès de pouvoir, défaut de motifs, manque de base légale :
"en ce que le délégué du premier président de la Cour d'appel de Versailles, a ordonné la jonction des deux procédures relatives à l'appel de l'ordonnance d'autorisation et au recours contre le déroulement des opérations et, par la même décision, confirmé l'autorisation de pratiquer des visites et des saisies et rejeté le recours contre le déroulement des opérations ainsi autorisées ;
"alors que l'examen par la même formation, dans une même décision, du bien-fondé de l'autorisation de pratiquer des visites et des saisies, et du recours formé contre le déroulement des opérations ainsi autorisées, est de nature à faire naître un doute raisonnable sur l'impartialité de la juridiction ;
Attendu qu'en prévoyant que le recours intenté contre les opérations de visite est porté devant le même juge que l'appel de l'ordonnance autorisant la visite, l'article L. 450-4 du Code de commerce ne porte pas atteinte au principe du procès équitable ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 450-4 du Code de commerce, 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, 591 et 593 du Code de procédure pénale, excès de pouvoir, défaut de motifs, manque de base légale :
"en ce que le premier président a confirmé l'ordonnance ayant validé l'autorisation de pratiquer des visites et des saisies dans les locaux appartenant à l'entreprise ;
"aux motifs que X sollicite à nouveau la nullité de l'ordonnance du 11 janvier 2011, faisant essentiellement valoir que le juge n'a pas lui-même rédigé l'ordonnance, qui lui a été présentée par l'Administration, et n'a pas pu compte tenu des délais impartis pour prendre connaissance des pièces, exercer effectivement son contrôle ; qu'il n'est pas discuté que l'ordonnance signée par le juge des libertés a été rédigée par l'Administration requérante ; que cette méthode d'usage courant en la matière ne fait nullement obstacle à ce que le juge saisi, s'il le souhaite, procède à toute modification qu'il estime utile, et les motifs et dispositifs de cette ordonnance sont réputés avoir été établis par le juge qui l'a rendue et signée ; qu'il n'est pas davantage discuté que le juge des libertés et de la détention a en réalité reçu par courriel la requête et le projet d'ordonnance en format permettant sa modification le 5 janvier 2011, a reçu les pièces avec la requête en original, lors d'un rendez-vous spécialement fixé le 11 janvier 2011 à 14 heures 30, et faxé des commissions rogatoires aux juges des libertés et de la détention de Montargis et Blois le même jour à partir de 16 heures, ce qui implique que l'ordonnance était alors signée ; que lorsqu'il a reçu les pièces, le juge des libertés et de la détention était en possession depuis six jours de la requête et du projet d'ordonnance, lesquels détaillant l'ensemble des éléments sur lesquels l'Administration fondait ses présomptions, procédait à leur analyse avec tableaux récapitulatifs, par référence très claire à des pièces précisément identifiées et cotées, de sorte que le juge des libertés et de la détention a pu pendant ce délai bénéficier du temps nécessaire pour contrôler la pertinence du raisonnement de l'Administration et identifier les pièces dont le contrôle était nécessaire, et que le temps nécessaire à leur consultation a pu se trouver réduit ; qu'en cet état, l'adoption des termes de l'ordonnance pré-rédigée ne permet pas de conclure à l'absence d'examen concret et effectif de la requête et de retenir que le premier juge n'aurait pas rempli son office ; que dès lors l'ordonnance du 11 janvier 2011 n'a pas lieu d'être annulée ;
"alors que le délégué du premier président qui a constaté que le juge s'était borné à apposer sa signature sur une ordonnance rédigée par l'Administration après avoir disposé seulement d'une heure et demie de temps pour contrôler les pièces présentées par l'Administration, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations au regard des textes susvisés en refusant d'annuler l'ordonnance ;
Attendu, d'une part, que la reproduction de la requête de l'Administration dans l'ordonnance autorisant des opérations de visite et saisie est sans effet sur la validité de cette décision, réputée avoir été établie par le juge des libertés et de la détention qui l'a rendue et signée ;
Attendu, d'autre part, que, par application de l'article 561 du Code de procédure civile, le premier président qui annule une telle ordonnance doit se prononcer lui-même sur le bien-fondé de la requête ; qu'il s'ensuit qu'est inopérant le moyen qui fait grief à l'ordonnance attaquée de ne pas avoir annulé la décision du premier juge comportant la reproduction de la requête de l'Administration;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, L. 450-4 du Code de commerce, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
"en ce que l'ordonnance attaquée a confirmé l'ordonnance ayant autorisé l'Administration de la concurrence à pratiquer des visites et des saisies dans les locaux de la demanderesse ;
"aux motifs que X conteste également le bien fondé de l'ordonnance, en l'absence selon elle de présomption de l'existence des pratiques recherchées, qui ne peut résulter des seules pièces annexées à la requête ; que l'Administration n'est à l'évidence en possession d'aucun document établissant formellement l'existence de pratiques prohibées par l'article L. 420-1 2° et 4° du Code de commerce, la mesure sollicitée ayant précisément pour objet de les rechercher et obtenir, étant motivée par l'existence de comportements laissant présumer l'existence de pratiques concertées entre entreprises visant à se répartir différents marchés de transports scolaires et transports routiers de voyageurs ; que, reprenant le détail de divers appels d'offres lancés par le conseil général du Loiret pour plusieurs marchés de transports l'ordonnance relève notamment pour les procédures d'appel d'offres pour le marché des transports des collégiens vers les installations sportives et culturelles dans le cadre des activités effectuées durant le temps scolaire réparti en vingt lots, sur l'année scolaire 2007-2008 l'existence systématique d'une candidature unique pour chaque lot offert, de la part de l'entreprise assurant déjà la liaison régulière du collège, et à l'occasion de l'appel d'offres pour l'année suivante, alors que les conditions d'organisation avaient été changées, la candidature, pour chaque lot, du seul titulaire sortant, sans concurrence en dépit de la pratique par certains d'entre eux d'une augmentation très significative de leurs prix ; que pour l'attribution en 2009 et pour une durée de douze ans, d'une délégation de service public pour les services de transports départementaux de voyageurs alors qu'auparavant ce service faisait l'objet de contrats distincts de transports réguliers de voyageurs et de transports scolaires, deux candidatures, présentées l'une par le groupement A réunissant diverses entreprises dont X et l'autre par la société B, cette dernière ayant proposé, pour un coût plus élevé un dossier se limitant à une offre de base + options sans user de la faculté qui lui était offerte de proposer des variantes, n'ayant pas participé à l'une des réunions de négociations et ayant fait preuve à tout le moins d'un manque réel d'agressivité commerciale, son offre apparaissant ainsi comme une offre de couverture ; que pour l'attribution en avril 2009 par le conseil général du Loiret des services de transports privés organisés par le département faisant l'objet d'un découpage géographique en cinq lots, la présentation d'une offre unique par le groupement A réunissant plusieurs entreprises dont X, sans aucune justification technique à une telle offre groupée compte tenu de l'organisation en lots et de la capacité de chacune des entreprises à assurer individuellement les prestations de l'un ou l'autre de ces lots, laissant ainsi présumer une pratique concertée entre entreprises conduisant ensuite au partage des prestations entre les membres du groupement ; que pour un appel d'offres ouvert européen lancé par la ville d'Orléans en 2009 pour le renouvellement du marché de transport des élèves vers les établissements sportifs, divisé en deux lots nord et sud, une seule candidature pour chacun des deux lots (X lot 1 et Y lot 2), renouvelant à l'identique la situation telle qu'elle était lors de l'appel d'offres précédent en 2005 ; qu' à l'occasion de la nouvelle procédure d'appel d'offres lancée en 2010 pour les mêmes prestations cette fois ci regroupées en un seul lot, la présentation d'une seule candidature d'un groupement X-Y, sans concurrence en dépit de l'augmentation significative des prix proposés ; que si chacun des éléments produits, envisagé séparément, paraît insignifiant, leur appréciation d'ensemble permet de relever certaines anomalies dans le fonctionnement du marché permettant de présumer de l'existence d'ententes prohibées ; que dès lors le recours aux visites domiciliaires et saisies sollicitées et ordonnées, permettant soit d'établir soit d'écarter les pratiques irrégulières soupçonnées, se trouve justifié, et l'ordonnance sera en conséquence confirmée ;
"1°) alors que dans ses conclusions d'appel, la société X avait fait valoir que le fait qu'il y ait eu une candidature unique pour chaque lot avait été relevé par le conseil général justifiant objectivement du comportement de X ; que ni le juge des libertés, ni le délégué du premier président ne se sont expliqués sur ce point ;
"2°) alors que, de même, dans ses écritures d'appel, la société X avait fait valoir que l'Administration, tout en soutenant que la société B avait fait une " offre de couverture ", n'avait pas demandé l'autorisation de visiter ses locaux ; que ni le juge des libertés, ni le délégué du premier président ne se sont expliqués sur ce point ;
"3°) alors que les juges du fond devaient préciser sur quels éléments de preuve ils se fondaient pour considérer que chacune des entreprises avait la capacité technique d'assurer individuellement les prestations de l'un ou l'autre de ces lots, ce qui était expressément contesté par la société demanderesse dans ses écritures d'appel ;
"4°) alors que dans ses écritures d'appel, la société X avait fait valoir que les marchés de transports des élèves de la Ville d'Orléans vers les établissements sportifs avaient été attribués à des montants très proches de l'estimation administrative, à l'exception de l'année 2010, où cette estimation accusait une baisse inexplicable par rapport aux années précédentes ; que les juges du fond ne se sont pas expliqués sur ce point ;
"5°) alors que, le délégué du premier président ne pouvait énoncer que " si chacun des éléments produits, envisagé séparément, paraît insignifiant, leur appréciation d'ensemble permet de relever certaines anomalies dans le fonctionnement du marché permettant de présumer de l'existence d'ententes prohibées ", sans s'expliquer sur la nature des anomalies en cause ;
Attendu que les énonciations de l'ordonnance attaquée mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que le premier président a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont il était régulièrement saisi et caractérisé, s'étant référé, en les analysant, aux éléments d'information fournis par l'Administration, l'existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles justifiant la mesure autorisée ; que le moyen sera donc écarté ;
Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, L. 450-4 et L. 462-7 du Code de commerce, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
"en ce que l'ordonnance attaquée a rejeté le recours exercé par la société X contre les opérations de visites et saisies ;
"aux motifs que pour contester la validité de la saisie des trois premiers documents listés, X fait essentiellement valoir qu'ils sont exclus du champ de l'autorisation donnée par l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, nécessairement limitée par les présomptions de l'Administration telles qu'exposées à la requête, circonscrites à des marchés lancés par le conseil général du Loiret et la ville d'Orléans, et concernant donc exclusivement le département du Loiret, alors que ces trois documents concernent des appels d'offres lancés par le "CG 18" pour l'organisation de transports dans le département du Cher, par le "CG 41" pour l'organisation de transports dans le département du Loir-et-Cher, et des descriptifs de circuits pour des services de transport concernant le département du Cher ; que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du 11 janvier 2011, qui n'a fait l'objet d'aucun recours de ce chef, autorise les visites domiciliaires et saisies afin de rechercher la preuve des agissements qui entrent dans le champ des pratiques prohibées par l'article L. 420-1 2° et 4° du Code de commerce relevées dans le secteur des transports scolaires et transports routiers de voyageurs ainsi que toute manifestation de cette concertation prohibée, sans définir dans son dispositif de limitation géographique ; que les présomptions sont certes motivées par référence à certains appels d'offres passés exclusivement par le département du Loiret et la ville d'Orléans, mais il est également fait mention de ce qu'il peut être présumé que " d'autres marchés passés avec les entreprises en cause dans le même secteur d'activité ont pu faire l'objet d'ententes, les marchés mentionnés n'étant que des illustrations des pratiques dont la preuve est recherchée ; que l'ordonnance a autorisé les visites domiciliaires et saisies, en vue de rechercher les éléments permettant d'établir l'existence de pratiques concertées, de la part de certaines entreprises de transport de la région Centre précisément identifiées en vue de se répartir les marchés du transport, en prévoyant également la délivrance de commissions rogatoires aux juges des libertés et de la détention des Tribunaux de grande instance de Montargis et Blois, certaines opérations devant avoir lieu hors du ressort du Tribunal de grande instance d'Orléans ; que dès lors les documents saisis, se rapportant à des activités dans le secteur du transport, exercées par ces mêmes entreprises dans les départements limitrophes du Loiret, constituant leur zone d'influence à l'intérieur de laquelle ces entreprises sont soupçonnées d'agissements entrant dans le champ des pratiques prohibées par l'article L. 420-1 2° et 4° du Code de commerce, entrent bien dans le champ de l'autorisation accordée, et leur saisie ne peut en conséquence être annulée ; que la prescription de cinq ans prévue par l'article L. 462-7 du Code de commerce dont X revendique le bénéfice pour solliciter la nullité de la saisie du dernier document listé s'applique à des faits, et non à des documents en tant que tels, alors que selon X la prescription serait acquise pour les faits antérieurs au 20 décembre 2005, par référence à la demande d'enquête du ministre de l'économie des finances et de l'industrie, en date du 20 décembre 2010, le courrier litigieux est daté du 3 juin 2005 ; mais seule circonstance qu'un document comporte une date se situant dans une période couverte par la prescription ne suffit pas à interdire qu'il soit saisi, alors que les éléments auxquels il se rapporte peuvent permettre la compréhension de pratiques postérieures non affectées par la prescription ; que dans ces conditions il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes de nullité de la société X ;
"1°) alors que les autorisations de pratiquer des visites et saisies, qui constituent des exceptions à la protection du domicile reconnue par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, doivent être comprises, lorsque deux interprétations en sont possible, de la façon la plus restrictive et la plus protectrice des droits de l'entreprise qui a fait l'objet des mesures contestées ; que le premier président de la cour d'appel ne pouvait donc interpréter l'autorisation litigieuse, qui n'avait fait état que de marchés concernant le département du Loiret et la Ville d'Orléans, comme permettant la saisie de documents relatifs aux départements du Cher et du Loir-et-Cher ;
"2°) alors que l'Autorité de la concurrence ne peut être saisie de faits remontant à plus de cinq ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction ; que le délégué du premier président, qui a constaté que la lettre en date du 3 juin 2005 était antérieure de plus de cinq à la demande d'enquête, devait rechercher si elle se rapportait à des actes non couverts par la prescription ;
Attendu que, pour rejeter le recours formé contre les opérations de visite, l'ordonnance prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, le premier président, qui a souverainement constaté que les pièces appréhendées n'étaient pas étrangères au but de l'autorisation accordée et étaient de nature à établir des faits non prescrits, a justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Et attendu que l'ordonnance est régulière en la forme,
Rejette le pourvoi.