CA Lyon, 1re ch. civ. A, 9 juillet 2015, n° 14-02876
LYON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Montabert (SAS)
Défendeur :
Etablissements J. Brenot (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gaget
Conseillers :
MM. Martin, Semeriva
Avocats :
Mes Latscha, Ladreit de Lacharrière, SCP Aguiraud Nouvellet, Selarl DPV Avocats, SCP Musset & Associés
EXPOSÉ DU LITIGE
La société Montabert a confié à la société Etablissements J. Brenot la distribution exclusive dans divers départements français de certains des outils de forage et de démolition qu'elle fabrique, selon une liste précisée au contrat.
Soutenant que la société Montabert méconnaissait les obligations résultant de cette convention, en vendant des produits aux couleurs et marques 'OEM' ('Original Equipment Manufacturers') sur son territoire réservé, la société Brenot a agi en indemnisation de ses préjudices.
Statuant au vu, notamment, des conclusions d'une expertise précédemment ordonnée en référé, le jugement entrepris est en ces termes :
- juge que l'extension par la société Montabert aux OEM de l'exclusion du champ de l'exclusivité consentie à la société Brenot, sans considération de leur caractère de maison-mère 'fabricant intégrateur' ou simplement de revendeur a pour effet de vider de l'essentiel de son objet le contrat de distribution exclusive conclu en 2001 entre les parties,
- juge qu'en application de ce contrat la société Montabert n'est pas fondée à travailler directement avec les revendeurs régionaux de pelles, dès lors qu'ils ne sont pas directement des établissements du fabricant 'maison-mère' et qu'en agissant ainsi il a manqué à ses obligations contractuelles résultant de la convention de 2001 et de son annexe A,
- constate que le chiffre d'affaires perdu par la société Etablissements J. Brenot a été contradictoirement évalué par l'expert judiciaire Philippe Bau à 1 225 769 euro pour les exercices 2003 à 2008,
- juge que la perte de marge qui en a résulté pour la société Etablissements J. Brenot doit être appréciée en valeur 'nette', c'est-à-dire hors les charges variables qui auraient pu être exposées pour l'acquisition de ce chiffre d'affaires,
- condamne la société Montabert à payer à la société Etablissements J. Brenot en réparation du préjudice subi la somme de 198 454 euro outre intérêts au taux légal à compter du 3 décembre 2012, jour de l'assignation,
- déboute la société Etablissements J. Brenot de sa demande d'indemnisation complémentaire relative aux exercices 2009 à 2012,
- condamne la société Montabert à payer à la société Etablissements J. Brenot la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamne la société Montabert aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise,
- ordonne l'exécution provisoire du présent jugement nonobstant appel et sans caution.
La société Montabert a relevé appel : le dispositif de ses conclusions reprend, non seulement ses prétentions, mais l'essentiel de ses moyens :
- infirmer purement et simplement le jugement entrepris,
- dire et juger que les ventes dites litigieuses sont des ventes de 'produits autonomes que le fabricant revend sous sa propre marque de commerce, sans autre traitement ou transformation, pour compléter sa gamme de produit' constituant des ventes OEM, tel que définies par l'Orgalime (Organisme de liaison des industries métalliques européennes),
- dire et juger que les ventes de Montabert aux OEM étaient contractuellement exclues de l'exclusivité accordée par Montabert à Brenot,
- dire et juger en conséquence que Montabert n'a pas violé l'exclusivité de distribution qu'elle avait consentie a Brenot pour les territoires concédés,
- débouter purement et simplement la société Brenot de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société Brenot à payer à la société Montabert la somme de 31 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens de l'instance incluant les frais d'expertise judiciaire, les dépens d'appel distraits au profit de la SCP Aguiraud Nouvellet.
Les conclusions déposées par la société Brenot le 22 septembre 2014, qui constituent ses seules écritures dans la procédure, ont été déclarées irrecevables par ordonnance du conseiller de la mise en état.
MOTIFS DE LA DÉCISION
L'annexe A au contrat de 2001 définit les produits du Code 118 comme 'Brises roches et Pinces Montabert' et stipule notamment que 'la société Montabert se réserve également le droit de travailler en direct avec les maisons mères des constructeurs et, importateurs de pelles, et ou de porteurs susceptibles de se voir adapté les produits du Code 118 et exclut formellement de la concession les 'Original Equipment Manufacturers (OEM)'.
La convention ne définit pas les OEM.
Sur ce point, la société Montabert cite l'Orgalime :
'Les contrats OEM sont en général des conventions à long terme, portant sur la fourniture de produits que le fabricant incorpore dans une mesure plus ou moins importante à ses propres produits ; le fournisseur conçoit et fabrique les produits, mais c'est le fabricant qui agit extérieurement comme producteur. Les contrats OEM peuvent se subdiviser en trois catégories, suivant la mesure dans laquelle les produits sont intégrés à ceux du fabricant. Ils peuvent porter sur la fourniture de :
- composants à incorporer aux produits du fabricant (par exemple un essieu de voiture),
- équipements à intégrer à un système vendu par le fabricant (par exemple des périphériques pour un grand système informatique) ou,
- produits autonomes que le fabricant revend sous sa propre marque de commerce, sans autre traitement ni transformation, pour compléter sa gamme de produits'.
Dans l'acte contenant la convention des parties, le membre de phrase contenant l'exclusion en cause fait immédiatement suite, dans le même paragraphe et sans rupture typographique, à celui qui se réfère aux 'maisons mères' et aux 'importateurs', de sorte que ces notions peuvent être comprises comme étant en facteurs communs de l'ensemble du paragraphe, ou non, selon la portée de la préposition 'et'.
' La société Montabert fait valoir :
- que toute la discussion porte sur la définition de l'OEM,
- que la définition Orgalime ne s'oppose en rien à la vente directe d'un marteau aux couleurs et marque de l'OEM à un distributeur d'un OEM fabricant des porteurs, qui va équiper son matériel dans le cadre d'un accord global,
- qu'il n'y a pas lieu d'opérer une distinction entre les OEM et leurs concessionnaires ou distributeurs, qui sont des OEM au sens du contrat,
- que les distributeurs de pelles dont la marque ne fait pas l'objet d'accord OEM, vendant les marteaux sous la couleur verte et la marque de la société Montabert sont couverts par l'exclusivité, qu'elle a toujours respectée,
- qu'il n'existe aucune distinction quant au lieu d'incorporation du marteau couleur OEM au porteur de même marque,
- que prétendre que l'exclusion de l'OEM ne concernerait que le fabricant étranger du porteur, mais non ses distributeurs ou concessionnaires en France, n'est basé sur aucune référence objective,
- que l'exclusivité concédée à la société Brenot n'a jamais été que pour les produits Montabert, de couleur verte et 'estampillés' de la marque 'Montabert', qui représente un marché important,
- que le contrat de 2001 n'a pas été signé 'sans méfiance' et qu'elle n'en fait pas une 'interprétation extensive'.
Elle relève, d'abord, que c'est par erreur que le tribunal a retenu que le contrat de 1995 a été renouvelé le 12 janvier 2001, alors qu'il s'agissait d'un nouveau contrat, annulant et remplaçant tout accord antérieur.
C'est exact - encore que le jugement évoque aussi un 'nouveau contrat' - mais sans conséquence : le tribunal n'a cité l'accord ancien que pour en comparer les termes à ceux du nouveau, sans dire que le premier créait quelque obligation restant tenante, mais afin d'apprécier, au regard de ce critère, parmi d'autres, l'intention commune du sens et de la portée de leur convention nouvelle.
Pour le surplus, et selon la compréhension des termes du litige qu'en a la cour d'appel, il s'agit de savoir si, selon le contrat, les 'Brises roches et Pinces Montabert' font l'objet d'une concession exclusive, peu important qu'il s'agisse d'outils marqués 'Montabert' ou d'outils intégrés - adjoints, adaptés - à des porteurs fabriqués à l'étranger et importés en France sans être équipés de ces outils.
Le tribunal constate que le contrat du 13 décembre 1995 prévoyait l'exclusion du champ de la concession des affaires traitées directement par la société Montabert avec les constructeurs ou importateurs de pelles au niveau des maisons mères et non au niveau des distributeurs, concessionnaires et représentants locaux.
Il convient de prendre acte de cette stipulation, quoique ce contrat ne soit pas produit ; mais, ce n'est pas celui dont l'exécution fait litige ; il est seulement question d'éclairer, par ses stipulations, la compréhension du contrat de 2001.
Il relève encore que l'ajout des OEM aux exclusions de la concession n'a pas eu pour effet de faire obstacle au maintien de l'exclusivité consentie à la société Brenot concernant les revendeurs de pelles, à telle enseigne que ce maintien est expressément reconnu par le responsable des ventes en France dans son mail du 10 septembre 2008, et que le responsable des ventes de la société Montabert, sans doute conscient de la fragilité de sa stratégie, a tenté de la conforter en proposant dans son mail précité du 10 septembre 2008, de réduire le champ géographique de l'exclusivité et de 'signer un avenant concernant les revendeurs de pelles', et qu'en réalité, cela aurait pour objet complémentaire de tenter de remédier à l'insuffisance de chiffre d'affaires, par ailleurs reproché à la société Brenot,
Mais, 'signer un avenant concernant les revendeurs de pelles' ne peut s'entendre comme admettant la thèse adverse : qu'une partie au contrat invite l'autre à débattre d'un avenant n'implique pas sa renonciation aux termes d'une convention déjà conclue, toujours en cours, et dont l'interprétation fait litige.
Le tribunal indique encore que la notion d'OEM doit être interprétée, en application des articles 1156 et suivants du Code civil, et tout particulièrement de l'article 1162, et que la renonciation par la société Brenot à une partie de son exclusivité, du fait de sa signature en 2001 du nouveau contrat doit être appréciée en sa faveur.
Mais en contractant en 2001, la société Brenot n'a pas renoncé au bénéfice d'une convention antérieure ; elle a passé un nouveau contrat.
Certes, la réalité de son consentement peut être appréciée au regard de ce qu'elle pouvait légitimement en attente quant aux termes du nouveau contrat, éventuellement éclairés par ceux de la convention précédente.
Selon les motifs du jugement, un revendeur ou un concessionnaire qui adapte sur une pelle Neuson, Manitou ou Mecalac, par exemple, un outil Montabert, quand bien même celui-ci serait habillé des couleurs Neuson, Manitou ou Mecalac, n'est en aucun cas un fabricant intégrateur (OEM), dès lors qu'il n'est pas la 'maison mère' de Neuson, Manitou ou Mecalac,
Cela suppose de retenir que, dans la stipulation 'la société Montabert se réserve également le droit de travailler en direct avec les maisons mères des constructeurs et, importateurs de pelles, et ou de porteurs susceptibles de se voir adapté les produits du Code 118 et exclut formellement de la concession les OEM', le concept de 'maisons mères des constructeurs' est en facteur commun et vise donc les OEM intégrés hors site de fabrication.
Cette interprétation n'emporte pas la conviction.
Les parties sont professionnelles, travaillant dans le même secteur.
La notion d'OEM est donc réputée partagée et c'est au regard de cette compréhension commune qu'il convient d'interpréter le contrat.
Or, celui-ci couvre 'les Brises roches et Pinces Montabert'.
Rien ne permet d'en déduire qu'un revendeur ou un concessionnaire qui adapte sur un pelle Neuson, Manitou ou Mecalac, par exemple un outil Montabert, quand bien même celui-ci serait habillé des couleurs Neuson, Manitou ou Metalac n'est en aucun cas un fabricant intégrateur dès lors qu'il n'est pas la 'maison-mère' de Neuson, Manitou ou Mecalac.
En effet, il ne s'agit pas de brises roches ou pinces 'Montabert', mais de produits intégrés à d'autres, vendus avec eux sous d'autres marques, et donc de produits autonomes que le fabricant revend sous sa propre marque de commerce, sans autre traitement ni transformation, pour compléter sa gamme de produits.
Tel est le sens du contrat, qui n'accorde aucune concession, exclusive ou non, quant à la vente par la société Montabert, sur le territoire concédé, d'outils tels que ceux visés à l'Annexe A du contrat, dès lors qu'ils sont intégrés à des matériels vendus sous d'autres marques, peu important le lieu de cette intégration.
Même en tenant compte de la convention antérieure des parties, l'intention commune émise dans la convention de 2001 s'interprète en ce sens.
Le jugement retient enfin qu'il faut souligner le caractère malicieux du grief fait par la société Montabert à la société Brenot de tenter de réécrire à sa façon la définition de l'OEM alors que si, selon son affirmation, un marteau peut être intégré non seulement par le constructeur d'une pelle, mais aussi bien par tout concessionnaire ou revendeur, cela équivaut quasiment à réduire à néant la convention d'exclusivité, car l'introduction de l'exclusion des OEM dans le contrat de 2001, signé sans méfiance par la société Brenot, comme par les autres concessionnaires et l'interprétation extensive qu'en fait la société Montabert revient en pratique à remettre en cause la commune intention des parties visant à créer au profit du bénéficiaire du contrat un champ d'exclusivité.
Mais cette acception de la convention n'implique pas la réduction à néant de la concession d'exclusivité : la société Brenot est seule à pouvoir vendre des outils marqués 'Montabert' du type de ceux désignés au contrat.
La malice, qui n'est pas démontrée, supposerait qu'une partie abuse de la naïveté de l'autre ; or, la société Montabert rappelle que M. Brenot connaissait bien, tout à la fois ce secteur d'activité et son activité propre.
Et aucune manœuvre dolosive prouvée ne résulte de la signature, en 2001, d'un contrat différent de celui conclu en 1995.
Le jugement n'est pas fondé ; il doit être infirmé.
Il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : La Cour, Infirme le jugement entrepris, Déboute la société Etablissements J. Brenot de ses demandes, Vu l'article 700 du Code de procédure civile, rejette la demande, Condamne la société Etablissements J. Brenot aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile par la SCP Aguiraud - Nouvellet.