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Décisions

CA Lyon, 3e ch. A, 9 juillet 2015, n° 14-04940

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

WMF France (SARL)

Défendeur :

Bocquel

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tournier

Conseillers :

Mme Homs, M. Bardoux

Avocats :

SCP Tudela, Associés, Selarl Jurope, Selarl Laffly & Associés-Lexavoué Lyon, SCP Leloup

T. com. Bourg-en-Bresse, du 16 mai 2014

16 mai 2014

Exposé du litige:

Par contrat d'agent commercial du 1er mai 2011, la société WMF France a confié à Henrick Bocquel le mandat de vendre à titre exclusif, au nom et pour le compte de la société, un ensemble de gammes de produits sur un secteur géographique regroupant 9 départements.

Par courrier du 21 mars 2013, la société WMF France a notifié à Henrick Bocquel la résiliation du contrat au motif d'une insuffisance de résultats.

Invoquant son droit à l'indemnité légale de cessation du contrat, Henrick Bocquel a assigné la société WMF France devant le Tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse afin de la voir condamnée à lui régler cette indemnité.

Par jugement du 16 mai 2014, le Tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse a:

- condamné la société WMF France à payer à Monsieur Henrick Bocquel la somme de 21 414,23 euro au titre d'indemnités de cessation du contrat d'agent commercial,

- condamné la société WMF France à payer à Monsieur Henrick Bocquel la somme de 1 500 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté la société WMF France de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné la société WMF France aux entiers dépens.

Par déclaration du 17 juin 2014, la société WMF France a relevé appel de ce jugement. Par ordonnance du 2 juin 2015 le conseiller de la mise en état a refusé le rabat de l'ordonnance de clôture du 26 mai 2015.

L'incident de procédure:

Par conclusions du 5 juin 2015 Henrick Bocquel demande d'écarter des débats les conclusions récapitulatives notifiées par la société WMF France le 22 mai 2015 et les pièces 22 à 38 communiquées à la même date.

Il expose qu'il n'a pas pu répondre à ces conclusions et ces pièces nouvelles dans la mesure où le conseiller de la mise en état lui a refusé le report de la clôture.

Par conclusions du 19 juin 2015 la SARL WMF France requiert :

- le rejet de la demande d'écarter des débats les conclusions récapitulatives notifiées par la société WMF France le 22 mai 2015 et les pièces 22 à 38,

- qu'il soit statué ce que de droit sur les dépens.

Elle fait valoir que les conclusions communiquées ne font que commenter les écritures de M. Bocquel, sur des chiffres qu'il a lui-même déjà produits et qu'il n'y a aucun élément communiqué qui ne soit pas connu par M. Bocquel.

Le fond:

Dans ses dernières conclusions au fond, déposées le 22 mai 2015, la SARL WMF France demande de :

- Dire et juger que M. Bocquel ne fait pas la démonstration de son préjudice ni de son quantum,

- Réduire la réparation du préjudice à sa juste proportion,

A titre reconventionnel

- Condamner M. Bocquel à régler à la société WMF France SARL la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du CPC,

- Condamner M. Bocquel aux entiers dépens toutes taxes comprises.

- Dire que les frais d'appel pourront être recouvrés directement, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.

Elle fait notamment valoir que :

Les premiers juges n'ont pas tenu compte de la durée de la relation contractuelle, de la quasi inexistence du chiffre d'affaire apporté par l'agent commercial et de son manque de loyauté dans ses relations avec son mandant.

M. Bocquel tente de détourner le débat et de se dédouaner en alléguant que les chiffres d'affaires de la société WMF seraient en constante baisse depuis 2004 du fait, entre autres, d'une politique commerciale de la société inadaptée au marché, alors même que l'entreprise est en plein essor depuis des années, et qu'au contraire, M. Bocquel n'est devenu agent commercial que courant de l'année 2011.

M. Bocquel tente de jeter le trouble en accusant la société WMF d'avoir contrevenu à l'exclusivité contractuelle qui lui avait été conférée, en lançant un site Internet. Or, la vente par internet est une vente dite " passive ", qui ne peut porter atteinte à une exclusivité territoriale et les prix pratiqués sur le site sont des prix " grand public ", liste de prix identique à celle des agents commerciaux, et pour laquelle Monsieur Bocquel avait une possibilité d'accorder des remises de l'ordre de plus de 50%.

Si la rupture est intervenue c'est du fait du comportement de M. Bocquel.

La relation commerciale n'a duré que deux années.

Dans ses ultimes écritures avant clôture, du 4 mars 2015 (28 mai 2015), Henrick Bocquel sollicite de la cour de :

- Débouter la société WMF France de son appel et de toutes ses demandes,

- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

- Y ajoutant, condamner la société WMF France:

> à verser à Henrick Bocquel la somme complémentaire de 1 500 euro au titre des frais irrépétibles d'appel en application de l'article 700 du Code de procédure civile

> aux entiers dépens, ceux d'appel étant distraits.

Il expose notamment que :

WMF n'invoque aucune faute grave et ne conteste pas le principe de l'indemnité de cessation de contrat mais seulement son quantum.

Au surplus les fautes alléguées sont infondées,

La cessation du contrat fait subir à M. Bocquel un préjudice d'une gravité évidente : il perd l'élément d'actif incorporel que représente le mandat pour son entreprise. Il est légitime de fixer le montant de l'indemnité de cessation du contrat a la valeur de deux années de rémunération brute HT.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures devant la cour ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé pour répondre aux exigences de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur l'incident de procédure:

Attendu qu'en l'espèce un calendrier de procédure a été établi dès le 9 décembre 2014 et a été porté à la connaissance des parties qui ne l'ont pas contesté; Que ce calendrier prévoyait notamment la clôture de la procédure le 26 mai 2015 et l'audience des plaidoiries le 22 juin 2015;

Que, dès lors, d'une part, la cour n'a pas à connaître de conclusions au fond déposées postérieurement à la clôture, d'autre part, les parties pouvaient conclure jusqu'à la date de la clôture, sous réserve du respect du principe du contradictoire; Qu'en effet l'article 16 du Code de procédure civile dispose que: " le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement ";

Attendu que l'article 15 du Code de procédure civile dispose que " les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de faits sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense ";

Que, le 22 mai 2015, l'appelante a versé aux débats ses pièces 22 à 38, constituées pour l'essentiel de tableaux de chiffres d'affaires, d'objectifs, de factures, de présentations de produits dans la presse, d'insertions publicitaires, de courriels, de référencements, de frais de formation et de réunions commerciales qui constituent plus de 100 pages; Qu'en produisant ces pièces à cette date et en si grand nombre l'appelante, qui n'ignorait pas la nécessité de respecter le calendrier de procédure, mettaient, de facto, l'intimée dans l'incapacité de prendre connaissance de ces pièces et de se défendre;

Que ce procédé déloyal qui porte gravement atteinte au principe du contradictoire justifie que ces pièces nouvelles soient purement et simplement écartées des débats ;

Attendu qu'en revanche la lecture comparée des " conclusions récapitulatives d'appelant " n° 3, du 24 février 2015, et n° 4, du 22 mai 2015, démontre qu'elles sont quasiment identiques, même si la pagination en a été modifiée; Qu'elles tendent à la présentation des mêmes demandes et portent sur les mêmes motifs et argumentaires;

Qu'ainsi le dépôt de nouvelles conclusions par l'appelante à quelques jours de la clôture n'était pas de nature, en l'espèce, à porter atteinte au principe de la contradiction; Que du reste il est révélateur de noter, comme l'a souligné le conseiller de la mise en état dans son ordonnance du 2 juin 2015, que " la lecture des écritures de l'intimé après clôture sont identiques à plus de 99 % de celles qu'il avait prises quelques semaines auparavant ", démontrant ainsi qu'il n'y avait pas pour lui nécessité à rétorquer aux conclusions récapitulatives n° 4 de l'appelante;

Que si deux pages complémentaires y figurent concernant " la prétendue défaillance de WMF au niveau du soutien commercial ", c'est pour commenter les nouvelles pièces versées aux débats le 22 mai 2005, lesquels sont aujourd'hui écartées des débats, de sorte que les quelques remarques figurant dans ce paragraphe demeureront de simples allégations qui, comme on le verra, sont en tout état de cause sans incidence sur le fond du litige;

Qu'en conséquence les conclusions du 22 juin 2015, ne sont pas de nature à porter atteinte aux principes édictés par les articles 15 et 16 du Code de procédure civile, et ne seront pas écartées des débats;

Sur le principe de l'indemnité de cessation de contrat:

Attendu qu'il n'est ni contestable ni contesté que c'est l'appelante qui a, en l'espèce, pris l'initiative de la rupture en notifiant, le 21 mars 2013, à Henrick Bocquel la résiliation du contrat au motif d'une insuffisance de résultats; Que, dans ce courrier, le mot " faute grave " n'est à aucun moment employé et la société WMF reconnaît à l'intimé un droit au préavis de deux mois, ce qui n'est pas compatible avec une résiliation pour faute grave laquelle doit immédiatement entraîner la fin du mandat d'intérêt commun;

Que, dans ses conclusions, l'appelante n'invoque à aucun moment la faute grave et reconnaît le principe de l'indemnité de rupture;

Attendu que l'article L. 134-12 du Code de commerce, qui est d'ordre public, dispose que: " En cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi " et qu'il résulte de l'article L. 134-13 du même Code, que seule la faute grave, c'est-à-dire celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel, est de nature à priver l'agent de l'indemnité compensatrice du préjudice subi en cas de cessation du contrat d'agent commercial ;

Qu'ainsi, en l'espèce, non seulement le mandant, à qui en incombe la charge, ne rapporte pas la preuve d'une faute grave, mais encore ne l'invoque pas et reconnaît le droit à indemnité de l'agent; Qu'il s'ensuit que le principe de l'indemnité est acquis et que le litige ne porte que sur son quantum ;

Sur le quantum de l'indemnité de cessation de contrat:

Attendu que le montant de l'indemnité compensatrice réparant le préjudice causé par la cessation du contrat est indépendant de l'imputabilité de la rupture, de sorte que le débat sur la prétendue faute ou inaction d'Henrick Bocquel, que l'appelante développe longuement dans ses écritures, est sans intérêt pour la fixation du quantum de l'indemnité; Qu'il n'y a donc pas matière à rechercher si les griefs allégués à cet égard par l'appelante sont ou non fondés;

Attendu qu'en l'espèce il résulte de l'article 10 du contrat d'agent commercial que: " sauf du fait d'une faute grave de l'agent, la fin du contrat par le fait du mandant, entraine au profit de l'agent le versement de I'indemnité compensatrice du préjudice subi, calculée conformément aux usages de la profession d'agent commercial "; Que, comme l'ont souligné pertinemment les premiers juges, cette stipulation est la loi des parties au sens de l'article 1134 du Code civil;

Qu'il est indéniable qu'Henrick Bocquel a subi un préjudice, la rupture du contrat lui ayant fait perdre, d'une part, la part des marchés qu'il pouvait espérer de la poursuite du contrat et le privant, d'autre part, de la possibilité de le transmettre à titre onéreux à un successeur;

Que les usages professionnels en la matière conduisent majoritairement à apprécier le montant de l'indemnité de cessation du contrat à la valeur de deux années de rémunération brute HT sauf à ce que l'une des parties prouve que le préjudice de l'agent a été moindre ou plus élevé; Que c'est donc à la société WMF France, qui demande que le quantum de l'indemnité soit inférieur à deux années qu'il incombe de prouver que le préjudice d'Henrick Bocquel a été moins élevé;

Attendu qu'à cet égard l'appelante se prévaut d'abord de la brièveté des relations ;

Que cependant ces relations ont duré à peu près deux ans et l'argument de l'appelante n'est pas de nature à prouver que le préjudice d'Henrick Bocquel est moindre à celui prévu par l'usage, d'autant que l'usage a fixé l'indemnité à la valeur de deux années pour octroyer à l'agent l'équivalent du manque à gagner consécutif à la rupture durant la période nécessaire à la reconstitution d'une clientèle équivalente, ce qui est indifférent à la durée de la relation ;

Attendu que l'appelante fait ensuite des développements sur l'apport de clientèle de l'agent, considérant qu'il était insuffisant;

Que cependant cet argument n'est pas plus pertinent dès lors qu'il est constant que, pour évaluer l'indemnité de cessation du contrat, il convient de tenir compte de tous les éléments de rémunération de l'agent pendant l'exécution du contrat, sans qu'il y ait lieu de distinguer si elle provient de clients préexistants ou au contraire apportés par l'agent;

Attendu que c'est donc à bon droit que les premiers juges ont considéré qu'en l'espèce rien ne justifiait qu'Henrick Bocquel soit indemnisé pour une somme inférieure à celle prévue par les usages;

Que le jugement entrepris sera donc confirmé;

Sur l'article 700:

Attendu que l'équité commande qu'Henrick Bocquel ne garde pas la charge des frais irrépétibles qu'il a engagé dans cette procédure;

Que la société WMF sera donc condamnée à lui payer la somme de 1 500 euro au titre des frais irrépétibles d'appel en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR Statuant publiquement par arrêt contradictoire, deboute la SARL WMF France de ses demandes, confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris, y ajoutant, condamne la SARL WMF France à payer, au titre des frais irrépétibles d'appel, à Enrick Bocquel la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, condamne la SARL WMF France aux entiers dépens, ceux d'appel pouvant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.