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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 9 septembre 2015, n° 14-07203

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Aeck

Défendeur :

NTA (SAS), Société d'Etudes et de Constructions de Matériels Industriels (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mmes Luc, Nicoletis

Avocats :

Mes Ortolland, Peytavi, Zemet, Bertagna, Carpentier, Chaste

TGI Evry, du 21 nov. 2013

21 novembre 2013

La SAS NTA, qui a pour objet social la conception, la fabrication et l'entretien de matériel de chauffage industriel, a été créé le 2 novembre 2000 entre 5 associés, dont M. Michel AECK. Ce dernier a été engagé par la société NTA en qualité de directeur technique, par contrat de travail du même jour. Par assemblée générale du 3 novembre 2000, M. AECK a été également désigné en qualité de président de la société NTA, fonction qu'il conservera jusqu'au 31 juillet 2010.

Par courrier du 15 septembre 2010, adressé au commissaire aux comptes de la société NTA, M. AECK a démissionné.

Le 13 octobre 2010, Me Heurteboust, huissier de justice, a dressé un procès-verbal de constat dans les locaux de la société NTA.

Par contrat à durée indéterminée du 21 septembre 2010, la société d'Études et de Constructions de Matériels Industriels (SECMI) a engagé M. AECK, en qualité de chargé d'affaires.

Le 16 mai 2011, Me Heurteboust s'est rendu au siège de la société SECMI, dans le cadre de la mission qui lui a été confiée par ordonnance du 18 mars 2011, pour appréhender des preuves d'actes de concurrence déloyale à l'égard de la société NTA.

Par acte du 22 septembre 2011, la société NTA a fait assigner devant le tribunal de grande instance d'Evry M. AECK et la société SECMI, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, en demandant au tribunal de :

- dire et juger que les agissements de la société SECMI et de M. AECK sont constitutifs de concurrence déloyale à l'égard de la société NTA ;

- ordonner la restitution de l'intégralité des documents retrouvés par Me Heurteboust et listés dans son procès-verbal de constat du 16 mai 2011 ;

- ordonner à la société SECMI de détruire tout document THERMIQUE AUTOMATION NTA dont elle serait encore en possession sous quelque forme que ce soit, sous astreinte de 1.000 euro par jour de retard ;

- Condamner la société SECMI et M. AECK à verser à la société NTA la somme de 1.500.000 euro au titre de dommages-intérêts pour la réparation des préjudices financier et moral ainsi subis, augmentée de l'intérêt légal à compter de la délivrance de l'assignation ;

- prononcer la capitalisation des intérêts légaux selon les dispositions des articles L. 313-2 et L. 313-3 du Code monétaire et financier ;

- ordonner la publication de la décision à intervenir dans deux quotidiens nationaux, au choix de la demanderesse ;

- condamner cette dernière à verser 6.000 euro à la société NTA sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société SECMI aux entiers dépens ;

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

Par conclusions d'incident du 17 avril 2013, M. AECK a soulevé devant le juge de la mise en état l'incompétence du tribunal de grande instance d'Evry au profit du conseil de prud'hommes d'Evry et, à titre subsidiaire, du tribunal de commerce d'Evry.

Par conclusions d'incident du 17 juin 2013, la société SECMI a demandé au juge de la mise en état de se déclarer incompétent au profit du tribunal de commerce d'Evry et de débouter M. AECK et la société NTA de leurs demandes.

Par conclusions d'incident du 22 mai 2013 la société NTA a demandé au juge de la mise en état de déclarer le tribunal de grande instance d'Evry exclusivement compétent pour connaître de sa demande, qui est relative aux dessins et modèles, et de rejeter les demandes de la société SECMI et de M. AECK.

Par ordonnance du 21 novembre 2013 le juge de la mise en état du tribunal de grande instance d'Evry a :

- rejeté les exceptions d'incompétence soulevées au profit du conseil de prud'hommes et du tribunal de commerce,

- dit que le tribunal de grande instance d'Evry est compétent pour connaître du litige,

- rejeté les autres demandes,

- renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 16 janvier 2014,

- réservé les dépens.

M. AECK a interjeté appel de ce jugement le 31 mars 2014.

Vu les dernières conclusions de M. AECK, déposées et notifiées le 10 septembre 2014 par lesquelles il demande à la cour de :

au visa de l'article 1382 du Code civil, L. 1411-1 du Code du travail, L. 721-3 du Code de commerce,

- déclarer M. AECK recevable fondé en son appel ;

- en conséquence, infirmer l'ordonnance rendue le 21 novembre 2013 par le Juge de la mise en état du Tribunal de Grande Instance d'Evry en ce qu'elle a rejeté les exceptions d'incompétence soulevées par M. AECK et dit que le Tribunal de Grande Instance d'Evry est compétent pour connaître du litige ;

Statuant à nouveau,

- A titre principal, dire et juger le Tribunal de Grande Instance d'Evry incompétent pour connaître des demandes formulées par la Société NTA à l'égard de M. AECK au profit du Conseil de Prud'hommes d'Evry ;

- A titre subsidiaire, dire et juger le Tribunal de Grande Instance d'Evry incompétent pour connaître des demandes formulées par la Société NTA au profit du Tribunal de Commerce d'Evry ;

- en tout état de cause, condamner la société NTA à payer à M. AECK une somme de 3.000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société NTA aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés par Maître Elise Ortolland, avocat au Barreau de Paris, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions de la société SECMI, notifiées et déposées le 3 septembre 2014, par lesquelles elle demande à la cour de :

Aux visas de l'article 80 du Code de procédure pénale, L. 211-3 du Code de l'organisation judiciaire, L. 420-7, D. 442-3 et les annexes 4-2 et 4-2-1 du Code de commerce ;

A titre principal,

- déclarer incompétent le Tribunal de Grande Instance d'Evry au profit du tribunal de commerce de PARIS ;

- débouter M. AECK de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,

- renvoyer le dossier devant le tribunal de commerce de Paris

A titre subsidiaire,

- dire et juger compétent le Tribunal de Grande Instance d'Evry ;

En tout état de cause,

- condamner M. AECK à verser à la société SECMI une somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner M. AECK aux entiers dépens de l'instance.

Vu les dernières conclusions, déposées et notifiées le 23 septembre 2014, par lesquelles la société NTA demande à la cour de :

Au visa des articles L. 521-3-1 du Code de la propriété Intellectuelle, D. 442-3 du Code de commerce et les annexes 4-2 et 4-2-1, et L 21 1-3 du Code de l'organisation judiciaire, 1382 du Code civil et 771 du Code de procédure civile,

- confirmer en tous points l'ordonnance rendue par Mme le juge de la mise en état du Tribunal de Grande Instance d'EVRY le 21 novembre 2013,

- déclarer le Tribunal de Grande Instance d'EVRY exclusivement compétent pour juger de cette affaire,

- renvoyer l'affaire devant le Tribunal de Grande Instance d'EVRY,

- rejeter les exceptions d'incompétences demandées par M. AECK et la société SECMI,

- débouter M. AECK et la société SECMI de toutes leurs demandes,

- condamner SECMI et M. AECK au paiement de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamner SECMI et M. AECK aux entiers dépens.

CELA ÉTANT EXPOSÉ, LA COUR,

Sur la recevabilité de l'appel de M. AECK :

Considérant que la société SECMI soulève une fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel interjeté par M. AECK, en soutenant que, en application de l'article 80 alinéa 1er du Code de procédure civile, la voie de recours contre une ordonnance du tribunal qui tranche uniquement la question de la compétence juridictionnelle n'est pas l'appel mais le contredit ;

Mais considérant qu'en application de l'article 776 du Code de procédure civile, les ordonnances du juge de la mise en état qui statuent sur une exception de procédure, spécialement sur une exception d'incompétence, ne sont pas susceptibles de contredit mais peuvent être frappées d'appel ; que la société SECMI doit être déboutée de sa demande d'irrecevabilité ;

Sur la compétence du conseil de prud'hommes :

Considérant que M. AEK expose que l'action introduite par la société NTA est une action en concurrence déloyale, fondée sur les dispositions de l'article 1382 du Code civil ; que la saisine du tribunal de grande instance n'est pas justifiée en l'espèce, car, d'une part, le différend n'oppose pas que des non-commerçants et, d'autre part, l'action en concurrence déloyale n'est pas connexe à une contrefaçon, la société NTA n'invoquant dans son exploit introductif d'instance aucune violation de dessins et modèles ; que surtout les agissements qui lui sont reprochés par la société NTA sont relatifs à sa qualité de salarié et se rattachent aux obligations découlant d'un contrat de travail ; qu'en conséquence, seul le conseil de prud'hommes est compétent pour en connaître ;

Considérant que la société SECMI expose qu'elle a été assignée ainsi que M. AECK sur le terrain d'une prétendue concurrence déloyale ; que le litige ne porte pas sur un contrat de travail et/ou les conséquences de sa rupture, qui sont seuls concernés par les articles L. 1411-1 et suivants du Code du travail ; qu'elle-même est un tiers au contrat de travail signé entre M. AECK et la société NTA et M. AECK était mandataire social au sein de la société NTA, ce qui exclut toute compétence prud'homale puisque le lien de subordination de M. AECK avec la société NTA n'est ni envisagé, ni démontré alors qu'il conditionne la compétence du conseil de prud'hommes ; que les agissements reprochés à M. AECK par la société NTA le sont en tant qu'associé et ancien mandataire social de la société ; qu'en tout état de cause, la société SECMI entend solliciter du tribunal compétent, à titre subsidiaire, qu'il condamne M. AECK à la garantir, or une telle garantie n'a aucun rattachement prud'homal, de sorte que M. AECK doit être débouté de son exception d'incompétence ;

Considérant que la société NTA expose que peu importe la qualité de M. AECK, auquel elle reproche, même après sa démission, d'avoir emporté une multitude de plans (dessins et modèles) lui appartenant et d'avoir contacté ses clients par le biais de la société SECMI, ce qui est établi par la saisie pratiquée par l'huissier nommé par ordonnance du 18 mars 2011; qu'en l'espèce, la demande initiale de concurrence déloyale étant dirigée contre SECMI et contre M. AECK, il aurait été contraire au principe de l'indivisibilité d'assigner la société SECMI devant une juridiction différente de celle devant laquelle M. AECK aurait pu être assigné ; que dans ces conditions, le conseil de prud'hommes n'est pas compétent ; que la compétence du tribunal de grande instance pour connaître des actions civiles et des demandes relatives aux dessins et modèles est d'ordre public et exclusive, en vertu de l'article L. 521-3-1 du Code de la propriété intellectuelle ; qu'à titre subsidiaire la compétence du tribunal de grande instance d'Évry doit être retenue en vertu de l'article L. 211-3 du Code de l'organisation judiciaire, qui donne compétence au tribunal de grande instance pour toutes les affaires civiles et commerciales pour lesquelles compétence n'est pas attribuée, en raison de leur nature ou du montant de la demande, à une autre juridiction ;

Mais considérant qu'il résulte des termes de l'assignation du 22 septembre 2011 que l'action de la société NTA est une action en concurrence déloyale uniquement fondée sur les dispositions de l'article 1382 du Code civil ; que le litige soumis au tribunal de grande instance d'Évry n'est pas relatif aux dessins et modèles et à l'application du Code de la propriété intellectuelle ; que les dessins et modèles ne bénéficient de la protection de la loi que s'ils sont déposés, conformément à l'article L. 511- 9 du Code de la propriété intellectuelle, ce qui n'est pas invoqué en l'espèce ;

Considérant que les dispositions de l'article L. 521-3-1 du Code de la propriété intellectuelle ne sont pas applicables dès lors que l'action en concurrence déloyale engagée par la société NTA n'est pas connexe à une demande relative aux dessins et modèles ; que la circonstance que, parmi les griefs d'agissements de concurrence déloyale, la société NTA reproche à la société SECMI et à M. AECK de lui avoir dérobé des plans, des tableaux, des fiches techniques, des notes, des dossiers, est insuffisante à emporter la compétence du tribunal de grande instance ;

Considérant que les actes de concurrence déloyale reprochés par la société NTA à M. AECK, qui cumulait les qualités de salarié, d'associé et de mandataire social, se rattachent à l'exécution de ses fonctions de salarié ; qu'il est ainsi reproché à M. AECK la rupture brutale abusive de son contrat de travail, son embauche déloyale par la société SECMI, le détournement de documents avant sa démission, le détournement de clientèle avant son départ de la société NTA ; que seul le grief d'absence de passation normale de ses pouvoirs de président et de mandataire social ne concerne pas sa situation de salarié ;

Considérant que le conseil de prud'hommes a une compétence exclusive pour connaître des faits de concurrence déloyale reprochés par un employeur à son ancien salarié, lorsque ces faits se sont produits avant la cessation du contrat de travail et, lorsque accomplis postérieurement, ils sont directement liés aux précédents ; qu'il n'existe pas d'indivisibilité entre le litige opposant la société NTA à M. AECK et celui opposant la société NTA à la société SECMI, les décisions qui seront rendues par le conseil de prud'hommes et le tribunal de commerce pouvant être exécutées simultanément ; que la société NTA a la faculté d'assigner M. AECK devant le tribunal de commerce pour les faits de concurrence déloyale se rattachant à sa qualité d'associé et de mandataire social et la société SECMI d'appeler en garantie M. AECK devant ce même tribunal ; qu'il y a lieu d'accueillir l'exception d'incompétence soulevée par M. AECK et de déclarer le conseil de prud'hommes d'Évry compétent pour statuer sur les faits reprochés à M. AECK et liés à son contrat de travail ;

Sur la compétence du tribunal de commerce :

Considérant que la société SECMI expose que la procédure initiée par la société NTA ne porte que sur la concurrence déloyale ; que l'existence même de dessins et modèles est contestée et tout au plus il existe des plans de four qui concernent une société THERMIQUE AUTOMATION aujourd'hui liquidée ; qu'en application des articles L. 420-7, D. 442-3 et les annexes 4-2 et 4-2-1 du Code de commerce, le tribunal de commerce est seul compétent ;

Considérant que la société NTA expose que l'objet du litige est le détournement de dessins et modèles ce qui donne compétence uniquement au tribunal de grande instance ; que le juge de la mise en état a justement écarté l'application des dispositions de l'article D. 442-3 du Code de commerce dès lors que M. AECK n'est ni commerçant, ni artisan ;

Considérant que les dispositions des articles L. 420-7, D. 442-3 et les annexes 4-2 et 4-2-1 du Code de commerce relatives aux pratiques anticoncurrentielles ne sont pas applicables en l'espèce, l'action en concurrence déloyale de la société NTA, fondée sur les dispositions de l'article 1382 du Code civil, étant de nature délictuelle ; que l'action en concurrence déloyale exercée par une société commerciale contre une autre société commerciale est de la compétence du tribunal de commerce ; que tel est le cas en l'espèce, puisque les demandes de concurrence déloyale ne sont pas connexes à une action en matière de dessins et modèles ; que la société NTA doit porter son action contre la société SECMI devant le tribunal de commerce, lequel devra éventuellement, s'il estime nécessaire à une bonne administration de la justice, surseoir à statuer dans l'attente de la décision du conseil de prud'hommes d'Évry statuant sur l'action dirigée contre M. AECK ;

Considérant que, en application de l'article 46 du Code de procédure civile, en matière délictuelle le demandeur, la société NTA, peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, la société SECMI, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi ; qu'en l'espèce, la société NTA, qui a son siège social à Paris et le préjudice ayant été subi dans ce département, peut saisir, à son choix, de son action en concurrence déloyale contre la société SECMI, soit le tribunal de commerce de Paris, soit le tribunal de commerce d'Évry, juridiction du siège social de la société SECMI ;

Par ces motifs : Déclare recevable l'appel formé par M. Michel AECK ; Infirme l'ordonnance rendue le 21 novembre 2013 par le juge de la mise en état du tribunal de grande instance d'Évry ; Et statuant à nouveau, Dit que le tribunal de grande instance d'Évry est incompétent au profit du conseil de prud'hommes d'Évry pour connaître des demandes formulées par la SAS NTA à l'encontre de M. Michel AECK ; Renvoie l'affaire en ce qu'elle oppose la SAS NTA à M. Michel AECK devant le conseil de prud'hommes d'Evry ; Dit que le tribunal de grande instance d'Évry est incompétent au profit du tribunal de commerce de Paris ou d'Évry, au choix de la SAS NTA, pour connaître des demandes formulées par la SAS NTA à l'encontre de la SA SECMI ; Condamne la SAS NTA à verser à M. Michel AECK la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamner la SAS NTA à verser à la SA SECMI la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute les parties de leurs autres demandes ; Condamne la SAS NTA aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés en application de l'article 699 du Code de procédure civile.