Livv
Décisions

ADLC, 10 septembre 2015, n° 15-D-14

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

sur les pratiques mises en œuvre par les sociétés Bolton Solitaire SAS, Danone SA, Johnson & Johnson Santé et Beauté France SAS et Pernod-Ricard SA dans le secteur de la distribution des produits de grande consommation en outremer

ADLC n° 15-D-14

10 septembre 2015

L'Autorité de la concurrence, section V,

Vu la décision n° 10-SO-01 du 29 janvier 2010, enregistrée sous le numéro 10/0005 F, par laquelle l'Autorité de la concurrence s'est saisie d'office de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des produits de grande consommation dans les départements d'outre-mer en application des dispositions de l'article L. 462-5 du Code de commerce ; Vu la décision n° 14-SO-06 du 14 octobre 2014, enregistrée sous le numéro 14/0078 F, par laquelle l'Autorité a étendu sa saisine d'office aux pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des produits de grande consommation dans l'ensemble des collectivités d'outre-mer pour lesquelles l'Autorité est compétente ; Vu la décision du 17 octobre 2014, par laquelle la rapporteure générale a joint l'instruction de ces deux dossiers ; Vu le livre IV du Code de commerce ; Vu les décisions de secret des affaires n° 14-DSA-282, 14-DSA-284, 14-DSA-293, 15-DSA-70, 15-DSA-72, 15-DSA-73, 15-DSA-74, 15-DSA-75, 15-DSA-76, 15-DSA-77, 15-DSA-78, 15-DSA-85, 15-DSA-86, 15-DSA-87, 15-DSA-88, 15-DSA-89, 15-DSA-103, 15-DSA-104, 15-DSA-116, 15-DSA-117, 15-DSA-119, 15-DSA-124, 15-DSA-135, 15-DSA-138, 15-DSA-142, 15-DSA-143, 15-DEC-07, 15-DECR-16, 15-DECR-17, 15-DECR-19; Vu l'évaluation préliminaire des préoccupations de concurrence en date du 1er avril 2015 transmise aux parties et au commissaire du Gouvernement le 2 avril 2015 ; Vu les propositions d'engagements de la société Bolton Solitaire SA du 4 mai 2015 modifiée le 21 juillet 2015, de la société Danone SA du 12 mai 2015, modifiée le 10 juillet 2015, de la société Johnson & Johnson Santé et Beauté France du 12 mai 2015, modifiée le 8 juillet 2015 et de la société Pernod-Ricard du 5 mai 2015, modifiée le 8 juillet 2015 ; Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Bolton Solitaire SA, Danone SA, Johnson & Johnson Santé et Beauté France et Pernod-Ricard entendus lors de la séance du 21 juillet 2015 ; Vu les autres pièces du dossier ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

1. Par décision n° 10-SO-01 du 29 janvier 2010, enregistrée sous le numéro 10/0005F, l'Autorité de la concurrence (ci-après " l'Autorité ") s'est saisie d'office de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des produits de grande consommation dans les départements d'outre-mer.

2. Par décision n° 14-SO-06 du 14 octobre 2014, enregistrée sous le numéro 14/0078F, l'Autorité a étendu sa saisine d'office aux pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des produits de grande consommation dans l'ensemble des collectivités d'outre-mer pour lesquelles elle est compétente.

3. Par décision du 17 octobre 2014, la rapporteure générale a joint ces deux affaires.

A. LES PARTIES MISES EN CAUSE

1. BOLTON SOLITAIRE SAS

4. Bolton Solitaire SAS (RCS Nanterre B 742 018 443) est une filiale à 100 % du groupe italien Bolton Manitoba SPA. Les différentes entités du groupe Bolton sont présentes, en Europe et dans le reste du monde, sur les marchés de la fabrication de produits d'alimentation, de beauté, d'hygiène et d'entretien. La société Bolton Solitaire SAS commercialise, en France métropolitaine et en outre-mer, les marques Carolin, WC Net, Omino Bianco, Ouragan, Solivaisselle, Merito et Sanogyl.

2. DANONE

5. Les différentes entités du groupe Danone consolident leurs comptes auprès de la société Danone S.A (RCS Paris 552 032 534) (cotes 1834 VC, 3962 VNC). Au sein du groupe, seules les Société Anonyme des Eaux Minérales d'Evian (RCS Thonon les Bains 797 080 850) (ci-après " SAEME ") et Danone Nutricia Africa and Overseas (RCS Villefranche-Tarare 517 441 820) (ci-après " DNA&O "), produisent des biens de grande consommation qui sont acheminés et distribués dans les collectivités d'outre-mer.

6. La SAEME produit et commercialise les eaux minérales naturelles vendues sous marque Badoit, Evian et Volvic (cotes 1834 VC, 3962 VNC). La société DNA&O produit et commercialise les produits d'alimentation pour nourrissons vendus sous les marques Gallia, Blédilait, Blédidej, Blédichef, Blédine, Phosphatine, Les Idées de Maman et Blédina (cotes 1834 VC, 3962 VNC).

3. JOHNSON & JOHNSON

7. La société Johnson & Johnson Santé Beauté France SAS (RCS Nanterre 479 824 724) appartient au groupe nord-américain Johnson & Johnson (ci-après " JJSBF "), auprès duquel ses comptes sont consolidés. Johnson & Johnson Santé Beauté France produit et commercialise les produits vendus sous les marques Le Petit Marseillais, Laboratoires Vendôme, Neutrogena, Primage, Listerine, Vania et Nett.

4. PERNOD-RICARD

8. La société Pernod-Ricard SA (RCS Paris 582 041 943) est la tête du groupe Pernod-Ricard en France. Elle produit et commercialise, par l'intermédiaire de ses filiales, des boissons alcoolisées, notamment les marques Absolut, Ballantine's, Chivas Regal, The Glenlivet, Pastis 51, Pernod, Ricard, Martell, Mumm, Perrier-Jouët et Havana Club International.

9. L'approvisionnement des distributeurs ultramarins est assuré par trois filiales du groupe Pernod-Ricard. Pernod-Ricard Americas Travel Retail (ci-après " PRATR "), société de droit américain, assure l'approvisionnement des Antilles et de la Guyane. Pernod-Ricard Kenya, société de droit kenyan, approvisionne les distributeurs établis à la Réunion et à Mayotte. Enfin, Pernod-Ricard Europe Middle East and Africa est en charge de la distribution des produits anisés de marque Ricard à Saint Pierre et Miquelon.

B. LES CIRCUITS D'IMPORTATION

10. Dans son avis n° 09-A-45, l'Autorité a distingué trois circuits d'approvisionnement des territoires ultramarins : le circuit intégré, le circuit court et le circuit long.

11. Le circuit intégré est celui par lequel l'industriel implante une structure logistique lourde sur le territoire concerné. Il se charge ainsi du transport, de la manutention des produits et de l'approvisionnement des points de vente. Ce circuit, choisi par certains fournisseurs dans les territoires dans lesquels ils réalisent des chiffres d'affaires importants, est le moins fréquemment rencontré en pratique.

12. Dans le cas du circuit court (ou " circuit désintermédié "), le distributeur est livré sur ses propres plateformes de stockage situées en métropole, outre-mer ou dans les deux. Ce circuit d'approvisionnement est, par exemple, privilégié par les grands distributeurs pour l'approvisionnement en produits vendus sous leur marque.

13. Enfin, le circuit long (ou " circuit intermédié ") consiste à recourir à un intermédiaire, généralement désigné sous le terme d'" importateur-grossiste ", qui assure certaines opérations logistiques (stockage, livraison, etc.), revend aux distributeurs les produits achetés auprès des industriels et prend en charge certaines actions commerciales. Le circuit long est le circuit d'approvisionnement historique dans les territoires ultramarins. Nonobstant le développement de l'approvisionnement direct au cours des deux dernières décennies, les industriels métropolitains ont recours au système intermédié de manière quasi systématique pour la vente de leurs produits de marque.

14. Les importateurs-grossistes, même s'ils se présentent parfois eux-mêmes comme agents de marque, sont indépendants d'un point de vue juridique et économique des fournisseurs dont ils assurent la distribution des produits. Malgré cette indépendance qui devrait permettre une certaine mobilité, le marché de l'intermédiation est caractérisé par une grande inertie en raison de la pérennité des relations commerciales entre fournisseurs et grossistes-importateurs, établies pour certaines depuis plusieurs décennies. En effet, si une certaine concurrence peut s'exercer entre les grossistes-importateurs lors des négociations commerciales initiales pour l'acheminement et la distribution de certains produits sur un territoire concerné, rares sont les fournisseurs qui changent ensuite de grossistes, sauf à l'occasion de restructurations au sein des groupes auxquels appartiennent les industriels. Ces changements peuvent conduire à ce qu'une marque ou un produit distribué par un importateur grossiste soit confié à un autre importateur, partenaire de l'acquéreur.

II. L'évaluation préliminaire

A. LE DROIT APPLICABLE

15. L'article L. 420-2-1 du Code de commerce, dispose que : " Sont prohibés, dans les collectivités relevant de l'article 73 de la Constitution et dans les collectivités d'outre-mer de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Wallis-et-Futuna, les accords ou pratiques concertées ayant pour objet ou pour effet d'accorder des droits exclusifs d'importation à une entreprise ou à un groupe d'entreprises ".

16. Toutefois, en application du III de l'article L. 420-4, ces accords d'exclusivité peuvent être admis dès lors que leurs auteurs peuvent justifier qu'ils sont fondés " sur des motifs objectifs tirés de l'efficacité économique et qui réservent aux consommateurs une partie équitable du profit qui en résulte ".

17. Ces dispositions, issues de la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012, sont applicables à compter du 20 mars 2013.

B. LES PRATIQUES CONSTATÉES

1. LES PRATIQUES MISES EN OEUVRE PAR BOLTON SOLITAIRE SA

18. Dans sa réponse au questionnaire des services d'instruction, la société Bolton Solitaire SA a déclaré : " Les produits Bolton Solitaire sont commercialisés directement dans les territoires d'outre-mer uniquement par un circuit long avec un incoterm de Franco Transitaire " (cote 2735), tout en précisant que ses produits sont également susceptibles d'être acheminés par les plateformes des enseignes de grande distribution métropolitaines qui ont " les moyens d'expédier des marchandises dans les territoires d'outre-mer à partir de leurs dépôts français " (cote 2736).

19. Les produits sous les marques commercialisées par Bolton Solitaire sont distribués en Guadeloupe, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin par un seul intermédiaire, la société DIFAG, grossiste-importateur sis à Baie-Mahault en Guadeloupe, qui bénéficie d'un contrat signé le 1er avril 2009 avec Bolton Solitaire SA et qui est toujours en vigueur. Certaines clauses de ce contrat sont de nature à conforter une situation d'exclusivité au profit du grossiste-importateur.

20. Les produits sous les marques commercialisées par Bolton Solitaire sont également distribués par un seul intermédiaire de gros en Martinique, à Mayotte et à la Réunion.

21. Ainsi, sur l'ensemble de ces territoires ultramarins, les relations commerciales de la société Bolton Solitaire SA avec les intermédiaires de gros qui assurent la distribution de ses produits sont susceptibles d'être prohibées par les dispositions de l'article L. 420-2-1 du Code de commerce.

2. LES PRATIQUES MISES EN OEUVRE PAR CERTAINES FILIALES DU GROUPE DANONE

a) Les pratiques mises en œuvre par SAEME

22. La société Danone SA a précisé que : " La SAEME utilise le circuit long pour acheminer et distribuer ses produits dans les collectivités d'Outre-mer concernées " (cotes 1835 VC, 3963 VNC), sans exclure les importations directes par la grande distribution (1).

23. Les eaux en bouteille commercialisées par SAEME sont distribuées par un seul intermédiaire de gros aux Antilles et en Guyane. La distribution des marques Évian, Volvic, Badoit en Martinique, en Guadeloupe, et en Guyane est régie par deux contrats signés le 21 janvier 1999 avec différentes filiales de la société Antilles Glaces (2) (qui est elle-même une filiale du groupe Alain Despointes). Le premier contrat porte sur les eaux de marque Evian et Badoit (cotes 1851 à 1870 VC, 3979 à 3997 VNC), le second porte sur les eaux sous marque Volvic (cotes 1870 à 1890 VC, 4000 à 4019 VNC).

24. Certaines clauses de ces contrats sont de nature à conforter une situation d'exclusivité au profit des grossistes-importateurs avec lesquels ils sont conclus.

25. La même situation d'importateur unique pour un territoire est constatée à la Réunion, à Mayotte, à Saint-Barthélemy et à Saint-Pierre et Miquelon.

26. Ainsi, les modalités des relations commerciales de la société SAEME avec les intermédiaires de gros qui assurent la distribution de ses produits en Guadeloupe, en Guyane, à Saint-Barthélemy, en Martinique, à Mayotte, à la Réunion et à Saint-Pierre et Miquelon sont susceptibles d'être prohibées par les dispositions de l'article L. 420-2-1 du Code de commerce

b) Les pratiques mises en œuvre par DNA&O

27. Dans sa réponse au questionnaire des services d'instruction, la société Danone SA a déclaré qu'à l'instar de ce qui prévaut pour la distribution des eaux : " DBNAO utilise le circuit long pour acheminer et distribuer ses produits dans les collectivités d'Outre-mer concernées " (cotes 1836 VC, 3964 VNC).

28. Les aliments et/ou boissons pour enfants commercialisés par DNA&O sont distribuées par un seul intermédiaire de gros en Guyane.

29. Les modalités de distribution des produits d'alimentation infantile sous les marques Blédina et Gallia sur ce territoire sont régies par un contrat signé le 28 décembre 2012 avec la société Comptoir Guyanais d'importation, sise à Cayenne, en Guyane (cotes 1846 VC, 3974 VNC). Certaines clauses de ce contrat sont de nature à conforter une situation d'exclusivité au profit du grossiste-importateur avec lequel il a été conclu.

30. Par ailleurs, il a été constaté que les produits sous les marques commercialisées par DNA&O sont également distribuées par un seul intermédiaire de gros en Guadeloupe, à la Martinique, à la Réunion, à Saint-Martin, à Saint-Pierre et Miquelon et à Wallis et Futuna (3).

31. Ainsi, certaines modalités des relations commerciales de la société DNA&O avec les intermédiaires de gros en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à Saint-Martin, à la Réunion, à Saint-Pierre et Miquelon et à Wallis et Futuna sont susceptibles d'être prohibées par les dispositions de l'article L. 420-2-1 du Code de commerce.

c) Les pratiques mises en œuvre par les filiales du groupe Johnson & Johnson

32. Dans sa réponse au questionnaire des services d'instruction, la société Johnson & Johnson Santé et Beauté France (ci-après " JJSBF ") a précisé : " La totalité des produits de grande consommation de JJSBF est acheminée et distribuée vers les collectivités d'Outre-mer via des grossistes-importateurs (circuit long) " (cote 714 VC). La société JJSBF a toutefois précisé, lors d'échanges ultérieurs avec les services d'instruction, que les contrats conclus avec ses grossistes importateurs prévoient expressément que des produits livrés en France métropolitaine à des clients, comme la grande distribution, sont susceptibles d'être importés directement sur le territoire. (cote 7213)

33. Les produits commercialisés par Laboratoire Vendôme - qui est une filiale du groupe Johnson & Johnson - sont distribués par un seul intermédiaire de gros en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à Mayotte, à la Réunion, à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy.

34. Dans la zone Antilles-Guyane, la distribution des cosmétiques commercialisés sous les marques Laboratoires Vendôme est régie par un contrat de distribution signé le 26 novembre 2007 par Laboratoires Vendôme avec la société Services Distribution Caraïbes sise à Fort-de-France, Martinique (cotes 719 à 731 VC, 2968 à 2969 VNC).

35. Dans la zone " Océan-Pacifique ", la distribution des cosmétiques commercialisés sous les marques Laboratoires Vendôme est régie par un contrat de distribution signé le 26 novembre 2007 par Laboratoires Vendôme avec la société Établissements Frédéric Legros sise à Saint-Denis de la Réunion (cotes 733 à 747 VC, 2970 à 2971 VNC).

36. Certaines clauses de chacun de ces contrats sont de nature à conforter une situation d'exclusivité, sur leurs territoires respectifs, au profit des grossistes-importateurs avec lesquels ils ont été conclus.

37. Par ailleurs, les produits commercialisés sous les marques Laboratoires Vendôme à Mayotte et Wallis et Futuna, de même que les produits commercialisés sous les marques Nett et Vania en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique et à la Réunion sont également distribués par un seul intermédiaire de gros sur chacun de ces territoires.

38. Il résulte de ce qui précède que les modalités des relations commerciales de certaines filiales de la société JJSBF avec les intermédiaires de gros qui assurent la distribution de ses produits en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à Mayotte, à la Réunion, à Saint- Martin et à Wallis et Futuna sont susceptibles d'être prohibées par les dispositions de l'article L. 420-2-1 du Code de commerce.

d) Les pratiques mises en œuvre par certaines filiales du groupe Pernod-Ricard

39. Dans sa réponse au questionnaire de l'instruction, la société Pernod-Ricard a déclaré : " les modes d'approvisionnement auxquels recourt Pernod-Ricard pour la distribution de ses produits dans ces collectivités d'Outre-mer correspondent donc à un circuit long " (cotes 2034 VC, 3091 VNC) (4). La société Pernod-Ricard a toutefois précisé, lors d'échanges ultérieurs avec les services d'instruction, que ses produits sont également susceptibles d'être acheminés dans les outremers via les plateformes métropolitaines de la grande distribution (cotes 7193 à 7194)

40. Les vins et spiritueux commercialisés par Pernod-Ricard ou ses filiales sont distribués par un seul intermédiaire de gros en Guadeloupe. Les modalités de distribution des produits Pernod-Ricard sur ce territoire étaient régies par un contrat conclu par la société Allied Domecq Latin America, filiale du groupe Pernod-Ricard, avec la société de distribution en gros Établissements Jacques Nouy, sise à Baie-Mahault en Guadeloupe, le 21 septembre 2004 (cotes 2045 à 2064 VC, 3102 à 3121 VNC). Ce contrat a été résilié en septembre 2014 après que Pernod-Ricard a été approché par les services d'instruction dans le cadre de l'enquête (lettre du 10 septembre 2014, cote 5920). Certaines clauses de ce contrat étaient de nature à conforter une situation d'exclusivité sur le territoire de la Guadeloupe au profit de l'importateur-grossiste avec lequel il a été conclu.

41. De surcroît, les produits commercialisés par Pernod-Ricard ou certaines des ses filiales sont également distribués par un seul intermédiaire de gros dans chacun des territoires de Guadeloupe, de Mayotte, de la Réunion et de Saint Barthélémy (cotes 2039 à 2041 VC, 3096 à 3098 VNC).

42. En Guyane et en Martinique, les vins et spiritueux commercialisés par Pernod-Ricard ou ses filiales sont distribués par une pluralité d'intermédiaires de gros. Cette division s'explique notamment par la circonstance que Pernod-Ricard a acquis les portefeuilles de marques de Seagram en 2000, d'Allied Domecq en 2005 et racheté la société Vin & Spirit (Absolut) en 2008 (cote 2041 VC, 3098 VNC).

43. Toutefois, les opérateurs qui assurent la distribution en gros des boissons commercialisées par Pernod-Ricard sur ces territoires sont chacun chargés d'un " portefeuille de marques " dont les champs ne se recoupent jamais. Ainsi, chaque distributeur en gros assure la distribution de certaines des marques seulement, la distribution des autres marques étant confiée à d'autres distributeurs partenaires de Pernod-Ricard sur le même territoire. Il en résulte que la distribution d'une boisson donnée en Guadeloupe, en Guyane et en Martinique ne repose effectivement que sur un seul grossiste sur chacun de ces territoires.

44. Il résulte de ce qui précède que les modalités des relations commerciales de certaines filiales de la société Pernod-Ricard avec les intermédiaires de gros qui assurent la distribution de ses produits en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à Mayotte, à la Réunion et à Saint-Barthélemy sont susceptibles d'être prohibées par les dispositions de l'article L. 420-2-1 du Code de commerce.

III. La mise en œuvre de la procédure d'engagements

45. Lors de l'instruction de la présente affaire, les sociétés Bolton Solitaire, Danone, Johnson & Johnson et Pernod-Ricard, ont approché les services d'instruction de l'Autorité pour mettre en œuvre la procédure d'engagement prévue au I de l'article L 464-2 du Code de commerce. Le 2 avril 2015, les services d'instruction de l'Autorité ont adressé à Bolton Solitaire SA, Danone SA, Johnson & Johnson Santé et Beauté France et Pernod-Ricard une évaluation préliminaire dans laquelle étaient exprimées les préoccupations de concurrence que suscitaient les pratiques décrites plus haut.

46. Les propositions d'engagements transmises en retour par les entreprises en cause ont été soumises à un test de marché le 13 mai 2015 (A) au cours duquel des tiers intéressés ont formulé des observations (B). Les entreprises mises en cause ont, par la suite, amendé leurs propositions initiales pour tenir compte de ces observations (C).

A. SUR LES ENGAGEMENTS PROPOSÉS PAR LES ENTREPRISES MISES EN CAUSE

1. LES ENGAGEMENTS PROPOSÉS PAR BOLTON SOLITAIRE

47. Le 4 mai 2015, la société Bolton Solitaire SAS a proposé aux services d'instruction un engagement de procéder, à intervalles réguliers, à un appel public à la négociation de contrats d'importation et de distribution de l'ensemble de ses produits pour tous les territoires ultramarins dans lesquels ces derniers sont distribués par la voie d'intermédiaires (" circuit long "), soit, à ce jour, les territoires de la Guadeloupe, la Martinique, Mayotte et la Réunion.

48. Elle s'engage ainsi à mener une négociation avec chacun des grossistes ayant répondu à son appel public, sous réserve du caractère sérieux de la manifestation d'intérêt reçue. Bolton s'engage à appliquer les critères/conditions contractuels indiqués dans l'appel à négociation " de manière uniforme " à l'ensemble des grossistes qui répondraient à cet appel, mais non à accepter par principe toute demande de distribution.

49. Elle s'engage également à formaliser, par écrit, les accords de distribution qui résulteraient de la négociation décrite ci-dessus, soit sous forme de conditions générales de vente, soit, le cas échéant, sous forme de contrats dont la durée ne pourra pas excéder quatre ans et qui ne pourront être renouvelés tacitement. Les contrats ne confèreront aucun droit exclusif aux opérateurs retenus pour distribuer ses produits sur chaque territoire ultramarin.

50. Bolton Solitaire s'engage à solliciter publiquement les grossistes, selon les modalités décrites ci-dessus, tous les quatre ans, et ce pour une durée maximale de huit ans à compter du premier appel à négociation.

2. LES ENGAGEMENTS PROPOSÉS PAR LES FILIALES DE DANONE SA

51. Le 12 mai 2015, Danone Nutricia Africa & Overseas (ci-après " DNA&O ") et la Société Anonyme des Eaux Minérales d'Évian (ci-après " SAEME "), filiales du groupe Danone SA, ont proposé, de manière conjointe, des engagements aux services d'instruction.

52. SAEME et DNA&O s'engagent à modifier dans un délai de trois mois les contrats existants en vue de la suppression des clauses contractuelles litigieuses et à signer de nouveaux contrats n'instituant aucun droit exclusif. À ces occasions, SAEME et DNA&O s'engagent également à supprimer ou ne pas introduire d'obligations de non-concurrence.

53. SAEME et DNA&O s'engagent à choisir, à l'avenir, les grossistes-importateurs à l'issue d'une mise en concurrence transparente et non discriminatoire, organisée selon une périodicité régulière, et à formaliser les relations avec ces partenaires par un contrat ne comportant aucun droit exclusif d'importation.

54. Le périmètre et les modalités de cette mise en concurrence varient en fonction des filiales et des territoires concernés. Deux modes d'appel au marché sont ainsi envisagés. Le premier consiste en un véritable appel d'offres et vise principalement les plus grands territoires, le second, qui concerne les territoires de dimension plus modeste, consiste en une invitation publique à négocier.

55. La mise en concurrence envisagée respecte les règles de transparence et de non-discrimination, mais est limitée aux opérateurs susceptibles d'être intéressés. Elle suit une procédure reposant sur l'élaboration d'un cahier des charges et d'un règlement de consultation.

56. DNA&O et SAEME proposent de s'engager à signer avec le (ou les) opérateur(s) choisi(s) à l'issue de la mise en concurrence un contrat écrit conforme à l'exigence de l'article L. 420-2-1 du Code de commerce. Elles proposent également de s'engager à prévoir expressément dans ce(s) contrat(s) la possibilité de contracter, à tout moment, avec un ou plusieurs autres opérateurs qui souhaiteraient distribuer leurs produits et qui répondraient aux critères du cahier des charges.

57. SAEME s'engage également à choisir un ou plusieurs distributeurs pour la distribution des produits de marque Évian et/ou Volvic et/ou Badoit dans les territoires de Saint- Barthélemy, de la partie française de l'île de Saint-Martin, de Wallis et Futuna, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Mayotte, à la suite d'une invitation publique à négocier insérée dans un journal local.

58. De la même manière, DNA&O s'engage à choisir un ou plusieurs distributeurs et/ou grossistes pharmaceutiques pour la distribution des produits de marque Blédina et/ou Gallia à Wallis et Futuna à la suite d'une invitation publique à négocier insérée dans un journal local.

59. DNA&O s'engage à organiser ces mises en concurrence ou à publier ces invitations publiques à négocier tous les quatre ans et SAEME tous les trois ans.

60. DNA&O et SAEME proposent de s'engager à mettre en œuvre les propositions d'engagements qui figurent ci-dessus de manière progressive à compter de la décision de l'Autorité les rendant obligatoires, en tenant compte des délais de préavis à respecter pour mettre fin aux relations dans un délai de deux ans maximum. L'ensemble des propositions d'engagements qui figurent ci-dessus seront souscrites pour une durée de dix ans.

3. LES ENGAGEMENTS PROPOSÉS PAR JOHNSON & JOHNSON SANTÉ ET BEAUTÉ FRANCE

61. Le 12 mai 2015, JJSBF a proposé, pour le compte de ses filiales, des engagements aux services d'instruction. Dans les territoires de Martinique, Guyane, Guadeloupe et Saint- Martin, JJSBF s'engage à modifier ses contrats dans un délai d'un mois maximum à compter de la décision de l'Autorité afin de supprimer les clauses d'exclusivité consenties pour la distribution de ses produits dans les territoires de la Réunion et des Antilles. Dans les territoires de Mayotte et Wallis et Futuna, JJSBF s'engage à conclure des contrats précisant expressément que la distribution de ses produits se fait sur une base non exclusive.

62. JJSBF s'engage à choisir, à l'avenir, les grossistes importateurs à l'issue d'un appel au marché organisé selon une périodicité régulière, et à formaliser les relations avec ces partenaires par un contrat ne comportant aucun droit exclusif d'importation.

63. Le périmètre et les modalités de cette mise en concurrence varient en fonction des territoires concernés. Deux modes d'appel au marché sont ainsi envisagés. Le premier consiste en un véritable appel d'offres et vise principalement les plus grands territoires, le second en une information publique à l'ensemble du marché pour la distribution des produits JJSBF s'agissant des territoires de dimension plus modeste.

64. Dans les territoires de la Martinique, de la Guyane, de la Guadeloupe et de Saint-Martin, JJSBF s'engage à organiser une procédure de mise en concurrence, claire, transparente et non discriminatoire afin de désigner le(s) futur(s) grossiste(s) importateur(s) chargé(s) de la distribution de ses produits dans les territoires de la Réunion et des Antilles. Cette procédure de mise en concurrence portera sur l'ensemble des marques commercialisées par JJSBF sur les territoires concernés.

65. JJSBF s'engage à étudier toute offre de grossistes importateurs déposée dans le cadre qui serait en conformité avec la procédure de mise en concurrence initiée et à signer avec les grossistes importateurs retenus à l'issue de la procédure de mise en concurrence un contrat écrit conforme aux dispositions du Code de commerce.

66. JJSBF s'engage à conclure les contrats résultant de la procédure de mise en concurrence pour une durée de trois ans non renouvelables par tacite reconduction. Toutefois, dans l'hypothèse où à l'issue de l'appel d'offres un seul grossiste importateur aurait été retenu, la durée du contrat sera réduite à deux ans non renouvelables tacitement.

67. Dans les territoires de Mayotte et Wallis et Futuna, JJSBF s'engage à entrer de bonne foi en négociation avec tout distributeur intéressé par la distribution de ses produits qui en ferait la demande et disposant des moyens nécessaires à leur distribution.

68. Pour assurer l'information des acteurs du marché sur ce point, JJSBF s'engage, tous les deux ans, à faire paraître une annonce dans au moins un journal local de chaque territoire concerné détaillant les catégories de produits visés par la distribution. JJSBF s'engage à conclure des contrats pour une durée de trois ans non renouvelables.

4. LES ENGAGEMENTS PROPOSÉS PAR PERNOD-RICARD

69. Le 5 mai 2015, Pernod-Ricard SA, société faitière du groupe Pernod-Ricard, a proposé, pour elle-même et pour ses filiales en charge des territoires de la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, Saint-Martin, Saint-Barthélemy, la Réunion et Mayotte, des engagements aux services d'instruction de l'Autorité qui répondent aux préoccupations de concurrence identifiées dans l'évaluation préliminaire.

70. Pernod-Ricard s'engage à proposer, dans les six mois suivant la notification de la décision de l'Autorité, un contrat écrit aux importateurs-grossistes avec lesquels il est en relation dans les territoires de Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Mayotte. Dans l'hypothèse où Pernod-Ricard nouerait des relations avec de nouveaux importateurs grossistes locaux dans ces trois territoires, celles-ci seraient également formalisées par écrit dans les mêmes termes. Ces accords seraient conclus pour une durée limitée, de deux à trois ans, et non renouvelables tacitement.

71. Pernod-Ricard s'engage à faire publier dans des revues locales spécialisées et/ou dans la presse générale diffusées dans ces quatre territoires un appel à négociation invitant l'ensemble des grossistes actifs dans le secteur des vins et spiritueux qui souhaiteraient distribuer les produits du groupe à se manifester auprès de Pernod-Ricard (ou ses filiales en charge de la zone) et à mener une négociation avec chacun des importateurs grossistes ayant répondu sur la base d'un modèle de contrat valable pour l'ensemble des importateurs-grossistes qui répondront aux appels publics à négociation.

72. Pernod-Ricard se réserve la faculté, pour certaines catégories de produits ou marques dont elle souhaite promouvoir par priorité le développement, à ne pas en confier la commercialisation aux importateurs-grossistes assurant par ailleurs la distribution des produits et marques les plus directement concurrents.

73. Pernod-Ricard s'engage à conclure des accords de distribution pour une durée limitée (quatre ans) dans l'hypothèse où le processus d'appel à négociation conduirait à la sélection d'au moins deux distributeurs pour l'un ou l'autre de ces quatre territoires. Au terme de ces contrats, un nouvel appel public à négociation sera lancé selon les mêmes modalités que celles décrites ci-dessus.

74. Dans l'hypothèse où le processus de sélection susvisé aboutirait, dans un ou plusieurs de cas quatre territoires, à la sélection d'un seul grossiste importateur, la durée du contrat serait d'un maximum de deux ans, au terme de laquelle Pernod-Ricard procédera à un nouvel appel public à négociation.

75. Pernod-Ricard a précisé que ses engagements sont pris pour une durée globale de huit ans à compter de la décision à intervenir de l'Autorité et que ces derniers deviendront caducs pour tout territoire (ou canal de vente sur un territoire) pour lequel Pernod-Ricard abandonnerait le circuit long de distribution de ses produits et passerait à un circuit court d'approvisionnement des revendeurs locaux, soit à partir de la métropole, soit directement sur le territoire concerné.

B. LES OBSERVATIONS RECUEILLIES LORS DU TEST DE MARCHÉ

76. Le 13 mai 2015, l'Autorité mit en ligne sur son site Internet les propositions d'engagements des sociétés Bolton Solitaire SAS, Danone SA, Johnson & Johnson Santé et Beauté France et Pernod-Ricard. Ce test de marché a permis aux tiers intéressés de s'exprimer. Ont ainsi présenté leurs observations : - des grossistes-importateurs ultramarins (qui distribuent des produits commercialisés par Pernod-Ricard) : les Établissements Jacques Nouy (cotes 7247 à 7251 VC et 7264 à 7272 VNC), SOCARA (cotes 7252 à 7257) et Bourdillon Bellonnie et Successeurs (ci-après " BBS ", cotes 7291 à 7294) ; - le président du conseil régional de Guadeloupe (cotes 7260 à 7261).

77. De manière générale, les observations portent sur les spécificités des économies ultramarines et le rôle des grossistes-importateurs dans les outremers et les modalités de leur mise en concurrence. Aucune ne conteste le recours à la procédure d'engagements.

78. Les trois importateurs-grossistes ayant répondu soulignent qu'il est impératif de respecter un délai de préavis pour la rupture des relations commerciales existantes d'au moins deux ans dans la mesure où lesdites relations commerciales sont parfois pluri-décennales. Ils observent également que la conclusion de contrats d'une durée inférieure à quatre ans avec les entreprises retenues à l'issue de l'appel d'offres ne leur confère pas suffisamment de stabilité eu égard aux investissements consentis (cotes 7256 et 7294).

79. Le président du conseil régional de Guadeloupe appelle l'attention de l'Autorité sur le suivi du processus d'attribution des marchés et demande que l'on veille à ce que les procédures d'appel d'offres ne conduisent pas, de facto, à renforcer davantage le pouvoir de marché d'opérateurs locaux déjà puissants au détriment de nouveaux acteurs (cotes 7262 à 7263).

C. DISCUSSION

80. En application du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce l'Autorité de la concurrence peut " accepter des engagements proposés par les entreprises ou organismes et de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence susceptibles de constituer des pratiques prohibées visées aux articles L. 420-1, L. 420-2, L. 420-2-1 et L. 420-5 ".

81. L'article 6 du communiqué de procédure du 2 mars 2009 relatif aux engagements précise que la mise en œuvre de cette procédure est opportune notamment lorsque l'Autorité souhaite " privilégier le maintien ou le rétablissement volontaire de la concurrence sur le marché dans les cas qui s'y prêtent ", tout en permettant aux entreprises mises en cause " de contribuer volontairement à la recherche des solutions appropriées aux préoccupations de concurrence identifiées ".

82. Dans la présente affaire, les préoccupations de concurrence visent des situations d'exclusivité qui résultent généralement d'un contrat garantissant une relation exclusive ou d'un simple refus de commercer avec les grossistes concurrents du grossiste habituel, de nature à conduire à une exclusivité de fait. Mais ces situations peuvent également résulter d'autres facteurs locaux affectant la variété de l'offre sur le marché de l'intermédiation, réduisant ainsi le choix des industriels pour organiser leur circuit de distribution.

83. En l'espèce, les entreprises concernées ont, lors de leurs contacts avec les services d'instruction, spontanément et rapidement proposé d'aller au-delà de leurs obligations légales, qui se limitent à ne pas mettre en place d'accords d'exclusivité sans justification suffisante, et se sont engagées à sélectionner périodiquement leurs grossistes non exclusifs à partir de procédures d'appel d'offres ou de mise en concurrence transparentes et non discriminatoires, ce qui pourrait permettre d'animer la concurrence du coté de l'offre de services dans les circuits longs, voire d'amener de nouveaux opérateurs sur ce marché.

84. Dans ces conditions et au regard de la rapidité de réaction des industriels concernés lors de l'instruction, la procédure d'engagements est plus appropriée que le prononcé éventuel de sanctions pécuniaires pour répondre aux préoccupations de concurrence identifiées.

1. SUR LES ENGAGEMENTS

85. Après discussion avec l'Autorité et avant la séance, JJSBF a déposé une nouvelle version de sa proposition d'engagement le 8 juillet 2015, Danone SA et Pernod-Ricard ont fait de même le 10 juillet 2015. La société Bolton Solitaire SAS a remis une nouvelle version de ses engagements à l'Autorité lors de la séance. Ces nouvelles propositions tiennent compte des résultats du test de marché. Les amendements apportés vont notamment dans le sens d'une harmonisation des dispositifs d'appel au marché. C'est sur ces dernières versions que l'Autorité statue.

a) Sur les modalités de la mise en concurrence des opérateurs envisagées dans chacun des territoires

86. Alors qu'elle n'envisageait initialement qu'une simple formalisation des relations contractuelles dans les territoires de Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Mayotte, la société Pernod-Ricard propose désormais un dispositif d'appel public à la négociation similaire à celui qu'elle propose dans les plus grands territoires mais suivant un formalisme allégé et ne prévoyant pas de distinction de durée des contrats en fonction du nombre d'opérateurs retenus.

87. Danone a également amendé sa proposition initiale dans le sens d'une harmonisation des modalités de mise en concurrence des opérateurs dans l'ensemble des territoires visés par les préoccupations de concurrence. Danone s'engage dorénavant à ce que l'invitation à candidatures soit insérée dans une annonce dans un journal local. Cette annonce inclura une description sommaire des prestations demandées, des caractéristiques objectives des produits et des marques concernées ainsi que les coordonnées de la personne à contacter pour la remise du cahier des charges et du règlement de consultation. Cette publicité pourra être doublée de l'envoi de l'invitation à candidatures aux opérateurs qui, à la connaissance de DNA&O et SAEME, sont susceptibles d'être intéressés ainsi qu'à tout opérateur faisant acte de candidature spontanée.

88. Les engagements décrits ci-dessus conduisent à généraliser le mécanisme d'appel public aux opérateurs dans l'ensemble des territoires visés par les préoccupations de concurrence et, partant, sont de nature à renforcer la concurrence intra-marque entre les opérateurs ultramarins. Par ailleurs, les amendements proposés concourent à renforcer le caractère public du dispositif envisagé, ce qui en renforce la transparence et le caractère contrôlable.

b) Sur les délais de mise en œuvre

89. S'agissant de la nécessité de tenir compte de la durée des relations commerciales existantes dans les hypothèses où le dispositif envisagé conduirait à y mettre fin, préoccupation exprimée par des grossistes lors du test de marché, Bolton Solitaire SAS, Danone, JJSBF et Pernod-Ricard ont adapté les délais de mise en œuvre qu'ils avaient initialement proposés.

90. Bolton Solitaire indique que l'appel public à négociation sera mis en œuvre dans un délai de cinq mois et que les accords conclus à l'issue de cette procédure avec un ou plusieurs importateurs-grossistes prendront effet, au plus tard, douze mois à compter de la publication de la décision.

91. De manière analogue, Danone s'engage dorénavant à lancer, dans un délai d'un an maximum à compter de la décision de l'Autorité, la mise en concurrence et l'invitation publique à négocier, afin de tenir compte des délais de préavis à respecter pour mettre fin aux relations commerciales avec ses grossistes-importateurs.

92. Pernod-Ricard propose, s'agissant des territoires de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion, de publier des appels publics à la négociation des contrats d'importation et de distribution de ses produits et à entamer les négociations avec chacun des importateurs-grossistes candidats dans un délai d'un an à compter de la décision et, au plus tard, le 31 octobre 2016. Pernod-Ricard propose également de calquer le délai de mise en œuvre de l'appel public à Mayotte, Saint Martin et Saint Barthélémy sur celui envisagé dans les plus grands territoires.

93. JJSBF a également amendé ses engagements sur ce point et propose que la première publication de l'information au marché intervienne au plus tard le 1er décembre 2016.

2. CONCLUSION

94. Les propositions d'engagements des entreprises destinataires de l'évaluation préliminaire, dans leurs versions définitives, répondent aux principaux points soulevés lors du test de marché.

95. Il faut notamment relever que les appels d'offre ne devront pas prévoir de conditions discriminatoires destinées à préserver les situations acquises et que les délais de mise en œuvre qui ont été acceptés sont nécessaires, d'une part pour minimiser les risques contentieux avec les grossistes qui subiraient une interruption de relations commerciales établies et, d'autre part, pour maximiser les chances de voir apparaitre de nouveaux compétiteurs. En effet, une procédure d'appel d'offres précipitée ne permettrait sans doute pas à tous les candidats potentiels de préparer des offres crédibles.

96. Ces engagements apparaissent proportionnés et pertinents pour répondre aux préoccupations de concurrence exprimées, tout en étant adaptés à la situation particulière de chaque territoire ultramarin concerné. Ils restent équilibrés et sont de nature à dynamiser la concurrence sur le marché de l'intermédiation dans les territoires concernés sans porter une atteinte disproportionnée aux intérêts des opérateurs existants.

97. Les engagements répondent donc aux préoccupations de concurrence exprimées et présentent un caractère substantiel, crédible et vérifiable. Il y a donc lieu de les accepter, de les rendre obligatoires et de clore la procédure.

DÉCISION

Article 1er : L'Autorité de la concurrence accepte les engagements pris par les sociétés Bolton Solitaire SAS, Danone SA, Johnson & Johnson Santé et Beauté France SAS et Pernod-Ricard SA qui font partie intégrante de la présente décision à laquelle ils sont annexés. Ces engagements sont rendus obligatoires à compter de la notification de la présente décision.

Article 2 : Les saisines enregistrées sous les numéros 10/0005 F et 14/0078 F sont closes. Délibéré sur le rapport oral de M. Julien Neto, rapporteur, et l'intervention de Mme Juliette Théry-Schultz, rapporteure général adjoint, par M. Thierry Dahan, viceprésident, président de séance, M. Philippe Choné et Mme Pierrette Pinot, membres.

Notes :

1 Sur ce point, Danone SA a précisé : " (...) certains des produits que les sociétés du groupe vendent et livrent à des distributeurs situés sur le territoire métropolitain peuvent être acheminés et distribués par ces derniers dans les collectivités d'Outre-mer visées dans le questionnaire. Dans ce contexte, les distributeurs assurent, sous leur propre responsabilité, la revente et la logistique des approvisionnements sur les territoires d'Outre-mer. Les produits concernés par ce type d'acheminement ne font pas l'objet de commandes spécifiques de la part des distributeurs métropolitains, mais s'inscrivent dans le cadre du flux d'affaires courant entre les sociétés du groupe Danone et ces distributeurs sans possibilité pour les sociétés du groupe Danone d'avoir connaissance de la destination des produits, que ce soit au moment de la commande ou de la livraison " (cotes 1839 VC, 3967 VNC).

2 Ces contrats, - s'ils sont présentés comme de facto caducs par Danone - n'ont toutefois pas été formellement dénoncés et sont, ainsi, toujours en vigueur (cotes 1842 VC, 3970 VNC).

3 S'agissant de Mayotte, Danone SA a précisé, dans sa réponse au questionnaire des services d'instruction que : " (...) deux de ses [grossistes] à Mayotte, BDM-Sofimex et Sodifram, sont en charge de l'importation, du stockage et de la livraison des produits DBNAO pour les magasins de grandes et moyennes surfaces appartenant a priori à leurs groupes respectifs. DBNAO n'est toutefois pas en mesure de savoir si un transfert de propriété entre personnes morales distinctes a lieu au moment de la livraison des magasins. Par ailleurs, un autre partenaire à Mayotte, la Pharmacie Mahoraise, rétrocède une partie des volumes de produits qui lui sont livrés à ses propres officines, l'autre partie étant revendue à des pharmacies indépendantes " (cotes 1836 VC, 3964 VNC).

4 Pernod-Ricard a précisé, dans sa réponse au questionnaire des services d'instruction que dans les territoires couverts par sa filiale PRATR - à savoir la Guyane, la Guadeloupe, la Martinique, Saint-Barthélemy et Saint- Martin- cette dernière était liée par un contrat avec un agent commercial situé en Martinique. Pernod-Ricard a précisé que cet agent n'exerçait " aucune activité d'importation ou de vente " (cotes 2033 VC, 3090 VNC). Pernod-Ricard a informé les services d'instruction, par courrier électronique du 29 septembre 2014 (cote 5918 VC), de la notification de la résiliation du contrat dudit agent commercial par courrier du 18 juin 2014 (cote 5920 VC).