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Décisions

CA Bourges, ch. civ., 10 septembre 2015, n° 15-00061

BOURGES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

SCP Crozat Barault Maigrot (ès qual.) , Qualité Services Propreté (Sté)

Défendeur :

France Restauration Rapide (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Costant

Conseillers :

Mme Boutet, M. de Romans

Avocats :

SCP Rouaud & Associés, Mes Vermont, Rimbaud, Chazat-Rateau

T. com. Bourges, du 15 mai 2012

15 mai 2012

EXPOSÉ DU LITIGE :

Suivant contrat de franchise en date du 30-12-1992, la société France Restauration Rapide (FRR) a consenti à la société Qualité Service Propreté (QSP), l'exploitation d'un fonds de commerce à l'enseigne "Pat à Pain" et en parallèle, la société FRR a donné à bail à la société QSP les locaux nécessaires à l'exercice de l'activité.

A la suite d'un changement de gérance en 2004, des difficultés devaient apparaître s'agissant d'une part des procédures marketing et d'autre part, des obligations de paiement. Toute tentative de rapprochement amiable s'avérant vaine, mise en demeure était faite au franchisé le 08-11-2007 d'avoir à régulariser les impayés, sous peine de dénonciation de la clause résolutoire.

A défaut d'exécution, la société FRR a saisi le Tribunal de commerce de Bourges pris en sa formation des référés, aux fins de voir constater l'acquisition de la clause résolutoire avec toutes conséquences et s'entendre ordonner le règlement de ses redevances et factures.

Concomitamment à la délivrance de cet exploit, la société QSP saisissait le président du Tribunal de commerce de Troyes d'une requête en conciliation tendant à l'octroi de délais de grâce à laquelle il a été fait droit, des délais de paiement étant accordés au débiteur, selon ordonnance rendue le 21-01-2008.

Toutefois la société QSP ne respectant pas les termes de cette décision, l'acquisition de la clause résolutoire du contrat de franchise a été constatée par ordonnance du juge des référés du Tribunal de Bourges en date du 08-07-2008 qui l'a condamnée, outre à la restitution du matériel, à verser la somme provisionnelle de 44 691,54 euro avec intérêts légaux.

A l'occasion de l'ouverture le 25 septembre 2008 d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société QSP le mandataire judiciaire notifiait à la société FRR, sa décision de poursuivre le bail commercial. Il acceptait néanmoins la revendication de matériels par la société FRR lesquels lui étaient restitués.

Il est alors apparu qu'en dépit d'une modification de son enseigne, devenue " Les Charmilles ", la société QSP a continué d'exercer l'activité de restauration rapide. La société FRR lui rappelait alors l'article 3 du bail commercial stipulant l'obligation d'exploiter l'enseigne Pat à Pain dans les locaux.

La société QSP a assigné la société FRR en nullité de cette clause.

Selon jugement du 17 juillet 2009 le Tribunal de grande instance de Troyes a constaté la résiliation du bail et ordonné l'expulsion de la société QSP. Cette décision a été réformée par la Cour d'appel de Reims s'agissant de la résiliation du bail, la cour estimant la violation des obligations non suffisamment grave pour justifier la résiliation du bail.

La société QSP, qui a bénéficié entre temps d'un plan de continuation a donc poursuivi l'activité en question.

La société FRR a alors saisi le Tribunal de commerce de Bourges par assignation du 9 mars 2011 afin de constat de la violation de la clause de non-concurrence par la société QSP au titre du contrat de franchise du 20-09-2008 au 08-07-2009, et de reconnaissance de ce qu'elle s'est rendue coupable de concurrence déloyale. Elle demandait le paiement d'une somme de 453 150,39 euro à titre de dommages et intérêts.

Par jugement du 15 mai 2012 le tribunal a fait droit à la demande condamnant en outre la société QSP à verser une somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Sur appel relevé par la société QSP la Cour d'appel de Bourges a, par arrêt du 2 mai 2013, confirmé le jugement sauf à fixer à la somme de 150 000 euro le montant de la condamnation, ajoutant une somme de 1 500 euro aux frais irrépétibles accordés en première instance.

Sur pourvoi formé par le mandataire liquidateur et l'administrateur de la société QSP, la Cour de cassation a, par arrêt du 23 septembre 2014, cassé l'arrêt en toutes ses dispositions et a renvoyé les parties devant la même cour autrement composée. La Cour a motivé ainsi sa décision :

" Vu l'article 1134 du Code civil ;

Attendu que, pour condamner le franchisé à payer au franchiseur la somme de 150 000 euro à titre de dommages-intérêts, l'arrêt retient que la clause de non-concurrence est limitée dans le temps et que la limitation à une distance de cinquante kilomètres n'est pas abusive, les clients satisfaits d'un point de restauration effectuant ce trajet pour suivre le déplacement de l'établissement conforme à leur goût dans un même département ;

Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs impropres à établir que la clause imposant un rayon minimum de non-rétablissement de cinquante kilomètres autour de tout point de vente à l'enseigne " pat à pain " était proportionnée aux intérêts légitimes du franchiseur d'un réseau de restauration rapide, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ".

La SCP Crozat-Barrault-Maigrot ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL QSP a saisi la cour de renvoi le 14 janvier 2015.

Elle a conclu en dernier lieu le 1er juin 2015 demandant à la cour de :

Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau,

Débouter la société France Restauration Rapide de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

La condamner à lui payer la somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle estime la clause nulle en raison de sa disproportion avec la protection des intérêts légitimes de la société FRR. Elle ajoute que priver la société QSP de rétablissement de son activité dans un rayon de 50 kms autour de Troyes revenait à priver son fonds de commerce de sa propre clientèle, ce type de clientèle ne parcourant pas 50 kms pour se restaurer. En outre l'interdiction donnée ne concerne pas le seul point de vente " Pat à Pain " de Troyes mais une installation dans un rayon de 50 kms de tout point de vente à cette enseigne ou de tout autre franchisé du groupe FRR. Elle est disproportionnée en ce sens. Elle ajoute que curieusement et contrairement, la société FRR, dans ses contrats de franchise n'accorde une exclusivité commerciale à ses franchisés que dans un rayon de 500 mètres.

Concernant les agissements de concurrence déloyale elle estime que l'attestation produite par la société FRR, émanant de Mme Lagonotte, responsable du marketing et de la communication de FRR, est-elle même déloyale ayant cherché à piéger le personnel de QSP. Elle conteste avoir continué à faire usage des signes distinctifs propres à l'enseigne Patapain. Elle précise avoir procédé à des aménagements intérieurs de ses locaux et il n'y a aucune risque de confusion de démontré aves des locaux sous enseigne Patapain. Enfin elle conteste avoir dénigré la société FRR.

Concernant le préjudice elle conteste l'application de la clause pénale laquelle sanctionne la résiliation du contrat pour non-paiement des redevances et n'a pas vocation à sanctionner des agissements de concurrence déloyale. Le fait générateur de cette clause pénale trouve son origine à la résiliation du contrat, c'est-à-dire antérieurement à l'ouverture de la procédure collective. Elle ne pouvait entraîner une condamnation à paiement mais seulement une fixation de la créance au passif. Elle aurait d'ailleurs dû faire l'objet d'une déclaration de créance de la part de FRR. Enfin il est demandé à titre subsidiaire la modération de son montant par application des dispositions de l'article 1152 du Code civil.

S'agissant de la réparation du préjudice de FRR, il est indiqué qu'il n'en est pas démontré l'existence.

La société France Restauration Rapide a conclu en dernier lieu le 8 juin 2015. Elle demande à la cour de confirmer le jugement et subsidiairement de fixer le montant des dommages et intérêts dus par la société QSP à 150 000 euro. Elle demande en outre sa condamnation au paiement d'une somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle explique que son concept et sa marque sont présents dans près de 45 établissements répartis dans le centre de la France. Elle ajoute avoir signé le 2 janvier 2003 un contrat de franchise avec une autre entreprise exploitant son enseigne Pat à pain, distant de 3,5 kms de l'établissement de QSP, et qu'elle doit donc protéger son franchisé qui a une exclusivité dans un rayon de 500 m de son établissement. Elle explique que QSP exploite le même type de produit.

Quant à la validité de la clause de non-concurrence elle précise sa légalité dans la mesure où elle est d'une part limitée dans le temps et dans l'espace et d'autre part proportionnée à la protection de ses intérêts légitimes.

Concernant les actes de concurrence déloyale la société FRR explique que la société QSP a cherché à créer une confusion avec la marque Pat à Pain :

- utilisation des bons de réduction de 1 euro lancés par Pat à Pain au moment de la galette des rois,

- remplacement des cartes de fidélité Pat à Pain par ses propres cartes avec reprise de l'ancienneté, faits qu'elle démontre par les attestations de Mme Lagonotte et de Mme Poireau lesquelles sont parfaitement recevables.

Il s'agit encore de l'utilisation du nom "Pat à pain" dans l'annuaire téléphonique, et de la conservation dans l'établissement du mobilier et des agencements lesquels constituent des signes distinctifs de la marque. Elle fait encore état de dénigrements à son endroit, invoquant un article paru dans un journal local.

Concernant enfin son préjudice, la société FRR indique tout d'abord que les fautes commises par la société QSP sont postérieures à l'ouverture de la procédure collective. Elle n'a donc pas à déclarer sa créance indemnitaire.

Elle précise que la clause pénale prévue par l'article IV-1 du contrat de franchise précise qu'elle est applicable en cas d'inobservation de l'une quelconque des clauses du contrat, et qu'elle est égale à 50 % du chiffre d'affaire global hors taxes réalisé pendant les 12 derniers mois.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 17 juin 2015.

MOTIFS :

1 - Sur la clause de non-concurrence

Le contrat de franchise du 8 mars 2005 dispose que le franchisé s'engage notamment à :

" Article II - 21 : Consacrer pendant toute la durée du présent contrat en raison de l'exclusivité, dont il bénéficie dans un rayon de 500 m à vol d'oiseau de son lieu d'exploitation, son activité et son temps à la présente franchise ; ne pas, sauf accord écrit préalable du franchiseur, s'intéresser directement ou indirectement sous quelque forme que ce soit à la conception ou à l'exploitation de tout autre établissement.

De même pendant une durée d'un an après l'expiration du présent contrat, pour quelque cause que ce soit, le franchisé ne pourra s'intéresser directement ou indirectement sous quelque forme que ce soit à la conception ou à l'exploitation de tout établissement de fabrication, de vente de produits alimentaires ou de restauration rapide d'une enseigne concurrente dans un rayon de 50 km à vol d'oiseau d'un point de vente existant de FRR ou de tout autre franchisé du groupe FRR "

Article VI-l : Clause résolutoire

Aussi il est spécialement convenu à titre de clause résolutoire que le franchiseur pourra à toute époque faire cesser la présente franchise dans les cas ci-dessous:

b) dans les cas d'inobservation de l'une quelconque des clauses contractuelles figurant aux présentes.

Dans les cas visés en a, b et c huit jours après la réception d'une mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception restée infructueuse. Dans ces mêmes cas le franchisé devra alors payer à France Restauration Rapide à titre de dommages-intérêts une somme égale à 50 % de son chiffre d'affaires global HT réalisé pendant les 12 derniers mois. "

Tant en droit interne qu'en droit communautaire la licéité d'une telle clause de non-concurrence est subordonnée d'une part à sa limitation dans le temps et dans l'espace, et d'autre part à sa proportionnalité à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise. Si la première condition de validité concernant la limitation dans le temps limitée à une année ne souffre pas de difficulté et est respectée, il n'en va pas de même de la seconde. Il convient de savoir si le franchiseur a un intérêt légitime à protéger dans un rayon de 50 kms autour du point de vente existant ou de tout autre franchisé du groupe FRR dans ce domaine d'activité qu'est la restauration rapide.

Ainsi que le souligne l'ancien franchisé il doit tout d'abord être relevé que la protection accordée par la société FRR à ses franchisés est extrêmement limitée dans l'espace puisqu'elle n'est que de 500 mètres autour de l'établissement, et qu'elle se réserve donc la possibilité d'ouvrir une nouvelle boutique à son enseigne " pat à pain " en respectant cette seule distance d'une autre. Ce faisant elle révèle le caractère d'extrême proximité de sa clientèle du point de vente.

Contrairement à ce que soutient la société FRR, il n'est pas démontré un savoir-faire particulier dans ce domaine de la restauration rapide consistant en réalité dans la confection et la vente de sandwichs, salades et pâtisseries, à emporter ou à consommer sur place, dont elle ne démontre pas que la technicité, la spécificité, l'originalité ou la saveur seraient particulières et de nature à faire effectuer plusieurs dizaines de kilomètres à un consommateur par définition pressé de se restaurer rapidement, afin de se rendre dans un établissement à son enseigne plutôt que de s'adresser à tel commerce équivalent et concurrent plus proche de lui. Il n'est pas plus démontré que la conception de ses points de vente et ses méthodes de gestion, marketing ou commercialisation seraient de cette nature également justifiant une protection dans un rayon de 50 kms.

Il doit dès lors être considéré que la clause de non-concurrence appliquée à un secteur de 50 kms autour d'un point de vente n'est pas proportionnée à la protection des intérêts légitimes de la société FRR. Cette clause sera déclarée nulle et le jugement infirmé de ce chef.

2 - Sur les actes de concurrence déloyale

Ainsi que relaté par la société FRR ce n'est qu'à la fin du mois d'octobre 2008 qu'elle a reçu restitution de ses matériels et notamment de l'enseigne " pat à pain ", et ce en exécution de l'ordonnance de référé du 8 juillet 2008, l'exploitation des lieux par la société QSP se poursuivant à partir de cette date sous une nouvelle enseigne " les Charmilles ".

Elle fait le reproche à la société QSP d'avoir :

- continué à accepter de la part de la clientèle des bons de réduction créés et émis par la société FRR à l'enseigne " pat à pain ",

- repris à son compte l'ancienneté de la clientèle " pat à pain " en la faisant bénéficier des points de fidélité dont elle disposait sur les cartes " pat à pain ",

- utilisé le nom " pat à pain " dans l'annuaire téléphonique 2010,

- continué à utiliser le mobilier et les agencements propres aux établissements à l'enseigne " pat à pain ",

- dénigré la société FRR et la franchise " pat à pain " dans un article de journal.

Elle justifie des deux premiers faits par des attestations régulières de Mmes Poirot et Lagonotte, qu'il n'y a pas lieu d'écarter des débats, précisant que la possibilité d'utiliser le bon de réduction émis par la société FRR leur a été faite par QSP les 4 et 6 janvier 2009. Il est de même justifié que l'annuaire téléphonique de 2010 mentionne " Pat à Pain <adresse> " suivi du numéro de téléphone. En revanche le fait suivant n'est pas justifié. De même la société QSP ne saurait être responsable des écrits d'un journaliste.

Il n'en reste pas moins que les premiers faits doivent être considérés comme constitutifs d'actes de concurrence déloyale dans la mesure où ils visaient et ont abouti à capter partie de la clientèle de la société FRR. Ces actes lui ont causé un préjudice dont la cour estime qu'il sera indemnisé par l'octroi d'une somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts au regard des éléments comptables communiqués dont le chiffre d'affaire de la société QSP. Les faits générant ce préjudice étant postérieurs à l'ouverture de la procédure collective de la société QSP, la créance n'avait pas à faire l'objet d'une déclaration de créance.

La société QSP ayant été placée en liquidation judiciaire par jugement du 4 juin 2013 la cour fixe la créance de la société FRR au passif de cette liquidation judiciaire à la somme de 50 000 euro.

Il est équitable de condamner le mandataire liquidateur es qualités à payer à la société FRR une indemnité de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Les dépens seront également à sa charge es qualités.

Par ces motifs LA COUR, Infirme le jugement, Statuant à nouveau, Dit nulle et de nulle effet la clause de non-concurrence contenue au contrat passé le 8 mars 2005 entre la SAS France Restauration Rapide et la SARL Qualité Service Propreté, Déboute la SAS France Restauration Rapide de son action et de ses demandes fondées sur l'application de cette clause, Dit que la SARL Qualité Service Propreté s'est rendue coupable d'actes de concurrence de déloyale au préjudice de la SAS France Restauration Rapide, Fixe la créance de la SAS France Restauration Rapide au passif de la liquidation judiciaire de la SARL Qualité Service Propreté à la somme de 50 000 euro, Condamne la SCP Crozat-Barault-Maingrot à payer à la SAS France Restauration Rapide la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, la Condamne aux dépens.