CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 16 septembre 2015, n° 13-08565
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Socorest (SAS)
Défendeur :
Speed Rabbit Pizza (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
Mmes Luc, Nicoletis
Avocats :
Mes Vignes de la SCP Galland - Vignes, De Balmann, Teytaud, Hatte
Vu le jugement du 29 mars 2013, par lequel le Tribunal de commerce de Paris a débouté la société Socorest de son exception de péremption de l'instance, prononcé la révocation du sursis à statuer ordonné par le jugement du 27 septembre 2007, condamné, sous le régime de l'exécution provisoire, la société Socorest à payer à la société Speed Rabbit Pizza la somme de 30 000 euro de dommages et intérêts en réparation de son préjudice commercial, interdit à la société Socorest de se présenter comme le n° 1 dans son secteur d'activité ou le n°1 français ou comme étant le réseau ayant la meilleure rentabilité et ce, sous astreinte de 1000 euro par infraction constatée et par jour d'utilisation à compter de la signification du présent jugement, et, enfin, condamné la société Socorest à payer à la société Speed Rabbit Pizza la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu l'appel interjeté par la société Socorest le 26 avril 2013 et ses dernières conclusions signifiées le 23 juillet 2013, dans lesquelles il est demandé à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, constater que les demandes de la société Speed Rabbit Pizza introduites par l'assignation remontant au 6 juin 2006 se heurtent à une péremption d'instance, que la cause du sursis à statuer prononcé par le jugement du 27 septembre 2007 a disparu au plus tard le 15 juin 2009, qu'il aurait appartenu a' la société Speed Rabbit Pizza de faire diligence jusqu'au 15 juin 2011, au plus tard, constater la péremption de l'instance introduite devant les Premiers Juges, plus de deux ans ayant couru depuis la réalisation de la cause du sursis, par voie de conséquence, débouter la société Speed Rabbit Pizza de toutes ses demandes, subsidiairement, constater que la société Socorest a cessé de communiquer en se prévalant de la qualité de n° 1, qu'il n'y a plus lieu de lui en faire interdiction, que la société Speed Rabbit Pizza s'est elle-même rendue coupable des faits qu'elle reproche a' la société Socorest et qu'elle continue de s'en rendre coupable, nonobstant l'interdiction qui lui a été faite de " se présenter sur ses documents commerciaux ou sur son site internet comme le " n° 1 français de la pizza livrée " " et le " numéro un de la rentabilité de la franchise dans ce secteur ", dire et juger que la société Socorest ne saurait encourir une condamnation supérieure à celle prononcée à l'encontre de la société Speed Rabbit Pizza, ramener à la somme de 10 000 euro et a' l'euro symbolique le montant de l'indemnite' qui serait due par la société Socorest a' la société Speed Rabbit Pizza, dire n'y avoir lieu à la mesure de publicité présentement sollicitée par la société Speed Rabbit Pizza, faire injonction à la société Speed Rabbit Pizza d'avoir a' prendre toutes initiatives utiles pour faire disparaître la mention " n°1 " des sites internet sur lesquels elle continue de figurer, condamner la société Speed Rabbit Pizza a' payer a' la société Socorest la somme de 10 000 euro pour avoir laissé figurer jusqu'à ce jour la mention N° 1 sur différents sites internet spécialisés en franchise et avoir méconnu l'interdiction qui lui avait été faite de " se présenter sur ses documents commerciaux ou sur son site internet comme le " n°1 français de la pizza livrée " " et le " numéro un de la rentabilité de la franchise dans ce secteur ", en tout état de cause, condamner la société Speed Rabbit Pizza à payer à la société Socorest la somme de 8 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 23 septembre 2013 par la société Speed Rabbit Pizza, dans lesquelles il est demandé à la cour de confirmer le jugement de première instance, débouter la société Socorest de toutes ses demandes, et, enfin, condamner la société Socorest à payer à la société Speed Rabbit Pizza la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du de procédure civile ;
SUR CE,
Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :
La société Speed Rabbit Pizza assure l'exploitation en direct et en franchise d'un réseau composé de 120 points de restauration, de vente à emporter et livraison à domicile de pizzas, sous l'enseigne " Speed Rabbit Pizza ". Ce réseau couvre l'ensemble du territoire national.
Cette activité de livraison de pizzas à domicile s'exerce dans un milieu très concurrentiel (Pizza Hut, Domino's Pizza, La Boîte à Pizza, Telepizza).
La société Socorest, à travers ses nombreux communiqués et autres campagnes de presse, sur ses documents commerciaux et sur les sites Internet, présente systématiquement l'enseigne " La Boîte à Pizza " comme " le réseau qui présente la plus forte rentabilité du secteur ", " le réseau ayant la meilleure rentabilité de marché ", " le n°1 français ", " le 1er réseau français ", " le n°1 de la vente à emporter et de la livraison à domicile de pizzas ", " le n°1 français de la pizza livrée ", " numéro un de la rentabilité de la franchise dans ce secteur ".
La société Speed Rabbit Pizza s'est estimée victime d'actes de concurrence déloyale de la société Socorest et en a demandé réparation. C'est ainsi, que par assignation du 24 janvier 2006, la société Speed Rabbit Pizza a sollicité du Président du tribunal de commerce de Paris la désignation d'un expert judiciaire avec mission de procéder à une étude comparative de la rentabilité des sociétés Socorest et Speed Rabbit Pizza ou de leurs franchisés et de toutes les autres sociétés exploitant en France un réseau concurrent.
Par ordonnance du 16 mars 2006, le Président du tribunal de commerce de Paris a estimé qu'une telle désignation d'expert n'était pas nécessaire, en précisant : " qu'en fait le litige provient de l'utilisation par la société Socorest du slogan publicitaire " le réseau qui présente la plus forte rentabilité du secteur " ; que le terme " rentabilité " est une notion subjective dont la définition ne doit pas être donnée par un technicien mais par les juges du fond, éventuellement saisis, qui en fonction du cas de l'espèce, détermineront avec précision les éléments sur lesquels ils ont besoin d'être éclairés ; que c'est à l'auteur d'un slogan de prouver ce qu'il affirme ".
Par assignation du 6 juin 2006, la société Speed Rabbit Pizza a donc saisi le Tribunal de commerce de Paris au fond, pour contester le fait que l'enseigne " La Boîte à Pizza " puisse prétendre, dans le cadre de sa communication commerciale et sans preuve, avoir la meilleure rentabilité du secteur.
Sur l'exception de péremption de l'instance invoquée par la société Socorest, un jugement du 27 septembre 2007 a ordonné un sursis à statuer.
Dans le jugement entrepris, le tribunal a jugé que : " à travers la diffusion de l'information selon laquelle le réseau " La Boîte à pizza " présenterait le meilleur taux de rentabilité et serait le numéro un du secteur, le tribunal dira que la société Socorest a commis des actes de concurrence déloyale à l'égard de la société Speed Rabbit Pizza ".
Sur la péremption d'instance
Considérant que la société Socorest invoque, à titre principal, la péremption de l'instance, en affirmant que plus de deux années se sont écoulées entre la survenance de l'événement visé par le jugement de sursis à statuer du 27 septembre 2007 et au plus tard le 15 juin 2009, date de la prescription correctionnelle, et les conclusions de la société Speed Rabbit Pizza du 14 septembre 2012 ;
Considérant que la société Speed Rabbit Pizza soutient que l'événement visé par le jugement de sursis à statuer du 27 septembre 2007 n'est pas encore advenu, si bien que l'instance et le délai de péremption seraient toujours suspendus ;
Considérant que, selon l'article 386 du Code de procédure civile, " L'instance est périmée lorsque aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans " ; qu'il résulte de l'article 392 du même Code que le délai de péremption " continue à courir en cas de suspension de l'instance sauf si celle-ci n'a lieu que pour un temps ou jusqu'à la survenance d'un événement déterminé ; dans ces derniers cas, un nouveau délai court à compter de l'expiration de ce temps ou de la survenance de cet événement " ; que l'instance est suspendue par la décision qui sursoit à statuer ; que selon l'article 378 du même Code, " la décision de sursis suspend le cours de l'instance pour le temps ou jusqu'à la survenance de l'événement qu'elle détermine " ;
Considérant que le jugement du Tribunal de commerce du 27 septembre 2007 a sursis à statuer dans l'attente de la décision du Tribunal correctionnel de Toulouse ; qu'à la suite du dépôt de plainte contre X avec constitution de partie civile de la société Socorest des chefs de diffamation, le Tribunal correctionnel de Toulouse, devant lequel Monsieur Somer, PDG de la société Speed Rabbit Pizza était renvoyé pour diffamation à l'encontre de la société Socorest, a constaté, dans un jugement du 15 juin 2006, que celui-ci n'avait pas fait l'objet d'une mise en examen pour les faits pour lesquels il était traduit devant le tribunal et a renvoyé le ministère public à se pourvoir comme il lui appartient ; que c'est dans l'attente d'une saisine régulière du Tribunal de grande instance de Toulouse, qui n'est jamais intervenue, que le jugement du tribunal de commerce du 27 septembre 2007 a sursis à statuer ; qu'il en résulte que l'événement déterminé dans la décision de sursis du 27 septembre 2007 n'est jamais survenu et, par conséquent, le cours de l'instance a été suspendu jusqu'à la révocation du sursis par le tribunal de commerce dans son jugement du 29 mars 2013 ; qu'il y a donc lieu de rejeter la demande de la société appelante tendant à voir constater la péremption de l'instance ;
Sur la concurrence déloyale
Considérant qu'il n'est pas contesté qu'à travers la diffusion de l'information selon laquelle le réseau " La Boîte à Pizza " présenterait " le meilleur taux de rentabilité " et serait le " n°1 du secteur ", la société Socorest s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale à l'égard de la société Speed Rabbit Pizza, puisqu'elle est incapable de démontrer, par des données objectives, la validité de ces informations ; que la décision d'un candidat à la franchise d'adhérer à un réseau est très largement motivée par les perspectives de rentabilité de l'exploitation envisagée ; que toutefois, en l'absence de tout élément plus précis de calcul, le préjudice de la société Speed Rabbit Pizza sera confirmé, tel qu'évalué par par les Premiers Juges, soit 30 000 euro ; que le jugement entrepris sera donc confirmé sur le quantum des dommages-intérêts ;
Sur les demandes reconventionnelles de la société Socorest
Considérant que la société Speed Rabbit Pizza a été condamnée, par un arrêt du 30 mai 2012, à payer la somme de 10 000 euro à la société Socorest, pour avoir, sur son site internet et des années durant, présenté le groupe Speed Rabbit Pizza comme " le numéro 1 français de la pizza livrée " ; que dans cet arrêt, la cour lui avait interdit de se présenter dans ses documents commerciaux ou sur son site internet comme " le numéro 1 français de la pizza livrée " et le " numéro 1 de la rentabilité de la franchise dans ce secteur " ; que la société Speed Rabbit Pizza a continué à se prévaloir de sa qualité de " numéro 1 " de la pizza livrée ; que si elle prétend avoir cessé toute communication à ce titre, la société Socorest verse aux débats un certain nombre de pièces postérieures à l'arrêt de la cour d'appel du 30 mai 2012, et, notamment, des constats d'huissiers démontrant le contraire (procès-verbal de constat du 6 mai 2013) ; que par constats des 24 avril 2013 et 13 mai 2013, l'huissier a constaté que des boîtes de livraison de pizzas Speed Rabbit Pizza continuaient à être distribuées avec la mention " n° 1 de la pizza livrée " ; que le mail adressé par Speed Rabbit Pizza à son réseau du 10 juin 2013 atteste au moins la continuité de cette pratique jusqu'à cette date ; que la société Socorest n'agit pas en exécution de l'arrêt du 30 mai 2012, mais développe et reprend les conclusions déposées devant le tribunal de commerce dans l'instance dont appel ; que les faits sont donc constitués ; que la société Speed Rabbit Pizza sera condamnée à payer la somme de 10 000 euro à la société Socorest, en indemnisation de son préjudice pour concurrence déloyale ;
Considérant qu'il y a également lieu de lever l'injonction prononcée par les Premiers Juges, chacune des parties échouant à démontrer que les pratiques litigieuses perdureraient encore aujourd'hui de part et d'autre ;
Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris, sauf, en ce qu'il a prononcé une injonction et débouté la société Socorest de sa demande reconventionnelle, l'Infirme sur ces points, Et, statuant à nouveau, Dit n'y avoir lieu à injonction, Condamne la société Speed Rabbit Pizza à payer à la société Socorest la somme de 10 000 euro, Dit que la société Speed Rabbit Pizza est débitrice à l'égard de la société Socorest de la somme de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts, Prononce la compensation entre ces deux sommes, Condamne la société Speed Rabbit Pizza aux dépens de l'instance d'appel, qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, Condamne la société Speed Rabbit Pizza à payer à la société Socorest la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.