Cass. soc., 16 septembre 2015, n° 14-17.371
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher (Sté)
Défendeur :
Roeygens
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Frouin
Rapporteur :
M. Ludet
Avocat général :
M. Liffran
Avocats :
SCP Célice, Blancpain, Soltner, Texidor, SCP Hémery, Thomas-Raquin
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 18 mars 2014), que le 25 juillet 1995 la société Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher (la société Yves Rocher) et Mme Roeygens ont conclu un contrat de franchise, d'une durée de cinq ans renouvelable pour exploiter un centre de beauté Yves Rocher ; que, par lettre du 6 décembre 1999, la société Yves Rocher a notifié à Mme Roeygens sa volonté de ne pas renouveler le contrat de franchise, que Mme Roeygens ayant souhaité voir se poursuivre les relations commerciales, celles-ci se sont poursuivies, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée signé le 30 janvier 2007 ; que par lettre recommandée du 22 décembre 2007, Mme Roeygens a résilié le contrat de franchise qui la liait à la société Yves Rocher ; que Mme Roeygens a saisi la juridiction prud'homale ;
Sur le premier moyen pris en ses trois premières branches : - Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen annexé, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Sur le premier moyen pris en ses autres branches : - Attendu que la société Yves Rocher fait grief à l'arrêt de dire que Mme Roeygens pouvait se prévaloir du statut de gérant de succursale prévu par les articles L. 7321-1 et suivants du Code du travail et de la condamner à payer à celle-ci des sommes à titre d'heures supplémentaires, d'indemnité conventionnelle de licenciement, et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen : 1°) que la cour d'appel a constaté que dès 1997 le local dans lequel Mme Roeygens exerçait son activité n'était plus conforme aux normes recommandées par la société Yves Rocher laquelle, en ce sens, ne l'avait pas " agréée " et que néanmoins le contrat s'était poursuivi postérieurement à cette date ; qu'il en résultait nécessairement que l' " agrément " n'était pas nécessaire à la poursuite de l'activité de sorte que la condition tenant à l'exercice de la profession dans un local fourni ou agréé par l'entreprise n'était pas satisfaite en l'espèce ; que la cour d'appel a, pour décider du contraire, affirmé que la poursuite de la relation contractuelle démontrait que la société Yves Rocher avait " nécessairement maintenu son agrément " ; qu'en retenant que la poursuite de l'activité impliquerait l'existence d'un agrément tacite, quand il lui incombait au contraire de vérifier si l'agrément était nécessaire à la poursuite de l'activité, la cour d'appel a méconnu son office et a ainsi, pour cette raison supplémentaire, privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 7321-1 du Code du travail ; 2°) qu'en vertu du règlement CE 2790-1999 applicable en la cause et du nouveau règlement 330-2010 (art. 4), les accords verticaux relatifs aux conditions de prix entre des partenaires qui se situent à un niveau différent au sein d'un même réseau peuvent améliorer l'efficience d'une chaîne de distribution et autoriser le fournisseur à imposer un " prix de vente maximal " ou à " recommander " un prix de vente sous certaines conditions ; que la société Yves Rocher faisait précisément valoir qu'elle se borne à fixer des prix maximaux en cas de campagne promotionnelle et, pour les autres cas, à indiquer dans le logiciel de gestion des " prix conseillés " que le distributeur est totalement libre de modifier par une simple manipulation informatique, ce que confirmait l'analyse à laquelle avait procédé le Conseil de la concurrence dans sa décision du 6 juillet 1999 ; qu'en refusant d'examiner ces pratiques particulières, propres au réseau de distribution, et en affirmant sans discernement que l'exploitante franchisée n'avait pas la liberté de fixer les prix de vente des marchandises de telle sorte que Mme Roeygens pouvait revendiquer l'application du Code du travail, la cour d'appel a privé la société Yves Rocher de la faculté d'exercer normalement son activité en pratiquant seulement des " prix maxima " ou des " prix conseillés " dans un réseau constitué par des entreprises intervenant à un niveau différent, en conformité avec le droit européen et a violé ensemble les articles 101, § 3 du Traité, et les articles 4 des règlements 2790-1999 et 330-2010, les principes de primauté, d'effet direct, d'effectivité et de confiance légitime relevant du droit européen, et, par fausse application les articles L. 7321-1 et L. 7321-2 du Code du travail ; 3°) que la société Yves Rocher avait fait valoir dans ses conclusions d'appel auxquelles les juges du fond se réfèrent, qu'il lui était impossible d'imposer des prix de vente à Mme Roeygens dès lors qu'en vertu du règlement CE 2790-1999 applicable en la cause et du nouveau règlement 330-2010 (art. 4), les accords verticaux relatifs aux conditions de prix entre des partenaires qui se situent à un niveau différent au sein d'un même réseau peuvent seulement autoriser le fournisseur à imposer un " prix de vente maximal " ou à " recommander " un prix de vente sous certaines conditions ; que la société Yves Rocher faisait précisément valoir qu'elle se bornait, en application de ces règles dont l'application directe découlait du contenu des accords contractuels qui la liaient à Mme Roeygens, à fixer des prix maximaux en cas de campagne promotionnelle et, pour les autres cas, à indiquer dans le logiciel de gestion des " prix conseillés " que le distributeur est libre de modifier par une simple manipulation informatique, ce que confirmait l'analyse à laquelle avait procédé le Conseil de la concurrence dans sa décision du 6 juillet 1999 ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen de défense décisif, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ;
Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel, qui a retenu que dès 1997 le local n'était plus aux normes " 4e génération " fixées par la société Yves Rocher en raison de l'opposition de l'architecte des bâtiments de France à leur évolution et qu'en poursuivant la relation contractuelle puis en concluant un contrat à durée indéterminée, la société Yves Rocher avait nécessairement maintenu son agrément pour toute la période contractuelle, a fait ressortir que cette société ne pouvait utilement se prévaloir d'un défaut d'agrément du local de sa part dès lors qu'elle avait maintenu une relation contractuelle avec Mme Roeygens pour la poursuite par celle-ci de la commercialisation des produits Yves Rocher ;
Attendu, ensuite, que la circonstance que les pratiques de prix mises en œuvre par la société Yves Rocher dans ses rapports avec ses distributeurs échapperaient, en vertu de règlements communautaires d'exemption, à la prohibition des ententes entre entreprises découlant des articles 81 et 82 du traité CE est dépourvue de lien avec la prise en considération, au titre des dispositions de l'article L. 7321-2, 2° du Code du travail, qui permettent à des gérants de succursales de se prévaloir à l'égard de la société-mère de l'application de dispositions de ce Code, de l'existence de prix imposés aux gérants de ses succursales par la société Yves Rocher sans qu'il en résulte la moindre prohibition de cette pratique qu'elle met ainsi en œuvre ; d'où il suit que le moyen, inopérant en ses deux dernières branches, n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen : - Attendu que la société Yves Rocher fait grief à l'arrêt de décider que le salaire de référence mensuel de Mme Roeygens devait être fixé à la somme de 2 687 euro et, sur le fondement de ce salaire de référence, de condamner la société Yves Rocher à lui payer des sommes à titre d'heures supplémentaires, d'indemnité conventionnelle de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse alors, selon le moyen : 1°) que tout jugement doit être motivé ; que le travailleur qui obtient l'application des dispositions du Code du travail par application de l'article L. 7321-2 du Code du travail doit voir sa rémunération établie en considération de la classification conventionnelle résultant des fonctions qu'il a réellement exercées et au salaire minimum conventionnel correspondant ou, à défaut, par rapport au SMIC ; que le principe " à travail égal, salaire égal " commande seulement d'assurer l'égalité de rémunération entre salariés qui ont un même travail ou un travail de valeur égale, sous réserve de l'existence de raisons objectives et pertinentes pouvant justifier une différence de traitement ; que la demanderesse demandait à ce que lui soit attribué le même que salaire Mme Jonghes, directrice d'un institut Yves Rocher à Versailles à savoir 2 687 euro bruts mensuels ; que pour faire droit à cette demande, la cour d'appel a affirmé que la société Yves Rocher ne démontrait pas que ce salaire précité correspondait à la direction d'un institut de dimension et de chiffre d'affaires plus élevé que celui de Sarlat ; qu'en statuant de la sorte, sans examiner les pièces comptables de l'établissement de Versailles, produites aux débats par la société Yves Rocher, et expressément visées dans ses conclusions d'appel, en vue d'établir que l'institut de Versailles était d'une dimension non comparable à celui de Sarlat de sorte que la rémunération perçue par Mme Jonghes ne pouvait servir de référence pour la détermination de la rémunération à laquelle pouvait prétendre Mme Roeygens, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ; 2°) que le principe " à travail égal, salaire égal " ne peut s'appliquer qu'entre salariés de la même entreprise ; qu'en attribuant à Mme Roeygens exactement le même salaire mensuel que celui que percevait Mme Jonghes, directrice de l'institut de Versailles, sans établir l'employeur de cette dernière, cependant que la société Yves Rocher faisait valoir que Mme Jonghes percevait un salaire qui lui était versé par une autre société, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard du " principe à travail égal, salaire égal ", ensemble les articles L. 1221-1 et L. 7321-2 du Code du travail ;
Mais attendu que c'est à bon droit que la cour d'appel, motivant sa décision, ne s'est pas référée à un accord de salaires ne prévoyant pas le coefficient qu'elle retenait et a fixé le montant de la rémunération en fonction des éléments qui lui étaient soumis, relatifs au salaire perçu par une autre personne exerçant la même fonction ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen, ci-après annexé : - Attendu que sous le couvert de griefs non fondés de violation de la loi, le moyen, qui vise, en sa deuxième branche, des motifs surabondants, ne tend pour le surplus qu'à contester l'appréciation souveraine par la cour d'appel des éléments de fait et de preuve produits par les deux parties, et du mode de calcul qui lui est apparu le meilleur ; qu'il ne peut être accueilli ;
Sur le quatrième moyen : - Attendu que la société Yves Rocher fait grief à l'arrêt de dire que la rupture des relations contractuelles produisait les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et, en conséquence, de la condamner à payer à Mme Roeygens des sommes au titre de cette rupture alors, selon le moyen : 1°) que la démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail ; que lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou de manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire, d'une démission ; qu'en l'espèce il était constant aux débats que Mme Roeygens avait manifesté sans réserve, et sans faire état d'un différend avec la société Yves Rocher, sa volonté de mettre fin à la relation contractuelle par un courrier en date du 22 décembre 2007, et que ce n'est que trois mois plus tard, par un courrier en date du 28 mars 2008, qu'elle a formulé pour la première fois un reproche à l'égard de la société Yves Rocher en lui imputant la responsabilité de la rupture ; qu'en requalifiant en prise d'acte de la rupture la manifestation de volonté claire et non équivoque de Mme Roeygens tendant à rompre le contrat de travail, sans caractériser l'existence d'un différend antérieur ou contemporain de ladite manifestation de volonté ni faire ressortir en quoi celle-ci était équivoque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1184 du Code civil ensemble les articles L. 1237-1 et L. 1221-1 du Code du travail ; 2°) que la cour d'appel s'est bornée à relever, pour dire que la prétendue prise d'acte était justifiée, que la société Yves Rocher avait refusé à six reprises le transfert du local de l'institut dirigé par Mme Roeygens, et qu'elle avait refusé de faire droit à sa demande de prendre la direction des instituts de Brive et Trélissac ; qu'en statuant de la sorte, sans faire ressortir en quoi ces refus étaient fautifs ni en quoi ils rendaient impossible la poursuite de la relation contractuelle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1184 et 1134 du Code civil, ensemble l'article L. 1221-1 du Code du travail ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui a relevé que le local n'était plus aux normes nouvelle génération de la société Yves Rocher depuis 1997 et que celle-ci avait refusé sans justification six propositions de transfert de local de l'institut sur Sarlat qu'avait formulées Mme Roeygens, et n'avait pas fait droit à sa demande d'étendre son activité aux instituts de Brive et Trélissac, faisant ressortir que le déséquilibre économique de son activité acculait Mme Roeygens au départ, sans pouvoir vendre sa clientèle et son fonds de commerce ni pouvoir faire reprendre le contrat de travail de ses salariées qu'elle avait dû licencier, a caractérisé l'existence d'un différend antérieur à sa lettre du 22 décembre 2007 de même que des manquements suffisamment graves de la société Yves Rocher empêchant la poursuite de la relation contractuelle ; que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.