CA Paris, Pôle 1 ch. 1, 15 septembre 2015, n° 15-07435
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Booking.com BV (Sté), Booking.com France (Sté)
Défendeur :
Ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique, Synhorcat, Fédération Autonome Générale de l'Industrie Hôtelière Touristique, Confédération des Professionnels Indépendants de l'Hotellerie, Union des Métiers et ees Industries de l'Hôtellerie, Groupement National des Chaînes Hôtelières
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Acquaviva
Conseillers :
Mmes Guihal, Dallery
Avocats :
Mes Schermann, Givry, Teytaud, Donnedieu de Vabres Tranié, Giard
En 2011, les services de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes agissant à la demande du ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique, dans le cadre d'une enquête destinée à étudier les relations commerciales établies entre les sociétés exploitant des sites Internet de réservation de nuitées d'hôtels et les hôteliers français liées à ces sociétés par des accords d'hébergement, ont effectué une visite au sein des locaux de la SAS Booking.com France, recueilli les déclarations de ses dirigeants et obtenu la remise de divers documents.
Considérant à l'issue de ces investigations que les conditions générales de prestation auxquelles renvoyaient les contrats liant un certain nombre d'hôteliers français à la société Booking.com comportaient des clauses abusives pour contrevenir aux dispositions de l'article L. 442-6 II d) et L. 442-6 I 2° du Code de commerce, le ministre, a, par actes des 10 mars 2014 et 21 février 2014, fait assigner devant le Tribunal de commerce de Paris, la société de droit néerlandais Booking.com BV et la société de droit français Booking.com France SAS aux fins de voir cesser pour l'avenir les pratiques consistant à mentionner et mettre en œuvre ces clauses contractuelles, de les voir annuler dans les relations contractuelles liant Booking.com BV et un certain nombre d'hôteliers français limitativement désignés et voir condamner Booking.com BV et Booking.com France au paiement d'une amende civile de deux millions d'euros, outre une somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et ordonner la publication de la décision à intervenir dans différents organes de presse et sur les sites Internet et intranet de booking.com.
Le Syndicat National des Hôteliers Restaurateurs Cafetiers et Traiteurs (synhorcat), la Fédération Autonome Générale de l'Industrie Hôtelière Touristique (FAGIHT) et la Confédération des Professionnels Indépendants de l'Hôtellerie (CPIH) ainsi que l'Union des Métiers et des Industries de l'Hôtellerie (UMIH) et le Groupement Nationale des Chaînes Hôtelières (GNC) sont successivement intervenus volontairement à cette instance.
La société Booking.com BV et la SAS Booking.com FR, se fondant sur la désignation de la loi néerlandaise et sur la clause d'élection de for stipulée contractuellement, a décliné la compétence du Tribunal de commerce de Paris au profit des juridictions néerlandaises et sollicité subsidiairement un sursis à statuer dans l'attente d'une décision de l'Autorité de la concurrence.
Par jugement du 24 mars 2015, le tribunal s'est déclaré compétent, a dit que la loi applicable était la loi française, a débouté la société Booking.com BV et la SAS Booking.com FR de leur exception d'incompétence et de leur demande de sursis à statuer et leur a enjoint de conclure sur le fond.
Pour retenir sa compétence, le tribunal a relevé que le ministre de l'Economie n'était pas partie aux conventions " Accord d'Hébergement " visées et n'était pas dès lors lié par la clause attributive de juridiction stipulée dans celles-ci; qu'il exerçait une action de police et de gardien de l'ordre public économique autonome de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence ; qu'il ne demandait que la cessation de pratiques contraires à l'ordre public économique assimilées à des délits civils sur le territoire national et l'imposition d'une amende civile et que dès lors, son action se rattachait exclusivement à son action répressive visant à rétablir l'ordre économique en France et qu'enfin, ni Booking.com BV, ni Booking.com France SAS ne sauraient soutenir être étrangères à la commission des prétendus faits préjudiciables au fonctionnement du marché visés qui sont ou seraient produits et supportés en France.
Le 7 avril 2015, les sociétés Booking.com BV et Booking.com FR ont formé un contredit à l'encontre de ce jugement.
Par conclusions récapitulatives signifiées le 11 juin 2015 et reprises oralement, elles demandent à la cour de dire que les tribunaux néerlandais, notamment le Tribunal de commerce d'Amsterdam, sont compétents pour connaitre du litige et que la loi applicable est la loi néerlandaise.
Par conclusions signifiées le 15 juin 2015 et reprises oralement à l'audience, le ministre de l'Economie demande à la cour de rejeter les demandes des contredisants et confirmer le jugement déféré en ce qu'il s'est déclaré compétent et a dit que la loi française est applicable au litige.
Par des conclusions signifiées le 8 juin 2015 et reprises oralement à l'audience, le Synhorcat, la FAGIHT d'une part, la CPIH, l'UMIH et le GNC d'autre part, demandent à la cour de confirmer le jugement déféré et renvoyer l'affaire devant le Tribunal de commerce de Paris.
En application de l'article 442 du Code de procédure civile, la cour a invité les parties à présenter au moyen d'une note écrite qui devra être déposée avant le 30 juin 2015 à peine d'irrecevabilité leurs observations sur le moyen de droit relevé d'office tiré de ce que dans le dispositif de sa décision, le tribunal s'étant déclaré compétent et déclaré applicable la loi française, a pu par là trancher partie du principal en sorte que seule la voie de l'appel serait ouverte à l'exclusion de celle du contredit.
Vu les notes déposées le 26 juin 2015 par les sociétés Booking.com BV et Booking.com France et le 30 juin 2015 par le ministre de l'Economie, d'une part, le Synhorcat et la FAGIHT d'autre part l'UMIH, le GNC et la CPIH enfin, toutes en faveur de la recevabilité du contredit ;
Sur quoi,
Considérant qu'en application de l'article 80 du Code de procédure civile, lorsque le juge se prononce sur la compétence sans statuer sur le fond, sa décision ne peut être attaquée que par la voie du contredit, quand bien même le juge aurait tranché la question de fond dont dépend la compétence ;
qu'en l'espèce, les premiers juges, en décidant que le droit français des pratiques restrictives et plus précisément l'article L. 442-6 du Code de commerce qui fondait l'action du ministre de l'économie était applicable à des "accords d'hébergement" relatifs à des prestations hôtelières rendues en France par les hôteliers français "partenaires" au bénéfice d'une clientèle nationale et internationale, se sont bornés à trancher la question de fond dont dépendait sa compétence tant matérielle que territoriale;
Que par suite, le contredit doit être déclaré recevable ;
Considérant que l'article L. 442-6 du Code de commerce réserve au Ministère public, au ministre chargé de l'Economie et au président du Conseil de la concurrence la faculté de saisir les juridictions compétentes désignées par l'article D. 442-3 du Code de commerce, aux fins de voir obtenir la cessation de pratiques illicites et l'application d'amendes civiles aux opérateurs économiques contrevenants;
Que l'action qui a été attribuée à ces autorités publiques dans le cadre de leur mission de gardiens de l'ordre public économique et qui vise à la protection du fonctionnement du marché et de la concurrence et non à celle des intérêts immédiats des contractants lésés est une action autonome dont l'exercice n'est d'ailleurs pas soumis à l'accord des victimes des pratiques restrictives ni à leur mise en cause devant le juge saisi mais seulement à leur information ;
Que la circonstance que l'autorité qui poursuit la cessation de pratiques discriminatoires puisse également faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites et demander la répétition de l'indu, n'est pas de nature à modifier le caractère de cette action distincte par son objet de défense de l'intérêt général de celle que la victime peut elle-même engager pour la sauvegarde de ses droits propres et la réparation de son préjudice personnel ;
Que par suite, l'action du ministre étant, au regard de sa nature et de son objet, de celles dont la connaissance est réservée aux juridictions françaises, c'est vainement que les sociétés défenderesses soutiennent que seules sont compétentes les juridictions néerlandaises en vertu tant de l'article 2 § 1 que de l'article 5 § 3 du Règlement dit Bruxelles:
Qu'il est, en effet, indifférent que le siège social de Booking.com BV soit établi à Amsterdam, que le lieu du fait dommageable n'ait pu être, comme il est affirmé, réalisé qu'au lieu dudit siège ou encore que Booking.com France qui serait une société support, sans aucune responsabilité contractuelle, n'ait été attraite dans la cause que de manière artificielle pour permettre de justifier la compétence du tribunal de commerce de Paris par application de l'article 6 § 1 du Règlement et d'évincer les dispositions des articles 2 § 1 et 5 § 3 dudit Règlement ;
Que c'est, dès lors, à bon droit, que les premiers juges dont la décision doit être confirmée, ont retenu leur compétence ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu d'évoquer le fond du litige, les parties devant être renvoyées pour ce faire devant le tribunal ;
Par ces motifs, Déclare le contredit recevable. Le rejette ; Confirme la décision déférée ; Condamne la société de droit néerlandais Booking.com BV et la société de droit français Booking.com France SAS aux frais du contredit. Rejette toutes autres demandes.