CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 16 septembre 2015, n° 14-07663
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Onet (SA)
Défendeur :
Autorité de la concurrence
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Aimar
Avocats :
Mes Ledoux, Tari, Sauer
Par note du 23 janvier 2014 Madame la Rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence (ci-après l'Autorité) a prescrit une enquête dans le secteur du nettoyage industriel et des prestations associées à la propreté.
Par requête du 3 mars 2014, Madame la Rapporteure générale de l'Autorité a demandé au juge des libertés et de la détention (ci-après JLD) du Tribunal de grande instance de Paris, l'autorisation de réaliser des opérations de visite et saisies dans les locaux des sociétés Onet dans les villes de Marseille et Vitrolles afin d'établir si elles se livraient à des pratiques anticoncurrentielles prohibées par les articles L. 420-1 du Code du commerce points 2 et 4 et 101-1 a) et c) du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).
Par ordonnance du 11 mars 2014, le JLD a autorisé la réalisation des opérations de visite et saisie, et les 12 mars et 14 mars 2014 les JLD du Tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence et du TGI de Marseille ont respectivement, sur commission rogatoire du JLD du Tribunal de grande instance de Paris, désigné les chefs de service de police qui assisteront à ces opérations.
Les visites et saisies dans les locaux des sociétés Onet situées à Marseille et à Vitrolles se sont déroulées le 18 mars 2014 et ont fait l'objet de procès-verbaux et d'inventaires.
L'ordonnance du 11 mars 2014 rendue par le JLD et les opérations de visite et saisie font l'objet respectivement d'un appel et d'un recours formés par la SA Onet le 27 mars 2014 (procédures n° 14-07663 et 14-07672).
Le 18 mars 2014 des rapporteurs des services d'instruction de l'Autorité de la concurrence se sont présentés, en présence d'officiers de police judiciaire dans les locaux des sociétés Onet services (Onet Propreté), Onet Services Industries et Onet sises à Marseille et Vitrolles.
Par conclusions récapitulatives du 30 janvier 2015, la SA Onet demande l'annulation de l'ordonnance de visite et de saisie du 11 mars 2014 et des ordonnances rendues sur commission rogatoire le 12 mars 2014 par le JLD d'Aix-en-Provence et le 14 mars 2014 par le JLD de Marseille et l'annulation des saisies, de l'ensemble des informations et documents contenus dans les scellés, la restitution de ceux-ci et l'interdiction de toute utilisation et exploitation subséquente par l'Autorité et la condamnation de l'Autorité de la concurrence à payer à la SA Onet la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Dans ses observations du 18 novembre 2014 l'Autorité demande à la cour d'appel de confirmer l'ordonnance d'autorisation contestée. Par observations du 7 janvier 2015 elle demande également de rejeter l'intégralité des demandes d'annulation de l'ensemble des opérations de visite et saisie dans les locaux des sociétés Onet et de prononcer le cas échéant, l'annulation des documents saisis qui seraient couverts par le secret professionnel entre un avocat et son client.
Le Ministère public dans son avis du 17 mars 2015 requiert la confirmation de l'ordonnance du 11 mars 2014 rendue par le JLD du Tribunal de grande instance de Paris et le rejet du recours contre les opérations de visite et de saisie sauf en ce qui concerne la demande d'annulation des documents couverts par le secret des correspondance entre les avocats et leurs clients.
SUR CE
Sur la procédure
Les procédures n° 14-07663 et 14-07672 présentent un lien tel : même parties, même opération de saisie, qu'il convient pour une bonne administration de la justice d'en prononcer la jonction.
Sur la légalité de l'ordonnance du JLD du TGI de Paris du 11 mars 2014
Sur le caractère insuffisamment circonscrit du champ de l'ordonnance
La société Onet soutient que le JLD de Paris aurait violé l'article L. 450-4 du Code de commerce tel qu'interprété par la jurisprudence en vigueur, en délivrant une ordonnance dont l'objet serait général et imprécis, notamment quant à la délimitation du marché concerné par les investigations car celle-ci indique que l'énumération des marchés ou des lots de marché pour lesquels il existe des présomptions d'entente n'est probablement pas exhaustive, ceux mentionnés dans l'ordonnance n'étant que des illustrations des pratiques prohibées dont la preuve est recherchée dans le secteur concerné pour en conclure qu'elle autorisait les opérations afin de rechercher la preuve des agissements qui entrent dans le champ des pratiques prohibées par les points 2 et 4 de l'article L. 420-1 du Code du commerce et 101-1 a) et c) TFUE, relevés dans le secteur du nettoyage industriel et des prestations associées à la propreté, ainsi que toute manifestation de cette concertation prohibée.
Elle invoque donc une liste de marchés et de sociétés non limitative qui aurait dû inciter selon elle, le JLD à s'interroger sur la légitimité de l'autorisation demandée.
Cependant, au stade des investigations, la visite et la saisie autorisées ont pour but de vérifier si dans un secteur économique donné, en l'espèce le nettoyage industriel et des prestations associées à la propreté, les règles de la concurrence jouent pleinement. A ce stade, aucune accusation n'est portée à l'encontre des sociétés visées concernant la mise en œuvre de comportements prohibés sur un marché pertinent qui ne sera éventuellement précisé qu'au vu des résultats de ces mesures.
La mesure est à but probatoire sur le fondement de présomptions suffisantes de pratiques prohibées sur le marché concerné et ne peut donc se fonder sur des faits avérés et des marchés prédéterminés.
En l'espèce, l'examen des termes de l'ordonnance portant autorisation de procéder aux visites et saisies fait apparaître qu'elle précise le secteur économique concerné par celle-ci : le nettoyage industriel et des prestations associées à la propreté. L'objet de la mesure est donc déterminé en regard des présomptions décrites sur trois marchés à titre d'illustration, sans qu'il soit nécessaire de délimiter précisément le ou les marchés en cause dès lors que les autres marchés visés par les termes " non exhaustifs " concernent ceux qui entrent dans le cadre du secteur concerné par la mesure et sont donc suffisamment déterminables.
L'ordonnance permet ainsi sans ambiguïté d'identifier la recherche de documents autorisés.
Cette contestation n'est donc pas fondée.
Sur l'absence d'indices suffisamment sérieux pour fonder l'autorisation du JLD
La SA Onet soutient qu'en application de l'article L. 450-4 du Code du commerce, " le juge qui autorise une visite et saisie doit vérifier de manière concrète... que la demande d'autorisation qui lui est soumise est bien fondée " et qu'en l'espèce celui-ci se serait fondé sur des faits tronqués ne justifiant pas d'indices sérieux permettant de présumer une pratique anticoncurrentielle.
Elle poursuit en indiquant qu'alors que les prétendus indices relevés par l'Autorité ne concernent que la société Onet Services sur un seul des marchés visés, l'Autorité a demandé au juge, sans autre motif ou indice, que les mesures de visite et saisie soient autorisées dans les locaux de la société d'Onet Services Industries et des sociétés du même groupe sises à la même adresse dont Onet Services Industries fait partie alors qu'aucun élément dans les indices relevés ne concerne d'autres sociétés du groupe Onet. Elle ajoute qu'elle n'était concernée que par le seul marché de l'AIA de Cuers Pierrefeu visé dans l'ordonnance, qui n'a pas fait l'objet de visite et saisie et que les indices retenus étaient manifestement insuffisants pour constituer des présomptions de pratiques illicites.
Cependant, au stade de l'autorisation de visite et de saisie, l'Autorité n'est tenue que d'établir l'existence d'indices qui par leur rapprochement, leur confrontation et leur combinaison font présumer la réalité de pratiques prohibées et le JLD doit vérifier sur la base d'éléments concrets si ceux-ci sont suffisamment pertinents pour fonder une telle mesure coercitive.
Or, le JLD s'est fondé en l'espèce sur les 13 pièces annexées à la requête du 3 mars 2014 desquelles il ressort une présentation unique des offres, des prix de prestations identiques, des mémoires techniques similaires, des confusions dans les noms de sociétés, des coefficients multiplicateurs identiques pour certaines prestations, une identité de hausses tarifaires, des offres incomplètes s'apparentant à des offres de couverture sur trois appels d'offres précisés, qui lui ont permis de caractériser l'existence de présomptions de pratiques anti-concurrentielles d'entente l'ayant conduit à faire droit à la requête.
Par ailleurs, en regard des motifs exposés dans la requête relativement au secteur du nettoyage industriel et des prestations associées à la propreté et des 13 pièces annexées variées et concordantes, les sociétés Onet apparaissaient suffisamment impliquées dans l'un des agissements frauduleux suspectés dont la preuve était recherchée pour que la mesure soit fondée.
En effet deux agissements étaient retenus à leur encontre : ceux qui auraient pour dessin de favoriser le titulaire sortant Onet Services par le dépôt d'offres dites "de couverture" par les autres soumissionnaires et la mise en œuvre de coefficients multiplicateurs identiques par ces derniers.
Le JLD a, dans son ordonnance, motivé celle-ci, sur ces éléments établissant les présomptions justifiant son autorisation.
Cette contestation n'est donc pas également fondée.
Sur l'absence de démonstration d'une participation personnelle et effective de chacune des sociétés du groupe,
La société Onet fait valoir que les opérations de visite et saisies ont été autorisées concernant " les sociétés Onet Services et Onet Services Industrie ainsi que les sociétés du même groupe sises aux mêmes adresses " sans autre forme d'identification de ces sociétés et sans motiver cette autorisation d'aucune présomption sérieuse permettant de les soumettre à de telles formes d'ingérence de la puissance publique.
Elle soutient que le JLD n'a donc pas respecté les dispositions de l'article L. 450-4 du Code du commerce et violé le droit à la présomption d'innocence et le droit au respect de la vie privée garantis par les articles 6 et 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme dès lors qu'il n'aurait pas vérifié le degré d'implication de chaque entreprise permettant de présumer sa participation personnelle et effective aux pratiques anticoncurrentielles. Elle conteste l'appréciation faite par l'Autorité reprise par le JLD sur éléments concrets des offres étudiées et de leur présentation.
Mais il est constant que les dispositions de l'article L. 450-1 précité ne contreviennent pas à celles des articles 6, 8 et 13 de la Cour européenne des Droits de l'Homme dès lors qu'elles assurent la conciliation du principe de la liberté individuelle et des nécessités de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles et que les droits à un procès équitable et à un recours effectif sont garantis, tant par l'intervention du JLD qui vérifie le bien-fondé de la requête de l'Administration que par le recours ouvert contre sa décision et le contrôle exercé par la Cour de cassation.
Comme le souligne l'Autorité, qu'outre l'existence d'indices sérieux, le parallélisme des comportements des entreprises peut constituer une présomption de pratiques anticoncurrentielles qui pourront ultérieurement être établies lors de l'instruction sur la base notamment des résultats de la mesure pratiquée, si le choix de coefficients multiplicateurs identiques par rapport à l'offre de l'Onet repose sur une action concertée entre eux ou ressort de facteurs objectifs, comme le soutient la société Onet, présomptions soumises au JLD qui les a souverainement appréciées en regard des circonstances examinées dans leur ensemble et a motivé sa décision en relevant l'existence possible d'une stratégie d'action concertée entre les sociétés Onet. L'implication apparente de chacune d'entre elles justifiant la mesure à leur égard.
Par ailleurs les sociétés Onet partagent les mêmes locaux, appartiennent au même groupe dont la société mère est Onet SA et ont le même dirigeant en la personne de Monsieur X, de sorte que ces circonstances laissent présumer que des documents sont susceptibles de présenter un lien de dépendance entre eux et se rapportent aux agissements prohibés justifiant ainsi l'élargissement de la mesure à ces sociétés.
Le JLD n'est pas tenu d'identifier l'ensemble des sociétés d'un même groupe domiciliées à la même adresse et c'est à bon droit que le JLD a autorisé en l'espèce ces visites et saisies domiciliaires pour l'ensemble des locaux situés à la même adresse.
Il en ressort que les contestations relatives à la validité et au bien-fondé de l'ordonnance ne sont pas fondées et le recours formé à son encontre doit être rejeté.
Sur le déroulement des opérations de visites et de saisies autorisées par l'ordonnance du 11 mars 2014,
La SA Onet conteste la validité du déroulement des opérations de saisie en faisant valoir que l'Autorité a saisi des documents hors de l'activité de la société sur le marché, documents qui n'ont aucun rapport avec l'objet de l'enquête diligentée et notamment concernant les fichiers collectés sur l'ordinateur du gérant Monsieur X et dont la dénomination commence par SDMO car ils concernent la société holding détenant sa participation dans la société Onet SA dont l'activité est limitée à la détention de titres dans d'autres sociétés du groupe, ainsi que les documents concernant la société Onet Propreté Multiservices OPM dont l'objet est de fournir des prestations de gestion et d'administration du groupe Onet.
Cependant ces documents concernent l'aspect financier et administratif de la gestion Onet et rentrent ainsi dans le secteur d'activité déterminé par l'ordonnance d'autorisation.
De plus la saisie ne porte que sur un nombre limité de documents sélectionnés (7 000 fichiers sur 1 300 000 fichiers) alors qu'en regard des contraintes techniques les messages électroniques stockés dans un fichier unique ne peuvent être saisis sur place par copie que globalement pour en respecter l'origine, l'authenticité et l'intégrité, et que les visites qui ont été limitées sur le site de Vitrolles à 5 bureaux sur plusieurs dizaines et des saisies sur quelques ordinateurs et non sur l'ensemble, aucune saisie papier n'étant intervenue sur 2 des 5 bureaux visités et sur le site de Marseille les visites n'ont concerné que 8 bureaux sur plusieurs dizaines et aucune saisie papier n'est intervenue sur 6 de ces 8 bureaux et les saisies informatiques ont été également limitées à des fichiers sélectionnés comme cela ressort des inventaires annexés aux procès-verbaux respectivement 2 et 3 de sorte que de part cette sélection la saisie ne revêt aucun caractère disproportionné.
Il ressort de l'ensemble de ces éléments que la contestation de ces chefs infondée doit être rejetée.
Sur l'obstruction à la prise de connaissance [sic] saisis
La société Onet soutient que les obligations prescrites à l'article 56 du Code de procédure pénale qui prescrit " l'officier de police judiciaire a l'obligation de provoquer préalablement toutes mesures utiles pour que soit assuré le respect du secret professionnel et des droits de la défense " n'ont pas été respectées car les représentants de l'occupant des lieux se sont vus refuser le droit de prendre connaissance des pièces et documents avant saisies.
L'article L. 450-4 alinéa 8 du Code du commerce précisant que les agents mentionnés à l'article L. 450-1, l'occupant des lieux ou son représentant ainsi que l'officier de police judiciaire... peuvent seuls prendre connaissance des pièces et documents avant leur saisie.
Cependant les rapporteurs ont permis aux occupants des lieux de prendre copie des documents et supports informatiques saisis, de sorte que dès la remise de celle-ci concomitamment aux opérations de saisie, avant leurs clôtures ils ont pu en prendre connaissance et émettre, ce qu'ils ont fait, toutes réserves utiles à la préservation de leurs droits, de sorte que leurs droits de la défense ont été suffisamment préservés.
La contestation à ce titre n'est en conséquence pas fondée.
Sur la saisie de documents couverts par le secret professionnel
Il ressort des captures d'écrans partielles des saisies opérées sur les ordinateurs de Messieurs 1, 2, 3 et Madame 5 que certains de ces courriels émanent d'avocats. Ces courriers étant soumis au secret professionnel entre le client et son conseil conformément aux dispositions de l'article 66-5 alinéa 1er de la loi du 31 décembre 1997, leur saisie est irrégulière et doit être annulée.
Cette saisie étant intervenue lors de celle globale des fichiers informatiques contenant des documents entrant dans le secteur d'investigation autorisée, elle ne peut invalider la saisie des autres documents saisis simultanément de façon régulière, de sorte que seule la saisie des documents couverts par le secret professionnel doit être annulée.
Il convient en conséquence d'ordonner à l'Autorité de restituer l'ensemble des documents et leur copie couverts par le secret professionnel entre le client et son avocat, d'ordonner la suppression de toutes références à ces pièces et d'interdire à l'Autorité toute utilisation ou exploitation de celles-ci.
Il convient de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile et de condamner la société appelante à payer à'Autorité de la concurrence la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et de rejeter la demande formée à ce titre par l'appelante.
Les dépens resteront à la charge de l'appelante qui succombe.
Par ces motifs, Prononce la jonction des procédures n° 14-07663 et 14-07672, Rejette le recours formé par la société Onet SA à l'encontre de l'ordonnance du Juge des Libertés et de la Détention du Tribunal de grande instance de Paris du 11 mars 2014 et de l'ensemble des actes subséquents, Rejette partiellement le recours formé sur le déroulement des opérations de visites et saisies du 18 mars 2014, En conséquence, Valide l'ordonnance du 11 mars 2014 précitée, Annule la saisie des documents ou leurs copies couverts par le secret professionnel entre le client et son conseil, soit les courriers entre la société appelante et ses avocats, Ordonne la suppression de toutes références à ces pièces annulées et interdit à l'Autorité de la concurrence toute utilisation ou exploitation de celles-ci, Valide les opérations de visites et de saisies pour le surplus, Condamne la société appelante à payer à l'Autorité de la concurrence la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société appelante aux entiers dépens.