Cass. soc., 22 septembre 2015, n° 13-27.742
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Larut (Epoux)
Défendeur :
Total marketing services (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Frouin
Rapporteur :
Mme Vallée
Avocats :
SCP Boré, Salve de Bruneton, SCP Piwnica, Molinié
LA COUR : - Vu la connexité, joint les pourvois n° 13-27.742 et 13-28.065 ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (Soc., 11 janvier 2012, n° 10-23.821), que, le 6 août 1999, la société Total Raffinage Marketing, devenue Total marketing services, venant aux droits de la société Total France, elle-même venant aux droits de la société Elf Antar France (la société), a signé avec la société Larut-Bravo un contrat d'exploitation de station-service ; que considérant que leur situation réelle vis-à-vis de la société répondait aux dispositions de l'article L. 781-1 du Code du travail, devenu L. 7321-1 à L. 7321-3, M. et Mme Larut ont saisi la juridiction prud'homale pour demander la condamnation de la société à leur payer diverses sommes ;
Sur le premier moyen du pourvoi de la société, qui est préalable : - Attendu que la société fait grief à l'arrêt de dire que M. et Mme Larut devaient se voir appliquer les dispositions de l'article L. 781-1, 2°, du Code du travail et en conséquence du livre II du même Code au titre de l'exploitation de la station-service Total du 1er octobre 1999 au 1er octobre 2002, selon l'ancienne codification du Code du travail devenus les articles L. 7321-1 et suivants du Code du travail et de la condamner, au vu du rapport d'expertise en date du 26 octobre 2008, à payer à chacun des époux diverses sommes, alors, selon le moyen : 1°) que l'article L. 7321-3, alinéa 1, du Code du travail n'est applicable que dans l'hypothèse où le chef d'entreprise qui fournit les marchandises, a fixé les conditions de travail, de santé, et de sécurité du travail dans l'établissement ou si celles-ci ont été soumises à son accord ; que le gérant de succursales est assimilé à l'employeur quand il peut librement embaucher et licencier du personnel à l'égard duquel il exerce un pouvoir disciplinaire, et ne peut alors se prévaloir des dispositions du livre Ier de la troisième et de la quatrième partie du Code du travail ; que la cour d'appel a constaté la liberté dont disposaient les gérants pour embaucher des salariés et fixer leurs conditions de travail ; que la société s'était prévalue d'une embauche de personnel par les époux Larut-Bravo, qui fixaient librement les conditions de l'activité de ces personnels ; qu'en retenant néanmoins une mise en œuvre de l'article L. 7321-3, alinéa 1, du Code du travail, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé l'article précité ; 2°) que l'article L. 7321-3, alinéa 1, du Code du travail n'est applicable que dans l'hypothèse où le chef d'entreprise qui fournit les marchandises, a fixé les conditions de travail, de santé, et de sécurité du travail dans l'établissement ou si celles-ci ont été soumises à son accord ; que la société avait fait valoir dans ses conclusions d'appel que les gérants fixaient librement leurs périodes de congés ; qu'en énonçant que les gérants étaient privés de la liberté de fixer leurs horaires de travail et leurs temps de repos, sans vérifier si la libre fixation de leurs congés ne justifiait pas une exclusion de la mise en œuvre de l'article L.7321-3, alinéa 1, du Code du travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article précité ; 3°) que l'article L. 7321-3, alinéa 1, du Code du travail n'est applicable que dans l'hypothèse où le chef d'entreprise qui fournit les marchandises, a fixé les conditions de travail, de santé, et de sécurité du travail dans l'établissement ou si celles-ci ont été soumises à son accord ; que la société avait fait valoir dans ses conclusions d'appel que les conditions d'exploitation imposées par le fournisseur relatives aux modalités d'approvisionnement de la station-service, à son fonctionnement horaire et à un objectif de vente minimum ne pouvaient lui être opposées pour affirmer la mise en œuvre de l'article L. 7321-3, alinéa 1, du Code du travail ; qu'en se référant aux conditions d'exploitation de la station-service et non aux conditions de travail, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et violé l'article L. 7321-3 du Code du travail ; 4°) que l'article L. 7321-3, alinéa 1, du Code du travail n'est applicable que dans l'hypothèse où le chef d'entreprise qui fournit les marchandises, a fixé les conditions de travail, de santé, et de sécurité du travail dans l'établissement ou si celles-ci ont été soumises à son accord ; que la société avait exposé dans ses conclusions d'appel qu'il convenait de procéder à une distinction entre la maîtrise des conditions d'exploitation des infrastructures qui dépendait d'elle, en sa qualité de propriétaire d'une installation classée, et la maîtrise des conditions de travail, de santé et de sécurité au travail dans l'établissement, seuls les gérants, en leur qualité d'employeurs, pouvant en assurer la maîtrise ; qu'en se référant aux dispositions contractuelles qui concernaient la maîtrise du matériel d'infrastructures, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et violé l'article L. 7321-3 du Code du travail ; 5°) que l'article L. 7321-3, alinéa 1, du Code du travail n'est applicable que dans l'hypothèse où le chef d'entreprise qui fournit les marchandises, a fixé les conditions de travail, de santé, et de sécurité du travail dans l'établissement ou si celles-ci ont été soumises à son accord ; qu'elle avait rappelé les termes de l'article 3.2 du contrat conclu entre le distributeur et le fournisseur, qui stipulait que tenue de gérer le fonds de commerce en bon père de famille, la société Larut-Bravo prendra seule les décisions concernant la gestion de son exploitation et, notamment en qualité de chef d'établissement, les décision relatives à son personnel et en particulier en matière de conditions de travail, d'hygiène et de sécurité ; qu'en se référant aux dispositions contractuelles qui concernaient seulement la maîtrise du matériel d'infrastructures, sans s'expliquer sur les dispositions précités confiant aux gérants toute décision en matière notamment, de conditions de travail, d'hygiène et de sécurité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 7321-3 du Code du travail, ensemble de l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu que, devant, aux termes de l'article L. 7321-3 du Code du travail, déterminer si la société avait fixé dans les faits les conditions de travail, de santé et de sécurité au travail dans la station-service, la cour d'appel, par une appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis, sans être tenue d'entrer dans le détail de l'argumentation des parties et sans omettre de prendre en considération l'engagement de personnel par M. et Mme Larut, a retenu que l'entreprise fonctionnait sept jours sur sept, de 6 heures à 21 heures 30, avec un objectif minimum de ventes de 1560 m3 pour l'année, que la société avait conservé la maîtrise de l'infrastructure, et que les intéressés ne disposaient d'aucune autonomie de gestion, les clauses du contrat liant le fournisseur à la société chargée de la distribution des produits ne pouvant être opposées aux gérants agissant sur le fondement de l'article L. 7321-2 du Code du travail ; qu'en l'état de ces constatations, elle a pu en déduire que les conditions d'application de l'article L. 7321-3 précité étaient satisfaites ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen de ce pourvoi : - Attendu que la société fait grief à l'arrêt de dire que M. et Mme Larut devaient se voir appliquer les dispositions de l'article L. 781-1, 2°, du Code du travail et en conséquence du livre II du même Code au titre de l'exploitation de la station-service Total du 1er octobre 1999 au 1er octobre 2002, selon l'ancienne codification (devenus les articles L. 7321-1 et suivants du Code du travail) et de la condamner, au vu du rapport d'expertise, en date du 26 octobre 2008, à payer à chacun des époux diverses sommes, alors, selon le moyen : 1°) que le bénéfice d'une indemnisation sur le fondement de l'article 1382 du Code civil impose de constater l'existence d'une faute, en lien de causalité avec le préjudice dont la réparation est réclamée ; que ne peut être accueillie une demande indemnitaire fondée, sur la méconnaissance invoquée par le bénéficiaire des dispositions légales applicables aux gérants de succursales à l'encontre de son fournisseur, des obligations de ce dernier en matière d'organisation du temps de travail, de repos hebdomadaires, de congés annuels, de travail le dimanches et jours fériés et de la durée maximale autorisée du travail, que dans l'hypothèse où ce fournisseur aurait sciemment privé le distributeur des garanties attachées à la reconnaissance de ce statut ; que la société avait fait valoir dans ses conclusions d'appel qu'aucune faute ne pouvait lui être imputée au titre de la méconnaissance des obligations précitées, dès lors que le bénéfice des articles L. 7321-2 et suivants du Code du travail n'est pas automatiquement accordé à celui qui le réclame ; qu'en faisant droit à la demande indemnitaire litigieuse sans constater que les gérants auraient été volontairement privés par la société du bénéfice des dispositions légales applicables aux gérants de succursales et des garanties qui peuvent y être attachées, la cour d'appel a violé les articles L. 7321-1 et suivants du Code du travail, ensemble l'article 1382 du Code civil ; 2°) que la société avait fait valoir que les demandes indemnitaires des époux Larut-Bravo faisaient double emploi avec les demandes présentées au titre des heures supplémentaires et du repos compensateur ; qu'en ne s'expliquant pas sur ce moyen, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant retenu que les manquements de la société avaient eu un impact sur la vie privée de M. et Mme Larut en ce qu'elle ne pouvait ignorer que les résultats procurés par l'activité qu'elle contrôlait ne permettaient pas à ces derniers de compenser par des embauches le temps démesuré qu'ils consacraient, en couple, à la bonne marche de l'entreprise, la cour d'appel, qui a caractérisé une faute ayant causé un préjudice indépendant des sommes allouées au titre des heures supplémentaires et du repos compensateur et dont elle a apprécié le montant, a légalement justifié sa décision ;
Sur le troisième moyen de ce pourvoi : - Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen annexé qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Sur le premier moyen du pourvoi de M. et Mme Larut, ci-après annexé : - Attendu que sous couvert d'un grief de violation de la loi, le moyen critique une omission de statuer sur un chef de demande ; que l'omission de statuer pouvant être réparée par la procédure prévue à l'article 463 du Code de procédure civile, le moyen n'est pas recevable ;
Sur le troisième moyen de ce pourvoi : - Attendu que M. et Mme Larut font grief à l'arrêt de les débouter de leur demande tendant à la condamnation de la société à les indemniser du préjudice né de leur défaut d'affiliation à l'assurance chômage, alors, selon le moyen : 1°) qu'il résulte des dispositions combinées des articles L. 7321-1 et L. 5422-13 du Code du travail que les gérants de succursales doivent être affiliés à l'assurance chômage par l'entreprise fournissant les marchandises distribuées ; que l'entreprise qui manque à cette obligation doit indemniser le gérant du préjudice en résultant ; qu'en déboutant les époux Larut de leur demande d'indemnisation à ce titre au motif erroné que le bénéfice des dispositions de l'assurance chômage est lié à l'existence d'un contrat de travail, ce qui n'est pas le cas ici, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; 2°) que les gérants de succursales doivent être affiliés à l'assurance chômage par l'entreprise fournissant les marchandises distribuées ; que l'entreprise qui manque à cette obligation doit indemniser le gérant du préjudice en résultant ; qu'en déboutant les époux Larut de leur demande d'indemnisation à ce titre aux termes de motifs inopérants pris de ce que, comme pour l'affiliation au régime général de la sécurité sociale, il s'agirait d'une inscription rétroactive consécutive à un réexamen de la situation juridique des parties dans le cadre du présent litige sans caractériser une immatriculation antérieure à l'assurance chômage au titre de la même activité, la cour d'appel a violé derechef les textes susvisés ;
Mais attendu que si le statut social d'une personne est d'ordre public et s'impose de plein droit dès que sont réunies les conditions de son application, l'affiliation et le versement de cotisations du chef de la même activité à un autre régime de protection sociale s'opposent, quel qu'en soit le bien ou mal-fondé, à ce que l'assujettissement au régime général puisse mettre rétroactivement à néant les droits et obligations nés de l'affiliation antérieure ;
Et attendu que la cour d'appel, qui avait constaté l'adhésion de M. et Mme Larut, pour la période en litige, au régime des travailleurs indépendants, ce dont il résultait qu'ils ne pouvaient être affiliés rétroactivement au régime général de la sécurité sociale et que l'employeur ne pouvait être tenu au paiement des cotisations sociales correspondantes, a, sans encourir les griefs du moyen, exactement décidé qu'aucune régularisation des cotisations chômage ne pouvait intervenir au regard du droit de la sécurité sociale ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le quatrième moyen de ce pourvoi : - Attendu que M. et Mme Larut font grief à l'arrêt de les débouter de leur demande tendant à la condamnation de la société au paiement d'une indemnité pour travail dissimulé, alors, selon le moyen : 1°) qu'il résulte des dispositions combinées des articles L. 7321-1 et L. 8221-5 du Code du travail que les gérants de succursales doivent être déclarés aux organismes sociaux par l'entreprise fournissant les marchandises distribuées ; que l'entreprise qui manque intentionnellement à cette obligation est débitrice, lors de la rupture de la relation de travail, de l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 8223-1 du Code du travail ; qu'en déboutant les époux Larut de leur demande à ce titre au motif erroné que la sanction prévue par l'article L. 8223-1 du Code du travail ne s'applique qu'en cas de rupture de la relation de travail alors qu'il vient d'être décidé que le contrat ayant existé entre les parties a généré un statut spécifique qui exclut l'existence d'un contrat de travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; 2°) que l'infraction de travail dissimulé est caractérisée dès qu'un donneur d'ordre a intentionnellement omis de déclarer une activité salariée exercée pour son compte ; que tel est le cas lorsqu'une entreprise a sciemment, et dans le but d'éluder ses obligations légales d'employeur, confié l'exploitation d'une succursale à une personne morale dans des conditions assurant l'exercice effectif de cette activité par la personne physique de ses gérants ; qu'en l'espèce, les époux Larut avaient, dans leurs écritures devant la cour de renvoi, reproché à la société d'avoir volontairement imposé l'interposition entre eux de la société Larut Bravo afin de s'assurer l'exploitation par les époux Larut personnellement, de la station-service dans des conditions relevant des articles L. 7321-1 et suivants du Code du travail tout en échappant à ses obligations d'employeur vis-à-vis, notamment, des organismes sociaux ; qu'en les déboutant de leur demande par un motif erroné, selon lequel le droit positif ne reconnaît pas le caractère intentionnel de l'infraction dans le recours à un contrat inapproprié sans rechercher, comme elle y était invitée si ce recours n'avait pas été motivé, en l'espèce, par la volonté de la société de se soustraire aux obligations résultant des conditions de fait d'exercice de leur activité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 8221-5 et L. 8223-1 du Code du travail ;
Mais attendu que sous couvert d'un grief de manque de base légale le moyen ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine des juges du fond qui, ayant estimé que le recours à un contrat inapproprié ne caractérisait pas l'intention de recourir à un travail dissimulé, ont, par ce seul motif, légalement justifié leur décision ;
Mais sur le deuxième moyen de ce pourvoi : - Vu les articles L. 7321-1 et L. 7321-3 du Code du travail ; Attendu que pour débouter M. et Mme Larut de leurs demandes d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient qu'il vient de consacrer l'octroi à leur profit du statut propre aux gérants prévu par l'article L. 781-1, 2°, ancien du Code du travail qui prévoit leur rattachement aux dispositions protectrices du droit du travail dans le domaine des heures supplémentaires, congés-payés afférents, repos compensateurs, congés annuels, congés hebdomadaires, temps de travail autorisé par semaine et jours fériés, que ces domaines sont propres à l'exécution d'un contrat de travail mais ne concernent pas la partie du Code du travail qui traite de la rupture du contrat de travail, que le fait que les clauses du contrat passé avec la société Larut-Bravo ne puissent plus être opposées valablement à M. et Mme Larut personnellement ne permet pas de considérer qu'il existe une novation des relations entre les co-gérants et le fournisseur, soit la société Total, en un contrat de travail, seul passible du mode de rupture invoqué ici au regard du fondement des demandes afférentes qui découlent strictement du droit du licenciement ;
Qu'en statuant ainsi, alors que les règles gouvernant la rupture du contrat de travail sont applicables à la rupture de la relation de travail entre un gérant de succursale et l'entreprise fournissant les marchandises distribuées, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Par ces motifs, casse et annule, mais seulement en ce qu'il déboute M. et Mme Larut de leurs demandes au titre de la rupture de la relation de travail, l'arrêt rendu le 22 octobre 2013, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.