Cass. com., 29 septembre 2015, n° 14-17.130
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Bagur (époux Remaux), Colegram (SARL)
Défendeur :
Elsodent (SARL), G-Pharma (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Poillot-Peruzzetto
Avocat général :
M. Debacq
Avocats :
Me Le Prado, SCP Delaporte, Briard, Trichet
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 11 mars 2014), que M. Bagur a, le 8 juillet 2009, conclu avec la société Elsodent un contrat de distribution de miroirs dentaires, aux termes duquel cette dernière s'engageait à commercialiser ces produits restés propriété de M. Bagur, et à assurer à titre gratuit leur stockage ; qu'en exécution de ce contrat, les produits ont été commercialisés sous des emballages portant la dénomination Elsodent et le marquage CE obtenu par la société G-Pharma ; qu'à la suite de la dénonciation de ce contrat, repris par la société Colegram, créée par M. et Mme Bagur, un constat de l'état du stock a été dressé le 6 juillet 2011 ; que la proposition de la société Elsodent de restituer les produits, sous réserve que soient détruits les emballages portant son nom et le marquage CE, n'ayant pas été acceptée par la société Colegram, qui s'était bornée à proposer l'occultation des marquages litigieux, la société Elsodent a procédé à la destruction des emballages et a demandé à la société Colegram de reprendre les 3 805 marchandises ; que la société Colegram et M. et Mme Bagur ont assigné la société Elsodent et la société G-Pharma en interdiction de commercialisation des produits, en destruction des produits déconditionnés et en paiement de la valeur des stocks et de dommages-intérêts pour concurrence déloyale ; que la société Elsodent a reconventionnellement demandé des dommages-intérêts pour dénigrement ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal : - Attendu que la société Colegram et M. et Mme Bagur font grief à l'arrêt de rejeter leur demande en paiement du montant des produits livrés ainsi que de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant du refus de restitution des stocks alors, selon le moyen : 1°) que la société Colegram et M. et Mme Bagur faisaient valoir dans leurs conclusions d'appel qu'il résultait de l'attestation établie le 14 mai 2013 par le Cabinet Qualitas, auditeur auprès de l'organisme notifié pour la France LNE/GMED pour la certification des dispositifs médicaux selon la directive européenne 93/42/CEE du 14 juin 1993, que la rupture des emballages de protection du Cart Air System, en l'absence notoire de sachet plastique comme second emballage interne, rendait ce produit radicalement impropre à la consommation sans une reprise d'opérations de fabrication onéreuse incluant le nettoyage-décontamination et le reconditionnement de la totalité des produits Cart Air System et que la présentation actuelle des produits avec un emballage unique partiellement détruit par la société G-Pharma était rédhibitoire pour le maintien de l'autorisation de mise sur le marché, indispensable à leur commercialisation ; qu'il en résultait que le déconditionnement des dispositifs médicaux et la destruction totale ou partielle des emballages du fait de la société Elsodent rendaient les produits impropres à toute commercialisation ; qu'en énonçant que la société Colegram avait toute latitude pour récupérer sans les emballages les produits en stock au mois de juillet 2011 et qu'elle ne pouvait dès lors faire supporter aux sociétés Elsodent et G-Pharma les conséquences de ses propres carences sans répondre au moyen dont elle était saisie, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ; 2°) qu'en énonçant que la société Colegram pouvait " au mois de juillet 2011 récupérer les dispositifs médicaux lesquels restaient pour l'essentiel sans emballages de protection plastique préservant la destination, les conditions d'hygiène et la valeur marchande du produit ainsi qu'il résulte du procès-verbal de constat d'huissier du 6 juillet 2011 " alors qu'aucune mention en ce sens ne figurait dans ce procès-verbal, la cour d'appel a dénaturé celui-ci et a violé l'article 1134 du code civil ; 3°) que la société Colegram et M. et Mme Bagur faisaient valoir dans leurs conclusions d'appel que la société Elsodent, après avoir informé 4 805 la société Colegram de ce que ses locaux seraient fermés du 28 juillet au 15 août inclus et prévu la fixation d'un rendez-vous postérieurement à cette date aux fins de procéder en présence d'un huissier de justice aux opérations de déconditionnement des produits Cart Air System, avait procédé unilatéralement dès la fin juillet 2011 et sans en informer préalablement la société Colegram, à la destruction totale ou partielle des emballages qui assuraient la protection des produits ; que ce comportement était constitutif d'une faute dès lors que les parties demeuraient à cette date en discussion quant aux modalités selon lesquelles les opérations de déconditionnement devaient se dérouler après la mi-août de manière contradictoire, la société Colegram ayant effectué parallèlement toutes les démarches utiles aux fins d'obtenir elle-même la certification CE des produits Cart Air System ; qu'en ne répondant pas à ce moyen la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'après avoir retenu que la société Colegram ne répondait pas aux conditions de délivrance du marquage CE et n'avait de droit ni sur la dénomination d'Elsodent ni sur celle de G-Pharma, l'arrêt en déduit qu'elle ne pouvait ni conserver les marchandises telles que conditionnées, ni se borner à occulter ces références ; qu'il relève ensuite que la société Elsodent s'est opposée à ce que la société Colegram réutilisât les emballages portant les dénominations d'Elsodent et de G-Pharma, fussent-elles masquées, et que la société Colegram ne pouvait lui reprocher d'avoir procédé à leur destruction dès lors qu'elle n'avait pas accepté le déconditionnement des produits ; qu'il constate enfin que les stocks ayant été mis à sa disposition en juillet 2011, elle n'a pas cherché à reprendre les dispositifs médicaux restés pour l'essentiel sous emballage de protection plastique, ce qui préservait les conditions d'hygiène et leur valeur marchande ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de s'expliquer sur des éléments de preuve qu'elle décidait d'écarter, ni de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a, sans dénaturer le procès-verbal du 6 juillet 2011, justifié le rejet des demandes de la société Colegram et de M. et Mme Bagur ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche : - Vu l'article 1382 du Code civil ; - Attendu que pour rejeter la demande de la société Colegram et de M. et Mme Bagur aux fins d'interdiction à la société Elsodent et à la société G-Pharma de toute commercialisation du produit, de paiement de dommages-intérêts pour concurrence déloyale et de publication du jugement, l'arrêt retient que le nombre des ventes conclues après la rupture était faible et que ces ventes répondaient à des demandes de diffuseurs ayant intégré ce produit dans leurs catalogues ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le fait pour le distributeur de poursuivre, après la cessation des relations contractuelles, l'exploitation commerciale d'un produit malgré l'interdiction formelle qui lui a été notifiée, est constitutif d'un acte de concurrence déloyale, la cour d'appel, qui avait constaté que la société Elsodent avait poursuivi la commercialisation du produit Cart Air System malgré l'interdiction formelle qui lui avait été notifiée le 30 août 2011, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé le texte susvisé ;
Sur le moyen, pris en sa seconde branche : - Vu l'article 455 du Code de procédure civile ; - Attendu que pour statuer comme il fait, l'arrêt retient que les ventes réalisées après la rupture, peu nombreuses, ne caractérisent pas un comportement déloyal ; Qu'en statuant ainsi, sans répondre au moyen tiré de la poursuite par la société Elsodent, après la cessation des relations contractuelles, de la commercialisation des produits par des offres promotionnelles sur son site et sur des sites professionnels, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
Et sur le pourvoi incident : - Vu l'article 1382 du Code civil ; - Attendu qu'il résulte de ce texte qu'est fautive la dénonciation faite à la clientèle d'une action en justice n'ayant pas donné lieu à une décision ;
Attendu que pour rejeter la demande de la société Elsodent en réparation de son préjudice résultant d'un dénigrement par la société Colegram, la cour d'appel a retenu que la première ne rapportait pas la preuve que la seconde aurait commis un abus de droit en adressant à des clients une lettre rédigée en termes mesurés afin de les informer qu'une action judiciaire était en cours ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Par ces motifs : casse et annule mais seulement en ce quil rejette la demande de la société Colegram en paiement de dommages-intérêts sur le fondement de la concurrence déloyale et en ce quil rejette la demande reconventionnelle de la société Elsodent, l'arrêt rendu le 11 mars 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée.