Cass. com., 6 octobre 2015, n° 13-24.585
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Assurances construction (Sté), CFRM (Sté)
Défendeur :
Courtage inter Caraïbes (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Le Bras
Avocat général :
Mme Pénichon
Avocats :
SCP Piwnica, Molinié, SCP Odent, Poulet
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 avril 2013), que la société Courtage inter Caraïbes (la société CIC), société de courtage d'assurances et de réassurances et mandataire exclusif de la compagnie d'assurances SMABTP sur le territoire des Antilles-Guyane, a placé des contrats par l'intermédiaire des sociétés Assurances construction et CFRM (les courtiers), exerçant la même activité ; que la société CIC ayant reproché aux courtiers, qui bénéficiaient d'un mandat pour encaisser les primes et les lui reverser après déduction de leurs commissions, de les avoir encaissées sans les lui restituer, les parties sont convenues que les primes seraient désormais payées à la société CIC, celle-ci reversant ses commissions à la société Assurances construction, tandis que les honoraires facturés par cette dernière lui seraient directement réglés ; que les relations entre les parties s'étant dégradées, la société SMABTP a résilié l'ensemble des polices souscrites par l'intermédiaire des courtiers, et la société CIC, reprochant à ces derniers des actes de concurrence déloyale par dénigrement, les a assignés en paiement de dommages-intérêts ainsi que des primes non restituées ; que reconventionnellement, les courtiers ont réclamé à la société CIC des dommages-intérêts pour concurrence déloyale et leurs honoraires et commissions ;
Sur le premier moyen : - Attendu que les courtiers font grief à l'arrêt d'ordonner la rectification du jugement rendu le 13 mars 2012 par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il y a lieu d'ajouter la mention : "Dit que le jugement sera assorti de l'exécution provisoire" alors, selon le moyen, que la contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à un défaut de motifs ; que la cour d'appel, qui, après avoir retenu que le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 13 mars 2012, qui avait rectifié le précédent jugement du 23 novembre 2011 bien qu'il fût frappé d'appel, devait être annulé et que le dispositif du jugement du 23 novembre 2011 devait être rectifié afin de l'assortir de l'exécution provisoire, a ordonné la rectification du jugement rendu le 13 mars 2012 par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il y a lieu d'ajouter la mention : "Dit que le jugement sera assorti de l'exécution provisoire", a énoncé un dispositif incompatible avec les motifs, en méconnaissance des exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ;
Mais attendu que la contradiction entre les motifs et le dispositif dénoncée par le moyen procède d'une erreur matérielle qui, selon l'article 462 du Code de procédure civile, peut être réparée par la Cour de cassation ; que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le deuxième moyen : - Attendu que les courtiers font grief à l'arrêt de les condamner in solidum à payer à la société CIC une indemnité pour concurrence déloyale par dénigrement alors, selon le moyen : 1°) que ne constitue pas une faute la dénonciation faite à la clientèle d'une action ayant donné lieu à une décision de justice ; qu'en se bornant à retenir, pour imputer aux courtiers des actes de dénigrement, qu'elles avaient indiqué, dans la première partie de leur courrier du 15 septembre 2009 : " nous avons immédiatement réagi en sommant CIC, mandataire exclusif de la SMABTP, d'encaisser vos derniers chèques de règlement de primes 2009 en nous reversant nos honoraires ", " insinuant " que la société CIC détenait indûment des sommes, sans rechercher s'il n'était pas fait référence au litige tranché par l'ordonnance du juge des référés du Tribunal de grande instance de Paris du 14 août 2009, ce qui excluait toute faute de la part des courtiers, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 2°) que ne constitue pas une faute la dénonciation faite à la clientèle d'une action judiciaire en cours, dès lors qu'elle tend à la défense d'un intérêt lésé ; que, dans la seconde partie de son courrier du 15 septembre 2009, le groupe CFRM énonçait, d'une part, " nous avons connaissance que des propos diffamatoires circulent, portant gravement atteinte à la réputation et à l'honneur de notre cabinet " et, d'autre part, qu'" une procédure devant le tribunal de commerce de Paris est actuellement en cours et sera l'occasion pour CFRM de faire valoir des demandes financières à l'encontre de CIC " ; qu'en affirmant, pour imputer aux courtiers des actes de dénigrement, qu'elles s'étaient livrées à des insinuations de nature à jeter le discrédit sur la société CIC en laissant entendre qu'elle aurait commis des fautes, sans rechercher si, s'estimant dénigrées, elles n'avaient pas fait état de la procédure judiciaire en cours à seule fin de défendre leur réputation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 3°) que la cour d'appel a retenu, pour imputer aux courtiers des actes de dénigrement, qu'elles avaient affirmé de manière fallacieuse que la société CIC avait tenu des propos dénigrants à leur encontre ; que la censure à intervenir sur le troisième moyen de cassation, qui reproche à la cour d'appel d'avoir rejeté la demande des courtiers contre la société CIC fondée sur le dénigrement, entraînera donc, par voie de conséquence, la cassation des chefs de dispositif critiqués, en application de l'article 624 du Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant retenu, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation du contenu de la lettre litigieuse, qu'en avisant les clients de la procédure et en la présentant d'une manière fallacieuse laissant supposer que la société CIC aurait commis des fautes et détiendrait indûment des sommes pour n'avoir pas reversé l'intégralité des primes qu'elle détenait, les courtiers ont porté atteinte à sa réputation et ont jeté le discrédit sur elle, la cour d'appel qui n'avait pas à effectuer la recherche invoquée aux première et deuxième branches, que ses constatations rendaient inopérante, et qui n'a pas retenu que les courtiers avaient affirmé de manière fallacieuse que la société CIC avait tenu des propos dénigrants à leur égard, a légalement justifié sa décision ; que le moyen, qui manque en fait en sa troisième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le troisième moyen : - Attendu que les courtiers font encore grief à l'arrêt de rejeter la demande de la société Assurances construction en paiement de dommages-intérêts pour concurrence déloyale alors, selon le moyen : 1°) que M. Deyrat, de la société Safor Guyane, indiquait à la société CFRM, dans un courriel du 27 octobre 2008, que M. Coconnier, responsable de la société Courtage Inter Caraïbes, avait émis, en sa présence, " de forts doutes sur la pérennité de CFRM aux Antilles Guyane ", " ne laissant aucune part au doute quand à son état moribond " et l'avait " mis au défi de pouvoir contacter qui que ce soit dans (ses) locaux de Guyane " ; qu'en retenant, pour affirmer que le courriel du 27 octobre 2008 n'apportait pas d'information précise sur les propos effectivement tenus par M. Coconnier, qu'il y était seulement rapporté que ce dernier " avait émis de forts doutes sur la pérennité de CFRM aux Antilles-Guyane ", la cour d'appel, qui a cité le courriel du 27 octobre 2008 de manière tronquée, en a dénaturé les termes clairs et précis, méconnaissant le principe de l'interdiction faite au juge de dénaturer les documents de la cause ; 2°) que constitue un dénigrement la divulgation d'une information de nature à jeter le discrédit sur un concurrent, et en particulier sur la qualité de ses services ou ses perspectives économiques ; qu'en se bornant à affirmer, pour exclure tout acte de dénigrement fautif de la part de la société CIC, que le caractère dénigrant des propos de M. Coconnier n'était pas clair, sans rechercher s'il n'avait pas mis en doute la pérennité de l'activité du groupe CFRM et la qualité des services offerts aux assurés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 3°) que la divulgation d'une information de nature à jeter le discrédit sur une entreprise ou ses produits ou services auprès d'un seul client suffit à caractériser un acte de dénigrement fautif ; qu'en affirmant, pour exclure tout acte de dénigrement fautif de la part de la société CIC, que le dénigrement suppose des propos ou des écrits largement diffusés, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; 4°) qu'en affirmant encore, pour exclure tout acte de dénigrement fautif de la part de la société CIC, que la diffusion du propos critiqué n'avait pas excédé un cadre privé, sans rechercher s'il n'avait pas été tenu par un responsable de la société CIC, lors d'un rendez-vous professionnel avec un assuré, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que le grief de dénaturation ne tend qu'à discuter la portée d'éléments de preuve, appréciée souverainement par les juges du fond ; Attendu, en second lieu, qu'ayant retenu, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la portée et de la valeur des éléments de preuve, que la seule conversation rapportée par un courriel n'apportait pas d'informations précises sur les propos effectivement tenus, la cour d'appel a, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les troisième et quatrième branches, légalement justifié sa décision ; D'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en ses troisième et quatrième branches, n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le quatrième moyen : Attendu que les courtiers font encore grief à l'arrêt de rejeter la demande de la société Assurances construction de dommages-intérêts pour concurrence déloyale alors, selon le moyen, qu'ils faisaient valoir, en cause d'appel, que la société CIC avait commis des fautes de concurrence déloyale à leur égard en allongeant exagérément les délais d'instruction pour la tarification des nouveaux dossiers présentés et en captant directement les prospects démarchés conjointement avec la société Assurances construction, afin de freiner son développement ; qu'en écartant toute faute de concurrence déloyale de la part de la société CIC, sans répondre à ces chefs de conclusions pertinents, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt constate que la société CIC n'a consenti aucun droit exclusif en faveur des courtiers, de sorte qu'elle avait toute latitude pour conclure directement des contrats d'assurances SMABTP ; qu'il retient encore qu'il n'y a pas eu de démarchage des clients et qu'il ne peut lui être reproché, au regard de la déloyauté des courtiers, d'avoir initialement refusé d'encaisser des chèques comportant une rémunération à laquelle elle était étrangère ; que par ces constatations et appréciations, la cour d'appel a répondu aux conclusions dont elle était saisie ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le cinquième moyen : - Attendu que les courtiers font enfin grief à l'arrêt de confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il était entaché d'une erreur matérielle concernant l'exécution provisoire, de déclarer recevables les demandes reconventionnelles de la société Assurances construction et de les rejeter alors, selon le moyen : 1°) que nul ne peut être contraint d'administrer la preuve d'un fait négatif ; qu'en retenant, pour rejeter la demande de la société Assurances construction en paiement d'honoraires dirigée contre la société Courtage Inter Caraïbes, qu'il lui appartenait d'établir que les honoraires ne lui avaient pas d'ores et déjà été restitués par les assurés, la cour d'appel, qui a exigé de la société Assurances construction la preuve d'un fait négatif, a violé les articles 1315 et 1353 du Code civil ; 2°) qu' ayant retenu que les demandes formées par la société Assurances construction au titre des commissions laissées impayées par la société CIC étaient recevables, la cour d'appel a, dans le dispositif de sa décision, confirmé le jugement entrepris en ce qu'il les avait déclarées irrecevables, et a reçu la société Assurances construction en ses demandes reconventionnelles ; qu'en se prononçant par un dispositif partiellement en contradiction avec les motifs, et par des chefs de dispositif inconciliables, un même chef de demande ne pouvant être à la fois recevable et irrecevable, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ; 3°) que le juge ne peut refuser d'évaluer une créance dont il constate l'existence dans son principe ; qu'ayant relevé que la société Assurances construction avait vocation à percevoir des commissions, la cour d'appel, qui a retenu, pour rejeter la demande de la société Assurances construction tendant au paiement des commissions, qu'elle ne justifiait pas du montant de ses demandes, a violé l'article 4 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, qu'en sa première branche, le moyen revient à remettre en cause l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des éléments de preuve produits par la société Assurances construction au soutien de sa demande en paiement ;
Attendu, d'autre part, que la contradiction entre les motifs et le dispositif dénoncée par la deuxième branche procède d'une erreur matérielle qui, selon l'article 462 du Code de procédure civile, peut être réparée par la Cour de cassation ;
Et attendu, enfin, qu'après avoir relevé que la société
Assurances construction avait vocation à percevoir des commissions, l'arrêt retient qu'elle n'a pas justifié du montant de sa demande en paiement ; qu'en l'état de ces appréciations, la cour d'appel n'a pas méconnu son office en rejetant la demande de cette société ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Par ces motifs, Rectifiant l'arrêt rendu le 25 avril 2013 par la Cour d'appel de Paris, Dit que dans le dispositif de l'arrêt, les mentions "Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il comporte une erreur matérielle au titre de l'exécution provisoire, Statuant à nouveau, Ordonne la rectification du jugement rendu le 13 mars 2012 par le Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il y a lieu d'ajouter la mention "dit que le jugement sera assorti de l'exécution provisoire" et en ce qu'il dit "la société Assurances construction irrecevable en sa demande au titre des commissions" sont remplacées par "Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il comporte une erreur matérielle au titre de l'exécution provisoire et en ce qu'il dit la société Assurances construction irrecevable en ses demandes au titre des commissions, Statuant à nouveau, Ordonne la rectification du jugement rendu le 23 novembre 2011 par le Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il y a lieu d'ajouter la mention "dit que le jugement sera assorti de l'exécution provisoire", Rejette le pourvoi.