Cass. com., 6 octobre 2015, n° 14-13.176
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Boat développement (SARL), Selarl de Bois-Herbaut (ès qual.)
Défendeur :
SPBI (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Laporte
Avocat général :
Mme Pénichon
Avocats :
SCP Gatineau, Fattaccini, SCP Richard
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 janvier 2014), que la société SPBI, qui construit des bateaux commercialisés sous la marque Jeanneau, a conclu avec la société Boat développement (la société Boat) deux contrats de concession exclusive pour leur distribution puis, à leur expiration, trois autres ; qu'une partie de la zone de chalandise ayant été exclue de l'un des contrats, la société SPBI l'a concédée à un concurrent de la société Boat ; que la société SPBI ayant résilié les contrats en application d'une clause stipulant cette faculté moyennant un préavis, la société Boat, invoquant leur résiliation abusive et des manquements de celle-ci à ses obligations, l'a assignée en réparation de son préjudice ; que la société Boat ayant été mise en liquidation judiciaire, la société de Bois-Herbaut, nommée liquidateur, est intervenue volontairement devant la cour ;
Sur le moyen unique, pris en ses première, troisième, quatrième, cinquième et sixième branches : - Attendu que la société Boat fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes alors, selon le moyen : 1°) que la zone d'exclusivité est de l'essence même du contrat de concession exclusive ; que la zone d'exclusivité ne peut être modifiée unilatéralement par le concédant sauf clause d'adaptation le prévoyant ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt qu'alors même que les contrats de concession conclus en 2008 prévoyant une zone de chalandise incluant le port de Mandelieu l'avaient été initialement jusqu'au 31 août 2012, la société SPBI avait obtenu dès le mois de décembre 2008 d'en avancer le terme au 31 août 2009 avant d'imposer à la société Boat dans le cadre de leur renégociation en 2010 pour une durée expirant le 31 août 2012 une réduction de la zone de chalandise de cette dernière excluant le port stratégique de Mandelieu en dépit de ses protestations ; que la cour d'appel a encore relevé qu'immédiatement après cette renégociation, la société SPBI avait autorisé un concurrent direct de la société Boat, la société Exclusive yachts Riviera qui distribue également des bateaux " Prestige " de marque Jeanneau, à s'installer à moins de 30 mètres d'un point de vente d'un agent de la société Boat sur le port de Mandelieu ; qu'en jugeant non fautive cette réduction de la zone de chalandise, aux motifs que rien n'obligeait la société SPBI à renouveler les contrats, qu'elle avait posé un certain nombre de réserves en 2008 quant à la zone d'exclusivité concédée et qu'elle n'avait jamais promis à son concessionnaire de maintenir la zone inchangée si les conditions d'objectifs de vente et de financement étaient réalisées, sans cependant rechercher comme elle y était invitée s'il ne résultait pas des circonstances précitées que la société SPBI avait, rapidement après la signature des contrats de concessions exclusives conclus au mois de mai 2008 jusqu'au 31 août 2012, manœuvré pour pouvoir modifier la zone de chalandise concédée à la société Boat avant le terme de ces contrats et installer un concurrent direct de cette dernière en méconnaissance de ses engagements initiaux et de la bonne foi contractuelle devant présider à la formation et l'exécution des contrats, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1147 du Code civil ; 2°) que l'état de dépendance économique se définit comme l'impossibilité, pour une entreprise, de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées avec une autre entreprise ; qu'en écartant toute dépendance économique de la société SPBI aux motifs inopérants que la société Jeanneau disposant de 25 % des parts du marché de la plaisance n'était pas en position dominante et que la société Boat n'apportait à la cour aucun élément sur le marché pertinent, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 420-2, alinéa 2, du Code de commerce ; 3°) que la société Boat faisait valoir qu'elle n'était pas susceptible de s'approvisionner auprès d'autres fournisseurs en bateaux de la qualité et de la variété de ceux distribués par la société SPBI dont la cour d'appel a relevé que leur marque Jeanneau était renommée, et ajoutait que les autres fabricants disposaient de distributeurs implantés de longue date de sorte qu'elle n'avait eu d'autre choix que de mettre fin à son activité économique ; que pour l'établir elle versait aux débats une attestation de son commissaire aux comptes formulant " une réserve pour incertitude sur la continuité d'exploitation de la société du fait de la rupture du contrat de concession Jeanneau " ; qu'en affirmant péremptoirement que la société Boat ne démontre pas l'impossibilité pour elle de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées avec la société SPBI ni avoir été dans l'impossibilité de changer de réseaux, ayant plutôt cherché à vendre son fonds de commerce, sans rechercher comme elle y était pourtant invitée si la société Boat n'avait pas été précisément contrainte de chercher à vendre son fonds de commerce faute de possibilité s'offrant à elle de commercialiser des bateaux équivalents dans les mêmes conditions compte tenu de la notoriété de la marque Jeanneau et de la circonstance qu'elle réalisait la totalité de son chiffre d'affaires avec elle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 420-2 alinéa 2 du Code de commerce ; 4°) que pèse sur le concédant aux termes de l'article L. 330-3 du Code de commerce, une obligation précontractuelle d'information du concessionnaire formalisé dans un document écrit devant être remis vingt jours au moins avant la signature du contrat, permettant à ce dernier de s'engager en toute connaissance de cause ; que la société Boat faisait valoir que la société SPBI avait manqué à cette obligation précontractuelle lors de la renégociation des contrats de concession en 2010 en s'abstenant de lui remettre tout document écrit présentant le réseau d'exploitants et distributeurs des produits Jeanneau et l'informant en particulier de la zone territoriale exclusive concédée à son concurrent la société Exlusive yatchts Riviera ; qu'en jugeant que la société SPBI n'avait commis aucun abus lors de la négociation des contrats de concession exclusive conclus en 2010, sans nullement rechercher comme elle y était invitée, si la société n'avait pas manqué à son obligation précontractuelle d'information, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 330-3 du Code de commerce ; 5°) que les conventions doivent être exécutées de bonne foi ; que la société Boat faisait valoir qu'était manifestement abusive la rupture sans motif, dès le mois de janvier 2011, des trois contrats de concession exclusive conclus pour le dernier le 9 juillet 2010, en application d'une clause de résiliation unilatérale anticipée, dans la mesure où ces contrats avaient été conclus pour une durée déterminée qui devait expirer le 31 août 2012 ; qu'en jugeant régulière cette rupture aux motifs qu'elle était intervenue en application d'une clause contractuelle, sans cependant rechercher comme elle y était invitée si la mise en œuvre d'une telle clause cinq mois seulement après la conclusion d'un contrat à durée déterminée dont le terme était fixé à deux ans plus tard ne lui conférait pas un caractère abusif, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1135 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt constate que la société Boat, qui a consenti à poursuivre son activité avec une zone d'exclusivité réduite pour l'une des trois gammes de bateaux en signant les nouveaux contrats proposés par la société SPBI, et qui disposait déjà de l'information nécessaire sur les conditions de cette activité qu'elle exerçait auparavant, que le concédant a complétée en lui faisant part de la future installation d'un autre concessionnaire dans son ancien secteur, s'est engagée en pleine connaissance de cause ; qu'il relève que, même si la société SPBI possède la marque Jeanneau qui est renommée, sa part du marché de la plaisance de 25 % n'est pas dominante, et que la société Boat, qui réalisait l'exclusivité de son chiffre d'affaires avec la société SPBI et ne démontre toutefois pas être dans l'impossibilité de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées avec la société SPBI, ni dans celle de changer de réseaux, mais a plutôt cherché à vendre son fonds de commerce, ne rapporte pas la preuve d'être en situation de dépendance économique; qu'il relève encore que la société SPBI, qui n'a jamais entretenu la société Boat dans l'espérance du maintien de son secteur géographique puisqu'elle l'a avisée de son incertitude quant à sa pérennité, sans lui demander d'effectuer des investissements dans la partie exclue, et qui a résilié les contrats régulièrement en lui accordant un préavis d'une durée double de celle convenue lui permettant de se reconvertir, n'a pas commis d'abus dans la rupture de leurs relations contractuelles ; que par ces constatations et appréciations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen, pris en ses deuxième et septième branches, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.