CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 8 octobre 2015, n° 13-21881
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Salor 77 (SARL)
Défendeur :
HCM 77 (SARL), Amsa 91 (SARL), Sofadis (SARL), Padival (SARL), Prisiex (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
MM. Birolleau, Douvreleur
Avocats :
Mes Boccon Gibod, Levy, Etevenard, Le Jariel, Vignes, Combier
Faits et procédure
La SARL Salor 77, exploitant un fonds de commerce de vente de meubles de salon à Melun, a conclu avec la SARL Prisiex, gérant l'enseigne " Salons Center ", un contrat intitulé " contrat de location ", pour une durée de trois ans à compter du 1er novembre 1998, en vue de l'exploitation de son fonds de commerce sous l'enseigne " Salons Center ".
Se prévalant de ce que le magasin de meubles exploité par la société HCM 77, exerçant dans la même zone de chalandise que la sienne sous l'enseigne " Home Center ", vendait des produits identiques aux siens référencés par la société Prisiex et vendus par les adhérents du réseau " Salon Center ", de ce qu'existaient des similitudes entre l'enseigne " Home Center ", sous laquelle la société HCM 77 se présentait sur son site Internet, et celle de " Salons Center ", et de ce que ces éléments étaient de nature à caractériser des actes de concurrence déloyale et parasitaire commis par la HCM 77 et par d'autres magasins du réseau " Home Center ", Salor 77 a obtenu la désignation d'huissiers de justice aux fins de constater d'éventuels actes de concurrence déloyale par les établissements de l'enseigne " Home Center ".
Le contrat de location Salor 77 - Prisiex a été résilié par Prisiex par lettre du 24 février 2010, avec effet au 31 octobre 2010.
Salor 77 a assigné devant le Tribunal de commerce de Melun :
- par acte du 15 avril 2011, la société HCM 77 pour concurrence déloyale et parasitaire ;
- par actes des 24 et 26 août 2011, en intervention forcée :
- les sociétés Prisiex, HCM 77, Sofadis, Padival et Amsa 91 pour concurrence déloyale et parasitaire ;
- la société Prisiex pour manquements contractuels et pour rupture brutale de la relation commerciale établie.
Par jugement rendu le 6 novembre 2013, le Tribunal de commerce de Melun a :
Déclaré être incompétent au profit du Tribunal de commerce de Lyon sur la demande de Salor 77 fondée sur l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ;
Dit que, conformément aux dispositions de l'article 97 du Code de procédure civile, le dossier sera transmis directement à la juridiction désignée à l'expiration du délai du contredit ;
Déclaré être compétent pour connaître des demandes de la société Salor 77 ;
Débouté la société Salor 77 de ses prétentions ;
Condamné reconventionnellement la société Salor 77 à verser à chacune des défenderesses une somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure manifestement abusive ;
Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;
Condamné la société Salor 77 à payer aux sociétés HCM 77, Amsa 91, Sofadis et Padival la somme de 5 000 euro TTC chacune sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la société Prisiex.
La 3e chambre de la Cour d'appel de Paris, saisie du contredit, a renvoyé la question de la compétence du Tribunal de commerce de Melun devant la cour d'appel de céans.
La société Salor 77 a interjeté appel de cette décision le 15 novembre 2013.
Par ses dernières conclusions signifiées le 27 janvier 2015, elle demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Et statuant à nouveau,
Sur la compétence du Tribunal de commerce de Melun :
- dire que, étant intervenante forcée, la société Prisiex ne pouvait décliner la compétence territoriale de la juridiction initialement saisie ;
- dire que la clause attributive de compétence figurant dans le contrat liant les sociétés Prisiex et Salor 77 ne peut recevoir application puisque l'action fondée sur l'article L. 442-6 du Code de commerce est de nature délictuelle ;
- dire le tribunal de commerce de Melun compétent pour connaître des demandes de la société Salor 77 fondées sur l'article L. 442-6 du Code de commerce ;
A titre subsidiaire, si la cour confirmait l'incompétence du Tribunal de commerce de Melun :
- dire le Tribunal de commerce de Paris territorialement compétent pour connaître de la présente affaire en ce que le dommage subi par la société Salor 77 l'a été dans son ressort ;
- évoquer le fond de la présente affaire compte tenu de l'ancienneté du litige, de l'indivisibilité des demandes de la société Salor 77 et du fait que la cour d'appel de céans est seule juridiction d'appel pour les demandes fondées sur l'article L. 442-6 du Code de commerce ;
Sur le fond :
- dire que la société Prisiex a commis de graves violations contractuelles à l'égard de la société Salor 77 en autorisant le réseau concurrent Home Center à commercialiser les produits exclusivement destinés au réseau Salons Center ;
- dire que les sociétés Amsa 91, HCM 77, Sofadis et Padival ont commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire à l'égard de la société Salor 77 en commercialisant les modèles exclusivement destinés à Salons Center, en imitant les éléments distinctifs de l'enseigne Salons Center et en utilisant la documentation commerciale et tarifaire de Salons Center ;
- dire que la société Prisiex a rompu de façon brutale et abusive les relations commerciales établies avec la société Salor 77 depuis 1998 sans respecter un préavis suffisant qui, eu égard à la durée des relations entre les parties, aurait dû être à minima de 24 mois ;
En conséquence,
- condamner la société Prisiex à verser à la société Salor 77 des dommages et intérêts équivalent aux redevances indûment perçues par la société Prisiex du 1er juillet 2001 au 31 octobre 2010, soit la somme de 196 769,54 euro, sauf à parfaire, en réparation du préjudice résultant des manquements contractuels ;
- condamner la société Prisiex à verser à la société Salor 77 une indemnité qui ne saurait être inférieure à 138 000 euro, sauf à parfaire, en réparation du préjudice résultant de la collusion avec une enseigne concurrente ayant eu pour effet de désorganiser la société Salor 77 et de détourner sa clientèle au profit d'un réseau concurrent ;
- condamner in solidum les sociétés Amsa 91, HCM 77, Padival et Sofadis à verser à la société Salor 77 une indemnité qui ne saurait être inférieure à 200 000 euro, sauf à parfaire, en réparation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale et de parasitisme caractérisés commis au détriment de la société Salor 77 ;
- condamner la société Prisiex à verser à la société Salor 77 la somme de 170 833,37 euro, sauf à parfaire, en réparation du préjudice résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies ;
- condamner la société Prisiex à rembourser à la société Salor 77 les frais de dépose de l'enseigne Salons center et des éléments distinctifs de la marque figurant dans ses locaux qui s'élèvent à 7 582,64 euro TTC ;
En tout état de cause,
- condamner in solidum chacune des sociétés Prisiex, Amsa 91, HCM 77, Sofadis et Padival à verser à la société Salor 77 la somme de 20 000 euro, sauf à parfaire, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle soutient que Prisiex a accordé à Salor 77 une exclusivité sur la commercialisation de gammes de produits dédiées au réseau " Salons Center ", dès lors qu'aux termes du contrat conclu le 1er novembre 1998, Prisiex a concédé une licence sur la marque Salons Center, la fourniture d'un savoir-faire dans la limite de 40 heures par an, une assistance technique, et a référencé pour Salor 77, en contrepartie du paiement d'une redevance, une sélection de canapés exclusivement créés et fabriqués pour l'enseigne Salons Center.
Elle précise que :
- les canapés référencés de façon exclusive pour l'enseigne " Salons Center " étaient notamment les modèles Amadis, Avignon, Gauguin, Nebraska, Paradise Twist, Ghost, Cayman ;
- l'exclusivité attachée aux modèles de canapés " Salons Center " concernait les produits de la gamme Giorgio Rizzi, produits exclusivement distribués en France par " Salons Center ", comme Prisiex l'indique sur son site Internet ;
- les fournisseurs des canapés " Salons Center " attestent que ces produits sont réalisés exclusivement pour le compte de ce réseau.
Elle invoque par ailleurs la responsabilité délictuelle des sociétés du réseau " Home Center " (Amsa 91, HCM 77, Sofadis et Padival) en ce que :
- la société Amsa 91, gérant l'enseigne " Home Center ", a conclu avec Prisiex un contrat l'autorisant à vendre des produits exclusivement créés pour Salons Center, dont elle ne pouvait ignorer qu'il lui procurait un avantage concurrentiel indu et qu'il portait atteinte à l'exclusivité dont bénéficiaient les membres du réseau " Salons Center " ;
- en implantant un magasin Home Center à Cesson, soit à quelques kilomètres seulement du magasin Salons Center de l'appelante, Amsa 91 et son réseau étaient parfaitement conscients de la concurrence déloyale qu'ils faisaient à Salor 77.
La société Prisiex, par ses dernières conclusions signifiées le 28 janvier 2015, demande à la cour de :
- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Melun du 6 novembre 2013 en toutes ses dispositions ;
- dire que le Tribunal de commerce de Lyon est compétent pour connaître des demandes formées par Salor 77 à l'encontre de la société Prisiex sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce ;
- si par extraordinaire, la Cour venait à évoquer la demande formée à l'encontre de la société Prisiex sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce, débouter la société Salor 77 de sa demande formée à l'encontre de la société Prisiex sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce ;
En tout état de cause,
- débouter la société Salor 77 de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner la société Salor 77 au paiement d'une somme de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle expose que le contrat conclu entre Prisiex et Salor 77 ne peut être requalifié en contrat de franchise - contrat qui emporterait la concession d'une exclusivité de distribution - dans la mesure où il ne comporte :
- ni fourniture d'une assistance commerciale ou technique continue pendant la durée de l'accord ;
- ni transmission d'un savoir-faire identifié et substantiel, les modèles référencés " Salons Center " - comme ceux distribués par d'autres enseignes - n'ayant aucun caractère original ou spécifique ;
- ni intuitu personae.
Elle ajoute qu'aucune exclusivité n'a, en tout état de cause, été accordée au réseau " Salons Center " par les fournisseurs des modèles de canapés concernés, qu'il ne peut être reproché à Prisiex d'avoir encouragé une confusion entre les deux réseaux dans la mesure où les modèles de canapés en cause n'ont aucun caractère d'exclusivité, ni d'ailleurs, d'originalité, et où, sur le plan territorial, le magasin exploité par la société Salor 77 à Melun est éloigné de la zone de chalandise des magasins exploités par les sociétés Amsa 91, Padival et Sofadis.
Les sociétés HCM 77, Amsa 91, Sofadis et Pavida, par leurs dernières conclusions signifiées le 27 janvier 2015, demandent à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il rejeté les demandes et prétentions de la société Salor 77 ;
- le réformer en ce qu'il a alloué aux sociétés HCM 77, Amsa 91, Sofadis et Padival, la somme de 10 000 euro, à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Statuant à nouveau,
- condamner la société Salor 77 à payer à chacune des sociétés HCM 77, Amsa 91, Sofadis et Padival, une somme de 20 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- condamner la société Salor 77 à payer à chacune des sociétés HCM 77, Amsa 91, Sofadis et Padival, une somme de 15 000 euro, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elles font valoir que les relations commerciales relatives à la distribution des canapés référencés " Salons Center " ne comportent ni exclusivité de vente, ni exclusivité territoriale au bénéfice de la société Salor 77. Elles précisent qu'elles étaient pleinement autorisées à commercialiser les produits concernés par la convention conclue avec Prisiex, et qu'elles ne peuvent se voir opposer une prétendue exclusivité qui aurait été accordée à Salor 77, dont elles n'avaient en tout état de cause pas connaissance. Elles ajoutent qu'il n'existe aucune similitude entre les deux enseignes " Salons Center " et " Home Center ", et que l'enseigne " Salons Center " ne présente aucune originalité vu la multitude des sociétés exploitant un commerce de meubles sous une enseigne comprenant le mot " center ". Elles prétendent enfin que l'appelante ne caractérise nullement le préjudice allégué.
MOTIFS
Considérant que la société Salor 77 recherche la condamnation de la société Prisiex pour violation du contrat de distribution et d'enseigne, des sociétés HCM 77, Sofadis, Padival et Amsa 91 pour concurrence déloyale, et de Prisiex pour rupture brutale de la relation commerciale ;
Sur la responsabilité contractuelle de la société Prisiex
Considérant que Salor 77 fait grief à Prisiex d'avoir manqué à son engagement de distribution exclusive des canapés référencés " Salons Center ", vendus dans des magasins exerçant sous l'enseigne " Home Center " ;
Considérant qu'il résulte du procès-verbal de constat dressé par Maître Safar le 21 octobre 2010 dans le magasin Home Center de Cesson (Seine et Marne) - centre commercial Maisonément, exploité par la société HCM 77, que deux modèles désignés dans la requête en désignation d'un huissier de justice ont été identifiés comme mis en vente dans le magasin : les modèles Amadis et Avignon (pièce n° 16 communiquée par Salor 77) ; que, par procès-verbal de constat de Maître Doniol du 21 octobre 2010 réalisé dans le magasin Home Center de Montevrain (Seine et Marne), exploité par la société Padival, la présence a été constatée dans l'espace de vente de canapés Cambridge, Amadis, Avignon, Cayman, Twist, Paradise et Gauguin (pièce n° 21) ; que, par procès-verbal de constat de Maître Doniol du 21 octobre 2010 réalisé dans le magasin Home Center de Claye Souilly (Seine et Marne), exploité par la société Padival, l'huissier instrumentaire a constaté la mise en vente de canapés des modèles Gauguin, Avignon et Amadis (pièce n° 22) ; qu'il ressort du procès-verbal de constat dressé par Maître Drogué le 21 octobre 2010 dans le magasin Home Center de Sainte Geneviève des Bois (Essonne), exploité par la société Sofadis, que cinq canapés des modèles désignés dans la requête en désignation d'un huissier de justice étaient présents dans l'établissement : les modèles Twist, Gauguin, Cambridge, Nebraska et Paradise (pièce n° 24) ;
Considérant que le "contrat de location" du 29 octobre 1998, à effet du 1er novembre 1998, conclu avec Salor 77, stipule :
- en son article 1er "Objet", que Prisiex concède à Salor 77 le droit d'utiliser la marque "Salons Center" pour l'exploitation de son fonds de commerce sis à Melun ;
- en son article 4 "Obligations du concessionnaire", que le concessionnaire oblige à respecter les spécificités de la marque "Salons Center", exposer en permanence à la vente 20 % des produits référencés par le concédant, communiquer mensuellement ses statistiques de vente ;
- en son article 5 "Obligations du concédant", le concédant s'engage à communiquer les nouveaux référencements et assurera une assistance du concessionnaire dans la limite d'un budget horaire annuel de 40 heures ;
Considérant que, si Salor 77 ne soutient pas, dans ses dernières écritures, que le "contrat de location" serait un contrat de franchise, elle prétend détenir pour autant une exclusivité de distribution des produits référencés " Salons Center " ;
Considérant qu'il ne résulte d'aucune stipulation du contrat du 29 octobre 1998 que Prisiex a concédé le droit d'utilisation de la marque " Salons Center " de façon exclusive à Salor 77, la redevance payée par le concessionnaire étant la contrepartie de ce droit d'utilisation, et non d'une exclusivité ; qu'il est à cet égard constant que, nonobstant la perte du référencement " Salons Center " par suite de la rupture de la relation contractuelle intervenue le 1er novembre 2010, Salor 77 a continué à s'approvisionner auprès des fournisseurs de Prisiex, ainsi que cela ressort des factures émises par Aries Salotti (pièces n° 30, 45 et 46 communiquées par Prisiex), AR (pièces n° 31, 47 et 48), et Opéra (pièces n° 32, 49,50 et 51), factures sur lesquelles figurent notamment les modèles " Paradise " et " Cayman ", présentés par Salor 77 comme des modèles exclusifs réservés à l'enseigne " Salons Center " ; qu'au demeurant, Salor 77 est d'autant moins fondée à invoquer l'exclusivité attachée à l'enseigne " Salons Center " qu'elle a elle-même ouvert, sur la zone commerciale " Maisonément ", à Cesson, hors enseigne " Salons Center ", un autre magasin sous l'enseigne " Espry Contemporain ", dont elle ne conteste qu'il commercialise des modèles référencés " Salons Center " (pièce n° 14 communiquée par Salor 77) ; que les éléments produits par Prisiex confirment par ailleurs que les fournisseurs de canapés dont Salor 77 prétend qu'ils ne devaient être distribués que dans les magasins " Salons Center ", n'ont accordé aucune exclusivité à cette enseigne, ainsi pour :
- Altoni, dont l'administrateur, Monsieur Pasquale Tricarico, indique que " les modèles Amadis, Avignon, Gordon et Sheraton sont des modèles de notre collection figurant d'ailleurs dans le catalogue général de notre société Altoni Leather. Ces modèles ont été en effet référencés par le groupement " Salons Center " mais sans aucune exclusivité à ce groupe " (pièce n° 17 communiquée par Prisiex) ;
- Opéra Bye Goldenline : si un courriel en date du 6 juillet 2010, émanant de Monsieur Izio de la société Opéra, fait état de ce que " Nous vous confirmons que nos deux modèles Othello et Gauguin sont référencés par le groupe " Salons Center " et que sur le territoire français, ils peuvent être vendus seulement aux seuls magasins avec l'enseigne Salons Center ", cette attestation est insuffisante à établir qu'une exclusivité aurait été consentie à Prisiex, une telle exclusivité étant au contraire infirmée par :
- l'agent commercial d'Opéra Bye Goldenline, Monsieur Serge Sebag, qui précise, par attestation en date du 5 avril 2013 : " J'ai été agent pour la France de la société Opéra durant les années 2009-2010-2011-2012. Durant cette période j'ai commercialisé tous les produits de la gamme Opéra et notamment les modèles Othello et Gauguin. Les deux modèles étaient référencés auprès du Groupe Salons Center mais n'étaient pas exclusifs à cette enseigne. J'ai vendu les deux modèles à d'autres enseignes notamment Cuir Center, Mobilier de France, Tousalon, LM Diffusion et un certain nombre d'autres points de vente. Cette liste n'est pas exhaustive. " (pièce n° 62) ;
- les livraisons effectuées par Opéra, au cours de l'année 2010, à des magasins dont il n'est pas soutenu qu'ils exerceraient sous l'enseigne " Salons Center " (pièce n° 63) ;
- l'article 1er de la convention conclue le 29 janvier 2009 entre Prisiex et Opéra Bye Goldenline, qui se borne à prévoir que " la société Prisiex s'engage à référencer la gamme de modèles fabriqués par la société et à présenter la société Opéra Bye Goldenline comme un des fournisseurs privilégiés de la marque Salons Center " (pièce n° 32 communiquée par Salor 77) ;
- Aries Salotti, dont le responsable Monsieur Massimiliano Malmesi atteste : " Ma société Aries Salotti a vendu depuis 2008 et continue à vendre tous les modèles de la collection Aries à des magasins autres que les magasins Salons Center. Ces modèles ont été vendus à des marchands de meubles comme Cuir Center, Monsieur Meuble, Crozatier'' (pièce n° 60) ;
- AR : la preuve n'est pas rapportée par Salor 77 d'une quelconque exclusivité accordée à Salons Center ; qu'alors qu'une note émanant de Monsieur Cristian d'AR indique "Nous vous communiquons que le modèle Twist est référencé Salons Center. La commercialisation du modèle est ainsi réservée uniquement aux adhérents de la société Salons Center" (pièce n° 11 de Salor 77), ce point est infirmé par un autre représentant d'AR, Monsieur Morel, qui fait état de ce que cette société "n'a pas accordé d'exclusivité de ses produits aux magasins Salons Center" (pièce n° 64) ;
Que, pour Giorgio Rizzi, si, selon procès-verbal de constat dressé le 13 février 2012, la société Prisiex met en avant, sur son site Internet www.saloncenter.fr, le fait que " depuis 1981, Salons Center a eu le privilège d'obtenir la concession exclusive pour la France de la distribution des produits griffés Giorgio Rizzi ", Salor 77 ne produit en ce sens aucune convention de concession exclusive ni au titre de la période comprise entre 2008 et 2010, ni même en 2012, date du constat ;
Que le seul témoignage de Monsieur Stéphane Dan Cohen, expert-comptable de Salor 77, en date du 23 janvier 2013 relatif à une réunion tenue le 14 janvier 2009, lors de laquelle Monsieur Gilbert Schwartz, de Prisiex, aurait " reconnu qu'en application du contrat liant Salor 77 et Prisiex, seule l'enseigne Salons Center pouvait commercialiser les produits dédiés à cette enseigne " (pièce n° 75 communiquée par Salor 77), ne présente pas, en l'absence de précision sur ce point, et en particulier de production de toute convention en ce sens, de caractère suffisamment probant ;
Considérant qu'aucune preuve n'étant, dans ces conditions, rapportée de la violation, par Prisiex, d'une quelconque exclusivité consentie à Salor 77, c'est à raison que les premiers juges ont retenu que le contrat du 29 octobre 1998 est un contrat de licence de marque ne comportant ni engagement réciproque d'exclusivité, ni territoire réservé ;
Considérant que Salor 77 invoque par ailleurs la déloyauté de Prisiex qui aurait créé les conditions de la concurrence déloyale du réseau " Home Center " du fait de l'identité des fournisseurs et des modèles vendus au sein des réseaux " Home Center " et " Salons Center ", et des similitudes existant entre les deux enseignes ; que toutefois en l'absence de toute exclusivité de distribution de la gamme des produits référencés " Salons Center ", Salor 77 ne peut reprocher à Prisiex le fait que les produits soient commercialisés par d'autres enseignes que " Salons Center " ; qu'elle ne saurait davantage invoquer des similitudes entre les enseignes " Salons Center " et " Home Center ", alors que ni la spécialité différente des deux réseaux - " saloniste " pour " Salons Center ", généraliste en équipements de la maison pour " Home Center " - ne sont de nature à créer un quelconque risque de confusion entre ces deux marques ;
Considérant que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté Salor 77 de sa demande dirigée contre Prisiex ;
Sur la responsabilité délictuelle des sociétés " Home Center " HCM 77, Sofadis, Padival et Amsa
Considérant que Salor 77 soutient qu'en concluant avec Prisiex une convention les autorisant à commercialiser les mêmes produits que ceux référencés " Salons Center " et en s'implantant à proximité du magasin de Salor 77, Amsa 91, gérant l'enseigne " Home Center ", et son réseau étaient parfaitement conscients de la concurrence déloyale qu'ils occasionnaient à Salor 77 ;
Mais considérant que les sociétés Amsa 91, Sofadis et Padival, titulaires d'un contrat, conclu avec Prisiex, de mise à disposition les autorisant " à utiliser la gamme de produits référencés sous la marque " Salons Center " pour l'exploitation de leur point de vente " (pièce n° 35 communiquée par Salor 77), disposaient d'un titre pour commercialiser les produits en cause ; qu'il n'est pas soutenu que HCM 77 aurait conclu un quelconque contrat avec Prisiex ; qu'en l'absence d'exclusivité, au bénéfice de Salor 77, attachée aux produits référencés " Salons Center ", il est indifférent qu'il y ait eu, entre les deux réseaux " Salons Center " et " Home Center ", identité de fournisseurs et de modèles vendus ; qu'aucune déloyauté de ce chef n'est en conséquence établie ;
Que, par ailleurs, les implantations de Cesson, Montevrain, Claye Souilly et Sainte Geneviève des Bois n'étaient de nature à créer, pour Salor 77, aucun risque de confusion :
- ni quant à la dénomination des enseignes, les termes " Salons Center " ne présentant aucune originalité compte tenu du nombre important d'enseignes de magasins de meubles incluant le mot " center ", 22 marques françaises concernant l'équipement de la maison étant à cet égard déclarées à l'INPI (pièce n°11 produite par les intimées) ;
- ni quant à leur présentation, dès lors que Salor 77 ne prouve pas l'existence des enseignes présentées en pages 2 et 24 de ses conclusions et qu'en revanche, les photographies produites par les sociétés du réseau " Home Center ", en page 19 de leurs dernières conclusions, ne révèlent aucune similitude entre les deux enseignes ;
- ni quant à une prétendue proximité géographique des magasins, l'établissement Home Center exploité par HCM 77 au sein du centre commercial " Maisonément ", à Cesson, étant situé à 3 kilomètres de celui de Salor 77, localisé à Melun hors du centre commercial, celui exploité par Amsa 91, implanté à Claye Souilly, à 53 kilomètres, celui de Sofadis à 32 kilomètres, et celui exploité par Padival à 50 kilomètres ;
Considérant qu'aucun agissement déloyal ne peut, dans ces circonstances, être imputé aux sociétés HCM 77, Amsa 91, Sofadis et Padival ; que le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté Salor 77 de ses demandes dirigées à l'encontre de HCM 77, Amsa 91, Sofadis et Padival ;
Sur la rupture brutale de la relation commerciale
Considérant que Salor 77 recherche la condamnation de Prisiex pour rupture brutale de la relation commerciale établie sur le fondement de l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce ; que le paragraphe III, 5e alinéa, de cet article dispose que 'les litiges relatifs à l'application du présent article sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret ; que l'article D. 442-3 du même Code prévoit que "pour l'application de l'article L. 442-6, le siège et le ressort des juridictions commerciales compétentes en métropole (...) sont fixés conformément au tableau de l'annexe 4-2-1 du présent livre", lequel attribue compétence exclusive aux Tribunaux de Marseille, Bordeaux, Lille, Lyon, Nancy, Paris et Rennes ;
Considérant qu'en conférant aux juridictions spécialisées une compétence exclusive dans le contentieux des pratiques concurrentielles, l'article L. 442-6 I, 5° institue une compétence d'attribution, et non une compétence territoriale ; que c'est en conséquence à tort que Salor 77 invoque l'article 333 du Code de procédure civile, dès lors que l'obligation de procéder devant la juridiction saisie de la demande originaire prévue par cet article ne s'impose au tiers mis en cause que si la contestation ne porte que sur la compétence territoriale, et non sur la compétence d'attribution de la juridiction saisie ; que le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a dit le Tribunal de commerce de Melun incompétent au profit du Tribunal de commerce de Lyon sur la demande de Salor 77 fondée sur l'article L. 442-6 I 5° ;
Considérant, sur la demande d'évocation, que l'article 568 du Code de procédure civile dispose que " lorsque la cour d'appel est saisie d'un jugement qui a ordonné une mesure d'instruction, ou d'un jugement qui statuant sur une exception de procédure, a mis fin à l'instance, elle peut évoquer les points non jugés si elle estime de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive, après avoir ordonné elle-même, le cas échéant, une mesure d'instruction. (...) " ;
Considérant que, la cour n'étant saisie ni du chef du jugement qui a ordonné une mesure d'expertise, ni d'un jugement qui, statuant sur une exception de procédure, a mis fin à l'instance, l'évocation sollicitée par Salor 77 n'entre pas dans le champs d'application de l'article 568 ; que l'appelante sera déboutée de sa demande de ce chef ;
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive
Considérant que, dès lors qu'elle ne conteste pas que son propre magasin sis à Cesson, exerçant sous l'enseigne " Espry Contemporain ", hors enseigne " Salons Center ", commercialisait des modèles référencés " Salons Center ", l'appelante n'ignorait manifestement pas que " Salons Center " ne bénéficiait d'aucune exclusivité ; que c'est à raison que les premiers juges ont reconnu le comportement téméraire de Salor 77 ; que toutefois les intimées ne rapportent pas la preuve d'un préjudice résultant de l'abus commis par Salor 77, autre que celui indemnisable en application de l'article 700 du Code de procédure civile, la société Prisiex ne faisant état d'aucun préjudice et les sociétés HCM 77, Amsa 91, Sofadis et Padival ne rapportant pas la preuve du préjudice allégué à l'occasion des constats dressés par les huissiers instrumentaires ; que la cour les déboutera de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et réformera en ce sens le jugement entrepris ;
Considérant que, sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile, la cour confirmera la décision déférée sur les condamnations prononcées au bénéfice des sociétés Prisiex, HCM 77, Amsa 91, Sofadis et Padival ; qu'elle l'infirmera en ce qu'elle a débouté la société Prisiex de sa demande à ce titre ; que, statuant à nouveau de ce chef, elle condamnera Salor 77 à payer à Prisiex la somme de 3 000 euro au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ;
Qu'au titre des frais irrépétibles en cause d'appel, l'équité commande de condamner Salor 77 à payer à chacune des sociétés Prisiex, HCM 77, Amsa 91, Sofadis et Padival la somme de 1 500 euro ;
Par ces motifs LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris, sauf sur les dommages et intérêts alloués pour procédure abusive et sur l'application à la SARL Prisiex de l'article 700 du Code de procédure civile, Statuant a nouveau de ces chefs, Déboute les SARL Prisiex, HCM 77, Amsa 91, Sofadis et Padival de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive. Déboute la SARL Salor 77 de sa demande d'évocation, Condamne, en application de l'article 700 du Code de procédure civile, la SARL Salor 77 à payer à chacune des SARL HCM 77, Amsa 91, Sofadis et Padival la somme de 1 500 euro et à la SARL Prisiex celle de 3 000 euro, Condamne la SARL Salor 77 aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.