CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 24 septembre 2015, n° 2014-16108
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Nouvelle des Yaourts Litée (SAS), Société de Fabrication de Glaces et de Crèmes Glacées (SAS), Antilles Glaces (SAS)
Défendeur :
Ministre de l'Economie, de l'industrie et du Numérique, Autorité de la concurrence
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Michel- Amsellem
Conseillers :
Mme de Gromard, M. Douvreleur
Avocats :
LPLG Avocats, Me Mitchell
Faits et procédure
Implantée en Martinique où elle a son siège, la Société Nouvelle des Yaourts Littée (ci-après société SNYL) est une filiale à 100 % de la Société de Fabrication de Glaces et Crèmes Glacées (ci-après société Socrema), elle-même filiale à 100 % de la société holding Antilles Glaces. Elle fabrique des produits laitiers frais et des jus de fruits qu'elle commercialise sous marques propres pour le compte de la marque " Yoplait " sur la base d'un contrat de franchise, ou sous marques de distributeur. Elle a pour principaux concurrents la Société Antillaise de Production de Yaourts (ci-après société Sapy) et la Société Guadeloupéenne de Production de Yaourts (ci-après société SGPY), ces sociétés ayant les mêmes dirigeants et actionnaires, et deux sociétés métropolitaines exportant leurs produits aux Antilles, la société Laiterie de Saint-Malo (ci-après société LSM) et la société Savoie Yaourts.
Toutes ces sociétés sont membres du syndicat professionnel Syndifrais, qui regroupe la quasi-totalité des fabricants français de produits laitiers frais.
Le secteur de la distribution alimentaire en Martinique et en Guadeloupe comprend plusieurs groupes, parmi lesquels le groupe Ho Hio Hen (groupe 3H), le groupe Bernard Hayot (GBH), la Société Antillaise Frigorifique (ci-après société SAFO), la société Geimex et la centrale d'achat Sogedial Exploitation.
Au début de l'année 2007, la société SNYL a constaté que certains de ses concurrents, les sociétés LSM, Savoie Yaourt et Pechalou, apposaient sur leurs produits laitiers frais qu'ils exportaient vers les Antilles des dates limites de consommation (DLC) d'une durée de 55 à 60 jours, supérieures à celles, d'une durée de 30 jours, appliquées aux mêmes produits commercialisés en métropole. Elle a fait effectuer des analyses par le laboratoire Méthode Analyse Procédé (ci-après MAP). La société SNYL a considéré que ces analyses avaient conclu à la non-conformité de certains produits, notamment par rapport à la définition réglementaire des fromages frais. Elle a alors adressé au syndicat Syndifrais un courrier en date du 11 décembre 2007, dans lequel elle lui a signalé que la société LSM pratiquait une DLC supérieure à trente jours et lui a fait savoir qu'elle y voyait une "tromperie". Ce courrier était rédigé dans les termes suivants : "Nous déplorons que Syndifrais ne puisse faire respecter, par ses adhérents, la règle professionnelle établie depuis plusieurs années sur la DLC des produits laitiers frais (...). Il s'agit là d'une tromperie au détriment du consommateur, qui constitue également un acte de concurrence déloyale. Les faits constatés, même pris isolément, constituent en eux-mêmes des tromperies sur les qualités substantielles des produits vendus, au regard des textes réglementaires que vous n'ignorez pas" (cote 511). La société SNYL a transmis une copie de ce courrier aux sociétés Sapy et Yoplait France.
Le syndicat Syndifrais, sur la base des informations transmises par la société SNYL, a exclu de ses rangs la société LSM le 10 mars 2009.
Par ailleurs, l'information selon laquelle les produits laitiers frais de la société LSM ne respecteraient pas la réglementation sanitaire s'est ensuite diffusée auprès des professionnels de la distribution alimentaire aux Antilles. Certaines enseignes ont alors, dans le courant des années 2008 et 2009, retiré ces produits de leurs rayons.
La société SNYL a aussi saisi la DDCCRF d'Ille-et-Vilaine, la DGCCRF et la DGAL.
Les services de la DGCCRF ont procédé à des investigations préliminaires et, le 25 août 2010, ont adressé à l'Autorité de la concurrence un projet d'enquête relatif à des pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des produits laitiers frais fabriqués en métropole et mis sur le marché aux Antilles françaises ainsi qu'en Guyane. Après examen des éléments qui lui avaient été transmis, la rapporteure générale de l'Autorité a décidé, conformément aux dispositions de l'article L. 450-5 du Code de commerce, de prendre la direction de cette enquête. Par décision du 19 décembre 2011, l'Autorité s'est saisie d'office de pratiques relevées dans le secteur de la commercialisation des produits laitiers aux Antilles françaises.
Le 12 juin 2013, la rapporteure générale de l'Autorité a notifié à la société SNYL le grief " d'avoir abusé de sa position dominante sur le marché martiniquais d'approvisionnement de la GMS [grandes et moyennes surfaces] des yaourts et spécialités laitières, et sur le marché martiniquais d'approvisionnement de la GMS en fromages frais et en spécialités fromagères sucrées à la pulpe de fruits, en proférant, entre décembre 2007 et mars 2010, un discours de nature à porter le discrédit sur les produits concurrents (" fromages frais " et " yaourts ") de la société " Laiterie de Saint-Malo ", au moyen de la diffusion publique d'assertions non vérifiées, lesquelles ont conduit notamment à un retrait temporaire des produits visés par ce discours dénigrant, constaté en Martinique et Guadeloupe, affectant ainsi concrètement le fonctionnement de la concurrence par l'empêchement apporté à la société " Laiterie de Saint-Malo " de distribuer ses produits concurrents de ceux de la société SNYL. Cette pratique est prohibée par l'article L. 420-2 du Code de commerce ". Ce grief a été notifié également aux sociétés Socrema et Antilles Glaces.
Par décision n° 14-D-08 du 24 juillet 2014, l'Autorité de la concurrence a infligé solidairement aux sociétés SNYL, Socrema et Antilles Glaces une sanction pécuniaire de 1 670 000 euro, pour avoir enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce, et a ordonné la publication de sa décision dans les journaux " France-Antilles Martinique " et " France-Antilles Guadeloupe ".
Les sociétés SNYL, Socrema et Antilles Glaces ont formé un recours contre cette décision et elles demandent à la cour d'en prononcer l'annulation ou, subsidiairement, la réformation.
La Cour,
Vu la déclaration de recours en annulation et en réformation de la décision n° 14-D-08 du 24 juillet 2014 formé au greffe de la cour le 30 juillet 2014 par les sociétés SNYL, Socrema et Antilles Glaces ;
Vu les mémoires déposés les 24 septembre 2014 et 21 mai 2015 par les sociétés SNYL, Socrema et Antilles Glaces ;
Vu les observations déposées par le ministre de l'économie et des finances le 5 mars 2015 ;
Vu les observations déposées par l'Autorité de la concurrence le 6 mars 2015 ;
Après avoir entendu à l'audience publique du 4 juin 2015 les conseils des requérants, qui ont été mis en mesure de répliquer en dernier, ainsi que le représentant du ministre de l'économie, de l'Autorité de la concurrence et le ministère public ;
SUR CE,
Sur le marché pertinent
L'Autorité de la concurrence a, dans la décision attaquée, retenu comme marchés pertinents les marchés d'approvisionnement de la GMS en yaourts et fromages frais, dans le département de la Martinique. Les requérants approuvent l'Autorité d'avoir ainsi défini matériellement deux marchés distincts - le marché des yaourts et celui des fromages frais -; ils contestent, en revanche, la décision en ce qu'elle a, géographiquement, circonscrit ces marchés au seul département de la Martinique. Ils font valoir, en effet, que le territoire sur lequel les distributeurs martiniquais de la GMS peuvent s'approvisionner en produits laitiers frais ne se limite nullement à ce département, mais s'étend à la métropole, de sorte que le marché pertinent doit s'entendre de tout le territoire national. Ils rappellent, à cet égard, que des producteurs métropolitains, telles les sociétés LSM, Senoble et Savoie Yaourt, se sont implantés dans les Antilles françaises et y approvisionnent les distributeurs de la GMS. S'agissant particulièrement de la société LSM, ils soulignent qu'elle a vu progresser significativement depuis 2007 ses parts de marché en Martinique, jusqu'à atteindre, en 2010, 3,93 % pour les yaourts et 5,6 % pour les fromages frais. Ils en concluent que les particularités insulaires relevées par l'Autorité - résultant du coût du fret et de l'octroi de mer -, ne constituent en rien des barrières à l'entrée sur le marché martiniquais de l'approvisionnement de la GMS en yaourts et fromages frais.
Comme l'Autorité l'a rappelé dans sa décision, la définition du marché pertinent relève de principes dégagés par la Commission européenne, notamment dans sa communication de 1997 sur la définition du marché en cause, et consacrés tant par sa propre pratique décisionnelle que par la jurisprudence des juridictions nationales. Il en va ainsi de la définition générale du marché, - où se rencontrent l'offre et la demande de produits ou services spécifiques, considérés par leurs acheteurs ou utilisateurs comme substituables -, et de sa dimension géographique, laquelle est déterminée par le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans l'offre de ces produits ou services, et où les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes et se distinguent de celles des zones géographiques voisines.
Il n'est pas discuté que la production locale de produits laitiers frais ne constitue pas la seule source d'approvisionnement de la GMS en Martinique qui, de fait, s'approvisionne aussi auprès de fournisseurs de métropole, dont on examinera ci-après les parts de marché. Mais ce simple constat ne suffit pas à considérer qu'en l'espèce, le marché pertinent s'étend à tout le territoire national.
En effet, les circuits d'approvisionnement de la GMS en Martinique présentent des caractères spécifiques, qui tiennent, en particulier, au degré élevé de concentration du marché de la grande distribution en outre-mer, aux coûts d'importation résultant du fret, de l'octroi de mer, de la durée d'acheminement des produits et des risques qui y sont afférents, et enfin au comportement de la demande, portée à se fournir à titre principal en produits fabriqués localement. Ces facteurs rendent plus complexe et plus coûteux, pour la GMS, l'approvisionnement en métropole, ce que démontre d'ailleurs la faiblesse de la part de marché de la concurrence métropolitaine des producteurs locaux. C'est donc à juste titre que l'Autorité a fixé les limites géographiques du marché pertinent au département de la Martinique.
Sur la position dominante
Les requérants contestent que la société SNYL ait occupé une position dominante sur le marché en cause. S'ils conviennent que cette société détenait une part importante du marché, supérieure à 50 %, ils rappellent qu'il ne résulte du franchissement de ce seuil qu'une présomption réfragable et ils soutiennent que les critères permettant d'écarter celle-ci sont réunis en l'espèce.
C'est ainsi qu'ils font valoir, en premier lieu, que la société SNYL doit faire face sur son marché à une concurrence réelle et effective, en particulier de la part de son principal concurrent, la société Sapy, qui détient en Martinique près de 27 % du marché des yaourts et 15,5 % du marché des fromages frais. Ils ajoutent qu'existent de surcroît plusieurs marques de distributeurs (MDD), dont la part totale de marché atteint 20 %. Les requérants en concluent que cette concurrence empêche la société SNYL de se comporter de manière indépendante sur le marché et qu'il lui faut, au contraire, tenir compte du comportement et de la réaction de ce concurrent majeur.
Cependant, force est de constater, au vu des chiffres qu'elle a elle-même fournis, qu'en dépit de cette concurrence, la société SNYL conserve des parts de marché de loin les plus importantes, puisque s'établissant, à l'époque des faits, à des niveaux toujours supérieurs à 63 %, et atteignant quelquefois 68 %. Sur le marché des fromages frais, cette part a d'ailleurs augmenté entre 2007 et 2009, passant de 63,3 % à 68,2 %, tandis que la société Sapy voyait baisser sa part, passée de 15,5 % à 12,2 %. Sur le marché des yaourts, si la part de la SNYL a baissé de 2007 à 2009, c'est dans une proportion réduite, puisque passant de 65 % à 63,8 %, tandis que la part de la société Sapy est restée stable, passant de 25,3 % à 25,4 %.
Il en ressort qu'en dépit de la variation de la part de la société SNYL sur la période considérée, - en toute hypothèse toujours très supérieure au seuil de 50 % du marché -, la part relevant de ses concurrents, par ailleurs répartie entre plusieurs producteurs, est restée modeste, de sorte que la présomption de dominance ne s'en trouve pas renversée.
La même constatation s'impose, en conséquence, en ce qui concerne l'argument des requérants tiré de la menace que représenterait pour la société SNYL la progression régulière de ses concurrents, qui conduit à un " effritement " de sa position sur le marché, qu'elle dominait à 95 % il y a 25 ans, cet argument étant étayé par la référence à une précédente décision du Conseil de la concurrence (Cons. conc. décis. n° 99-D-20 du 9 mars 1999, Secteur des implants intraoculaires). Comme l'Autorité l'a relevé dans sa décision, l'intensification constatée de la concurrence ces dernières années, si elle a entrainé la fin de la situation quasi-monopolistique dont jouissait la société SNYL, ne remet pas en cause le constat selon lequel la structure de ce marché est caractérisée par la présence d'un opérateur très puissant et y occupant des positions importantes, dans les proportions ci-dessus rappelées.
Enfin, les requérants invoquent la " puissance compensatrice d'achat " de la GMS en Martinique, dont l'importance est, selon eux, de nature à " exclure toute détention d'une position dominante ". Sur ce point, si la puissance d'achat des groupes de distribution ne peut être discutée dans son principe, c'est à juste titre que l'Autorité a relevé dans sa décision que les effets en résultant devaient être tempérés. C'est ainsi que l'Autorité s'est référée aux constatations qu'elle avait faites dans le cadre de son avis n° 09-A-45 du 8 septembre 2009 relatif aux mécanismes d'importation et de distribution des produits de grande consommation dans les départements d'outre-mer, et qui avaient trait aux prix pratiqués par la GMS, étant précisé que ces constatations sont concomitantes aux agissements reprochés à la société SNYL ; elle a rappelé que, selon ces constatations, les relevés de prix avaient révélé des écarts substantiels entre la métropole et les départements d'outre-mer et qu'avaient été constatées des pratiques de prix conseillés identiques.
Il en ressort que la pression concurrentielle subie par la société SNYL reste modeste et en tout cas insuffisante à faire perdre à cette société sa position dominante.
Il y a donc lieu de considérer que la société SNYL, qui détenait au moment des faits reprochés des parts de marché très supérieures à 50 %, et dont il est démontré qu'elle continuait à pouvoir adopter un comportement indépendant vis-à-vis de la concurrence et des consommateurs, occupait une position dominante sur le marché pertinent, sans qu'aucun des critères qui permettraient d'écarter cette conclusion ne soient remplis en l'espèce.
Sur l'abus
L'Autorité a rappelé dans sa décision que le dénigrement d'un concurrent par une entreprise en position dominante pouvait être constitutif d'un abus relevant de l'article L. 420-2 du Code de commerce, dès lors que le discours commercial en cause procédait non de constatations objectives mais d'assertions non vérifiées, qu'il consistait à jeter le discrédit sur un concurrent ou ses produits et donc qu'il tendait à restreindre la concurrence et, enfin, qu'il était lié à la position dominante de son auteur, dont la notoriété et la confiance que lui accordent les acteurs du marché renforcent significativement l'impact de ce discours. Elle a considéré qu'au cas d'espèce, ces conditions étaient réunies et que le discours dénigrant de la société SNYL, qui mettait en cause la conformité aux normes réglementaires des produits de la société LSM, reposait sur deux confusions volontairement entretenues et portant, d'une part, sur les résultats, fallacieux, des analyses microbiologiques de ces produits et, d'autre part, sur le respect de la DLC.
Sur les analyses
Entre mai 2007 et décembre 2009, la société SNYL a commandé au laboratoire Méthode Analyse Procédé (ci-après MAP), accrédité par le Comité français d'accréditation, plusieurs tests microbiologiques de prélèvements qu'elle avait fait effectuer par huissier sur des produits laitiers des sociétés LSM et Savoie Yaourts.
Le grief qui lui est reproché a trait à la méthodologie de ces analyses, lesquelles n'ont pas distingué entre les yaourts et les fromages frais, et ont ainsi conduit à des résultats fallacieux qui ont fondé le discours dénigrant par lequel la société SNYL a jeté le discrédit sur les produits de la société LSM.
En effet, les yaourts et les fromages frais relèvent de définitions réglementaires différentes, notamment quant à l'exigence de présence bactérienne dans la flore lactique de ces produits. C'est ainsi que le décret n° 88-1203 du 30 décembre 1988 relatif aux laits fermentés et au yaourt ou yoghourt réserve la dénomination "yaourt" ou "yogourt" au " lait fermenté obtenu, selon les usages loyaux et constants, par le développement des seules bactéries lactiques thermophiles spécifiques dites Lactobacillus bulgaricus et Streptococcus thermophilus, qui doivent être ensemencées simultanément et se trouver vivantes dans le produit fini, à raison d'au moins 10 millions de bactéries par gramme rapportées à la partie lactée (...) ". En revanche, la réglementation n'impose aucun seuil de présence bactérienne dans la flore lactique des fromages frais. En effet, selon le décret n° 2007-628 du 27 avril 2007 relatif aux fromages et spécialités fromagères, la dénomination " fromage frais " est réservée " à un fromage non affiné qui, lorsqu'il est fermenté, a subi une fermentation principalement lactique " ; il précise que les fromages blancs commercialisés avec le qualificatif " frais " ou sous la dénomination "fromage frais" doivent " renfermer une flore vivante au moment de la vente au consommateur ".
Or, il est avéré que les analyses commandées par la société SNYL ont recherché la présence de flore lactique, à hauteur de 10 millions par gramme, dans les yaourts, mais aussi dans les fromages frais. Ce n'est qu'à partir du 23 novembre 2009 que, sur instructions données par la société SNYL, les analyses ont été effectuées en distinguant les critères de définition propres, d'une part, aux yaourts et, d'autre part, aux fromages frais. Cette confusion a entrainé des résultats trompeurs dont le rapporteur a dressé la synthèse, et d'où il ressort que le taux de "non-conformité" des fromages frais de la société LSM étaient en 2007 et 2008 de 84 % et 77 %, par application - erronée - du critère applicable aux seuls yaourts, et de 0 % en 2009, par application du critère pertinent de présence de flore lactique (rapport du rapporteur p. 42).
Aussi l'Autorité a-t-elle considéré que ces analyses "ont stigmatisé à tort, comme globalement non conformes à la réglementation, des produits répondant bien aux critères de leur définition réglementaire" et qu'elles "n'autorisaient pas la SNYL à tirer les conclusions dont elle s'est prévalue auprès de Syndifrais" (décision § 204 et 205).
Les requérants conviennent de l'erreur méthodologique affectant, jusqu'au mois de novembre 2009, les analyses effectuées pour le compte de la société SNYL, mais ils soutiennent que celle-ci n'en est pas à l'origine et qu'elle n'a donné au laboratoire MAP aucune instruction quant aux critères de recherche à appliquer, qui serait venue fausser les résultats obtenus.
Les éléments du dossier, cependant, viennent contredire ces allégations.
C'est ainsi que le laboratoire MAP a, dans un courrier du 11 juillet 2011 adressé au rapporteur de l'Autorité, exposé ainsi les circonstances dans lesquelles la société SNYL lui avait commandé les analyses microbiologiques des produits de la société LMS (cotes 1971 et 1972) : " (...) Il nous a été demandé de réaliser des analyses de flore lactique à DLC avec un critère d'acceptabilité devant être au moins de 10 000 000 de bactéries par gramme (...) Pour confirmation, il faut se reporter au bon de commande du 3 mai 2007 validé par la SNYL où il est précisé : " Nous vous proposons de réaliser l'analyse 9 types de yaourts à réaliser 12 fois. Les germes recherchés seront : les levures et moisissures et la flore lactique à DLC. Les références des yaourts ainsi que les lieux de prélèvement sont décrits en annexe 3 ". Sur cette page jointe au bon de commande, on constate que dans la catégorie " yaourts " apparaît " pot verre, fromage blanc, fromage frais... " yaourts étant un générique. Par conséquent, il a été réalisé ce même critère " client " l'ensemble des produits prélevés ". Il en ressort qu'alors que le critère de recherche de flore lactique à hauteur d'au moins 10 000 000 de bactéries par gramme correspond à la définition réglementaire des seuls yaourts, le terme " yaourt " a été employé comme un terme " générique ", désignant également des fromages frais et des fromages blancs. Le laboratoire, en outre, souligne que les factures de ses prestations mentionnaient clairement que ce critère avait été appliqué à des fromages frais et des fromages blancs, sans susciter aucune observation de la part de son client.
Enfin, il a précisé dans ce courrier que de nombreux échanges téléphoniques avaient eu lieu avec la société SNYL, et que ces échanges avaient confirmé que celle-ci souhaitait que le critère de flore lactique soit appliqué " sur l'ensemble des produits ".
La société SNYL soutient qu'on ne saurait tirer aucune conséquence de ce courrier. Elle souligne que celui-ci a été rédigé en réponse à une demande du rapporteur de l'Autorité, dont elle déplore le " ton menaçant ", et elle prétend que le laboratoire MAP n'a cherché qu'à se disculper en lui faisant porter la responsabilité du choix de la méthode mise en œuvre indistinctement sur les yaourts et sur les fromages frais.
Ces seules affirmations, cependant, ne sauraient suffire à écarter les déclarations cidessus rapportées du laboratoire MAP. Ainsi, les termes de la demande du rapporteur dénoncés par la société SNYL, - qui vise le passage suivant de cette demande : " Je me permets d'attirer votre attention sur l'importance des justificatifs en cause, non seulement pour nos investigations, mais également pour votre entreprise " -, ne sont nullement de nature à disqualifier la réponse faite par le laboratoire MAP et à lui retirer toute crédibilité. Sur le fond, par ailleurs, les déclarations du laboratoire sont confirmées par l'examen des pièces du dossier. Il en va ainsi, en particulier, du bon de commande cité par le laboratoire, dont l'annexe 3 correspond au document intitulé " Veille Import ", qui comprend une liste de 12 produits, au sein de laquelle figurent d'autres produits laitiers que des yaourts, ainsi des " fromage blanc nature ", " fromage frais à la menthe " et " fromage frais vanille " (cote 1947).
Par ailleurs, l'application aux fromages frais du critère de recherche de flore lactique par gramme, réglementairement applicable aux seuls yaourts, apparaît clairement dans les nombreux rapports qu'à l'issue de ses analyses le laboratoire MAP adressait à la société SNYL, sans que cette anomalie n'ait suscité de réaction de la part de celle-ci. Ces rapports, en effet, mentionnent que l'analyse des prélèvements de fromages frais (cotes 1845 à 1847, 1854, 1861 à 1865, 1868 à 1875, 1878, 1884 à 1886, 1888 à 1890, 1892, 1894) et de fromages blancs (cotes 1848, 1850, 1853, 1855 à 1857, 1860), voire de crèmes fraîches (cote 1858), avait eu pour objet la recherche dans la flore lactique de présence bactérienne à hauteur d'au moins 10 000 000 par gramme, et compte tenu de son insuffisance, concluent au caractère " non satisfaisant " du résultat. Seules les analyses réalisées après le mois de novembre 2009, c'est-à-dire après que la société SNYL a demandé au laboratoire de n'appliquer le critère de recherche bactérienne qu'aux yaourts, conduisent alors à un " résultat satisfaisant " (cotes 1899 à 1916).
Enfin, il convient d'observer que lorsque la société SNYL a, en novembre 2009, demandé au laboratoire MAP de distinguer désormais, dans ses analyses, entre les yaourts et les fromages frais, elle n'a nullement indiqué qu'il s'agissait de rectifier une erreur méthodologique qu'elle aurait récemment découverte. En effet, cette demande a été faite par un courriel du 23 novembre 2009 ainsi rédigé (cote 1964) :
" Bonjour,
Concernant ces derniers prélèvements, je souhaite vous préciser un point important pour la réalisation des analyses et l'interprétation des résultats sur le critère Bactéries Lactiques. Les yaourts et les fromages frais sont soumis à des réglementations différentes : yaourt : Décret n° 88-1203 du 30-12-1988 : Il doit contenir " au moins 10 millions de bactéries par grammes ". fromages frais : Décret n° 207-628 du 27/04/2007 : il doit " renfermer une flore lactique ".
Il convient donc qu'en fonction des produits analysés, vous réalisiez les dilutions ad hoc afin de pouvoir conclure soit par la présence / absence de bactéries lactiques dans le cas des fromages, soit par une numération dans le cas des yaourts ".
Force est de constater que ce courrier se présente comme annonçant une simple modification des instructions que la société SNYL avait précédemment données, mais qu'il ne fait pas allusion au fait que ces instructions mettaient jusqu'alors en œuvre un critère de recherche erroné et contraire aux textes applicables, pas plus qu'il ne reproche au laboratoire MAP de ne pas avoir signalé cette erreur, confirmant ainsi le caractère volontaire de la confusion entretenue.
Il résulte de ces constatations que les analyses menées pendant deux années selon les critères de recherche fixés par la société SNYL ne pouvaient conduire qu'à des résultats inéluctablement faussés et, en conséquence, mettant en cause la conformité réglementaire des produits de la société LSM.
Sur la DLC
L'Autorité reproche à la société SNYL d'avoir tenu et propagé le discours selon lequel les produits de la société LSM portant une date limite de consommation aux Antilles supérieure à 30 jours, n'étaient pas conformes à la réglementation applicable. Elle a considéré que ce faisant, la société avait volontairement entretenu une confusion entre un usage professionnel et le cadre réglementaire en l'occurrence moins contraignant, puisque laissant aux professionnels la responsabilité de déterminer la DLC des produits qu'ils fabriquent ou conditionnent.
Les requérants récusent ce grief et ils soutiennent qu'au contraire, l'apposition d'une DLC supérieure à 30 jours s'imposait à la société LSM dans la mesure où cette durée correspondait, à la fois, à une règle professionnelle adoptée par le syndicat Syndifrais et à un avis adopté en 1990 par le Conseil national de la consommation (CNC), de sorte que " l'alerte " donnée par la société SNYL était pleinement justifiée.
Les obligations des professionnels en matière d'apposition d'une DLC sur les denrées alimentaires périssables sont fixées par les articles R. 112-9 et suivants du Code de la consommation. Comme l'Autorité l'a rappelé dans la décision déférée, ces dispositions transposent en droit français le principe, - consacré par les règlements et directives communautaires adoptés dans le cadre du "Paquet hygiène" -, de la responsabilité des professionnels en matière d'hygiène et de sécurité alimentaires à tous les stades de la fabrication et de la commercialisation des denrées. Il en résulte que, s'agissant en particulier des " denrées microbiologiquement très périssables ", tels les produits laitiers frais, et susceptibles de présenter, après une courte période, un danger immédiat pour la santé humaine, il incombe aux professionnels de déterminer, sous leur responsabilité et dans le cadre d'une obligation de résultat, la DLC qu'ils doivent apposer sur leurs produits.
Les requérants font valoir, en premier lieu, que le respect d'une DLC de 30 jours s'imposait néanmoins, par l'effet de l'avis précité du CNC, rendu le 8 février 1990, et réservant l'emploi du terme " frais " aux denrées alimentaires ayant été produites ou fabriquées " depuis moins de 30 jours ". Ils en concluent que la société LSM contrevenait à cette règle en apposant sur ses fromages frais une DLC supérieure à trente jours et que la société SNYL était donc fondée à dénoncer cette transgression.
Cependant, les requérants conviennent eux-mêmes que le CNC n'étant investi d'aucun pouvoir réglementaire, son avis ne saurait être présenté comme une règle d'application obligatoire. Ils soulignent que cet avis, pour autant, n'est pas sans valeur juridique, puisqu'il peut être considéré comme un usage professionnel permettant d'apprécier le caractère trompeur d'une allégation faisant référence à la fraîcheur d'une denrée ; ils font valoir qu'en conséquence, cet avis pourrait servir de fondement à des poursuites, voire à des sanctions.
Il n'en reste pas moins que quels que soient l'intérêt et l'autorité qu'on peut attacher aux avis du CNC, ceux-ci n'ont pas de force normative, de sorte qu'on ne peut affirmer, sans verser dans la confusion, qu'une DLC supérieure à 30 jours est contraire à la réglementation applicable.
De surcroît, cet avis écarte de son champ d'application les produits " faisant l'objet d'une définition réglementaire " et, à ce titre, vise explicitement les " fromages frais ". Sur ce point, les requérants prétendent que par cette formule, les auteurs de l'avis ont seulement entendu rappeler que certains produits frais étaient par ailleurs soumis à une réglementation particulière. Cet argument, cependant, ne peut être retenu puisqu'il ressort de la simple lecture de cet avis que les produits faisant l'objet d'une réglementation particulière sont purement et simplement exclus de son champ d'application.
Les requérants, en second lieu, exposent que le syndicat Syndifrais, s'appuyant notamment sur l'avis précité du CNC, avait adopté en 2004 une " règle commune " selon laquelle la DLC des produits laitiers frais ne devait pas excéder trente jours. Ils font valoir que cette règle s'imposait à tous les membres de ce syndicat, dont faisait partie la société LSM, et qu'au demeurant elle est devenue une " valeur de référence ", au point que le Ministère de l'économie la recommande aux acheteurs publics dans le cadre de leurs appels d'offres.
Mais si la règle des trente jours avait ainsi une valeur contractuelle, obligeant les membres du syndicat à la respecter - sous la sanction, le cas échéant, d'une exclusion, à l'instar de celle qui sera prononcée contre la société LSM -, elle ne relevait pas, pour autant, de la réglementation applicable aux produits laitiers frais, de sorte que l'apposition d'une durée plus longue ne devait en aucun cas être considérée, comme l'a prétendu la société SNYL, comme une violation de cette réglementation.
Sur la propagation du discours dénigrant
L'Autorité a considéré que le discours dénigrant de la société SNYL à l'encontre de la société LSM, mettant en cause les qualités substantielles de ses produits, s'était propagé de deux manières ; d'abord, en interne, par la saisine du syndicat Syndifrais puis, en externe, en étant relayé auprès des distributeurs.
Les requérants contestent cette analyse et font valoir que pour constituer un abus de position dominante, le dénigrement doit se caractériser, selon la jurisprudence même de l'Autorité, par " un concours d'action et de communication globale et structurée de l'entreprise en cause de nature à assurer la diffusion du discours dénigrant auprès d'un large public ", et ils soutiennent que tel n'est pas le cas en l'espèce.
En ce qui concerne la propagation auprès du syndicat Syndifrais, les requérants affirment que la société SNYL était légitime à saisir celui-ci, comme elle l'a fait par son courrier du 11 décembre 2007, car les analyses microbiologiques auxquelles elle avait fait procéder concluaient à la non-conformité des produits analysés. Mais s'il lui était effectivement loisible d'appeler l'attention du syndicat sur les agissements de l'un de ses adhérents, en faisant valoir que ces agissements étaient contraires aux règles de conduite adoptées par ce même syndicat, il convient de constater que la démarche de la société SNYL est allée au-delà. En effet, le courrier précité adressé au syndicat, et transmis en copie à la société Sapy, met en cause explicitement les produits de la société LSM et allèguent des " tromperies sur les qualités substantielles des produits vendus, au regard des textes applicables " (cote 511).
En ce qui concerne la propagation auprès des distributeurs, les requérants considèrent qu'il n'est établi par le dossier qu'un seul échange direct, avec un représentant du groupe 3H, mais ils en minimisent la portée. En revanche, ils contestent que la société SNYL soit intervenue auprès du groupe Safo ; cependant, tel n'est pas le reproche fait à la société SNYL par l'Autorité, qui ne prétend pas que cette société serait directement intervenue auprès du groupe Safo, mais qui établit que les accusations jetées contre la LSM et ses produits ont été portées à la connaissance du groupe Safo, non directement par la SNYL, mais par M. Coridon du groupe 3H, comme en atteste le courriel suivant, interne au groupe Safo : "[S]ommes informés à l'instant par S. Daire, retour d'une réunion avec le SGDA [Syndicat de la distribution et des grossistes alimentaires] : Suite à plusieurs remarques de Yoplait Martinique [la société SNYL est franchisée Danone en Martinique], les yaourts Malo n'auraient pas droit à l'appellation " yaourt " et comporteraient, de plus, des ingrédients non conformes. Yoplait menace de porter plainte si nous ne retirons pas la marque de nos linéaires (...) ". Si les requérants récusent ces déclarations, en soulignant qu'elles font état de propos tenus au cours d'une réunion à laquelle la société SNYL n'a pas participé, il n'en reste pas moins que le discours dénigrant s'est ainsi propagé et que la société SNYL en est à l'origine.
Les requérants, enfin, contestent que la société SNYL soit intervenue auprès de la société Sapy, son principal concurrent, et de la société SGPY qui lui est liée, ces deux sociétés ayant des dirigeants et un actionnariat communs. Cette dénégation, cependant, est démentie par les éléments du dossier. Il est établi, en effet, que la société SNYL a adressé à la société Sapy une copie de son courrier du 11 décembre 2007 au syndicat Syndifrais. Ce courrier, comme on l'a relevé plus haut, contenait des allégations précises, - relatives à la prétendue violation de " la règle professionnelle établie depuis plusieurs années sur la DLC des produits frais ainsi que [de] la position adoptée par le conseil d'administration [de Syndifrais] le 29 juin 2006 " -, et mettant gravement et nommément en cause la société LSM, accusée de " tromperies au détriment des consommateurs ", de " tromperies sur les qualités substantielles des produits vendus, au regard des textes applicables " et de " concurrence déloyale ".
L'impact de la communication d'une copie de ce courrier a été d'autant plus fort que les dirigeants de la société Sapy sont, comme on l'a relevé, communs avec la société SGPY. C'est ainsi qu'il est établi que le discours dénigrant qu'il véhiculait a été porté par la société SGPY à la connaissance des gérants de magasins Carrefour, qui seront amenés à retirer de leurs rayons les produits de la société LSM, comme en attestent les déclarations faites par M. Leboulanger, directeur-adjoint de l'enseigne Carrefour Destrellan en Guadeloupe au moment des faits, aux services de l'Autorité dans les termes suivants : " [A] la date du 17 décembre 2009, je suis destinataire d'une information de SGPY, selon laquelle il y aurait un problème sur les références fromages frais Malo (...) Ce même fournisseur indique des contrôles probables de la DGCCRF.
Nous retirons les produits immédiatement et j'en informe les autres magasins Dillon et Génipa " (cote 2522).
Sur les effets de la propagation du discours dénigrant
Les requérants soutiennent que c'est à tort que l'Autorité a considéré que le discours dénigrant qui lui est imputé, et qu'elle conteste, a eu des effets tenant, d'une part, à l'exclusion de la société LSM du syndicat Syndifrais et, d'autre part, au retrait de produits de cette même société des rayons de plusieurs magasins.
Sur l'exclusion de la société LSM du syndicat Syndifrais
Il ressort de la lecture même de la décision déférée que l'Autorité n'a pas pris en compte cette exclusion au titre des effets du discours dénigrant dont elle impute la responsabilité à la société SNYL. Le reproche des requérants n'est, en conséquence, pas fondé.
Sur les retraits des produits de la société LSM du groupe 3H
L'Autorité a relevé dans sa décision que la propagation du discours dénigrant de la société SNYL avait entrainé le retrait de l'ensemble des magasins du groupe 3H de tous les produits laitiers frais de la société LSM, de mars à juillet 2008 puis de novembre 2008 à novembre 2009, soit pendant une durée totale de 16 mois. Elle s'appuie, en particulier, sur les déclarations de M. Coridon, représentant le groupe 3H, selon lesquelles la mesure de retrait a été appliquée dans deux hypermarchés (Géant Batelière à Schoelcher et Géant Océanis au Robert) et cinq supermarchés Casino (François, Lorrain, Ducos, Lamentin, Fort-de-France), soit tous les magasins du groupe 3H en Martinique (cote 1987).
Les requérants ne discutent pas la réalité de cette mesure, mais ils en discutent l'importance et la portée. En effet, ils soutiennent que, sur ce point, l'Autorité a opéré un "tri" entre des déclarations contradictoires, - celles, précitées, de M. Coridon et celles de Mme Moreau, agissant pour le compte de la société LSM -, et qu'elle a ainsi fait preuve d'une " incompréhensible partialité " et s'est livrée à une " interprétation à charge ".
En ce qui concerne la durée de ce retrait, il ressort du dossier que Mme Moreau, agissant pour la société LSM, a déclaré : " [j']ai débuté la commercialisation des produits Malo en août 2007. 1er arrêt en mars 2008. Reprise en juillet 2008. Nouvel arrêt en novembre 2008. Reprise définitive en novembre 2009 et depuis lors, plus aucun blocage. L'ensemble de la gamme fabriquée par LSM a fait l'objet de l'arrêt " (cote 2028). Il y a lieu de constater que ces déclarations, qui font état de deux périodes de retrait des produits LSM (de mars à juillet 2008 et de novembre 2008 à novembre 2009), ne coïncident pas avec les autres déclarations recueillies.
C'est ainsi que M. Guigo, directeur commercial de la société LSM, a déclaré (§ 100) : " M. Coridon (...) a dit à ses distributeurs : arrêt immédiat de toutes commandes Malo (...) Ce retrait a duré 6 mois (...) " (cote 363). Enfin, M. Coridon, qui a pris la décision de retrait, n'a dans ses déclarations évoqué qu'une seule période de retrait, de novembre 2008 à novembre 2009 : " [je] vous confirme la date approximative (21-08-2008) de la suspension uniquement des yaourts Malo, en attente d'une réponse de la DGCCRF sur la DLC de ces produits qui n'était pas comme les autres yaourts. Resté sans réponse de la DGCCRF, le 3-11-2009, après un entretien téléphonique avec elle, cette dernière ne m'apportait aucune réponse et ne levait pourtant pas le doute. Ce même jour, j'ai demandé la reprise des yaourts Malo dans nos enseignes (cote 2034) ".
Il résulte donc de ces éléments une incertitude en ce qui concerne la durée exacte du retrait des produits de la société LSM, ce dont convient l'Autorité qui souligne dans ses observations que " la durée exacte de ces retraits peut apparaître relativement incertaine ". Il n'en reste pas moins que la réalité de cette mesure de retrait est établie avec certitude, et qu'elle s'est prolongée jusqu'en novembre 2009. Quant à la question de savoir si ce retrait a porté sur les seuls yaourts, comme le prétendent les requérants, ou s'il a porté aussi sur les fromages frais, force est de constater que s'il se déduit des déclarations de M. Coridon qu'aurait été suspendue la commercialisation des yaourts, Mme Moreau, dans les déclarations ci-dessus rapportées, a indiqué que le retrait avait porté sur " l'ensemble de la gamme fabriquée par LSM ".
Enfin, les requérants contestent que ce retrait puisse être imputé aux propos dénigrants reprochés à la société SNYL et ils rappellent que M. Coridon et Mme Moreau ont, l'un et l'autre, indiqué que la décision de retrait avait été prise dans l'attente d'une réponse de la DGCCRF, qui avait été saisie à la suite des doutes jetés sur la qualité des produits de la société LSM. Cependant, même en admettant que cette décision ait eu le caractère d'une mesure de précaution, étant rappelé que la réponse attendue n'est pas arrivée, il n'en reste pas moins qu'elle était la conséquence directe des propos dénigrants de la société SNYL, qui ont alarmé le groupe 3H et sont à l'origine de sa décision.
Sur le retrait des produits de la société LSM du groupe GBH
L'Autorité a également relevé, au titre des effets des pratiques reprochées à la société SNYL, que les fromages frais de la société LSM avaient été retirés, en décembre 2009, des rayons de trois hypermarchés Carrefour du groupe GBH, en Guadeloupe (magasin de Destrellan) mais aussi en Martinique (magasins de Ducos et Dillon). En effet, selon les déclarations ci-dessus relatées de M. Leboulanger, celui-ci, ayant été informé par la société SGPY qu' " il y aurait un problème sur les références fromages frais Malo ", a, d'une part, retiré les produits LSM des rayons de son magasins de Guadeloupe du 17 au 19 décembre 2009 et, d'autre part, en a informé les magasins Carrefour de Dillon et Génipa en Martinique, de sorte que cette même mesure a été appliquée dans ces deux magasins, entre le 17 et le 24 décembre 2009 (cote 2522).
Sans doute résulte-t-il de ces déclarations que, comme le soulignent les requérants, M. Leboulanger a été alerté non par la société SNYL, mais par la société SGPY. Cependant, il n'est pas discuté que les retraits opérés ont pour cause le discours dénigrant de la société SNYL, véhiculé en l'occurrence par la société SGPY. C'est donc à juste titre que l'Autorité a considéré que cette suspension de commercialisation des produits de la société LSM dans les magasins Carrefour était un effet des pratiques reprochées à la société SNYL.
Sur l'exemption
Les requérants soutiennent que plusieurs analyses des produits laitiers de la société LSM avaient révélé, à la DLC, soit une insuffisance de bactéries lactiques, soit la présence de levures et de moisissures, de nature à générer un risque pour le consommateur. Ils en concluent que les agissements reprochés à la société SNYL participaient à l'objectif de sécurité des consommateurs ultramarins et à la restauration d'une égalité de traitement avec les consommateurs métropolitains.
Mais le reproche fait à la société SNYL porte sur la propagation d'un discours dénigrant la société LSM, fondé sur des assertions non vérifiées et qui se sont révélées fallacieuses puisque confondant la définition réglementaire des yaourts et celle des fromages frais et alléguant, à tort, que ces derniers produits n'étaient pas conformes aux prescriptions réglementaires. Cette pratique, dès lors, ne saurait en aucune façon être considérée comme ayant contribué à l'objectif de sécurité des consommateurs, et donc au progrès économique. Aussi est-ce à juste titre que l'Autorité a constaté que la société SNYL ne pouvait invoquer le bénéfice des dispositions de l'article L. 420-4 2° du Code de commerce.
Sur la sanction
Pour déterminer le montant de la sanction qu'elle a prononcée, l'Autorité a recouru à la méthode qu'elle a définie et présentée dans son communiqué du 16 mai 2011 et dont elle a explicité l'application au cas d'espèce. C'est ainsi que pour le calcul du montant de base de cette sanction, elle a retenu la valeur des ventes de yaourts et de fromages frais réalisées par la société SNYL en Martinique et en Guadeloupe durant l'année 2009, correspondant au dernier exercice comptable complet de participation à l'infraction, soit la somme de 18 584 695 euro, dont, compte tenu de la gravité des faits et du dommage à l'économie, elle a retenu une proportion de 6 %. Elle a ensuite appliqué un coefficient multiplicateur de 1,5 correspondant à la durée de l'infraction et a constaté qu'il ne ressortait du dossier aucun élément qui aurait pu conduire à diminuer le montant de la sanction. Enfin, elle a considéré que le comportement infractionnel de la société SNYL était aussi imputable à ses deux sociétés mères, les sociétés Socrema SAS et Antilles Glaces SAS, dont elle est une filiale à 100 % et, en conséquence, a infligé à ces trois sociétés, solidairement, une sanction pécuniaire de 1 670 000 euro.
Les requérants critiquent l'application de cette méthode en ce qui concerne tant la détermination du montant de base, - calculé compte tenu de la valeur des ventes, de la gravité des faits et de l'importance du dommage à l'économie -, que le refus de l'Autorité de prendre en compte certaines circonstances spécifiques.
Sur la valeur des ventes
Les requérants soutiennent qu'en retenant, au titre de la valeur des ventes de la société SNYL, les ventes de yaourts et de fromages frais en Martinique et en Guadeloupe, l'Autorité a fait preuve de "contradiction" puisque, d'une part, le marché pertinent a été limité au département de la Martinique et que, d'autre part, les retraits de fromages frais opérés dans certains magasins ne sont pas imputables à la société SNYL.
Mais, en premier lieu, l'Autorité pouvait, sans se contredire, faire application de la méthode présentée dans son communiqué précité, qui définit les " ventes en cause " comme " toutes celles réalisées en France ", et par conséquent prendre en compte les ventes réalisées en Guadeloupe, dès lors qu'est respecté le plafond légal de la sanction pécuniaire susceptible d'être prononcée. Au surplus, les éléments du dossier démontrent que le dénigrement a produit des effets au-delà des limites du seul département de la Martinique, puisque, comme la cour l'a relevé plus haut, les produits de la société LSM ont, en décembre 2009, été retirés des rayons d'un magasin Carrefour de Guadeloupe.
S'agissant, en second lieu, des ventes de fromages frais, c'est à juste titre qu'elles ont été prises en compte par l'Autorité dans la valeur des ventes de la société SNYL, puisqu'il a été démontré précédemment que les mesures de suspension de commercialisation avaient porté aussi sur ces produits, dont la conformité à la réglementation avait été, à tort, mise en cause.
Sur la gravité des faits
Les requérants soutiennent, en premier lieu, que l'Autorité s'est bornée à faire état de la gravité des faits qu'elle a sanctionnés, sans aucunement caractériser cette gravité. Cependant, la lecture de la décision en cause contredit avec évidence cette allégation. Ainsi, l'Autorité, ayant relevé que la pratique en cause avait eu pour effet de freiner la progression des ventes d'un concurrent et de restreindre la concurrence dans des conditions par ailleurs démontrées, a rappelé que tant cette pratique elle-même, - consistant à jeter la suspicion sur la qualité des produits d'un concurrent -, que l'effet d'éviction en résultant étaient traditionnellement considérés par les autorités de concurrence et les juridictions comme une pratique particulièrement grave.
En deuxième lieu, les requérants font valoir que, contrairement à l'appréciation portée par l'Autorité, le discours prêté à la société SNYL ne peut être considéré comme "trompeur", de sorte que la gravité de la pratique qui lui est reprochée n'est pas démontrée. Cet argument ne peut pas plus être retenu, puisque la cour a jugé plus haut que le caractère dénigrant de ce discours était établi et qu'en conséquence, le grief en résultant était fondé.
Les requérants, en troisième lieu, allèguent de la complexité de la réglementation applicable, à l'époque des faits, à la DLC et de l'incertitude qui a régné dans ce domaine jusqu'à l'intervention de la loi du 3 juin 2013 qui a interdit l'apposition, sur les produits destinés à la consommation outre-mer, d'une DLC plus longue que celle apposée sur les produits destinés à la consommation en métropole. Cet argument, cependant, est sans rapport avec la gravité objective des faits, démontrée en l'espèce et c'est au regard de l'octroi d'éventuelles circonstances atténuantes qu'il y aura lieu de l'examiner.
Sur le dommage à l'économie
Selon l'article L. 464-2 du Code de commerce, la sanction prononcée contre les auteurs de pratiques anticoncurrentielles est proportionnée, notamment, à l'importance du dommage causé à l'économie. En application de ce principe, l'Autorité a, dans sa décision, rappelé que si elle n'était pas tenue de chiffrer ce dommage, - qui ne saurait être confondu avec le préjudice subi par les victimes des pratiques en cause et qui s'apprécie en fonction de la perturbation générale causée au marché -, il lui incombait d'en déterminer l'existence et l'importance en tenant compte de l'ampleur de l'infraction, au vu, notamment, de sa couverture géographique et des parts de marché des entreprises en cause, de sa durée, de ses conséquences ainsi que des caractéristiques du secteur concerné.
C'est ainsi qu'après avoir constaté que la société SNYL était en situation dominante, voire de quasi-monopole, sur le marché en cause, l'Autorité a relevé que celui-ci portait sur des denrées alimentaires très périssables mettant en jeu la santé des consommateurs, et qu'il était, pour cette raison, caractérisé par la grande sensibilité de l'ensemble de la chaîne, de la production à la distribution, aux doutes, rumeurs et insinuations mettant en cause la sécurité sanitaire des produits. Elle a observé que cette caractéristique avait joué un rôle primordial dans le développement d'un climat de suspicion à l'égard des produits de la société LSM et, par voie de conséquence, dans la réaction des distributeurs au discours dénigrant propagé à l'encontre de ces produits. Cette réaction s'étant traduite par la suspension temporaire de la commercialisation des produits laitiers frais de la société LSM, principalement dans les magasins du groupe 3H mais aussi, plus marginalement, dans ceux du groupe GBH, la clientèle a été privée de l'offre correspondante, en dépit de son appétence pour ces produits, comme en témoigne la progression des parts de marché de la société LSM, et alors que ce marché ne subit qu'une faible pression concurrentielle. Ces constatations ont conduit l'Autorité à fixer à 6 % de la valeur des ventes la proportion retenue pour déterminer le montant de base de la sanction infligée.
Les requérants critiquent cette analyse et font valoir que l'ampleur des pratiques en cause est géographiquement limitée, puisque portant sur le seul département de la Martinique, dont ils soulignent qu'il est faiblement peuplé, sa population totale étant équivalente à celle d'un arrondissement parisien. Cette circonstance, cependant n'est pas, en elle-même, de nature à démontrer l'absence de dommage à l'économie, étant rappelé que la méthode de calcul du montant de base permet, précisément, d'ajuster la sanction aux dimensions du marché affecté par les pratiques sanctionnées.
Ils rappellent, par ailleurs, que la part de marché détenue par la société SNYL était sans doute importante, mais en voie de diminution, et ils en concluent que la pratique en cause n'a eu aucun effet, ni conjoncturel, ni structurel. Force est cependant de constater, - quoi qu'il en soit des variations d'une année sur l'autre de ses parts de marché, et même s'il est avéré que la part de ses concurrents tendait à progresser -, que la SNYL détenait, sur la période considérée, des parts de marché toujours supérieures à 63 %, et atteignant quelquefois 68 %, lui conférant ainsi une indiscutable position dominante, dont les effets ont été démontrés par les constatations ci-dessus faites par la cour.
Les requérants, en outre, soutiennent que l'Autorité s'est contredite en faisant du caractère sensible du secteur en cause un facteur d'aggravation des pratiques reprochées à la société SNYL, alors qu'elle a, par ailleurs, affirmé la totale liberté des producteurs en matière de détermination de la DLC et qu'elle a dénié toute légitimité aux alertes lancées par cette société. Force est de constater, cependant, que la motivation exposée par l'Autorité n'est empreinte d'aucune contradiction puisque les réactions des distributeurs, consistant dans la suspension immédiate et quelquefois prolongée de la commercialisation des produits de la société LSM, dès qu'ils étaient avertis des risques prétendus, démontrent au contraire leur forte sensibilité aux mises en cause de la sécurité des produits qu'ils commercialisent.
Enfin, les requérants reprochent à l'Autorité d'imputer à la société SNYL toutes les réactions des distributeurs, alors qu'ils considèrent que la société LSM elle-même et la DGCCRF y ont contribué. Ce point, cependant a été tranché plus haut, la cour ayant jugé qu'il était établi que les mesures prises par les distributeurs, consistant dans le retrait temporaire de leurs rayons des produits de la société LSM, étaient bien un effet des pratiques reprochées à la société SNYL et lui étaient donc imputables.
Surabondamment, les requérants rappellent qu'il existe en Martinique d'autres groupes de grande distribution alimentaire, qui n'ont procédé à aucun retrait de produits de la société LSM, de sorte qu'aucun effet sérieux sur les consommateurs n'est avéré. Cet argument, cependant, est inopérant, puisque les effets anticoncurrentiels résultant des agissements reprochés à la société SNYL ont, au contraire, été démontrés et qu'ils consistent, en particulier, en une restriction de l'offre dont les consommateurs ont subi les conséquences.
Il résulte de ces constatations que la proportion de 6 % de la valeur des ventes retenue par l'Autorité pour déterminer le montant de la sanction est justifiée.
Sur la durée des pratiques en cause
L'Autorité a considéré que les pratiques en cause avaient duré du mois de décembre 2007, - date de la saisine par la SNYL du syndicat Syndifrais -, au mois de décembre 2009, - les derniers retraits de produits LSM ayant été constatés entre le 17 et le 24 décembre 2009 dans trois magasins Carrefour du groupe GBH. Au vu de cette durée de deux années, elle a, conformément à la méthode présentée dans son communiqué de 2011, appliqué un coefficient multiplicateur de 1,5.
Les requérants, en premier lieu, contestent que les pratiques en cause aient commencé dès le mois de décembre 2007, date à laquelle la société SNYL a saisi le syndicat Syndifrais, et ils font valoir que l'exclusion de la société LSM, décidée ensuite par ce syndicat, n'est pas couverte par les griefs pour lesquels la société SNYL est sanctionnée.
De fait, l'exclusion de la société LSM du syndicat Syndifrais n'est pas l'objet d'un grief reproché à la société SNYL. Cependant, la saisine qui en est à l'origine a bien constitué, comme la cour l'a relevé plus haut, un canal de propagation, par la société SNYL, de son discours dénigrant la société LSM, étant rappelé qu'elle a adressé à son concurrent Sapy une copie de son courrier de saisine. Il en résulte que cette saisine est, chronologiquement, le premier élément constitutif des pratiques relevées à l'encontre de la société SNYL et que c'est à juste titre que l'Autorité a considéré que c'était à cette date que se situait le point de départ des pratiques qu'elle a sanctionnées.
Les requérants, en second lieu, soutiennent qu'on ne peut considérer que les pratiques en cause ont duré jusqu'au mois de décembre 2009, puisque la SNYL n'est pas à l'origine du retrait des produits LSM intervenu dans le courant de ce mois. Cet argument ne saurait cependant être retenu puisqu'il est contraire aux constatations ci-dessus faites par la cour, d'où il ressort que la suspension de la commercialisation des produits laitiers LSM dans trois magasins Carrefour dans le courant du mois de décembre 2009 avait pour origine le discours dénigrant de la SNYL, propagé au sein du milieu professionnel concerné.
C'est donc à juste titre que l'Autorité a considéré que le comportement infractionnel de la société SNYL avait duré deux années et qu'elle a, en conséquence, appliqué un coefficient multiplicateur de 1,5.
Sur la situation financière de la société SNYL
Les requérants reprochent à l'Autorité de ne pas avoir tenu compte de la situation financière dégradée de la société SNYL, qui aurait dû conduire à diminuer le montant de la sanction pécuniaire prononcée. C'est ainsi qu'ils font valoir que cette société connaît depuis 2011une baisse de son chiffre d'affaires et de sa marge, que son résultat opérationnel est négatif depuis 2012 et qu'il a atteint en 2014 un déficit de 1 560 000 euro (pièce requérants n° 11).
Si la réalité de ces difficultés ne peut être discutée, il convient de rappeler, outre qu'aucune demande de sursis à exécution n'a été formée, que la condamnation au paiement de la sanction pécuniaire a été prononcée à l'encontre de la société SNYL mais aussi, solidairement, des sociétés Socrema et Antilles Glaces dont elle est une filiale à 100 %. Dans ses observations devant la cour, l'Autorité a exposé, sans être contredite par les requérants, que le groupe Antilles
Glaces avait réalisé, en 2012 et 2013, un bénéfice, respectivement, de 5,7 millions d'euro et 6 millions d'euro et qu'il distribuait chaque année à ses actionnaires des dividendes d'un montant total de 1,7 million à 2 millions d'euro ainsi, en 2013, qu'un dividende exceptionnel de 3,6 millions d'euro. Au surplus, la sanction prononcée représente 0,9 % du chiffre d'affaires 2013 de ce groupe. Il en résulte que le montant de cette sanction ne présente pas de caractère excessif, ni disproportionné à la capacité contributive des entreprises sanctionnées.
Sur les circonstances atténuantes
Les requérants soutiennent que la réglementation applicable en matière de DLC était jusqu'à l'intervention de la loi du 3 juin 2013, complexe et empreinte d'incertitude et que c'est à tort que l'Autorité a refusé d'y voir une circonstance de nature à atténuer la responsabilité de la société SNYL et à diminuer le montant de la sanction prononcée.
La loi n° 2013-453 du 3 juin 2013 visant à garantir la qualité de l'offre alimentaire en outre-mer a interdit dans les termes suivants la double DLC pratiquée jusqu'alors par les entreprises exportant leur production outre-mer : "Lorsque la mention d'une date indiquant le délai dans lequel une denrée alimentaire doit être consommée est apposée sur l'emballage de cette denrée, ce délai ne peut être plus long lorsque celle-ci est distribuée dans les collectivités mentionnées à l'article 73 de la Constitution ou dans les collectivités de Saint-Barthélémy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon, que le délai prévu pour la même denrée de même marque distribuée en France hexagonale".
On ne saurait, sans doute, tirer argument de cette loi pour reprocher à la société LSM la pratique de la double DLC qu'elle suivait avant son entrée en vigueur et pour considérer que cette pratique n'était pas conforme aux textes. En revanche, il y a lieu de constater que l'apposition de la DLC ayant pour objet de protéger la sécurité des consommateurs, cette même pratique pouvait légitimement conduire à s'interroger sur l'application de la réglementation puisqu'un même produit était considéré comme propre à la consommation outre-mer, alors qu'il ne l'était plus en métropole. L'adoption de la loi du 3 juin 2013 et les délibérations qui l'ont précédée démontrent que ces interrogations étaient légitimes et pertinentes puisqu'elles ont amené le législateur à mettre fin à cette pratique.
Aussi convient-il, au vu de ce nouveau contexte législatif et comme le commissaire du gouvernement l'a suggéré dans ses observations sur la notification de griefs (cote 3419), de considérer que ces circonstances particulières conduisent à diminuer le montant de la sanction prononcée. Cette diminution sera fixée à 20 % et le montant de la sanction prononcée sera donc ramené à 1 336 000 euro.
Par ces motifs, Reforme la décision de l'Autorité de la concurrence n° 14-D-08 du 24 juillet 2014 frais aux Antilles françaises, mais seulement en ce qu'elle a infligé solidairement à la Société Nouvelle des Yaourts Littée (SNYL), à la Société de Fabrication de Glaces et Crèmes Glacées (Socrema) et à la société Antilles Glaces une sanction pécuniaire de 1 670 000 euro ; Statuant à nouveau de ce chef, Fixe à la somme de 1 336 000 euro le montant de la sanction infligée solidairement à la Société Nouvelle des Yaourts Littée (SNYL), à la Société de Fabrication de Glaces et Crèmes Glacées (Socrema) et à la société Antilles Glaces, Rappelle que les sommes payées excédant le montant ci-dessus fixé devront être remboursées aux sociétés concernées, outre les intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et s'il y a lieu capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1154 du Code civil, Condamne la Société Nouvelle des Yaourts Littée (SNYL), la Société de Fabrication de Glaces et Crèmes Glacées (Socrema) et la société Antilles Glaces aux dépens.