CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 8 octobre 2015, n° 13-16632
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Bugaboo International BV (Sté)
Défendeur :
Gamin Tout Terrain (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mme Rohart-Messager, M. Dabosville
Avocats :
Mes Herman, Fleinert-Jensen, Breban
Faits et procédure
Vu le jugement du 12 juin 2013 par lequel le Tribunal de commerce de Paris a notamment :
- Condamné la société Bugaboo International à payer à la société Gamin Tout Terrain-GTT la somme de 316 398 euro outre intérêts au taux légal à compter du 29 octobre 2010.
- Débouté la société Bugaboo International de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive.
- Condamné la société Bugaboo International à payer à la société Gamin Tout Terrain-GTT la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du CPC.
- Ordonné l'exécution l'exécution provisoire du présent jugement.
- Condamné la société Bugaboo International aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,17 euro dont 13,25 euro de TVA.
Vu l'appel interjeté par la société Bugaboo International et ses conclusions du 31 décembre 2013 par lesquelles elle demande à la cour de :
- Constater que la société GTT a expressément reconnu dans ses écritures en date du 5 février 2013 devant le Tribunal de commerce de Paris qu'elle devait à Bugaboo la somme de 209 742, 58 euro au titre des factures impayées.
- Constater que les sommes dues par Bugaboo en application des dispositions du contrat d'achat/vente du 30 novembre 2007 devaient être réglées par compensation avec les dettes de GTT.
- Constater l'absence de toute justification de coûts supportés par GTT pour des investissements marketing relatifs à Bugaboo et/ou ses produits au titre du contrat d'achat/vente du 30 novembre 2007.
- Constater que le contrat de distribution conclu entre les parties était soumis au droit néerlandais et que les dispositions de l'article L. 442-6-I-5 du Code de commerce ne reçoivent dès lors pas application.
- Constater en tout état de cause que la société Bugaboo n'avait aucune obligation de donner un préavis à l'occasion de la fin du contrat de distribution qui devait intervenir automatiquement le 31 décembre 2007, et que Bugaboo n'a dès lors nullement engagé sa responsabilité au titre de l'article L. 442-6-I-5 du Code de commerce.
- Infirmer le jugement entrepris, et statuant à nouveau.
- Condamner la société GTT à s'acquitter du paiement à la société Bugaboo de la somme de 209 742,58 euro au titre des factures impayées, avec intérêts capitalisés au taux légal à compter de la date d'échéance de chacune des factures, qui pourra être compensée avec la date de Bugaboo de 60 000 euro au titre du contrat d'achat/vente du 30 novembre 2007,
En tout état de cause,
- Condamner la société GTT à verser à la société Bugaboo la somme de 20 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel.
Vu les conclusions de la société Gamin Tout Terrain du 16 juin 2015, par lesquelles elle demande à la cour de :
Vu l'article L. 442-6-I-5 du Code de commerce,
Vu l'article 1289 du Code civil,
- Déclarer recevable et bien fondée la société Gamin Tout Terrain en toutes ses demandes, fins, moyens et prétentions et y faire droit,
- Déclarer irrecevable et mal fondée la société Bugaboo en toutes ses demandes, fins, moyens et prétentions et l'en débouter,
- Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 12 juin 2013 en ce qu'il a :
Réduit le montant demandé par la société Bugaboo à la société Gamin Tout Terrain de 9 021,51 euro,
Dit que la société Bugaboo est redevable à la société Gamin Tout Terrain de la somme de 81 000 euro,
Par conséquent, dit que la somme due par la société Gamin Tout Terrain à la société Bugaboo au titre de leurs relations commerciales s'élève à la somme de 128 742,58 euro,
Dit que cette somme viendra en compensation de la dette de la société Gamin Tout Terrain,
Dit que la société Bugaboo a engagé sa responsabilité en rompant brutalement et de manière fautive ses relations commerciales établies avec la société Gamin Tout Terrain,
Dit que le préavis accordé à la société Gamin Tout Terrain aurait dû être d'une durée de deux années,
Dit que le préjudice de la société gamin tout terrain devait être réparé à hauteur de 445 140 euro,
- Condamner la société Bugaboo à verser à la société Gamin Tout Terrain la somme de 316 398 euro outre les intérêts au taux légal à compter du 29 octobre 2010,
- Condamner la société Bugaboo au paiement à la société Gamin Tout Terrain de la somme de 15 000 euro au titre de l'article 700 CPC,
- Condamner la société Bugaboo aux entiers dépens,
Il résulte de l'instruction les faits suivants :
Par acte sous seing privé du 10 juin 2002, la société Bugaboo International, dont le siège est aux Pays-Bas, fabricant de poussettes et de produits de mobilité pour enfants, et la société Gamin Tout Terrain, spécialisée dans la distribution de produits de puériculture, concluaient un contrat de distribution exclusive sur le territoire français, pour une durée déterminée d'une année, pour prendre fin au 31 octobre 2003 au plus tard. Par la suite, les parties concluaient le 22 décembre 2005 un deuxième contrat, puis le 22 mars 2007 un troisième contrat de distribution exclusive pour une durée déterminée à échéance du 31 décembre 2007.
Il était prévu à l'article 9 de ce contrat, que, passée cette date, celui-ci se terminerait automatiquement et que les parties seraient alors libres de négocier les conditions d'un nouveau contrat.
Alors que les contrats successifs s'étaient poursuivis sans incident, par courrier du 12 novembre 2007, la société Bugaboo International indiquait à la société Gamin Tout Terrain qu'elle ne renouvellerait pas l'accord exclusif de distribution sur le territoire français après la date du 31 décembre 2007.
Par convention du 30 novembre 2007, la société Gamin Tout Terrain s'engageait à fournir à la société Bugaboo International un ensemble d'informations sur ses clients et sur son réseau de distribution moyennant le versement par la société Bugaboo International d'une somme de 30 000 euro le 1er janvier 2008 et d'une seconde somme de 30 000 euro le 1er février 2008. Il était également prévu le paiement par la société Bugaboo International d'une somme de 21 000 euro destinée à compenser certains coûts supportés par la société Gamin Tout Terrain pour des investissements marketing, sur justificatifs.
La société Bugaboo International expose que la société Gamin Tout Terrain ne lui a pas réglé les factures de livraison de marchandises pour un montant de 218 764,09 euro malgré les mises en demeures qui lui ont été adressées.
C'est dans ces circonstances que par acte du 29 octobre 2010 elle assignait la société Gamin Tout Terrain devant Tribunal de commerce de Paris en paiement d'une somme de 218 764,09 euro.
Cette dernière, qui ne reconnaissait devoir au titre des fournitures qu'une somme de 209 742,58 euro, sollicitait reconventionnellement la condamnation de la société Bugaboo International au paiement d'une part d'une somme de 81 000 euro au titre de la fourniture du fichier clients et des dépenses de marketing, et d'autre part d'une somme de 455 036,60 euro à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies.
C'est dans ces conditions de fait et de droit qu'est intervenu le jugement susvisé présentement entrepris.
Sur la demande en paiement des fournitures livrées par la société Bugaboo International.
Les parties s'accordent sur le fait que la société Gamin Tout Terrain reste devoir une somme de 209 742,58 euro au titre des fournitures qui ont été livrées. En conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement déféré sur ce point et d'assortir la condamnation au paiement des intérêts au taux légal à compter de la date d'échéance capitalisation des intérêts.
Sur la demande relative aux listes commerciales et aux dépenses de marketing.
La société Bugaboo International soutient que le versement de la somme de 60 000 euro en contrepartie des informations fournies par la société Gamin Tout Terrain était subordonné au paiement par cette dernière de l'intégralité des dettes à son égard. De son côté, la société Gamin Tout Terrain expose que, suite à la rupture des relations commerciales, elle s'est trouvée en difficultés financières, puisque la vente des produits de la société Bugaboo International représentait près de 50 % de son chiffre d'affaires, que pendant toute la durée de leur relation elle avait eu l'interdiction de vendre des poussettes et accessoires autres que les poussettes Bugaboo et que cette interdiction perdurait à l'issue de leur relation. Elle indique que c'est dans ces conditions qu'elle n'a pas pu régler les factures régulièrement émises par son fournisseur.
Il convient de relever que la convention du 28 novembre 2007 ne contenait aucune condition suspensive, mais précisait uniquement qu'une compensation pourrait s'opérer entre les sommes dues entre les parties, puisque la société Bugaboo International était autorisée à déduire du paiement des 60 000 euro toutes dettes qui lui seraient dues et non encore réglées par son distributeur. Il s'ensuit qu'il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Bugaboo International au paiement d'une somme de 60 000 euro en contrepartie des informations dont il n'est pas contesté qu'elles aient été fournies et a ordonné la compensation.
S'agissant des investissements marketing, la société Bugaboo International sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a condamnée au paiement de la somme de 21 000 euro, au motif que le paiement de cette somme était, dans la convention du 28 novembre 2007, subordonné à la justification des dépenses de distribution exposées en 2007 et susceptibles de porter leurs fruits en 2008.
Cependant les justificatifs ont été adressés à la société Bugaboo International par courrier du 22 décembre 2007, comprenant des achats d'espace publicitaire dans des catalogues pour 9 000 euro, des réservations de stand en septembre 2007 pour 3 290 euro et 323 517 euro, des factures de La Poste pour un montant de 5 368,69 euro correspondant à l'envoi de supports marketing, dépliants promotionnels, des factures de fournitures pour un montant de 1 177,45 euro correspondant à l'achat de fournitures pour la confection de supports marketing, les notes de frais des salariés qui se sont rendus aux salons professionnels pour 4 110,86 euro, des factures pour un montant total de 1860 euro correspondants à des mises à jour du site Internet permettant d'y intégrer les produits Bugaboo, outre les salaires réglés aux salariés affectés à cette tâche. Ces justificatifs dépassent largement la somme de 21 000 euro contractuellement prévus et aboutissent à un total de 39 991,37 euro. Il convient donc de constater que la société Gamin Tout Terrain a fourni l'ensemble des justificatifs et de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Gamin Tout Terrain à lui payer une somme de 21 000 euro au titre des dépenses marketing exposées en 2007.
Sur la demande de paiement de dommages-intérêts pour brusque rupture des relations commerciales établies.
La société appelante soutient que le contrat de distribution du 22 mars 2007 venait à expiration le 31 décembre 2007, sans qu'aucune tacite reconduction ne soit prévue, de sorte qu'il lui était loisible de prévenir, comme l'a fait le 12 novembre 2007, son distributeur de sa décision de ne pas renouveler le contrat. Elle indique que le contrat prévoyait en son article 25 qu'il était soumis au droit néerlandais et que de ce fait il dérogeait à l'application de l'article L. 442-6, I 5° du Code de commerce.
Toutefois, le fait pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée de préavis déterminée en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels, engage la responsabilité délictuelle et non contractuelle de son auteur. Or la loi applicable à la responsabilité extra contractuelle est celle de l'État du lieu où le fait dommageable s'est produit, en l'occurrence la France, puisque la société Gamin Tout Terrain était distributeur exclusif de la société Bugaboo International. C'est donc à juste titre que les premiers juges ont retenu la responsabilité délictuelle de la société Bugaboo International sur le fondement de l'article L. 442-6, I 5° du Code de commerce.
La société appelante soutient encore qu'une succession de contrats à durée déterminée, sans tacite reconduction, exclue tout caractère stable et établi à une relation commerciale.
En l'espèce, les relations contractuelles se sont poursuivies de façon continue pendant 5 ans, et de façon croissante, de sorte que lors de la rupture la vente des produits de la société Bugaboo International représentait près de 50 % du chiffre d'affaires de la société intimée.
De surcroît, cette dernière n'a pas eu la possibilité de développer une activité de vente de produits concurrents puisqu'elle était tenue, aux termes de l'article 2 du contrat, par une clause de non-concurrence.
Le caractère continu, la durée et l'intensité des relations contractuelles révèlent l'existence de relations commerciales établies dont la rupture ne pouvait intervenir sans respecter une durée minimale de préavis, conforme aux usages.
La rupture est intervenue de façon d'autant plus brutale et inattendue que, comme le souligne le tribunal, si à l'automne 2007 la société Bugaboo International établissait, de concert avec l'intimée, le plan marketing 2008, dès le 12 novembre 2007 elle lui annonçait la fin de leur relations commerciales. La confiance dans l'avenir était telle que la société intimée, avait pris la décision d'agrandir ses locaux et avait signé le 6 novembre 2007, soit quelques jours avant la rupture, un nouveau bail portant les loyers mensuels de 944 euro à 6 500 euro par mois.
La société intimée a subi un préjudice important puisque en raison de la rupture brutale ainsi intervenue, son chiffre d'affaires de l'année 2008 a baissé de façon importante et a accusé une perte de 148 981 euro ; en 2009, si le chiffre d'affaires a légèrement augmenté, la perte a été d'un montant de 71 813 euro et en 2010 la perte s'est élevée à 207 000 euro.
La brutalité de cette rupture ouvre droit, au profit de la société Gamin Tout Terrain des dommages-intérêts équivalant à la durée de préavis que l'appelante aurait dû lui consentir afin de pouvoir réorienter son activité dans un délai raisonnable.
Compte tenu de la durée et de l'intensité des relations contractuelles les usages commandaient de respecter un préavis minimal de 12 mois.
La société intimée demande que la durée du préavis soit doublée au motif que la relation commerciale portait sur la fourniture de produits sous marque de distributeur.
Il résulte de l'article L. 442-6, I 5° du Code de commerce que lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur ce qui était le cas en l'espèce puisque les poussettes étaient distribuées sous la marque " Bugaboo ".
En conséquence le préavis aurait dû être d'une durée totale de 24 mois.
La société intimée ayant déjà bénéficié d'un préavis d'un mois et demi entre le 12 novembre et le 31 décembre 2007, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Bugaboo International à payer à l'intimée l'équivalent de 22 mois et demi de marge brute, celle-ci étant d'un montant mensuel de 19 784 euro, ainsi qu'il résulte de l'attestation de l'expert-comptable, soit la somme 445 140 euro au titre de l'indemnisation de son préjudice.
Sur la compensation et la demande de capitalisation des intérêts.
Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a ordonné, en application de l'article 289 du Code civil la compensation des dettes réciproques. Par ailleurs en cause d'appel l'appelante sollicite que soit ordonnée la capitalisation des intérêts. Il convient de faire droit à cette demande dans les conditions de l'article 1154 du Code civil.
Sur les demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens.
La société Bugaboo International sera condamnée aux dépens ainsi qu'à payer une somme de 6000 euro au titre des frais hors dépens exposés en cause d'appel.
Par ces motifs, Confirme le jugement déféré, Y ajoutant, Ordonne la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil, Condamne la société Bugaboo International à payer à la société Gamin Tout Terrain la somme de 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile La condamne aux dépens d'appel avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.