CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 6 octobre 2015, n° 14-08888
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Revol Porcelaine (SA)
Défendeur :
Gifi Diffusion (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rajbaut
Conseillers :
Mmes Gaber, Auroy
Avocats :
Mes Flauraud, Paudrat, Lesenechal, Favel
Vu le jugement rendu le 10 janvier 2012 par le Tribunal de grande instance de Paris,
Vu l'arrêt confirmatif rendu le 9 novembre 2012 par la Cour d'appel de Paris (Pôle 5, chambre 2),
Vu l'arrêt de cassation partielle rendu le 4 février 2014 par la Cour de cassation (Com, pourvoi n°13-12.204), qui a renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée,
Vu la saisine de la cour d'appel de renvoi le 23 avril 2014,
Vu les dernières conclusions de la société Revol porcelaine transmises le 22 janvier 2015,
Vu les dernières conclusions de la société Gifi diffusion transmises le 23 septembre 2014,
MOTIFS DE L'ARRÊT
Considérant que la société Revol porcelaine, créée en 1789, a pour activité la création, la fabrication et la commercialisation d'articles culinaires en porcelaine, fabriqués dans son usine située à Saint-Uze (Drôme), parmi lesquels trois produits de la gamme " Belle cuisine ", conçue en 2002 :
" Cocotte miniature " référencé BC 0108, dont la poignée a fait l'objet d'un dépôt de modèle communautaire sous le n°000047592-0001 le 30 juin 2003, renouvelé le 3 juillet 2008,
" Ravier miniature carré " en deux dimensions référencé BC 1813 et BC 1407,
" Cassolette miniature " référencé BC 0707,
Et un produit de la gamme " Bombay ", conçue en 2005 :
" Ramequin " ou " miniature carrée " ;
Que la société Gifi diffusion est la centrale d'achat du groupe Gifi, qui dispose de plusieurs magasins portant son enseigne, spécialisés dans la vente d'articles à petits prix destinés à l'équipement de la maison ou la personne ;
Que, par acte du 31 mai 2010, la société Revol porcelaine a fait assigner la société Gifi diffusion en contrefaçon de ses droits d'auteur sur la 'cocotte miniature' et de ses droits sur le modèle communautaire déposé ; qu'en cours de procédure, elle a formé des demandes additionnelle en contrefaçon de ses droits d'auteur pour le 'ravier miniature', la 'cassolette miniature' et le 'ramequin' et en concurrence déloyale et parasitaire ;
Que dans son jugement du 10 janvier 2012, le Tribunal de grande instance de Paris, a notamment :
Déclaré la société Revol Porcelaine irrecevable à agir sur le fondement du droit d'auteur (pour défaut d'originalité des produits invoqués),
Déclaré sa demande en contrefaçon mal fondée sur le livre V du Code de la propriété intellectuelle, s'agissant d'un modèle communautaire,
Déclaré sa demande en concurrence déloyale irrecevable (comme n'étant pas formée sur des faits distincts de ceux invoqués à l'appui de sa demande en contrefaçon),
Rejeté l'ensemble de ses demandes,
Condamné la société Revol Porcelaine à payer à la société Gifi Diffusion la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamné la société Revol Porcelaine aux dépens, dont distraction au profit de Maître Bosselut, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du même Code ;
Que dans son arrêt du 9 novembre 2012, la cour d'appel, Pôle 5, chambre 2, a en substance :
Confirmé le jugement du 10 janvier 2012 en toutes ses dispositions,
Déclaré nul le modèle communautaire,
Débouté la société Revol Porcelaine de l'ensemble de ses demandes,
Condamné la société Revol Porcelaine à payer à la société Gifi Diffusion la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamné la société Revol Porcelaine aux dépens dont distraction dans les conditions de l'article 699 du même Code ;
Que cet arrêt a été cassé, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande de la société Revol porcelaine au titre d'une concurrence déloyale et parasitaire, par arrêt du 4 février 2014 de la chambre commerciale de la Cour de cassation ; qu'après avoir relevé que, pour rejeter cette demande, la cour d'appel avait retenu que la société Revol porcelaine ne démontrait pas la faute distincte des actes de contrefaçon que la société Gifi diffusion aurait commise à son encontre, la Cour a jugé " qu'en statuant ainsi, alors que l'action en concurrence déloyale, qui est ouverte à celui qui ne peut se prévaloir d'aucun droit privatif, peut se fonder sur des faits matériellement identiques à ceux allégués au soutien d'une action en contrefaçon rejetée pour défaut de constitution de droit privatif, [celle-ci avait] violé [l'article 1382 du Code civil] " ;
Considérant que la société Revol porcelaine expose avoir constaté, au mois de décembre 2009, que la société Gifi diffusion présentait dans l'un de ses catalogues " L'art de noël ", publié au mois de novembre 2009, trois produits constituant des copies serviles de ses " cocotte miniature " - vendu en trois exemplaires, sous un emballage transparent sous la référence 3491952594124-, " ravier " et " cassolette " de sa gamme Belle cuisine - vendus sous la même référence 34919522525506, puis, en 2011, dans le catalogue " Les flash " édité et diffusé en février 2011, un produit constituant la copie servile du " ramequin " de sa gamme Bombay - vendu sous la référence 3491952763636 - ;
Qu'elle reproche à la société Gifi diffusion des actes de concurrence déloyale et parasitaire tenant en la commercialisation de produits importés d'Asie imitant sans nécessité trois produits de sa gamme Belle cuisine, avec reprise d'un effet de gamme accentuant la confusion, et un produit de sa gamme Bombay, et l'atteinte ainsi portée à leur valeur économique ;
Que la société Gifi diffusion, qui conteste qu'un effet de gamme ait été recherché, soutient qu'aucune confusion n'est possible, notamment de par la présentation de ses cocottes miniatures, colorées et mises en vente par trois dans un emballage transparent, et de l'absence d'identité entre les ramequins, et ajoute que les produits de la société Revol porcelaine étant d'une grande banalité, ils n'ont pu nécessiter d'investissements considérables, de même que leur imitation n'a pu générer le moindre profit, en terme de notoriété ;
Considérant qu'il résulte de la comparaison des produits commercialisés par les sociétés Revol porcelaine et Gifi distribution, que celle-ci a repris l'idée de diffuser des plats en porcelaine blanche de petite taille, présentant globalement l'aspect de ceux exploités par celle-là comme ayant quasiment, non seulement les mêmes dimensions, mais aussi les mêmes proportions, ce qui ne s'impose pas, et munis pareillement, sans plus de nécessité, s'agissant des cocottes, cassolettes et raviers miniatures, d'une anse monobloc ajourée comportant à sa base rectangulaire un élément décoratif rappelant un renfort, légèrement inclinée vers le haut, et, s'agissant des ramequins ou miniatures carrées, un fond carré avec des côtés trapézoïdaux inclinés, en combinaison avec des poignées rectangulaires plates et bombées, inclinées vers le haut et l'extérieur, sans que les différences de détail (et notamment la longueur et la largeur des poignées pour ce dernier produit) n'effacent l'impression globale de commercialisation de produits similaires ;
Que, pour les produits de la gamme Belle cuisine, s'ajoute la reprise d'un effet de gamme, mise en évidence par la présentation faite par la société Gifi Diffusion des produits les imitant dans le catalogue " L'art de noël ", publié au mois de novembre 2009, où ils figurent, en blanc, dans deux encarts centraux se jouxtant, les distinguant des autres produits vendus ;
Qu'outre les catalogues diffusés par la société Gifi Diffusion, la société Revol porcelaine produit trois tickets de caisse de magasins Gifi portant mention de l'achat de trois produits référencés 3491952252550 (Davezieux ce qui correspond aux raviers et cassolettes), ou d'un ensemble de trois cocottes 3591952594124 (Milau, Romans sur Isère) ;
Considérant qu'eu égard au succès important remporté par les produits des gammes Belle cuisine et Bombay depuis 2002 et 2007, dont il est justifié par la production certifiée des chiffres d'affaire déclarés dans les écritures de la société appelante, la manière dont la société Gifi diffusion reproduit et présente dans ses catalogues des produits comparables est de nature à créer un risque de confusion, ou à tout le moins d'association, avec ceux de la société Revol porcelaine dans l'esprit du consommateur normalement informé et raisonnablement avisé ; que ce risque existe aussi pour la vente en magasins par la société Gifi Diffusion des cocottes miniatures par lot de trois dans un emballage transparent avec trois coloris (noir, blanc et gris taupe), qui sont susceptibles d'apparaître comme une déclinaison des cocottes miniatures blanches de la société Revol, étant observé que cette dernière justifie commercialiser sa gamme Belle cuisine en noir depuis 2006 ;
Considérant que les choix de commercialisation de la société Gifi diffusion démontrent de la part d'un professionnel de la distribution une volonté délibérée de s'inscrire dans le sillage de la société Revol porcelaine pour tirer indûment profit de ses investissements, dont celle-ci justifie également à hauteur de plus d'un million d'euros (coûts marketing pour l'implantation et le développement de la collection, mise au point des produits et réalisation des moules) s'agissant de la gamme Belle cuisine dans son ensemble et de 53 172 euro (mise au point de la collection) s'agissant de la gamme Bombay dans son ensemble ;
Considérant que des baisses des chiffres d'affaire relatifs à la vente de ces produits sont enregistrés depuis la mise en circulation des produits de la société Gifi diffusion ; que, s'il n'est pas établi qu'elles leur soient entièrement imputables, compte tenu du caractère ponctuel des manquements constatés, le trouble commercial, intervenu pour la gamme Belle cuisine pendant la période des fêtes de fin d'année, et l'atteinte à la valeur économique des produits de la société Revol porcelaine sont avérés ;
Qu'au regard de ces éléments et en l'absence de production par la société Gifi distribution des factures d'importation permettant de connaître l'origine et le nombre exact de produits imitant qu'elle a importés et commercialisés en France, la cour est en mesure d'évaluer l'entier préjudice subi par la société Revol porcelaine à la somme de 30 000 euro, sans que les circonstances de la cause ne justifient, ni mesure d'interdiction, ni mesure de publication, lesquelles au demeurant n'avaient pas été sollicitées en première instance ; qu'il convient, infirmant le jugement de ce chef, de condamner la société Gifi à payer cette somme à la société Revol porcelaine ;
Considérant que le sens du présent arrêt commande d'infirmer les dispositions du jugement des chefs des frais irrépétibles et des dépens ; qu'il sera statué à nouveau de ces chefs, pour la première instance et l'appel, comme précisé dans le dispositif ci-après ;
Par ces motifs, Infirme le jugement, mais seulement en ce qu'il a déclaré la demande de la société Revol porcelaine au titre de la concurrence déloyale et parasitaire irrecevable, condamné la société Revol Porcelaine à payer à la société Gifi Diffusion la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et condamné la société Revol Porcelaine aux dépens dont distraction dans les conditions de l'article 699 du même Code, Statuant à nouveau de ces chefs et y ajoutant, Condamne la société Gifi distribution à payer à la société Revol porcelaine la somme de 30 000 euro en réparation du préjudice subi au titre de la concurrence déloyale et parasitaire, Dit n'y avoir lieu à autre mesure, Vu l'article 700 du Code de procédure civile, rejette la demande de la société Gifi distribution et la condamne à payer à la société Revol porcelaine la somme de 5 000 euro, Condamne la société Gifi distribution aux dépens de première instance et d'appel, Accorde à Maître Pascale Flauraud le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.