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Décisions

Cass. com., 6 octobre 2015, n° 14-20.445

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

SFR (SA)

Défendeur :

Orange France (SA), Bouygues Telecom (SA), Président de l'Autorité de la concurrence, Ministre de l'Economie, des Finances et du Commerce extérieur

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Orsini

Avocat général :

Mme Pénichon

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié, SCP Lévis

Cass. com. n° 14-20.445

6 octobre 2015

LA COUR : - Joint les pourvois n° 14-20.445 et n° 14-21.291 qui attaquent le même arrêt ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 juin 2014), que la société Bouygues Telecom (la société Bouygues) a saisi le Conseil de la concurrence, devenu l'Autorité de la concurrence (l'Autorité), de pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre par la société Orange France et la Société française du radiotéléphone (la société SFR) sur le marché de la téléphonie mobile, en leur reprochant un abus de position dominante pour avoir généralisé, dans leurs forfaits respectifs, des offres d'appels illimités dites " on net illimité " ; qu'à la suite de l'instruction menée par le rapporteur désigné, plusieurs griefs d'abus de position dominante par mise en œuvre de pratiques de ciseaux tarifaires ont été notifiés aux sociétés France Telecom et Orange France et à la société SFR ; que, par décision n° 09-S-03 du 15 mai 2009, l'Autorité a renvoyé le dossier à l'instruction ; qu'après un complément d'instruction et la notification de griefs portant sur des pratiques de différenciation tarifaire, l'Autorité, par décision n° 12-D-24 du 13 décembre 2012, a exclu le grief de ciseau tarifaire et a dit établi que les sociétés Orange France et France Telecom, devenues la société Orange, et la société SFR avaient enfreint les dispositions de l'article 102 TFUE et de l'article L. 420-2 du Code de commerce en mettant en œuvre une différenciation tarifaire abusive entre les appels on net passés vers leurs propres réseaux et les appels off net à destination des réseaux concurrents et leur a infligé des sanctions pécuniaires ; que ces sociétés ont formé un recours contre la décision ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° 14-20.445 et le moyen unique, pris en sa deuxième branche, du pourvoi n° 14-21-291, réunis : - Attendu que les sociétés SFR et Orange font grief à l'arrêt du rejet de leurs moyens d'annulation de la décision de l'Autorité, tenant à la procédure, alors, selon le moyen : 1°) que le principe d'impartialité du tribunal impose que la procédure offre des garanties suffisantes pour que soient exclus toute appréhension raisonnable, tout doute légitime du justiciable concerné quant à un éventuel parti pris, un pré-jugement du tribunal ; que, notamment, le juge amené à statuer ne peut accomplir aucun des actes de l'accusation ; qu'en énonçant néanmoins, pour débouter la société SFR de sa demande d'annulation de la décision rendue le 13 décembre 2012, que le collège de l'Autorité, devant statuer ultérieurement sur les griefs notifiés, pouvait valablement saisir le rapporteur, par un renvoi à l'instruction, du réexamen d'un grief que ce dernier avait écarté, la cour d'appel a méconnu le principe d'impartialité du tribunal, en violation des articles 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme et 16 de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 ; 2°) que le principe d'impartialité du tribunal non seulement exclut tout pré-jugement effectif mais encore impose que la procédure offre des garanties suffisantes pour que soient exclus toute appréhension raisonnable, tout doute légitime du justiciable concerné quant à un éventuel parti pris, un pré-jugement du tribunal ; que la société SFR faisait valoir, dans son mémoire à l'appui de son recours, que la décision de renvoi, en vue de voir instruire et notifier un grief préalablement écarté par le rapporteur, prise par le collège de l'Autorité amené à statuer sur le bien-fondé de ce grief, était de nature à faire naître un doute objectivement justifié sur l'impartialité de l'Autorité ; qu'en déduisant l'absence de toute atteinte au principe d'impartialité du tribunal, du seul constat que la demande de renvoi à l'instruction, mesure d'ordre interne, ne constituait pas un pré-jugement de la réalité des manquements à examiner et que le rapporteur, indépendant, était libre de notifier ou non le grief, sans rechercher si le fait que les mêmes juges, qui avaient demandé l'instruction d'un grief, avaient ultérieurement statué sur son bien-fondé, n'était pas de nature à créer un doute objectif et légitime pour le justiciable concerné, la cour d'appel a encore violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme ; 3°) que si la décision, qui se borne à renvoyer le litige à l'instruction sans trancher tout ou partie du principal, n'est, par nature même, pas susceptible de recours, les motifs de cette décision, en ce qu'ils viennent au soutien de la décision ultérieurement rendue sur le fond, sont soumis à l'appréciation du juge saisi d'un recours contre la décision rendue au fond ; qu'en ce qu'elle s'est fondée, pour débouter la société SFR de sa demande d'annulation de la décision entreprise, rendue le 13 décembre 2012, sur le constat que la Cour de cassation avait rejeté le pourvoi formé par les sociétés France Telecom et Orange France contre l'arrêt ayant dit irrecevable le recours formé contre la décision en date du 15 mai 2009 n'ayant tranché définitivement aucun point et pris seulement une mesure interne concernant l'instruction d'une affaire estimée incomplète, la cour d'appel a statué par un motif inopérant, privant sa décision de toute base légale au regard des articles 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme et 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 ; 4°) que le principe d'impartialité du tribunal, qui impose la séparation des fonctions de poursuite et d'instruction, d'une part, et de jugement, d'autre part, prohibe, pour le juge devant statuer, toute faculté d'intervention, dans les fonctions de poursuite et d'accusation, de nature à faire naître pour le justiciable un doute légitime sur son impartialité ; que, dans ses conclusions, la société SFR faisait encore valoir que le collège de l'Autorité avait, dans les motifs de sa décision de renvoi, rendue le 15 mai 2009, pré-jugé des conclusions de l'instruction à venir et de la décision qu'il allait rendre en affirmant comme d'ores et déjà établie l'existence d'une différenciation tarifaire ayant un caractère anticoncurrentiel ; qu'elle citait les motifs de la décision, énonçant que " les offres de téléphonie mobile limitant la possibilité de passer de façon illimitée aux seuls appels " on-net " se traduisent en effet par une différenciation tarifaire entre le prix des appels " on-net " et celui des appels " off-net ", le prix des premiers étant moins élevé que celui des seconds " et que " plus ces charges de terminaison d'appel sont élevées, plus les opérateurs ont intérêt à inciter leurs abonnés à concentrer leurs appels à l'intérieur du réseau par le moyen d'offres " on-net " illimités " ; qu'en se bornant cependant, pour débouter la société SFR de sa demande d'annulation de la décision entreprise, à affirmer qu'il ne peut être utilement soutenu que la demande de renvoi à l'instruction, mesure d'ordre interne, constituerait un pré-jugement et relever l'indépendance du rapporteur, qui n'était pas tenu de notifier le grief de discrimination tarifaire qu'il avait précédemment écarté, sans répondre au moyen tiré du contenu même des motifs de la décision de renvoi, de nature à faire naître un doute légitime sur l'impartialité du collège de l'Autorité, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ; 5°) qu'en rejetant le moyen tiré de la violation du principe d'impartialité fondé sur la considération que l'Autorité avait imposé la notification d'un grief supplémentaire par sa décision n° 09-S-03 du 15 mai 2009, au prétexte que par arrêt du 7 juin 2011 la Cour de cassation avait rejeté le pourvoi formé contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris déclarant le recours contre la décision n° 09-S-03 irrecevable, quand par son arrêt du 7 juin 2011, la Cour de cassation a seulement rejeté un moyen tiré de ce que l'Autorité de la concurrence en sa décision n° 09-S-03 avait en réalité statué au fond sur les questions de la violation du secret des affaires, de l'extension infondée de sa saisine, de la détermination du marché pertinent et du grief de discrimination tarifaire, mais ne s'est pas prononcée sur le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'impartialité résultant de ce que l'Autorité avait imposé la notification d'un grief supplémentaire, la cour d'appel s'est prononcée sur un motif inopérant, privant sa décision de base légale au regard des articles L. 463-2 du Code de commerce et 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu, qu'après avoir constaté que la société Bouygues avait dénoncé à l'Autorité des abus de position dominante des sociétés Orange et SFR pour avoir généralisé dans leurs forfaits respectifs des offres d'appels illimités dites " on net illimité ", en soutenant que ces pratiques étaient fidélisantes et discriminatoires et avaient un effet de ciseau tarifaire, l'arrêt relève que la décision, prise par l'Autorité le 15 mai 2009, a été rendue au visa de l'article R. 463-7 du Code de commerce qui permet à cette dernière, lorsqu'elle estime que l'instruction est incomplète, de renvoyer l'affaire en tout ou partie à l'instruction, et retient, après avoir analysé les motifs de cette décision, que le fait que le grief de discrimination tarifaire ait été préalablement écarté par le rapporteur n'empêchait pas qu'il soit réexaminé, à la demande du collège, grâce à une instruction complémentaire, si celui-ci estimait que certains aspects n'avaient pas été abordés, faisant ainsi ressortir que la décision de renvoi à l'instruction résultait du caractère incomplet de l'instruction sur ce grief et qu'elle n'avait pas pour objet de demander la notification de ce grief ; qu'il en déduit qu'il ne peut être utilement soutenu que la demande de renvoi à l'instruction, mesure d'ordre interne, constituait un pré-jugement de la réalité des manquements à examiner ; qu'il retient encore, après avoir relevé qu'aucune décision de fond n'avait été prise par l'Autorité et rappelé que les services d'instruction travaillent sous la direction du rapporteur général et non du collège, qui n'assure pas l'instruction de l'affaire, et que l'indépendance des rapporteurs est garantie par les textes, que si les rapporteurs, se conformant à la demande du collège, ont repris l'instruction du grief précédemment écarté, rien ne leur imposait de le notifier, à l'issue de deux années complémentaires d'enquête, et que la circonstance qu'ils aient, aux termes de la deuxième notification intervenue le 7 août 2011, finalement retenu un grief de différenciation tarifaire ne traduit pas une immixtion du collège de l'Autorité dans l'instruction de l'affaire ; qu'en l'état de ces seules constatations et appréciations, dont il résulte que ni le renvoi à l'instruction décidé par l'Autorité, dans sa décision du 15 mai 2009, ni la circonstance que les rapporteurs aient notifié le grief à nouveau instruit n'étaient de nature à provoquer, dans l'esprit des parties, un doute raisonnable sur l'impartialité de l'Autorité appelée à statuer sur le bien-fondé du grief, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche visée à la deuxième branche et répondu au moyen invoqué à la quatrième branche, a, à bon droit, rejeté le moyen d'annulation tiré de la violation du principe d'impartialité ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le moyen unique, pris en ses troisième et quatrième branches, du pourvoi n° 14-21.291 : - Attendu que la société Orange fait grief à l'arrêt du rejet de sa demande d'annulation de la décision de l'Autorité pour atteinte au principe de l'égalité des armes, alors, selon le moyen : 1°) qu'en considérant que le rapport notifié le 12 avril 2012 n'aurait pas clôturé la procédure d'instruction, la cour d'appel a violé les articles R. 463-11 du Code de commerce et 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; 2°) que la notification successive de deux rapports place les parties dans l'impossibilité d'identifier les termes du débat pour organiser leur défense ; qu'ainsi en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu, d'une part, qu'après avoir constaté que, postérieurement à la seconde notification de griefs intervenue le 5 août 2011, deux rapports avaient été notifiés aux parties, les 12 et 25 avril 2012, l'arrêt relève que celui du 12 avril 2012, intitulé " rapport complémentaire à celui établi le 4 août 2008 ", précisait, en préambule, qu'il avait pour seul objet de signaler aux parties les éléments susceptibles d'influer sur la détermination des sanctions relatives au grief notifié le 13 mars 2008, du fait de la publication du communiqué " sanctions " du 16 mai 2011, afin de leur permettre de faire valoir leurs observations, et soulignait qu'il n'avait pas pour objet de répondre aux écritures des parties relatives, tant au rapport daté du 4 août 2008, qui excluait le grief de discrimination tarifaire, qu'à la notification de griefs datée du 5 août 2011 ; que de ces constatations, la cour d'appel a, à bon droit, déduit que le rapport du 12 avril 2012 n'avait pas clôturé la procédure d'instruction et que la critique tenant à la notification illégale du second rapport devait être écartée ;

Et attendu, d'autre part, qu'ayant relevé que les différents rapports adressés aux parties étaient dénués de toute ambiguïté et retenu que la société Orange n'avait pu se méprendre sur leur portée et qu'elle avait pu faire valoir ses droits en toute connaissance de cause, la cour d'appel a, à bon droit, écarté le grief tiré de l'atteinte aux droits de la défense de cette société ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le second moyen du pourvoi n° 14-20.445 ni sur le moyen unique, pris en ses première et cinquième branches, du pourvoi n° 14-21.291, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Par ces motifs : Rejette les pourvois.