CA Colmar, 1re ch. civ. A, 30 septembre 2015, n° 14-02315
COLMAR
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
AGS Provence (SARL), M2 Conseil (SARL), Evelnis (SAS), Valides Solutions (SAS), CG Freelance (SARL), Rey (ès qual.), ACGR Finance (SARL), Verrechia (ès qual.)
Défendeur :
BM Est France (SASU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Panetta
Conseillers :
Mme Alzeari, M. Vallens
Avocats :
Mes Boucon, Lorcy, Renaud, de Balmann
FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS DES PARTIES.
La SASU BM Est France s'estime titulaire, par le biais du groupe Rivalis d'un savoir-faire et de droits susceptibles d'être mis au service de Très Petites Entreprises notamment, en leur permettant de s'appuyer sur un logiciel spécifique d'aide et d'assistance à la gestion.
Un réseau de concessionnaires est ainsi recruté pour assurer à la fois la distribution de ce logiciel mais également un conseil de gestion et coaching de ces TPE ainsi que pour leur apporter une assistance administrative, juridique et informatique.
Cette activité est en lien avec un contrat de franchise avec le groupe Rivalis qui valide les fonctions d'experts des partenaires après qu'une formation de trois mois leur ait été dispensée autant pour leur permettre de développer leurs capacités commerciales dans la recherche de TPE que pour maîtriser les outils et moyens mis à la disposition des entreprises démarchées.
Différentes sociétés se sont engagées dans ce concept avec la SASU BM Est France.
N'étant pas satisfaites des résultats obtenus, elles ont intenté une action en annulation des contrats pour dol, à défaut, en résiliation de ces derniers aux torts de la SASU BM Est France.
Vu le jugement en date du 13 mars 2014 par lequel le Tribunal de grande instance de Colmar a débouté les parties demanderesses de tous les chefs de leurs demandes, débouté la SASU BM Est France de sa demande reconventionnelle et condamné solidairement les sociétés demanderesses aux entiers frais et dépens de la procédure.
Vu la déclaration d'appel formalisée par la SARL AGS Provence, la SARL M2 Conseil, la SAS Evelnis anciennement dénommée Ravaparis, la SAS Valides Solutions, la SARL CG Freelance et la SARL ACGR Finance le 5 mai 2014.
Vu les dernières conclusions prises dans l'intérêt de la SAS Evelnis anciennement dénommée Ravaparis et les autres appelantes le 10 novembre 2014.
À titre principal, elles sollicitent le prononcé de la nullité des contrats pour vice du consentement ou, à titre subsidiaire pour défaut de cause ou erreur.
À titre infiniment subsidiaire, elles prétendent à la résiliation des contrats aux torts exclusifs de l'intimée.
Elles s'opposent à l'appel incident.
La SAS Evelnis anciennement dénommée Ravaparis réclame le paiement de la somme de 100 971,88 euro avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure outre celle de 3 500 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
La SAS Valides Solutions réclame le paiement des sommes de 100 508,82 euro et de 3 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La SARL AGS Provence prétend au paiement de la somme totale de 61 168,02 euro.
La SARL M2 Conseil sollicite pour sa part le paiement de la somme globale de 87 360,97 euro.
La SARL CG Freelance réclame le paiement de la somme de 75 012,81 euro outre les intérêts.
La SARL ACGR Finance demande le paiement de la somme de 74 139,74 euro avec intérêts.
Ces quatre sociétés prétendent également au paiement de la somme de 3 500 euro chacune par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu les dernières écritures de l'intimée du 30 janvier 2015.
Elle conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté les appelantes de tous leurs chefs de demande estimant qu'il n'y a lieu ni à annulation des contrats de partenariat ni à résiliation.
Subsidiairement, elle explique que les demandes en paiement sont, en partie, infondées.
Elle forme appel incident et prétend à la résiliation des contrats aux torts des appelantes.
De ce chef, elle sollicite le paiement de dommages-intérêts pour résiliation anticipée ainsi que la somme de 8 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à l'encontre de chacune des appelantes.
Vu l'ordonnance de clôture en date du 27 mars 2015 ayant renvoyé l'affaire pour être plaidée à l'audience du 1er juillet 2015.
MOTIFS,
Attendu que l'intimée s'oppose à la demande d'annulation des contrats de franchise estimant que cette prétention est mal fondée ; qu'elle expose que, dans l'appréciation de l'existence ou non d'un vice du consentement, la qualité de la personne du candidat franchisé ainsi que le délai de réflexion dont il a disposé sont essentiels ; qu'elle précise que le document d'information précontractuelle fourni était très complet conformément aux dispositions des articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce ; qu'elle estime que le consentement des appelantes n'a, en rien, été vicié ;
Attendu dans cette mesure qu'elle critique point par point les éléments de contestations soulevés par les appelantes ; qu'elle réfute également les motifs propres à certaines d'entre elles estimant qu'ils ont été justement écartés par le tribunal ;
Attendu qu'a titre principal les appelantes invoquent les dispositions de l'article 1116 du Code civil qui stipule que le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté ; qu'en application de cet article, le dol ne se présume pas et doit être prouvé par la partie qui l'invoque ;
Attendu qu'elles soutiennent que les dispositions des articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce n'ont pas été respectées par la SASU BM Est France ; qu'elles allèguent que cette dernière a ainsi fourni des éléments largement insuffisants et trompeurs ce qui ne leur aurait pas permis de signer un contrat en toute connaissance de cause ;
Attendu en premier lieu qu'elles soutiennent que les informations du DIP étaient incomplètes, non sincères et trompeuses ; que sur ce point il doit être rappelé qu'il est fait obligation au franchiseur de faire une présentation de l'état général et local du marché, des produits ou services devant faire l'objet du contrat ainsi que des perspectives de développement de ce marché ;
Attendu en l'espèce qu'il est constant que les informations et données communiquées par le document d'information précontractuelle datent pour l'essentiel des années 2003 et 2004 alors que les contrats de partenariat ont été signés en 2009 et 2010 ; qu'il doit être observé que certaines données datent de l'année 2002 alors qu'il y est précisé qu'il était mécaniquement impossible de fournir des informations plus récentes ;
Attendu par ailleurs que les appelantes exposent, utilement, que les informations, outre leur ancienneté, sont très générales ; qu'à cet égard, il n'est nullement signalé la proportion d'entreprises disposant d'un outil informatique alors qu'une telle précision est essentielle puisque le concept de la franchise est fondé sur un logiciel qui doit être installé chez l'utilisateur final ;
Attendu en outre que les informations sur l'état du marché local sont inexistantes à la lecture du document d'information précontractuelle et ce, en contravention avec les dispositions précitées du Code de commerce ;
Attendu que ces informations sont essentielles puisque seul le concédant est en mesure de fournir une évaluation de la clientèle locale potentielle ; qu'à l'opposé, il ne peut être utilement reproché aux candidats à la franchise de ne pas s'être livré eux-mêmes à cette étude en l'absence de données préalables pour ce faire ;
Attendu par ailleurs, sur la complétude des informations, qu'il doit être observé qu'il n'a pas été fait état de la liquidation en 2008 de la société Rivaction alors que celle-ci a fait l'objet d'une liquidation anticipée après plusieurs années de chiffres d'affaires inexistants ;
Attendu sur ce point qu'il ne peut être utilement relevé que cette dissolution était la démonstration d'une bonne gestion alors qu'au contraire, cette information aurait dû être fournie aux candidats à la franchise afin qu'ils puissent se déterminer, en toute connaissance de cause, sur la viabilité du concept auquel ils envisageaient d'adhérer ;
Attendu également qu'il doit être admis que le réseau a été présenté de manière trompeuse dans la mesure où seul un ratio concernant le nombre de partenaires présents et celui des départs pourrait être représentatif ; qu'en effet, la progression affichée du nombre de secteurs qui peut laisser croire à un développement important est erronée alors qu'il est justifié qu'entre l'année 2006 et l'année 2010, le réseau n'a progressé que de sept partenaires ;
Attendu surtout qu'il doit être admis que le contrat de franchise ne peut se justifier que par la transmission effective par le franchiseur d'une expérience, d'une notoriété et d'un réel savoir-faire unique et original ;
Attendu sur ce point qu'il doit être noté qu'il n'est fait état d'aucun établissement pilote au sein duquel le concept aurait été éprouvé ; qu'en effet, l'existence d'un tel site est nécessairement déterminant afin de juger de la pertinence et de l'efficience du savoir-faire devant être transmis ;
Attendu ainsi, sur la viabilité du concept, que l'examen des éléments produits par les appelantes permet d'observer un important renouvellement des entreprises adhérentes puisqu'il en ressort qu'en cinq ans, le réseau s'est pratiquement renouvelé deux fois alors que la plupart des adhérents n'ont pas souscrit un nouveau contrat ;
Attendu par ailleurs que les appelantes établissent, par la production des résultats mais également de témoignages et courriers qu'en dépit des contacts assurés, les résultats annoncés par le franchiseur, que ce soit en nombre de clients ou en chiffre d'affaires, n'ont jamais pu être seulement approchés ;
Attendu ainsi qu'il ressort de l'ensemble des éléments examinés que l'intimée s'est livrée, sciemment, à une présentation trompeuse et tronquée de l'ensemble du réseau ; que notamment, au regard du nombre effectif d'adhérents et surtout du chiffre d'affaires envisagé, il ne peut être qu'admis que les sociétés appelantes ne se seraient pas engagées si elles avaient eu parfaite connaissance d'informations sincères, complètes et conformes aux dispositions de l'article L. 330-3 du Code de commerce ;
Attendu en outre que la transmission d'un savoir-faire éprouvé étant de la nature même du contrat de franchise, une communication trompeuse à cet égard a nécessairement vicié le consentement des appelantes ;
Attendu de fait que celles-ci, sur la base d'informations incomplètes et erronées, n'ont pas été en mesure d'appréhender ou anticiper les risques encourus au regard de l'évolution réelle du réseau de franchisés ; que la présentation dolosive de celui-ci est imputable à l'intimée et a eu pour effet de vicier le consentement des appelantes ; que dans cette mesure les contrats litigieux encourent l'annulation ;
Attendu donc qu'il est sans objet d'examiner les demandes subsidiaires pour défaut de cause et erreur ou en résiliation des contrats ;
Attendu sur les demandes en paiement et les conséquences de l'annulation des contrats de partenariat qu'il convient de souligner que les appelants ne sauraient obtenir valablement une indemnisation allant au-delà de la seule stricte remise en état des parties dans l'état antérieur où elles se trouvaient avant la souscription des contrats litigieux ;
Attendu en effet qu'il ne peut leur être alloué une réparation ayant pu découler d'une application préjudiciable des contrats annulés ;
Attendu ainsi, concernant la SAS Evelnis que celle-ci justifie s'être acquittée des sommes de 67 200 euro au titre du droit d'entrée, de 14 500 euro au titre de la formation et assistance, de 4 000 euro au titre des redevances communication et de 296,45 euro pour les hébergements et repas soit, au total, la somme de 85 996,50 euro que l'intimée doit être condamnée à lui rembourser ;
Attendu en revanche que cette société ne peut, en considération des motifs précédents, utilement réclamer une indemnisation pour les frais engagés afin de développer l'activité mais également dans le but d'obtenir réparation pour la rémunération non obtenue de son gérant, ces réclamations ne pouvant être considérées comme découlant de l'annulation du contrat de partenariat ; que la SAS Evelnis sera donc déboutée en ses demandes en paiement de ces chefs ;
Attendu s'agissant de la SARL CG Freelance que celle-ci démontre s'être effectivement acquittée des sommes de 24 000 euro concernant le droit d'entrée, 9 500 euro au titre de la formation et assistance à l'ouverture, 634,83 euro pour les redevances et 150 euro pour le générateur de modèle ; qu'à l'opposé, faute de justificatifs produits sa demande plus ample au titre des redevances et de la communication sera écartée ; que dans ces conditions, la SASU BM Est France doit être condamnée à lui rembourser la somme totale de 34 284,83 euro ;
Attendu en outre qu'elle sollicite une indemnisation pour le préjudice lié à la mise en place de l'activité mais également au titre de son passif ; que néanmoins, ses demandes indemnitaires ne peuvent utilement prospérer au titre des seules conséquences de l'annulation du contrat de partenariat ; qu'elles seront donc écartées ;
Attendu que pour sa part la SARL AGS Provence justifie avoir effectivement réglé les sommes de 24 000 euro au titre du droit d'entrée et de 9 500 euro au titre de la formation et assistance à l'ouverture ; que la SASU BM Est France doit donc être condamnée à lui verser la somme totale de 33 500 euro ;
Attendu par ailleurs que, pour les mêmes motifs que la SAS Evelnis ses demandes au titre des dépenses engagées pour les déplacements, hébergement et apport en capital mais également au regard de la rémunération qui n'a pas été versée à son gérant seront également écartées, s'agissant de réclamations strictement indemnitaires ;
Attendu que la SARL M2 Conseil, par la production des factures, rapporte la preuve qu'elle a effectivement réglée les sommes de 40 800 euro pour le droit d'entrée, 9 500 euro au titre de la formation et assistance ainsi que 639,85 euro concernant les frais d'hébergement et repas ; que l'intimée sera donc condamnée à lui payer la somme totale de 50 939,85 euro
Attendu en revanche que ses demandes indemnitaires au titre des dépenses engagées pour développer l'activité mais également ayant pu résulter d'un manque à gagner doivent être également rejetées, s'agissant de demandes indemnitaires qui ne peuvent découler de l'annulation du contrat de partenariat ;
Attendu que la SARL ACGR Finance justifie, par la production des factures versées aux débats, s'être acquittée des sommes de 24 000 euro au titre du droit d'entrée et de 9 500 euro pour la formation et l'assistance à l'ouverture ; qu'en revanche, elle ne prouve nullement avoir effectivement payé les sommes de 470,03 euro au titre des redevances et 2 145 euro concernant les communications ; que ces deux dernières demandes seront donc écartées et l'intimée sera donc condamnée à lui verser la somme totale de 33 500 euro ;
Attendu en revanche que ses demandes indemnitaires plus amples au titre de l'engagement de frais divers pour tenter de développer l'activité Rivalis mais également concernant son passif déclaré seront également rejetées, ces réclamations ne pouvant utilement prospérer en raison de l'annulation du contrat de partenariat ;
Attendu enfin concernant la SAS Valides Solutions que cette dernière démontre s'être acquittée des sommes de 47 600 euro au titre du droit d'entrée, 15 000 euro au titre de la formation et assistance, 150 euro pour le générateur de modèle dans Rivalis, 265,73 euro pour des dépliants et cartes de visite Rivalis mais seulement 2 000 euro s'agissant des redevances communication ; qu'il lui sera donc alloué la somme totale de 65 015,73 euro ;
Attendu à l'opposé qu'en conséquence de l'annulation du contrat de partenariat elle ne peut utilement réclamer indemnisation des dépenses engagées pour développer l'activité mais également au titre des pertes de revenus qui n'ont pu être dégagés ; que ses demandes en indemnisation de ces chefs seront, pour les mêmes motifs que les précédentes, également écartées ;
Attendu que les sommes allouées aux appelantes porteront intérêts au taux légal à compter des assignations introductives d'instance valant mises en demeure ;
Attendu qu'a titre reconventionnel, l'intimée sollicite le paiement de dommages-intérêts estimant qu'il y a lieu de prononcer la résiliation des contrats de partenariat aux torts des appelantes ; qu'elle prétend, à ce titre, à une indemnisation égale aux sommes qui auraient du être perçues jusqu'au terme des contrats ;
Attendu néanmoins qu'en l'état de l'annulation des contrats litigieux, cette demande de résiliation avec paiement de dommages-intérêts ne peut être que rejetée ;
Attendu que la partie qui succombe doit être condamnée aux dépens et déboutée en sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile ; qu'il n'y a pas lieu à précision sur les frais et dépens issus de la procédure de référé, le juge ayant statué sur ce point par ordonnance du 3 janvier 2011 ; qu'il sera alloué à chacune des appelantes la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs LA COUR, Infirme le jugement rendu par la chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Colmar le 13 mai 2014 en ses dispositions sauf en celle par laquelle il a débouté la SASU BM Est France de sa demande reconventionnelle, Statuant à nouveau du chef des dispositions infirmées et Y ajoutant, Prononce la nullité des contrats de partenariat et leurs avenants ayant lié la SASU BM Est France et les sociétés appelantes, En conséquence, Condamne la SASU BM Est France à payer, à la SAS Evelnis la somme de 85 996,45 euro, à la SARL CG Freelance la somme de 34 284,83 euro, à la SARL AGS Provence la somme de 33 500 euro, à la SARL M2 Conseil la somme de 50 939,85 euro, à la SARL ACGR Finance la somme de 33 500 euro, à la SAS Valides Solutions la somme de 65 015,73 euro, Dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter des assignations introductives d'instance valant mises en demeure, Condamne la SASU BM Est France aux dépens d'appel et de première instance, Condamne la SASU BM Est France à payer à la SARL AGS Provence, la SARL M2 Conseil, la SAS Evelnis, la SAS Valides Solutions, la SARL CG Freelance et la SARL ACGR Finance chacune la somme de 2 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette les autres demandes des parties.