CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 15 octobre 2015, n° 14-07610
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Urban Sécurité (SARL)
Défendeur :
Indiana (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mme Rohart-Messager, M. Dabosville
Avocats :
Mes Ingold, Oucharif, Bonaldi, Calmelet
Rappel des faits et procédure
Par jugement, assorti de l'exécution provisoire, du 10 mars 2014, le Tribunal de commerce de Paris a:
- Débouté la SARL Urban Sécurité de sa demande d'une indemnisation d'un préjudice fondé sur les dispositions des articles L. 622-12 et suivants du Code de commerce.
- Condamné la SA Indiana à régler à la SARL Urban Sécurité la somme de 6 499,8 euro au titre du préjudice subi par la rupture brutale de la relation commerciale établie entre ces deux sociétés.
- Mis hors de cause la société Idéal Protection.
- Débouté la SARL Urban Sécurité de ses autres demandes :
En réparation d'un préjudice de perte de chance et de perte d'image, de publication du présent jugement,
- Condamné la SARL Indiana à régler la somme de 3 000 euro à la SARL Urban Sécurité au titre de l'article 700 du CPC la déboutant pour le surplus,
- Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement, nonobstant appel et sans garantie,
- Débouté les parties de toutes leurs demandes, autres, plus amples ou contraires.
- Condamné la SA Indiana aux entiers dépens de la présente instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 105,84 euro dont 17,42 euro TVA.
La société Urban Sécurité a interjeté appel le 4 avril 2014.
Dans ses dernières conclusions du 4 novembre 2014, la société Urban Sécurité prie la cour de :
- Déclarer irrecevable et juger bien fondée la société Urban Sécurité en son appel ;
A titre principal,
- Infirmer le jugement dont il s'agit en ce qu'il a considéré que la société Urban Sécurité n'était contractuellement liée qu'aux filiales exploitant les différents restaurants du groupe et limité l'indemnisation des préjudices au titre du seul établissement exploité par la société Indiana (i.e. Indiana Bonne Nouvelle), sans prendre en compte l'ensemble de la relation contractuelle nouée avec les restaurants exploités par les sociétés Indiana.
Statuant à nouveau,
- Constater que la société Urban Sécurité a bien eu pour partenaire contractuel la société Indiana SA qui a agi en son nom et pour son compte mais également au nom et pour le compte de ses filiales en procédant tant à la négociation des prestations de sécurité pour les différents restaurants qu'à la rupture de la relation contractuelle ;
- Dire et juger que les prestations de sécurité réalisées au profit des sociétés Indiana sont l'objet d'un contrat unique avec des débiteurs solidaires et condamner la société Indian Sa, en qualité de codébitrice solidaire avec ses filiales, en raison de l'inexécution des obligations découlant du contrat signé avec la société Urban Sécurité ;
- Infirmer le jugement en ce qu'il n'a pas constaté le caractère illicite de la rupture intervenue pendant la période d'observation et en raison de la procédure de redressement judiciaire et en ce qu'il a refusé d'indemniser la société Urban Sécurité en conséquence ;
Statuant à nouveau,
- Constater que la rupture du contrat de prestation de sécurité, à l'initiative de la société Indiana, décidée le 19 novembre 2009, est intervenue au cours de la période d'observation de la société Urban Sécurité alors que le contrat en cours devait continuer d'être exécuté par la société Indiana jusqu'au terme de la période d'observation en l'absence de manquement aux obligations contractuelles ;
- Dire et juger que la rupture du contrat de prestation de sécurité, à l'initiative de la société Indiana, est intervenue de manière illicite pendant la période d'observation et repose sur un motif illicite tiré de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ;
En conséquence,
- Condamner la société Indiana à verser à la société Urban Sécurité une somme de 136 500 euro à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis du fait de la non continuation du contrat en cours pendant la période d'observation ;
- Infirmer le jugement dont s'agit en ce qu'il n'a pas constaté le caractère abusif de la rupture et indemnisé la société Urban Sécurité en conséquence ;
Statuant à nouveau,
- Constater que la rupture du contrat de prestation de sécurité par la société Indiana est intervenue de manière intempestive et vexatoire, sans aucun motif légitime ;
- Dire et juger que la société Indiana a commis une faute en n'exécutant pas le contrat de prestation de sécurité de bonne foi qui a été directement à l'origine du préjudice d'image subi par la société Urban Sécurité ;
En conséquence,
- Condamner la société Indiana au paiement d'une somme de 10 000 euro au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice d'image subi par la société Urban Sécurité, en application de l'article 1134, alinéa 3 du Code civil ;
A titre incident,
- Confirmer le jugement du 10 mars 2013 en ce qu'il a jugé que la rupture du contrat de prestation de sécurité, à l'initiative de la société Indiana, a été brutale et imprévisible ;
Mais statuant à nouveau,
- Constater que, compte tenu de la durée de la relation contractuelle, du comportement contradictoire de la société Indiana, des spécificités de l'activité, de l'état de dépendance économique et des difficultés de reconversion de la société Urban Sécurité à l'époque de la rupture, la société Indiana aurait dû respecter un délai de préavis d'une durée minimale de 12 mois ;
- Constater que la rupture brutale, par la société Indiana, de la relation commerciale établie avec la société Urban Sécurité n'est justifiée par aucun motif légitime et repose sur un motif illicite tiré de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Urban Securité ;
- Dire et juger que la durée du préavis à 12 mois doit commencer à courir après la période d'observation, la société Urban Sécurité ne pouvant être lésée du bénéfice de la continuation des contrats en cours ;
En conséquence,
- Condamner la société Indiana au paiement d'une somme de 8 000 euro en application des dispositions prévues par l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamner la société Indiana aux entiers dépens de la présente instance, dont distraction au profit de Me Frédéric Ingold, avocat au barreau de Paris.
Dans ses dernières conclusions du 25 juin 2015 la société Indiana prie la cour de
- Constater que la rupture des relations contractuelles le 30 Novembre 2009 notifiée par Indiana SA à la société Urban Sécurité n'est intervenue ni abusivement ni brutalement ; qu'elle était fondée sur des motifs légitimes.
- Infirmer en conséquence, de ce chef le jugement entrepris.
- Débouter l'appelante de son appel, et de toutes ses demandes, fins et prétentions.
La condamner au paiement à la société Indiana SA de la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 CPC, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC.
A titre subsidiaire,
- Confirmer le jugement en ce qu'il a fixé un préavis de 2 mois, et pour l'indemnisation qu'il a retenue.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 3 septembre 2015.
Il résulte de l'instruction du dossier les éléments suivants :
La société Indiana, société mère d'un groupe de sociétés, qui exploite 14 restaurants bar café à Paris, sous l'enseigne Indiana Café, confiait en 2007 à la société Urban Sécurité, la sécurité de 8 de ses filiales sises à Paris, ainsi que d'un restaurant sis rue Bonne Nouvelle qu'elle exploitait directement elle-même, sans qu'aucune convention écrite ne soit régularisée.
Par jugement du 24 mars 2009, le Tribunal de commerce de Versailles ouvrait le redressement judiciaire de la société Urban Sécurité ; Maître Jeannerot était désigné en qualité d'administrateur judiciaire.
En juillet 2009, la société Indiana confiait la société Urban Sécurité la sécurité d'une dixième de ses filiales à Paris.
Par courrier du 19 novembre 2009, la société Indiana informait la société Urban Sécurité qu'elle mettait fin à leur collaboration à compter du 1er décembre 2009, sans en préciser les motifs, en ces termes : " par la présente nous vous informons de notre souhait de mettre fin à notre collaboration pour les prestations de sécurité au sein de nos établissements Indiana Café au 30 novembre 2009.
Par conséquent nous n'aurons plus besoin de faire appel à vos services à compter du 1er décembre 2009 ".
Puis elle confiait ce marché à la société Idéal Protection.
C'est ainsi que par acte du 22 septembre 2010, la société Urban Sécurité assignait les sociétés Indiana et Idéal Protection en réparation du préjudice subi du fait de la brusque rupture des relations commerciales établies.
C'est dans ces circonstances qu'était rendu le jugement déféré mettant hors de cause la société Idéal Protection et condamnant la société Indiana payer à la société Urban Sécurité une somme à titre principal de 6 499,80 euro et 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le moyen tiré du rôle de la société Indiana et sur l'existence de relations commerciales établies
Pour rejeter l'essentiel des demandes de la société Urban Sécurité, les premiers juges ont considéré que les restaurants exploités sous l'enseigne Indiana l'étaient par des sociétés filiales de la société Indiana et distinctes de celle-ci, à l'exception du restaurant situé rue Bonne Nouvelle, exploité directement par la société Indiana. Le tribunal n'a donc fait droit à la demande qu'en ce qu'elle visait l'activité de la société Urban Sécurité relative au restaurant café bar de la rue Bonne Nouvelle, exploité directement par la société Indiana.
En l'espèce, la société Indiana avait confié depuis le 1er juillet 2007 la sécurité de 9, puis 10 cafés bars restaurants de son groupe. Ainsi que l'a relevé le tribunal de commerce, les modalités et conditions des prestations effectuées par Urban Sécurité avaient été préalablement fixées par la société Indiana de manière standardisée. Puis les relations se sont poursuivies jusqu'à ce que, le 19 novembre 2009, la société Indiana prenne la décision unilatérale et non motivée de mettre fin aux relations d'affaires, pour tous les cafés bars restaurants à l'enseigne Indiana Café de son groupe à compter du 1er décembre 2009, ce qui constitue un préavis inférieur à 2 semaines.
Ainsi que l'indique la société Indiana les interventions de la société Urban Sécurité n'étaient pas quotidiennes, mais ponctuelles et parfois pour certains restaurants, pour des montants peu élevés, de sorte que l'accord passé ne garantissait aucune exclusivité, ni aucun chiffre d'affaires et ne fixait que le cadre de l'intervention de la société Urban Sécurité.
Il résulte de l'article L. 442-6-I-5 du Code de commerce qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au registre des métiers, de rompre brutalement, même partiellement une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
Cette disposition exige la démonstration d'une relation commerciale établie ; en l'espèce la société Urban Sécurité était en relation avec chacune des sociétés du groupe et ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, de l'existence d'un contrat cadre ayant stipulé des conventions d'intervention standardisées concernant l'ensemble des sociétés du groupe garantissant un volume de prestations.
Au contraire il n'est pas contesté que la société Urban Sécurité répondait individuellement aux commandes de chacune des sociétés du groupe, dont celle de la société Indiana, qui exploitait pour sa part un restaurant situé rue Bonne Nouvelle. Ainsi la société Urban Sécurité facturait chaque société pour les prestations réalisées et en recevait paiement sans aucune intervention de la société mère.
Il s'ensuit que la société Urban Sécurité, qui n'a mis en cause que la société Indiana, ne peut se prévaloir de l'existence de relations contractuelles qu'elle entretenait indépendamment avec chacune des sociétés du groupe, quand bien même la société mère lui a notifié une rupture des relations avec l'ensemble des sociétés, notification qui ne caractérise pas une relation unique.
Il y a lieu en conséquence d'examiner l'existence de relations commerciales établies à l'occasion des seules relations entretenues entre la société Indiana et la société Urban Sécurité ayant eu pour objet les prestations réalisées dans le cadre de l'établissement de la rue Bonne Nouvelle, comme retenu le tribunal.
Sur la violation de la règle de continuation des contrats en cours
La société Urban Sécurité soutient qu'alors que le contrat la liant à la société Indiana était en cours au jour du jugement d'ouverture de son redressement judiciaire, il lui était interdit de rompre ce contrat pendant la période d'observation.
Toutefois à supposer même que l'article L. 622-13 du Code de commerce soit applicable aux relations commerciales régulières stables et significatives, il résulte de cet article que si un contrat en cours ne peut être résilié par le seul fait de l'ouverture d'une procédure collective, il demeure que le contrat poursuivi peut être résilié par le cocontractant dans les conditions de droit commun des contrats.
En l'espèce la société Indiana a mis fin au courant d'affaires avec la société Urban Sécurité sans motif ; par la suite, la société Indiana a expliqué cette rupture par une perte de confiance qu'elle motive par le fait que la société Urban Sécurité ne publiait plus ses comptes, qu'elle s'était inquiétée du fait qu'en juin 2009 cette dernière avait sollicité une avance financière, que les services fiscaux l'avaient interrogée au sujet de la société Urban Sécurité, que cette dernière ne l'avait pas avertie de l'ouverture de son redressement judiciaire, ni de son changement de gérant.
Ainsi la rupture était motivée, non par la survenance du redressement judiciaire, mais par un ensemble de faits qu'elle a considérés comme étant de nature à entamer sa confiance.
En conséquence, la société Indiana qui n'a pas mis fin au courant d'affaires en raison de l'ouverture même du redressement judiciaire ou de l'existence d'impayés, mais uniquement pour un motif lié à la perte de confiance générale envers son partenaire contractuel, n'a pas violé les dispositions de l'article L. 622-13 du Code de commerce et la société Urban Sécurité sera déboutée de ses demandes tendant à réparer la perte du chiffre d'affaires pendant la période d'observation.
Sur les manquements graves de la société Urban Sécurité invoqués par la société Indiana
La société Indiana prétend que les manquements graves de la société Urban Sécurité justifiaient la rupture des relations commerciales sans préavis.
Elle invoque le fait que la société Urban Sécurité ne publiait plus ses comptes, qu'elle s'était inquiétée du fait qu'en juin 2009 elle avait sollicité une avance financière, que les services fiscaux l'avaient interrogée au sujet de la société Urban Sécurité, que cette dernière avait fait l'objet d'un redressement judiciaire sans avertir la société Indiana et enfin qu'elle avait changé de gérant sans l'en avoir avertie, éléments qui auraient entamé leur relation de confiance.
Cependant une résiliation, sans préavis, de relations commerciales établies ne peut intervenir qu'en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations d'une gravité telle qu'elle rende impossible la poursuite des relations ou de force majeure. Tel n'est pas le cas en l'espèce et dès lors la société Indiana était, en application de l'article L. 442 6 I 5 al. 4, tenue de respecter un préavis tenant compte de l'ancienneté des relations, de la nature des affaires, du volume d'affaires et de sa progression, de la dépendance économique et du temps nécessaire pour remédier à la réorganisation résultant de la rupture.
En prenant en compte ces éléments, c'est à juste titre que le tribunal a considéré que le préavis aurait dû être d'une durée de 2 mois.
Le préjudice de la société Urban Sécurité, du fait de cette brusque rupture, doit être évalué en fonction de la durée du préavis jugé nécessaire.
Les premiers juges ont considéré que la marge brute devait être évaluée à 30 % du chiffre d'affaires, ce que la société Urban Sécurité ne conteste pas, et a donc fixé à la somme de 6 499,80 euro le montant du préjudice subi du fait de la brusque rupture. Le jugement sera donc confirmé sur ce point.
Sur les autres demandes de la société Urban Sécurité
La société Urban Sécurité demande en outre des dommages-intérêts d'un montant de 10 000 euro en réparation du préjudice d'image qu'elle aurait subi, en application de l'article 1134 alinéa 3 du Code civil. Elle considère que le caractère intempestif et imprévisible de la rupture sont fautifs puis pour des motifs qu'elle estime fallacieux et abusifs aurait porté atteinte à sa réputation et à sa notoriété auprès de clients éventuels. Elle indique également que la brutalité de la rupture l'a obligée à supporter des coûts salariaux inutiles.
Toutefois la rupture des relations commerciales indéterminées n'est pas fautive en soi et n'a pas à être motivée, mais le devient lorsqu'elle est brutale. Or la brutalité de la rupture a été en l'espèce réparée par l'octroi de dommages-intérêts équivalant à la marge qu'elle aurait dû générer si la société avait bénéficié d'un préavis raisonnable et conforme aux usages. De surcroît, la société Urban Sécurité ne rapporte pas la preuve d'un préjudice distinct. En conséquence elle sera déboutée de ses autres demandes de dommages-intérêts.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile
La société Urban Sécurité sera condamnée aux dépens d'appel.
L'équité commande, en application de l'article 700 du Code de procédure civile de rejeter les demandes pour frais hors dépens, au titre de la procédure d'appel.
Par ces motifs, Confirme le jugement, Déboute la société Urban Sécurité du surplus de ses demandes, Condamne la société Urban Sécurité aux dépens de la procédure d'appel, Rejette les demandes d'indemnités pour frais hors dépens au titre de la procédure d'appel.