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Décisions

Cass. crim., 14 octobre 2015, n° 14-83.301

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

M. Soulard

Avocat général :

M. Sassoust

Avocats :

SCP Célice, Blancpain, Soltner, Texidor, Me Ricard

TGI Bordeaux, JLD, du 7 déc. 2012

7 décembre 2012

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la société X, contre l’ordonnance n° 07197 du premier Président de la Cour d’appel de Bordeaux, en date du 8 avril 2014, qui a confirmé l’ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à effectuer des opérations de visite et saisie en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ; - Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6, 8, § 1, et 13 de la Convention européenne des droits de l'Homme, des articles 1349, 1353 et 1315 du Code civil, des articles L. 450-4 du Code de commerce, 593 du Code de procédure pénale, 493 du Code de procédure civile, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'ordonnance attaquée RG 12-07197 du 8 avril 2014 a rejeté le recours de la société X et a refusé d'annuler l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant à procéder à des visites domiciliaires dans les locaux de ladite société, ainsi que chez certains distributeurs ;

"aux motifs que la DIRECCTE soupçonnant l'existence de la part d'un certain nombre de sociétés, dont la société X, de pratiques anticoncurrentielles et estimant que les pouvoirs d'investigation que lui confèrent les dispositions de l'article L. 450-3 du Code de commerce étaient insuffisants pour mettre en évidence ces pratiques a décidé de solliciter du juge des libertés de Bordeaux l'autorisation de visite et de saisies de l'article L. 450-4 du Code de commerce ; qu'il est de jurisprudence constante que le juge, par sa signature au bas du document, s'est approprié les motifs et le dispositif de l'ordonnance qui a été rédigée pour lui par l'Administration qui lui a présenté requête ;

"alors que le fait que le juge des libertés, en apposant " sa signature au bas du document s'est approprié les motifs et le dispositif de l'ordonnance qui a été rédigée pour lui par l'Administration " n'est pas de nature à établir, au contraire, qu'il a effectivement vérifié, comme l'exige l'article L. 450-4 du Code de commerce, que la demande d'autorisation est fondée ; qu'en se bornant à faire jouer la présomption prétorienne selon laquelle les motifs et le dispositif d'une décision judiciaire sont réputés avoir été établis par le juge qui l'a signée, sans tenir compte des " contradictions, approximations et inexactitudes évidentes " qui affectaient la demande de la DIRECCTE Aquitaine et que le JLD aurait dû relever dans le cadre de la vérification normale d'une requête unilatéralement présentée, le premier président a violé par refus d'application les textes susvisés" ;

Attendu que, par application de l'article 561 du Code de procédure civile, le premier président qui annule l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant des opérations de visite et saisie doit se prononcer lui-même sur le bien-fondé de la requête de l'Administration ;

Qu'il s'ensuit que le moyen, qui fait grief à l'ordonnance attaquée de ne pas avoir annulé la décision du premier juge, alors qu'au surplus la reproduction, dans cette décision, de la requête de l'Administration, est sans effet sur sa validité, est inopérant ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 420-1 et L. 450-4 du Code de commerce, 8 et 13 de la CESDH ainsi que 56 et 593 du Code de procédure pénale :

"en ce que l'ordonnance attaquée a rejeté le recours de la société X et a validé l'autorisation de perquisition sollicitée par la DIRECCTE ;

"aux motifs que sur la proportionnalité de la mesure ordonnée, pour autoriser, comme il l'a fait, visites et saisies concernant les produits de la gamme grand public de la marque X, sans exclusive ou sans limitation aux seuls nettoyeurs haute pression, le juge des libertés de Bordeaux a suffisamment motivé sa décision en reprenant les termes de l'audition de M. Y qui, expliquant la politique tarifaire de la société X, ne distingue pas entre les nettoyeurs haute pression et les autres produits de la marque pour parler de "l'outillage" ou "du matériel" et après avoir visé le tarif grand public 2011 annexe 27 dont l'examen, même sommaire, ne pouvait que le conduire à constater que la société X commercialise, à côté des nettoyeurs haute pression éponymes, de l'outillage et des matériels divers d'arrosage et de piscine ; que, par voie de conséquence, même si les exemples choisis par l'Administration pour étayer sa requête sont relatifs à des nettoyeurs haute pression, produit phare de la marque, le juge des libertés pouvait, sans atteinte au principe de proportionnalité, autoriser l'Administration à s'intéresser à l'ensemble des matériels grand public mis dans le commerce par la société X ; que, par ailleurs, il n'était pas interdit à la DIRECCTE d'utiliser à l'appui de sa requête, comme en l'espèce, des procès-verbaux recueillis dans le cadre d'enquêtes fondées sur les dispositions de l'article L. 450-3 du Code de commerce, ni au juge de les utiliser dans son ordonnance, dès lors que ces documents, identifiés comme tels (annexes 2 et 7) sont en apparence parfaitement réguliers ; que les déclarations litigieuses entrent bien dans le champ de l'enquête puisque A et la société B commercialisent les produits X non seulement auprès de professionnels, mais vendent également aux particuliers (.../... nous avons une activité de vente à destinations des professionnels et des particuliers [de plus en plus nombreux], A - .../... la clientèle de la société est constituée à 50 % d'agriculteurs et à 50 % de particuliers, écrit Mme Z rapportant les propos de M. Gérard W, responsable de la SA B) ;

"1°) alors qu'en vertu de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme et de l'article 56 du Code de procédure pénale, la protection due à la vie privée et au domicile impose que les visites domiciliaires soient limitées à ce qui est strictement nécessaire à la manifestation de la vérité ; que l'article L. 450-4 du Code de commerce impose au juge de vérifier que la demande d'autorisation est " fondée sur les éléments d'information de nature à justifier la visite " ; que le premier président, qui délivre une autorisation concernant l'ensemble des produits de la gamme grand public X, conformément à la demande formulée par la DIRECCTE tout en reconnaissant que " les exemples choisis par l'Administration pour étayer sa requête sont relatifs à des nettoyeurs haute pression, produit phare de la marque ", ne justifie pas légalement une autorisation générale débordant manifestement le champ des " éléments d'information " produits par la DIRECCTE et a donc méconnu le principe de l'inviolabilité du domicile, en violation de l'ensemble des textes susvisés ;

"2°) alors qu'en se référant à des déclarations recueillies dans le cadre d'une autre enquête (M. Y - p. 5 al. 3, et p. 5 al. 4, la société B) pour justifier la délivrance de l'autorisation relative à l'ensemble des produits de la gamme grand public de la marque, sans s'expliquer, comme il y était invité, sur la circonstance que les déclarations collectées dans cette ancienne enquête intéressaient les revendeurs du secteur des matériels professionnels soucieux de justifier leurs propres pratiques dans ce secteur, et ne pouvaient objectivement constituer des " indices pertinents " dans le cadre d'une autorisation visant exclusivement les produits grand public, le premier président a privé sa décision de toute base légale au regard des textes susvisés" ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 450-3 et L. 450-4 du Code de commerce, 6, 8 et 13 de la Convention européenne des droits de l'Homme ainsi que 56 et 593 du Code de procédure pénale :

"en ce que l'ordonnance attaquée a rejeté le recours de la société X et a validé l'autorisation de perquisition sollicitée par la DIRECCTE ;

"aux motifs que la société X estime que le juge n'a pas pu trouver dans les pièces annexées à la requête des documents suffisamment probants pour caractériser les différents indices au sens des dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce ; que le prix de vente au détail souhaité par le fournisseur et connu du distributeur ; que l'existence de prix indicatifs ou conseillés n'est pas sérieusement contestée ce que le juge a pu vérifier par la production des dits tarifs ; que leur diffusion auprès des fournisseurs n'est pas contestée et par ailleurs confirmée par les responsables de A ; que si cette pratique est licite et ne constitue pas une "présomption" elle est suffisante pour caractériser un premier "indice" ; que le juge devait le constater ; que, sur l'application significative par le distributeur du prix conseillé, la société X explique que le tarif 2011 est inopérant car il ne serait pas le sien mais un document interne à la société D ; que, ce document était bien celui diffusé aux distributeurs (cf. Audition responsables A - les tarifs d'achats, taux de remise et conditions générales de vente des fournisseurs D sont disponibles en ligne sur le site de la D .../...) et la société X ne démontre pas que son tarif était différent de celui exploité par l'Administration ; que, par conséquent, son argument manque en fait ; que, quant au différentiel entre le prix conseillé et le prix relevé par l'Administration, cette dernière prétend qu'il s'explique par la réintégration de la TVA ; que la société X semble affirmer, sans toutefois le démontrer, que l'Administration aurait ajouté de la TVA sur des prix TTC ! ? ; que le juge recherche des indices et non des preuves, la discussion de la société X sur les lacunes dans les tarifs concernant certaines références ne sont pas de nature, à ce stade de la procédure, à remettre en cause l'intérêt des rapprochements effectués par l'Administration ; que, de la même façon, la discussion sur le fait de savoir s'il était ou non pertinent d'intégrer dans le prix de vente par internet le coût de livraison, pour le comparer à des prix de vente magasin sans livraison, est peut-être une question qui sera débattue au fond mais, au stade de l'autorisation, s'agissant de matériels grand public qui entrent dans le coffre d'une voiture, cette comparaison apparaît suffisamment raisonnable et censée pour emporter la conviction d'un juge de la liberté normalement vigilant ; qu'après vérification par simples sondages de la méthodologie de travail de l'Administration, en se référant, pages 5, 7 et 8 de son ordonnance, aux tableaux de synthèses établis par la DIRECCTE partir des tarifs 2010 et 2011 (D), des catalogues fournisseurs et des relevés de prix effectués, le juge a mis en évidence un taux de suivi moyen de 97,94 % caractérisant ainsi le deuxième indice ; que, sur la police ou la surveillance des prix, il est possible, et il s'agira peut-être un jour d'un débat de fond, que le fait pour la société X de conserver la maîtrise de sa politique promotionnelle et d'exiger du consommateur désirant bénéficier de ces offres de retourner leur ticket de caisse soit dénué de la moindre intention de contrôler les prix pratiqués par le distributeur, mais il n'en reste pas moins qu'aux yeux du juge de la liberté, cette façon de procéder peut parfaitement constituer un indice de surveillance des prix effectivement pratiqués ; que le fait que la gestion de ces offres promotionnelles soit confiée à une société tierce ne prive pas la société tierce ne prive pas la société mandante de la possibilité d'exercer un contrôle à cet égard ; que l'existence d'un troisième indice est bien établie ;

"1°) alors que la cour d'appel ne statue pas sur le chef péremptoire des conclusions de la société X dénonçant l'utilisation irrégulière par la DIRECCTE du tarif 2011 diffusé par la société D, centrale d'achat opérant dans son propre réseau, ledit tarif étant sans valeur dans les rapports de l'entreprise et de ses clients directs ; que le premier président, qui se réfère cependant à ce document pour caractériser et la soi-disant diffusion de prix conseillé et la prétendue homogénéité des prix par rapport à ce tarif et la pertinence des synthèses élaborées dans les tableaux comparatifs de la DIRECCTE, a, dès lors, violé de façon flagrante l'article 593 du Code de procédure pénale ;

"2°) alors qu'en vertu de l'article L. 450-4 du Code de commerce, de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme et du principe de la présomption d'innocence, il appartient à la partie poursuivante, avec tous les éléments d'information en sa possession, de " justifier la visite sollicitée " et qu'intervertit totalement la charge de la preuve le premier président qui, en violation des textes et du principe susvisés, accorde l'autorisation litigieuse parce que " X ne démontre pas que son tarif était différent de celui exploité par l'Administration " (D) et parce qu'elle ne démontre pas non plus que les prix exploités par l'Administration intègrent nécessairement une part de TVA ;

"3°) alors qu'il appartient à la DIRECCTE, débitrice en vertu de l'article L. 450-4 du Code de commerce de tous les éléments d'information de nature à justifier la visite, de préciser devant le juge de l'autorisation si les prix qu'elle compare dans ses tableaux de synthèse intègrent, ou non, les frais de livraison qui influent nécessairement sur la facturation au consommateur, de sorte qu'en refusant de vider le débat sur ce point et en le renvoyant aux juges du fond, le premier président n'a pas contrôlé la réalité même de l'indice qui lui était soumis et a, de plus fort, méconnu son office au regard du texte susvisé ;

"4°) alors que la société X avait fait valoir que l'Administration était d'autant moins fondée à déduire de la simple homogénéité des prix retenus dans ses tableaux une présomption de pratiques anticoncurrentielles imputables au fabricant que la DIRECCTE avait, elle-même, signalé que les distributeurs en cause continuaient à pratiquer un prix donné même lorsque X avait conseillé des prix inférieurs ; que la similitude des prix dans la commercialisation du nettoyeur haute pression, produit emblématique et " incontournable " de la marque pouvant ainsi résulter normalement d'un simple parallélisme des comportements, il appartenait au premier président de rechercher, comme il y était invité, si cette donnée commerciale élémentaire n'était pas de nature à retirer tout objet aux présomptions alléguées par le service d'enquête ; qu'en statuant comme il l'a fait, le premier président a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

"5°) alors que ne constitue pas, à elle seule, une mesure occulte et illicite de " police des prix ", le fait pour un fabricant d'offrir, officiellement et à titre promotionnel, à tous les acheteurs de ses produits un remboursement partiel du prix acquitté sur production de la facture d'achat, laquelle est juridiquement indispensable pour établir la cause même dudit remboursement ; qu'en se contentant d'énoncer que ces opérations promotionnelles classiques, entièrement traitées par des sociétés de services tierces, laissaient à la société X une éventuelle possibilité de surveiller les prix, sans constater l'existence du moindre indice de pression ou de répression sur les distributeurs venant corroborer la mise en place d'une " police" quelconque, le premier président, qui renvoie les parties à en débattre au fond, après exécution de la visite dommageable, n'a pas légalement justifié, en l'état, les besoins pour l'enquête en cours de recourir à une visite domiciliaire et a, par méconnaissance de son office propre, violé l'article L. 450-4 du Code de commerce et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme" ;

Les moyens étant réunis ; - Attendu que les énonciations de l'ordonnance attaquée mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que le premier président de la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont il était saisi et caractérisé, s'étant référé, en les analysant, aux éléments d'information fournis par l'Administration, l'existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles justifiant la mesure autorisée ; d'où il suit que les moyens doivent être écartés,

Et attendu que l'ordonnance est régulière en la forme,

Rejette le pourvoi.