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Décisions

Cass. crim., 14 octobre 2015, n° 14-83.300

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

M. Soulard

Avocat général :

M. Sassoust

Avocats :

SCP Célice, Blancpain, Soltner, Texidor, Me Ricard

TGI Bordeaux, JLD, du 7 déc. 2012

7 décembre 2012

La COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la société X, contre l’ordonnance n° 07272 du premier Président de la Cour d’appel de Bordeaux, en date du 8 avril 2014, qui a prononcé sur la régularité des opérations de visite et de saisie de documents effectuées par l'administration de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ; - Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 450-4, R. 450-1 et R. 450-2 du Code de commerce, 545 du Code civil, des articles 56, 97, 99, 136, alinéa 2, 170, 171 et 593 du Code de procédure pénale, et des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme ;

"en ce que l'ordonnance attaquée a intégralement débouté la société X SAS de son recours ;

"aux motifs que "la saisie" des documents non consignés à l'inventaire, il ressort du procès-verbal de saisie, ce que nul ne discute, que l'Administration a demandé et obtenu du responsable informatique de la société X la mise à sa disposition, sur un disque dur externe, qu'elle avait apporté à cet effet et qui a été spécialement formaté, des archives de messagerie, sous forme de fichiers .pst, ainsi que la copie des zones usagers stockés sur les serveurs de la société de cinq des agents de la société X, MM. Malmanche et Anderouard, Mme Dufour et MM. Rocheteau et Marguerie ; qu'une fois la copie faite, le disque dur externe a été exploré par le logiciel de l'Administration à l'aide de différents mots-clés ; que les fichiers et documents sélectionnés ont été gravés sur DVD vierges, non réinscriptibles, et l'Administration ainsi que la société visitée ont gardé chacune un exemplaire des DVD contenant les saisies numériques ; qu'il est constant que huit mille trois cent trente-cinq documents ont été copiés sur le disque dur externe, que les DVD contiennent cinq mille cinq cent vingt-trois documents sélectionnés et que l'Administration a quitté les lieux emportant avec elle son disque dur externe qui contenait les huit mille trois cent trente-cinq documents dont les deux mille huit cent qui n'ont pas été saisis ; qu'il aurait sans doute été souhaitable qu'une fois les opérations de saisie effectuées, les parties nettoient le disque dur externe, mais elles n'y ont manifestement pas pensé ; que ce fait qui est constitutif d'une maladresse, commune aux parties, n'est toutefois pas de nature à affecter les opérations autorisées par l'ordonnance du 7 décembre 2012, puisqu'aussi bien les documents saisis dans le cadre de cette procédure sont ceux, et uniquement ceux, listés au procès-verbal et dans le DVD dont chacune des parties a gardé un exemplaire ;

"1°) alors que des documents informatiques appréhendés et conservés sur un disque dur par les enquêteurs à l'occasion d'une perquisition autorisée par un juge sont nécessairement objets d'une saisie, de sorte que le premier président, qui a constaté que l'Administration avait "quitté les lieux emportant avec elle son disque dur externe qui contenait les huit mille trois cent trente-cinq documents dont deux mille huit cent qui n'ont pas été saisis" et qui refuse d'admettre l'irrégularité au prétexte que les deux mille huit cent documents ainsi emportés " n'ont pas été saisis ", viole les textes susvisés ;

"2°) alors qu'à défaut d'avoir fait l'objet d'un inventaire, d'un scellé ou d'une copie remise à la partie visitée, cette dernière se trouve dans l'impossibilité de savoir si les deux mille huit cent fichiers non identifiés figurant sur le disque dur de l'Administration entrent dans le champ de l'autorisation limitée délivrée par le juge des libertés et de la détention et s'ils ne comportent pas des données protégées au titre du secret des correspondances ou de la protection due à la vie privée et justifiant leur annulation de sorte que, en statuant comme il l'a fait, le premier président - qui ne remet pas la partie visitée en possession des données indûment emportées - a privé la société X de l'exercice normal des droits de la défense et de la possibilité de faire contrôler par le juge de l'opération, en violation flagrante de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme ;

"3°) alors que s'étant mis dans l'impossibilité d'ordonner à l'Administration la restitution d'objets réputés "non saisis", le premier président qui ne prévoit aucune mesure réparatrice appropriée à la détention, sans titre, par le service d'enquête, des données informatiques, propriété de la société, valide une véritable voie de fait, en méconnaissance flagrante de son office et en violation spécialement de l'article 545 du Code civil ;

"4°) alors que le premier président ayant relevé que l'Administration avait " obtenu du responsable informatique la mise à sa disposition sur un disque dur, qu'elle avait apporté à cet effet " des archives des messageries de cinq agents de l'entreprise, ne pouvait, sans priver sa décision de base légale, notamment au regard de l'article L. 450-4 du Code de commerce imputer l'irrégularité des opérations à une prétendue faute commune des parties et éluder ainsi les conséquences de la nullité de la saisie des deux mille huit cent documents" ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6, 8 et 13 de la Convention européenne des droit de l'Homme, des articles 56, 97, 170, 171 et 593 du Code de procédure pénale, et de l'article L. 450-4 du Code de commerce :

"en ce que l'ordonnance attaquée a rejeté le recours de la société X demandant l'annulation des opérations de saisie pratiquées le 20 décembre 2012 et a prononcé seulement " l'annulation par destruction " de seize fichiers informatiques protégés par le secret des correspondances entre un client et son avocat ;

"aux motifs que sur la saisie des documents protégés par le secret de la correspondance entre une personne et son avocat, il est constant que parmi les correspondances saisies certaines sont protégées par le secret de la correspondance entre un avocat et son client ; que la société X voudrait, semble-t-il, que cette circonstance affecte d'illégalité l'ensemble des saisies effectuées ; que l'Administration s'offre de restituer la totalité de ces correspondances protégées ; que l'existence de ces documents particuliers parmi les saisies opérées n'est pas de nature à affecter l'intégralité des opérations effectuées en exécution de l'ordonnance du 7 décembre 2012 et leur restitution constitue un mode de réparation suffisant ;

"1°) alors que toute annulation d'un acte juridique emporte nécessairement un effet rétroactif et que le premier président ne peut, sans contradiction, prononcer l'annulation et décider cependant que l'Administration pourra se contenter de " restituer par destruction " les fichiers comportant la correspondance entre les avocats, mesure qui ne vaut que pour l'avenir et rend sans effet ladite annulation du fait de la connaissance acquise par l'Administration des courriers d'avocats ; qu'en statuant de la sorte, le premier président a violé les textes susvisés et le principe selon lequel toute personne qui subit une atteinte à la liberté individuelle et à son domicile doit bénéficier d'un recours effectif ;

"2°) alors que le redressement d'une saisie irrégulière ne peut valablement être opéré par voie de simple restitution que si la partie poursuivante avait régulièrement placé sous-main de justice, en application de l'article 56 du Code de procédure pénale les pièces litigieuses, ce qui garantit la préservation du secret ; que n'étant pas contesté que, faute de respecter cette procédure, l'Administration a détenu les correspondances avec les avocats pendant toute la période séparant la saisie et la date de l'ordonnance et qu'elle a même pu en dresser copie, l'irrégularité commise au regard du texte susvisé était irrémédiable, sauf à annuler l'ensemble de la procédure déclenchée par le service d'enquête ; qu'en statuant comme il l'a fait, le premier président a méconnu à la fois le principe de l'inviolabilité du domicile et celui du caractère strictement confidentiel des correspondances avec les avocats ;

"3°) alors que, faute d'avoir analysé les correspondances entre les avocats qui restent couvertes par le secret, et d'avoir ainsi pu déterminer si elles étaient susceptibles d'orienter éventuellement le traitement des autres pièces collectées par le service d'enquête, le premier président ne pouvait se contenter d'affirmer, dans un motif incontrôlable, que lesdites correspondances n'étaient pas de nature à affecter l'intégralité des saisies ; qu'en statuant de la sorte, il a violé l'ensemble des textes susvisés et plus particulièrement l'article 56 du Code de procédure pénale" ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, L. 450-4 du Code de commerce, 56 et 593 du Code de procédure pénale :

"en ce que l'ordonnance attaquée a rejeté le recours dirigé par la société X contre le déroulement des opérations de visite domiciliaire et de saisie opérées par l'Administration le 20 décembre 2012 ;

"aux motifs que, sur la violation du principe de la proportionnalité et la saisie massive et indifférenciées de documents, la société X ne peut en considération du seul nombre de documents saisis reprocher à l'Administration une saisie massive de documents alors que, comme le souligne l'Administration, les saisies sont ciblées pour ne concerner que les ordinateurs de cinq de ses collaborateurs sur un site qui en comporte plusieurs centaines ; que la société X prétend que l'Administration ne serait pas obligée de saisir l'intégralité des messageries au motif qu'elle seraient insécables puisqu'il existerait des logiciels performants qui permettraient de pallier cette difficulté ; que, comme l'explique la DIRECCTE, la Cour de cassation a eu l'occasion de rappeler dans ses arrêts du 11 janvier 2012 (pourvois 10-88.194 et 10-88.197) qu'il n'appartient pas au juge de prononcer sur les modalités de saisies informatiques mais bien seulement de vérifier la régularité des opérations ; que, par ailleurs, en raison de son caractère insécable, la Cour de cassation reconnaît à l'Administration la possibilité de saisir l'intégralité d'une messagerie ; qu'au cas d'espèce, les saisies portent sur les documents inventoriés dans le procès-verbal signé par les parties le 20 décembre 2012 qui énumère l'ensemble des documents saisis et l'identification des fichiers concernés (nom, empreinte numérique, chemin d'accès et taille) ; que, dès lors, la société X ne conteste pas que les messageries litigieuses contiennent, au moins pour partie, des courriels et documents qui entrent dans le champ de l'enquête, les saisies opérées par la DIRECCTE sont proportionnées...; que la Cour de cassation a eu l'occasion de valider le refus opposé par l'Administration à la communication des critères de sélection des documents finalement saisis ; qu'au cas d'espèce, la société X ne peut se contenter d'une pétition de principe ; qu'elle a une connaissance exhaustive des documents saisis et le double des fichiers informatiques ; qu'elle est donc en capacité de démontrer que les documents hors champ sont aussi nombreux qu'elle le prétend, ce qu'elle ne fait pas ; que la connaissance des mots de passe choisis ne lui serait à cet égard d'aucun secours ; qu'enfin, toujours parce qu'elle a une exacte connaissance des documents saisis, les droits de la défense de la société X sont justement préservés ; qu'il est constant que parmi les correspondances saisies certaines sont protégées par le secret de la correspondance entre un avocat et son client ; que la société X voudrait, semble-t-il, que cette circonstance affecte d'illégalité l'ensemble des saisies effectuées ; que l'Administration s'offre de restituer la totalité de ces correspondances protégées ; que l'existence de ces documents particuliers parmi les saisies opérées n'est pas de nature à affecter l'intégralité des opérations effectuées en exécution de l'ordonnance du 7 décembre 2012 et leur restitution constitue un mode de réparation suffisant ; que la saisie des documents hors champ de l'enquête...; que, là encore, la DIRECCTE accepte de restituer les cent six documents réclamés par la société X dont elle convient qu'ils ne font pas partie du champ de l'enquête définie comme les pratiques susceptibles d'être relevées dans le réseau de distribution de la marque X pour les produits de la gamme grand public ;

"1°) alors qu'il résulte des constatations mêmes du premier président et du dispositif de son ordonnance qu'en procédant comme elle l'a fait, l'Administration a saisi, outre deux mille huit cent fichiers non identifiés, seize fichiers comportant des correspondances avec les avocats, cent six fichiers entièrement étrangers au champ de l'enquête ; qu'en se contentant d'ordonner la restitution de certaines de ces saisies sans rechercher si elles n'auraient pas dû être évitées par le simple respect de la procédure imposée par l'article 56 du Code de procédure pénale qui limite le pouvoir des enquêteurs à la seule saisie des données informatiques apparaissant " nécessaires à la manifestation de la vérité ", et qui prévoit, à cet égard, que les supports et les copies soient placés " sous-main de justice " pour ne maintenir que ce qui est utile à l'enquête, le premier président n'a pas légalement justifié son refus d'admettre le caractère massif et indifférencié des saisies opérées dans de telles conditions ;

"2°) alors que la société X avait fait valoir que la saisie massive de plus de vingt mille emails, sans aucune possibilité d'obtenir la suspension d'une telle mesure, constituait une atteinte disproportionnée aux droits au respect de la vie privée et au respect du domicile et violait de façon flagrante l'article 8 de la Convention européenne des droit de l'Homme et l'article 56 du Code de procédure pénale ; qu'en se bornant à justifier l'exagération de cette mesure intrusive par la considération inopérante que la partie visitée pourrait en prendre toute la dimension à la lecture des copies qui lui avaient été remises et que l'Administration ne s'opposait pas à certaines restitutions, le premier président n'assure nullement le respect des intérêts en cause qui doivent faire l'objet des précautions préalables imposées au service des enquêtes par les textes susvisés et ne sont pas réparées, a posteriori, par les mesures illusoires telles que décidées en l'espèce ;

"3°) alors que sans se faire juge des méthodes employées par l'Administration sur la manière de surmonter " l'insécabilité " alléguée des données informatiques, il appartient cependant à l'autorité judiciaire de se prononcer sur les résultats desdites méthodes lorsqu'ils lui sont soumis dans le cadre du recours prévu par l'article L. 450-4, de sorte qu'en se référant de façon inopérante à la position de la Cour de cassation sur la notion d'insécabilité des supports informatiques et en refusant de rechercher concrètement si, au cas présent, l'ampleur et le caractère indifférencié des saisies, quelle qu'en soit la cause, ne caractérisaient pas en soi une atteinte excessive au principe de l'inviolabilité du domicile et aux droits de la défense, le premier président a privé sa décision de toute base légale au regard des textes susvisés" ;

Les moyens étant réunis : - Attendu que, pour rejeter le recours formé contre les opérations de visite, l'ordonnance prononce par les motifs repris aux moyens ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations et dès lors que, d'une part, la confection de scellés provisoires est une faculté laissée à l'appréciation des enquêteurs, agissant sous le contrôle du juge, d'autre part, la saisie irrégulière de certains fichiers ou documents est sans effet sur la validité des opérations de visite et des autres saisies, le premier président, qui n'avait pas à apprécier la possibilité pour les enquêteurs de procéder autrement qu'ils ne l'ont fait au partage des fichiers informatiques, qui a estimé à bon droit que les fichiers qui ne figuraient pas sur le procès-verbal n'avaient pas été saisis et qui a annulé la saisie des fichiers protégés par le secret des correspondances entre un client et son avocat, a justifié sa décision ; d'où il suit que les moyens doivent être écartés ;

Et attendu que l'ordonnance est régulière en la forme,

Rejette le pourvoi.