Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 4 ch. 9, 8 octobre 2015, n° 13-11322

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Joussen

Défendeur :

Afibel (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gimonet

Conseillers :

Mme Grasso, Jeanjaquet

Avocats :

Me Autier, Heyte, Thierry

TI Nogent sur Marne, du 19 mars 2013

19 mars 2013

Suivant assignation en date du 18 octobre 2012, Madame Joussen a attrait la société Afibel pour la voir condamner à lui payer les sommes en principal de 2 850 euro et 5 000 euro, outre celle de 1 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du de procédure civile .

Au soutien de ses demandes, Madame Joussen exposait avoir été rendue destinataire de deux opérations de la société Afibel consistant en des opérations de loterie.

Elle indiquait qu'aux termes de ces deux opérations, elle aurait été désignée gagnante :

- d'une part d'un voyage en Turquie pour deux personnes pendant une semaine, pour lequel les dates fixées ne recueillant pas sa convenance elle serait fondée à opter pour un chèque bancaire de 2 850 euro ;

- d'autre part un chèque bancaire de 5 000 euro au " tirage spécial des 5 000 euro "

Elle exposait encore que ses mises en demeure faites à Afibel d'avoir à lui délivrer ses gains étant restées lettre morte, elle serait bien fondée à saisir le tribunal d'instance en application des dispositions de l'article L. 141-5 du Code de la consommation aux fins de voir condamner la société Afibel à lui payer ces sommes.

Par jugement en date du 19 mars 2013, le Tribunal d'Instance de Nogent sur Marne a débouté Madame Jeanne Germain épouse Joussen de l'ensemble de ses demandes, et l'a condamnée aux dépens.

Madame Jeanne Germain épouse Joussen a interjeté appel de cette décision par déclaration du 6 juin 2013.

Aux termes de ses conclusions du 17 décembre 2013, elle demande à la cour, infirmant le jugement, de condamner la Société Afibel à lui payer la somme de 7 850 euro avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation , celle de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel recouvrés conformément à l'article 699 du de procédure civile.

Elle fait valoir que concernant l'opération " grand tirage de printemps: voyage en Turquie ", l'indication qu'elle avait gagné " un voyage d'une semaine en Turquie pour 2 personnes ou (gratuit) un chèque d'une valeur de 2 850 euro " lui offrait bien une alternative et qu'elle était fondée à opter pour le chèque plutôt que le voyage.

Concernant l'opération " tirage des 5 000 euro ", elle soutient que l'ensemble des documents reçus par elle au titre de cette loterie entretenaient une fausse certitude artificiellement créée dans son 1'esprit par une mise en scène savamment organisée qui doit être sanctionnée par application des dispositions de l'article L. 133-2 du Code de la consommation, aucun aléa n'ayant été mis en évidence dans lesdits documents et le quasi contrat initié par la Société Afibel s'étant selon elle transformé en contrat normal dès lors que la pollicitation qui lui donne naissance a été acceptée par elle, tiers auquel elle était destinée.

La Société Afibel a conclu le 19 novembre 2013 à la confirmation du jugement, sollicitant une indemnité de 2 500 euro pour frais irrépétibles et la condamnation de l'appelante aux entiers dépens dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir que l'article L. 133-2 du Code de la consommation ne s'applique pas en l'espèce, que le spécimen complet et scellé de chacun des publipostages visés par Madame Joussen qu'elle verse aux débats pour éclairer la cour ne saurait être écarté comme le demande l'appelante qui fait seulement montre de mauvaise foi en ne produisant que des documents incomplets.

Sur l'opération " grand tirage de printemps: voyage en Turquie ", elle expose que le lot de 2 850 euro était le premier prix, le second prix consistant en autant de voyages pour 2 personnes d'une semaine en Turquie que de bons de participation d'une valeur commerciale de 1 000 euro, que toute personne qui participait à cette opération, avant le 31 juillet 2012, se voyait a minima gagnante du voyage en Turquie et qu'à l'issue de l'opération, le nom du gagnant du premier prix gardé secret par l'huissier a été porté à sa connaissance , s'agissant de Madame Colette Happe.

Elle soutient que les documents publicitaires reçus par Madame Joussen mettaient parfaitement en évidence l'aléa présidant à l'opération et étaient en outre parfaitement clairs quant au fait qu'il s'agissait de l'un ou l'autre de ces deux gains, sans qu'il soit à un moment laissé le choix à la cliente dans le gain à recevoir.

S'agissant de l'opération " tirage des 5 000 euro ", elle indique que cette opération a été adressée à ses clients en la forme simple et non recommandée et était dotée d'un premier prix de 5 000 euro, d'un second et d'un troisième prix consistant en un chèque bancaire d'une valeur de 1 000 euro et en quatrième prix, d'autant de chèques bancaires de 2 euro que de bons de participation retournés.

Elle fait valoir que l'aléa de cette opération ne reposait pas sur la possibilité de se voir remettre un chèque bancaire mais sur le montant du chèque bancaire gagné, que le sort a attribué à l'appelante le quatrième prix et que l'aléa sur le montant était bien mis en évidence à première lecture sur les documents qui lui avaient été adressés.

SUR CE, LA COUR

Madame Jeanne Germain épouse Joussen fonde ses demandes sur les dispositions de l'article L. 133-2 du Code de la consommation qui dispose que les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs ou aux non professionnels doivent être rédigés de manière claire et compréhensible.

Ces dispositions légales ne s'appliquent pas aux loteries publicitaires qui n'ont pas un caractère contractuel mais quasi-contractuel au sens de l'article 1371 du Code civil.

Elles ne créent aucune obligation pour le tiers auquel elles sont destinées de sorte qu'aucune acceptation de sa part ne saurait transformer l'acte en contrat.

Sur le fondement de l'article 1371 du Code civil, il doit être retenu que l'organisateur d'une loterie, qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence à première lecture l'existence d'un aléa, s'oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer.

La bonne foi du consommateur qui se prétend gagnant des premiers lots au titre d'opérations de loterie, est une composante nécessaire de la mise en œuvre de la responsabilité quasi-contractuelle de l'organisateur.

L'appelante a produit un certain nombre de documents et la Société Afibel a versé au débat un spécimen complet et scellé de chacun des publipostages, par courrier simple et non recommandé, adressés à ses clients, dont Madame Joussen, dans le cadre des opérations de loterie litigieuses, lesquels permettent un examen objectif des modalités mises en œuvre.

Aucun motif sérieux n'impose de les écarter des débats.

Sur l'opération " grand tirage de printemps "

L'opération était composée de :

- une enveloppe d'envoi,

- un pli accolé à l'enveloppe d'envoi comprenant un flyer intitulé " Preuve Officielle de Gain " et un autre document intitulé " exemplaire gagnant ",

- un courrier intitulé " Notification Officielle de Gain ",

- un document intitulé " présentation des prix ",

- une chemise intitulée " dossier gagnant " comportant un extrait du règlement de l'opération.

Sur l'enveloppe d'envoi, il était indiqué en toutes lettres :

" Suite au tirage du 4 avril 2012 à 14h30, il a été officiellement établi que :

Madame Joussen a gagné : un voyage en Turquie pour 2 personnes ou un chèque d'une valeur de 2 850 euro. "

A l'intérieur du pli accolé à l'enveloppe d'envoi, se trouvait un flyer intitulé " Preuve Officielle de Gain " sur laquelle la cliente pouvait lire qu'il s'agissait de :

" Un voyage d'une semaine en Turquie pour 2 personnes ou un chèque d'une valeur de 2 850 euro "

Sur le second document contenu dans le pli et intitulé " exemplaire gagnant ", le voyage d'une semaine pour deux personnes en Turquie était présenté avec plus de précisions sous le vocable de gain confirme puisqu'il constituait a minimale gain remporté par la cliente dans le cadre de cette opération et à aucun moment dans ce document le chèque bancaire de 2 850 euro n'était évoqué.

Au sein de l'enveloppe d'envoi, il y avait une " Notification Officielle de Gain " rappelant à deux reprises qu'il s'agissait soit d'un voyage en Turquie pour deux personnes, soit d'un chèque de 2 850 euro : " Que ce soit le voyage d'une semaine en Turquie, que ce soit le chèque d'une valeur de 2 850,00euro : l'un de ces 2 prix est bien à vous. ", dernière phrase étant soulignée.

Une page complète était par ailleurs consacrée à la représentation des deux prix en jeu.

Au recto, celle-ci s'intitulait :

" Grand tirage du printemps jeu gratuit sans obligation d'achat présentation des prix (suite au dos) et y apparaissait la représentation d'un chèque d'une valeur de 2 850 euro surmontée de la mention : " Un chèque d'une valeur de 2 850 euro "

Au verso, celle-ci s'intitulait :

" Grand tirage du printemps jeu gratuit sans obligation d'achat présentation des prix (suite) et y était présenté avec photographies :

" Un superbe voyage en Turquie pour 2 personnes d'une semaine ".

In fine, un extrait de règlement indiquait la dotation du jeu, libellée en ces termes :

" Art. 6/ Inventaire des lots mis en jeu : ce jeu est doté en 1er prix d'un chèque bancaire d'une valeur de 2 850 euro et en un 2ème prix d'autant de voyages pour 2 personnes d'une semaine en Turquie que de bons de participation retournés d'une valeur commerciale de 1 000 euro. "

" Ce voyage n'est valable que pour deux personnes et est non cessible en numéraire ".

Le règlement figurait bien dans le publipostage et son existence et son importance étaient par ailleurs portées à l'attention des clients destinataires dans les autres documents remis dans le cadre de cette opération.

Ainsi, notamment, le bon de participation précisait :

" N'omettez pas de lire l'extrait de règlement joint ' Règlement complet disponible gratuitement sur simple demande écrite à [...] ". Et sur ce bon de participation, Madame Joussen était invitée à cocher une case précisant :

" Oui, j'ai pris connaissance du règlement ci-joint, j'ai bien noté que j'ai gagné un voyage d'une semaine pour 2 personnes en Turquie ou un chèque de 2 850 euro. Afibel prendra contact avec moi ultérieurement pour convenir des modalités de remise du prix que j'ai gagné ".

La chemise intitulée " dossier gagnant " comportant un extrait du règlement de l'opération précisait: "Afibel organise...une opération promotionnelle soumise à aléas ce jeu est doté en 1er prix d'un chèque bancaire d'une valeur de 2 850 euro et en 2ème prix d'autant de voyages pour deux personne d'une semaine en Turquie que de bons de participation retournés d 'une valeur commerciale de 1 000 euro ".

Il apparaît donc qu'à aucun moment, comme le prétend à tort Madame Joussen, il n'est évoqué la possibilité pour la cliente de choisir entre ces deux prix, seule la certitude d'emporter l'un des deux prix étant avancée et si la locution " ou " est en l'espèce alternative comme le relève Madame Joussen, elle n'entraîne pas une possibilité de choix pour le consommateur mais souligne l'aléa relatif au prix effectivement gagné.

Madame Joussen prétend également à une ambigüité dans la mesure où le chèque de 2 850 euro serait plus en rapport avec le coût d'un voyage en Turquie pour deux personnes que celui de 1 000 euro avancé par la Société Afibel mais celle-ci produit aux débats des exemples de voyages en Turquie au sein d'hôtels 4 à 5 étoiles pour une semaine dont le coût avoisine bien , pour une personne, la somme de 500 euro.

Il résulte en conséquence de l'ensemble de ces éléments que la société Afibel a bien mis en lumière l'aléa résultant de l'attribution par tirage au sort soit du premier prix constitué du chèque, soit du voyage en Turquie non substituable à du numéraire, aléa qui pouvait être décelé à première lecture pour un consommateur normalement vigilant et attentif.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté Madame Joussen de ces demandes au titre de cette opération.

Sur l'opération " tirage des 5 000 euro "

L'opération était composée :

- d'une enveloppe d'envoi

- d'un document sur lequel était apposé un pli personnel doté au verso d'un certificat d'huissier et du règlement du jeu

- d'une lettre de la société Afibel au dos de laquelle figurait le bon de participation intitulée " demande de remise de prix ".

S'agissant de l'enveloppe d'envoi, il y était indiqué en très gros caractères blancs sur fond rouge " garantie de paiement d'un chèque de 5 000 euro " et au-dessus, en caractères minuscules blancs sur fond grisé " information concernant le 1e prix en jeu garanti "

Sur un second document, figure en très gros caractères sur le quart gauche supérieur de la feuille la mention " remise confirmée 5000 euro " précédée d'une case cochée d'une croix rouge et dans le quart gauche inférieur en petits caractères blancs sur fond rouge :

" Si votre nom apparaît en 1er sur la liste officielle tenue au secret par Maître Millois, Huissier de justice, vous avez alors la garantie de recevoir : "

Puis dessous en très gros caractères, la mention " un Chèque Bancaire de 5 000 00 euro ", à nouveau précédée d'une case cochée d'une croix rouge,

Et enfin, encore dessous en petits caractères noirs, une mention selon laquelle si le nom de Madame Joussen n'est pas en 1er sur la liste détenue par l'huissier, tout n'est pas perdu car les autres gagnantes des lots principaux figurant sur cette liste recevront quand même un chèque de 1 000 euro.

Il est fait référence en très petits caractères à un tirage au sort sous le contrôle de maître Millois, huissier de justice, sans qu'il soit permis de savoir de façon certaine si ce tirage a ou non déjà eu lieu et si la cliente a d'ores et déjà ou non été désignée comme la gagnante

Sur le quart inférieur droit de la feuille figure un pli à ouvrir en priorité sur lequel le nom de Madame Joussen figure en premier, entouré de rouge, suivi de trois autres noms comme " extrait de gagnantes d'un chèque bancaire ".

Au verso, figure un certificat d'huissier faisant état d'un 1er prix de 5 000 euro et de deux autres gagnantes des lots principaux gagnant chacune un chèque de 1 000 euro

Il n'est fait aucune allusion à des chèques de 2 euro.

La partie inférieure du verso de ce document comporte un extrait du règlement à la présentation peu aérée en caractères compacts et uniformes, dépourvu de toute signalétique spécifique contrairement au reste du document, et c'est dans ce paragraphe qu'apparaît de manière plus que discrète l'existence d'un quatrième prix d'autant de chèques bancaires de 2 euro que de bons de participation retournés.

Enfin, la lettre de la société Afibel au dos de laquelle figurait le bon détachable de participation intitulée " demande de remise de prix " , fait état au recto du 1er prix de 5 000 euro et des deux autres prix de 1 000 euro pour deux autres gagnantes de lots principaux, sans référence aucune au 4ème prix de 2 euro.

Au verso, la demande de remise de prix mentionne en très gros caractères le nom de Madame Joussen précédé d'une case cochée d'une croix rouge et, dessous, la mention " oui, mon nom figure parmi les noms de gagnants contenus dans le pli joint. Conformément au règlement de ce Tirage Spécial dont j'ai pris connaissance, je désire recevoir le chèque bancaire (en très gros caractères précédés d'une case cochée d'une croix rouge) que j'ai gagné au tirage spécial des 5 000 euro ".

La présentation de ces documents est telle que tout ce qui est de nature à faire croire au destinataire du courrier qu'il a gagné une somme d'argent est mis en évidence et en gros caractères, alors qu'en revanche les indications de nature à faire penser qu'un aléa ou un pré-tirage existerait sont présentées par les plus petits caractères du document, en des endroits et dans des couleurs les moins attirants pour les yeux.

Il résulte donc de ces documents adressés par la société Afibel organisatrice de la loterie qu'ils ne mettent pas en évidence l'aléa qui établirait aux yeux d'un destinataire normalement attentif que l'expéditeur ne s'est pas formellement et volontairement engagé à remettre le gain annoncé.

Non seulement le prix de 2 euro en réalité réservé à l'ensemble des destinataires renvoyant leur bon de participation, sauf trois d'entre eux, ne figure que dans un extrait de règlement trop peu apparent et trop confus pour permettre au consommateur d'en déduire l'existence d'un aléa , mais les documents, outre qu'ils annoncent pour deux autres personnes un gain de 1 000 euro et laissent croire par la personnalisation importante, les formules et les artifices calligraphiques utilisés que Madame Joussen, figurant en tête de la liste des gagnants, bénéficie du gain annoncé de 5 000 euro, sont au contraire révélateurs d'une volonté de faire croire à l'existence certaine d'un gain important .

La Société Afibel est mal venue de soulever la mauvaise foi de l'appelante au motif que celle-ci se serait " spontanément crue gagnante de deux opérations de la Société Afibel ", alors que selon la Société Afibel elle- même, Madame Joussen était en tout état de cause et a minima gagnante d'un voyage en Turquie dans la première opération et d'un chèque de 2 euro dans la seconde.

Il convient en conséquence d'infirmer le jugement en ce qu'il a débouté Madame Joussen de sa demande de délivrance du lot correspondant à cette opération publicitaire et de condamner la Société Afibel à lui délivrer le lot constitué par un chèque de 5 000 euro.

Au vu des circonstances de l'espèce, il apparaît équitable de laisser à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles.

La société Afibel qui succombe supportera les dépens de première instance et d'appel.

Par ces motifs LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, Confirme le jugement rendu le 19 mars 2013 par le Tribunal d'Instance de Nogent sur Marne en ce qu'il a débouté Madame Joussen de sa demande au titre de l'opération " grand tirage de printemps ", l'Infirme pour le surplus, Y substituant, Condamne la Société Afibel à délivrer à Madame Joussen le lot constitué par un chèque de 5 000 euro, Dit n'y avoir lieu à indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la Société Afibel aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers étant recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.