Cass. crim., 14 octobre 2015, n° 14-83.302
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
M. Soulard
Avocat général :
M. Sassoust
Avocats :
SCP Piwnica, Molinié, Me Ricard
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la société X, contre lordonnance n° 07271 du premier Président de la Cour dappel de Bordeaux, en date du 8 avril 2014, qui a confirmé lordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à effectuer des opérations de visite et saisie en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles et a prononcé sur la régularité desdites opérations ; - Vu les mémoires en demande, en défense, en réplique, et les observations complémentaires produits ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 450-4 du Code de commerce, 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, 591 et 593 du Code de procédure pénale, excès de pouvoir, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que le délégué du premier président de la Cour d'appel de Bordeaux a statué par une même décision sur les deux procédures relatives, d'une part, à l'appel de l'ordonnance d'autorisation et, d'autre part, au recours contre le déroulement des opérations et a confirmé l'autorisation de pratiquer des visites et des saisies et rejeté le recours contre le déroulement des opérations ainsi autorisées ;
"alors que l'examen par la même formation, dans une même décision, du bien-fondé de l'autorisation de pratiquer des visites et des saisies, et du recours formé contre le déroulement des opérations ainsi autorisées, est de nature à faire naître un doute raisonnable sur l'impartialité de la juridiction" ;
Attendu qu'en prévoyant que le recours intenté contre les opérations de visite est porté devant le même juge que l'appel contre l'ordonnance autorisant la visite, l'article L. 450-4 du Code de commerce ne porte pas atteinte au principe du procès équitable ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 450-4 du Code de commerce, 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, 591 et 593 du Code de procédure pénale, excès de pouvoir, défaut de motifs, manque de base légale :
"en ce que le premier président a confirmé l'ordonnance ayant validé l'autorisation de pratiquer des visites et des saisies dans les locaux appartenant à l'entreprise ;
"aux motifs que la société X en convient, en signant l'ordonnance pré-rédigée, le juge s'en approprie les motifs et le dispositif ; que, par ailleurs, les simples supputations de la société X sur l'impossibilité dans laquelle le juge se serait trouvé, pressé par le temps et ses lourdes charges habituelles, d'examiner la pertinence de la requête, sont inopérantes ; que la société X voudrait pour preuve de l'absence de contrôle par le juge des documents soumis à son examen une erreur matérielle qu'elle aurait décelée dans la requête et qui aurait été reprise dans l'ordonnance ; que l'Administration explique qu'il ne s'agit pas d'une erreur mais seulement d'une lecture erronée par la société X du tableau de synthèse qui figure à la page 7 de sa requête ; que le taux de suivi de 0 % pour la référence NHP K 2300 + T50 signifie qu'en raison des écarts considérables entre le prix conseillé et les prix de vente relevés, le prix conseillé n'est pas suivi ; qu'aussi, la société X succombe-t-elle sur ce premier moyen ;
"alors que le délégué du premier président, qui a constaté que le juge s'était borné à apposer sa signature sur une ordonnance rédigée par l'Administration, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations au regard des textes susvisés en refusant d'annuler l'ordonnance" ;
Attendu que, par application de l'article 561 du Code de procédure civile, le premier président qui annule l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant des opérations de visite et saisie doit se prononcer lui-même sur le bien-fondé de la requête de l'Administration ;
Qu'il s'ensuit que le moyen, qui fait grief à l'ordonnance attaquée de ne pas avoir annulé la décision du premier juge, alors qu'au surplus la reproduction, dans cette décision, de la requête de l'Administration, est sans effet sur sa validité, est inopérant ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'Homme L. 450-4, L. 420-1, L. 420-2, L. 442-5 du Code de commerce, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
"en ce que le premier président a confirmé l'ordonnance ayant validé l'autorisation de pratiquer des visites et des saisies dans les locaux appartenant à l'entreprise, en rejetant la demande tendant au cantonnement des effets de la saisie à la preuve des seules pratiques anticoncurrentielles contraires aux articles L. 420-2 ou L. 442-5 du Code de commerce, à l'exclusion de pratiques anticoncurrentielles contraires à l'article L. 420-1 du Code de commerce ;
"aux motifs qu'il ressort de la requête et des pièces qui l'accompagnent que toutes les enseignes vendant du matériel Y (mille cinq cent neuf relevés de prix sur toute la France dans de nombreux points de vente et de nombreuses enseignes, soixante catalogues publicitaires épluchés concernant les enseignes spécialisées en matière de bricolage) suivent d'une façon significative les prix conseillés par le fournisseur (taux de suivi entre 96 et 100 %) ; que, par ailleurs, l'Administration démontre que trente-cinq points de vente X ont fait l'objet de relevés de prix et que six de ses catalogues ont été examinés et que le taux de suivi du prix conseillé est particulièrement important ; que l'implication de la société X est par conséquent suffisamment établie ; que les pratiques anticoncurrentielles présumées sont de trois ordres (l'entente, l'abus de position dominante ou la pratique des prix imposés) ; que l'Administration a présenté au juge des indices permettant d'impliquer la société X dans ces pratiques anticoncurrentielles et notamment l'entente ; qu'en effet, les documents soumis à l'examen du juge des libertés mettent en évidence que la société Y diffusait auprès de ses distributeurs un tarif prix conseillés (auditions A et F), que toutes les enseignes, et donc X, suivent le tarif conseillé d'une façon quasi systématique, et en tout cas avec un taux moyen de 97,94 %, dans les points de vente physique et de 100 % pour les produits annoncés sur catalogue, et que par l'intermédiaire de la gestion des promotions avec retour des tickets de caisse, la société Y pouvait exercer une surveillance des prix pratiqués par ses distributeurs ; que l'Administration, pour des raisons qui lui sont propres et que le juge n'a pas à contrôler, peut vouloir cibler telle entreprise plutôt que telle autre ; qu'au cas d'espèce, dès lors que la société X est bien concernée comme il a été expliqué plus haut et qu'il existe des indices sérieux et concordants permettant de suspecter des pratiques anticoncurrentielles et notamment une entente avec la société Y, c'est à bon droit que le juge des libertés a autorisé visite et saisies dans les locaux de la société X ;
"1°) alors que le juge doit vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; qu'il lui appartient notamment de vérifier que l'Administration ne détourne pas la procédure prévue à l'article L. 450-4 du Code de commerce ; que, si l'Administration peut limiter sa requête à certains des opérateurs d'un marché, cette limitation ne peut donc être arbitraire et doit résulter de considérations objectives ; que, dès lors, l'Administration ne pouvait, pour borner sa requête à trois entreprises tout en reconnaissant que les pratiques litigieuses étaient le fait de l'ensemble des distributeurs de la marque Y, invoquer des raisons pratiques ;
"2°) et alors que dans des conclusions demeurées sans réponse, la société X faisait valoir que l'entente suspectée ne pouvait être révélée par la seule constatation d'un taux de concordance élevé entre les prix catalogue du fournisseur et ceux pratiqués par le distributeur, et supposait un accord de volonté et une police des prix qui n'étaient démontrés par aucun élément ;
"3°) alors que, de la même façon, la société X faisait valoir qu'une entente ne pouvait résulter de simples pratiques de surveillance des prix par " remontée " des tickets de caisse, pratique n'ayant rien de commun avec une police des prix, seule de nature à révéler l'existence d'une entente ;
"4°) alors que le délégué du premier président devait en tout état de cause, préciser en quoi les déclarations de MM. A et F respectivement co-président de la société Z et salarié de la société W, pouvaient faire présumer le comportement de la société X" ;
Attendu que les énonciations de l'ordonnance attaquée mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que le premier président de la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont il était saisi et caractérisé, s'étant référé, en les analysant, aux éléments d'information fournis par l'Administration, l'existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles justifiant la mesure autorisée ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6, § 1, et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, L. 422-11 du Code de la propriété intellectuelle, L. 450-4 du Code de commerce, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la demande tendant à l'annulation des saisies pratiquées dans les locaux de la société X le 20 décembre 2012, ainsi que la demande tendant à faire injonction à l'Administration d'identifier, parmi les pièces saisies, celles entrant dans le champ de l'autorisation ;
"aux motifs qu'il n'appartient pas au juge de vérifier si chacun des documents saisis entre ou non dans le champ de l'ordonnance du juge des libertés ; que chacune des parties ayant en main un exemplaire des documents saisis, il lui incombe, le cas échéant, de soumettre à l'arbitrage du juge la pertinence de la saisie de tel ou tel document qu'il devra spécifiquement identifier ; que par voie de conséquence, il importe peu que l'inventaire ne permet pas à la seule lecture de l'intitulé de chacun des documents saisis, dont d'ailleurs l'Administration prétend sans être démentie qu'il s'agit de l'intitulé original des pièces inventoriées, de vérifier si le fichier ou le document saisi entre ou non dans les prévisions de l'ordonnance du 7 décembre 2012 ; que, sur la validité des saisies informatiques, la société X ne peut prétendre que les saisies informatiques pratiquées ont été massives et indifférenciées alors que seul l'ordinateur de l'un de ses collaborateurs a fait l'objet d'une perquisition et que la saisie n'a porté que sur 0,32 % du contenu de la machine ; que, par ailleurs, la Cour de cassation reconnaît que, pour des raisons techniques, qu'il n'appartient pas au juge du contrôle de discuter, les messageries sont insécables et que, par voie de conséquence, la saisie de la totalité de la messagerie s'impose, dès lors qu'il a été constaté que, pour partie, elle contient des fichiers ou documents qui entrent dans le champ de l'autorisation donnée par le juge des libertés ; que, dès lors, que la société X ne prétend pas, à l'encontre des explications de l'Administration, que l'une ou l'autre des messageries saisies serait dans son intégralité hors champ, la saisie des trois messageries par l'Administration n'est pas critiquable ; que l'Administration convient que vingt-six fichiers saisis sont illisibles ; qu'elle en propose la restitution par destruction ; qu'il conviendra d'ordonner cette mesure qui est de nature à assurer la société X que ces fichiers ne pourront pas être utilisés ; que sur les saisies portant sur des correspondances couvertes par le secret des correspondances attaché à la profession d'avocat en propriété commerciale, la société X explique qu'ont été saisies des correspondances échangées entre ses avocats en propriété commerciale et son salarié qui seraient protégés par le secret des correspondances entre un client et son avocat ; que, comme le soutient l'Administration, la protection qui s'attache à ces correspondances est le secret des affaires qui, dans les limites des articles L. 463-4 et R. 463-13 à R. 463-15 du Code de commerce, n'est pas opposable à l'Administration et en tous cas ne peut donner lieu à une annulation des pièces saisies ; qu'aussi, la société X ne peut-elle prétendre à l'annulation pour la saisie de ces correspondances ; que, sur l'injonction d'identification des pièces saisies, la société X a en sa possession une copie de l'intégralité des pièces saisies ; que, si elle entend contester le bien-fondé de la saisie par l'Administration d'un document, il lui appartient de le désigner et d'expliquer en quoi il devrait être distrait de la saisie (document protégé ou document hors champ) ; qu'il n'y a donc pas enjoindre à l'Administration de justifier du bien-fondé de la saisie de chacun des documents saisis ; que la société X sera déboutée de sa demande d'injonction ;
"1°) alors que le procès-verbal des opérations et l'inventaire des pièces saisies, qui constituent les seuls moyens de contrôler la régularité des opérations et la conformité des saisies avec l'objet de l'autorisation, doivent être suffisamment précis pour permettre ce contrôle ; que l'absence de précision équivaut à une absence d'inventaire et doit entraîner l'annulation de la saisie ; que le premier président ne pouvait donc refuser de déterminer si l'inventaire était d'une précision suffisante pour remplir son office ;
"2°) alors que les fichiers informatiques ne peuvent faire l'objet de saisies globales qu'à raison de circonstances particulières qu'il appartient au juge du contrôle des opérations de caractériser ; que le délégué du premier président, qui a constaté que des fichiers de messagerie avaient fait l'objet d'une saisie globale, ne pouvait donc juger que celle-ci était valable sans caractériser de telles circonstances ;
"3°) alors qu'en tout état de cause, en se bornant, pour juger valable la saisie indifférenciée de l'ensemble d'une messagerie, à énoncer que "par ailleurs, la Cour de cassation reconnaît que, pour des raisons techniques, qu'il n'appartient pas au juge du contrôle de discuter, les messageries sont insécables et que, par voie de conséquence, la saisie de la totalité de la messagerie s'impose" le premier président a énoncé un motif d'ordre général ;
"4°) alors qu'il incombe à l'Administration de ne saisir que des pièces entrant dans le champ de l'autorisation ; qu'il n'était pas contesté que l'Administration avait saisi des messageries de façon globale ; que, dès lors, le juge devait lui enjoindre de déterminer, parmi les messages saisi, ceux qu'elle était en droit d'appréhender ;
"5°) alors que le pouvoir, reconnu aux agents de l'Autorité de la concurrence par l'article L. 450-4 du Code de commerce, de saisir des documents et supports informatiques, trouve sa limite dans le principe de la libre défense ; que les correspondances échangées avec un avocat en propriété intellectuelle sont couvertes par le secret professionnel, qui trouve sa justification notamment dans le principe de la libre défense ; que, dès lors, le délégué du premier président ne pouvait juger valables les saisies de correspondances échangées entre la société X et son avocat en propriété intellectuelle" ;
Attendu que, pour rejeter le recours formé contre les opérations de visite, l'ordonnance prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il résulte que l'inventaire des pièces saisies permettait à la société X, qui en avait conservé une copie, d'en connaître précisément la teneur et d'invoquer devant le premier président, le cas échéant, les éléments de nature à établir que certaines d'entre elles ne pouvaient être saisies, et dès lors, que la circonstance que des documents sont couverts par le secret professionnel n'exclut pas qu'ils soient saisis, le premier président, qui n'avait pas à apprécier la possibilité pour les enquêteurs de procéder autrement qu'ils ne l'ont fait, a justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Et attendu que l'ordonnance est régulière en la forme,
Rejette le pourvoi.