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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 14 octobre 2015, n° 13-09850

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Challenge International (SARL)

Défendeur :

Honda Motor Europe Limited (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mmes Nicoletis, Mouthon Vidilles

Avocats :

Mes Valcin, Ingold

TGI Paris, du 18 févr. 2013

18 février 2013

Faits et procédure :

Depuis 1999, la société Honda France, devenue Honda Motor Europe Limited, importateur des matériels Honda, a confié la distribution de ses motocycles sur le 12e arrondissement et le nord du 11e arrondissement de Paris, à la société à responsabilité limitée Challenge International, en dernier lieu en vertu de trois contrats du 2 janvier 2007, d'une durée déterminée d'un an, renouvelables par tacite reconduction par période d'un an, prenant fin en tout état de cause au 31 décembre 2011, portant respectivement sur des machines de cross, pièces de rechange et accessoires, des motos de moins de 125 cm3, pièces de rechange et accessoires, des motos de 126 cm3 et plus.

Par lettre recommandée du 25 avril 2008, la société Honda a mis en demeure la société Challenge International de retourner signés, sous 8 jours, les avenants déterminant notamment les objectifs quantitatifs, lui indiquant qu'à défaut elle se mettrait dans l'impossibilité de percevoir toute prime d'objectif et tout bonus prévus auxdits avenants. Elle indiquait que la présence récurrente de la marque KTM dans le showroom dédié à Honda ne pouvait que nuire à l'atteinte des objectifs, sans oublier le fait que cela constituait un manquement persistant aux obligations contractuelles. Elle concluait que, compte tenu des mauvaises relations commerciales entretenues et du non-respect du contrat de distribution (magasin non identifié, non-respect du monomarquisme, refus de signer les avenants), elle pourrait être amenée à résilier par anticipation leurs accords par application des articles 3 et 18.

La société Honda a adressé un courrier de rappel à la société Challenge le 13 mai 2008, puis le 17 juin 2008.

Par lettre recommandée du 13 octobre 2009, la société Honda a précisé :

- n'avoir pas reçu, malgré de nombreuses relances, les avenants 2008 et 2009 aux contrats de concession,

- que la société Challenge International n'avait donné, depuis 2005, aucune suite au dossier d'identification extérieur proposé, afin de permettre à la façade du magasin d'être en accord avec la charte européenne des concessions Honda Motocyles,

- n'avoir eu aucun retour sur la cession envisagée du fonds en 2008 et la cessation de la distribution des véhicules Honda, et déclaré qu'elle n'entendait pas renouveler les contrats en cours au-delà de l'échéance du 31 décembre 2010.

La société Challenge International a fait assigner, le 22 mars 2012, la société Honda France devant le Tribunal de grande instance de Paris.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives en date du 17 septembre 2012, elle demande, au visa des articles 1134 et 1147 du Code civil, la condamnation, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, de la défenderesse à lui payer les sommes suivantes :

- 41 338,34 euro au titre des primes et bonus pour les années 2008 à 2010,

- 50 000 euro à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive et vexatoire du contrat,

- 8 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement du 18 février 2013, le Tribunal de grande instance de Paris a :

- débouté la société Challenge International de l'ensemble de ses prétentions ;

- débouté la société Honda France de sa demande de dommages et intérêts ;

- condamné la société Challenge international à payer à la société Honda France une indemnité de 2 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné la société Challenge International aux dépens ;

- autorisé Maître Jean-Marc Landault, avocat au barreau de Paris, à recouvrer directement contre elle ceux des dépens dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.

Vu l'appel interjeté le 16 mai 2013 par la société Challenge International contre cette décision.

Vu les dernières conclusions signifiées le 25 mai 2015 par la société Challenge International dans lesquelles il est demandé à la cour de :

- réformer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté Honda France de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

Jugeant de nouveau :

- constater les fautes de Honda Motor Europe limited (aux droits de Honda France) ;

- dire et juger la rupture des relations contractuelles imputable à Honda Motor Europe limited, et fautives ;

- en tout état de cause, condamner Honda Motor Europe limited à payer à Challenge International la somme de 41 338,34 euro au titre des primes et bonus dus à Challenge pour les années 2008, 2009 et 2010 ;

- en tout état de cause, condamner Honda Motor Europe limited à payer à Challenge International la somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts ;

- condamner Honda Motor Europe limited à payer la somme de 10 000 euro à Challenge International en application de l'article 700 du Code de procédure civile, et aux entiers dépens, à recouvrer par Maître Valcin selon les termes de l'article 699 du Code de procédure civile ;

- condamner Honda Motor Europe limited aux entiers dépens.

L'appelante fait valoir que la société Honda a abusivement mis fin aux contrats les liant : elle rappelle que la fixation des objectifs doit être faite en commun et qu'à défaut elle est faite selon les modalités de l'article 7.1, que la société Honda a tenté d'imposer des objectifs disproportionnés, que son refus de signer les avenants concernant les objectifs de vente résulte de la liberté contractuelle.

Elle ajoute que la société Honda a commis une faute en ne lui versant pas les primes d'objectifs et bonus, ce qui a entraîné pour elle une baisse de son chiffre d'affaire et une situation de dépendance économique par rapport à la société Honda. Elle soutient qu'il s'agissait pour Honda d'adopter une stratégie globale destinée à l'évincer. Elle ajoute que sa demande en paiement de dommages et intérêts en remplacement des primes d'objectifs n'est pas prescrite.

Elle constate que la société Honda lui a fait croire qu'elle renouvellerait les contrats de concession et de distribution sélective. Elle estime que la société Honda a eu un comportement abusif en la menaçant de rompre les contrats, comportement qu'interdit l'article L. 442-6 4° du Code de commerce et en cherchant à imposer des aménagements non contractuels.

Elle fait valoir que la société Honda ne rapporte pas la preuve d'une quelconque faute. Elle estime qu'elle ne fait qu'exercer son droit et que son action n'est pas prescrite et encore moins abusive ou tardive.

Vu les dernières conclusions signifiées le 5 mai 2014 par la société Honda Motor Europe limited dans lesquelles il est demandé à la cour de':

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déboute la société Challenge International de ses prétentions et condamné celle-ci à payer à la société Honda Motor Europe limited la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- accueillir l'appel incident de la société Honda Motor Europe limited et ce faisant':

- condamner la société Challenge International à payer à la société Honda Motor Europe limited la somme de 1 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

- condamner en outre la société Challenge International à payer à la société Honda Motor Europe limited la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour,

- condamner la société Challenge International aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Ingold dans les termes de l'article 699 du Code de procédure civile.

L'intimée démontre que l'augmentation des objectifs a été fait en considération de ceux de l'année de 2007 et des ventes réalisés, conformément au contrat. Elle fait valoir que les objectifs et primes ont un caractère annuel, et que par conséquent, les primes de 2007 ne devaient pas être poursuivies les années suivantes dans la mesure où l'absence d'accord n'entraîne pas la reconduction tacite de ceux prévus précédemment. Ainsi, elle estime que la cour ne peut que rejeter la demande de la somme réclamée au titre des prétendus primes et bonus.

Elle précise que la rupture ne peut être qualifiée de rupture abusive et déloyale dans la mesure où elle a laissé un préavis de presque 15 mois. De plus, elle ajoute que la société Challenge International a manqué à ses obligations contractuelles, notamment celle d'identification et d'exclusivité, justifiant le non renouvellement du contrat.

Elle estime que l'action de la société Challenge International a un caractère abusif et n'est pas sérieuse, et demande 1 euro symbolique à titre de dommages et intérêts.

SUR CE,

Considérant que les contrats de concession comportent tous trois un article 7 rédigé dans les mêmes termes qui précise : " Le concessionnaire s'engage à acheter chaque année civile un nombre minimal de produits, fixé d'un commun accord entre le concédant et le concessionnaire, lequel figure en annexe 7 du présent contrat. Cet accord sera négocié chaque année par voie d'avenant. A défaut d'accord, la quantité minimale sera fixée par le concédant, en tenant compte notamment des ventes précédemment réalisées sur le territoire, des précisions sur le chiffre d'affaires du concessionnaire ainsi que des objectifs commerciaux du concédant et de ses estimations prévisionnelles de vente pour le territoire et au niveau national ",

Considérant qu'il résulte de ce texte que les objectifs sont définis tous les ans, que le principe de la fixation en commun des objectifs chaque année est posé, qu'à défaut d'accord et pour respecter la définition annuelle et éviter tout blocage, il appartient alors au concédant de fixer la " quantité minimale " selon certains critères non limitativement énumérés par l'article 7.1 ; que se trouve ainsi exclue la possibilité à défaut d'accord de reconduire les objectifs et primes de 2007,

Considérant que le concédant n'a pas obtenu l'accord du concessionnaire pour la fixation des objectifs de 2008 et 2009,

Considérant que les objectifs fixés par Honda étaient pour les motos 125 cm3 en 2002 : 90, en 2003 : 82, en 2004 : -, en 2005 : 105, en 2006 : 105, en 2007 : 116, et qu'il était proposé en 2008 : 130 et pour 2009 : 91 ; que les ventes réalisées étaient en 2007 : 77, en 2008 : 75, en 2009 : 27 et en 2010 : 5,

Considérant que pour les motos + 125 cm3, les objectifs fixés avaient été en 2002 de 110, en 2003 de 64, en 2004 de 50, en 2005 de 39, en 2006 de 37, en 2007 de 29 ; qu'il était proposé pour l'année 2008 : 54 et pour l'année 2009 : 33, que les ventes réalisées étaient en 2007 de 32, en 2008 de 18, en 2009 de 12 et en 2010 de 18,

Considérant pour les motos cross et quads que les objectifs avaient été en 2003 de 28, en 2004 -, en 2005 de 35, en 2006 de 20 et en 2007 de 10 ;

Considérant que les objectifs proposés pour 2008 et 2009 n'ont pas été acceptés par Challenge au motif que ceux-ci étaient disproportionnés alors qu'elle avait, selon ses propres dires, prévu une baisse de son chiffre d'affaires de 20 % pour l'année 2008 ;

Considérant toutefois que les objectifs de Honda sont établis au regard, notamment les ventes précédemment réalisées sur le territoire, des objectifs commerciaux du concédant et de ses estimations prévisionnelles de vente pour le territoire et au niveau national ; qu'en 2006, la société Challenge avait refusé d'accueillir la nouvelle enseigne Honda et que les photographies versées aux débats révèlent une absence complète d'identification comme concessionnaire officiel de la marque ; qu'elle présentait dans son show-room la présence de la marque KTM en contravention des termes du contrat ; qu'en 2008, elle faisait part de son souhait de cesser la marque Honda ; qu'elle reproche à Honda en février 2010 la présence de deux concessions à proximité manifestement sans raison alors que l'une était le remplacement d'une concession ayant cessé d'exister et l'autre se trouvait largement en dehors, par sa situation, de la zone de la société Challenge ; que la société Challenge est restée taisante sur les objectifs proposés pendant deux ans, n'a formulé aucune proposition, alors qu'elle recevait plusieurs courriers de la société Honda attirant son attention sur les conséquences de l'absence de fixation des objectifs ; que le refus de la société Challenge de retourner les avenants ne procédait manifestement pas du caractère disproportionné des objectifs qu'elle ne peut établir au regard du chiffre des ventes qu'elle réalisait dans de telles circonstances ;

Considérant que les primes sont obtenues en fonction de la réalisation de l'objectif annuel; qu'en l'espèce, les primes ne sont pas dues,

Considérant que les contrats de concession étaient conclus pour une durée d'un an expirant le 31 décembre et renouvelables tacitement par période d'une année également, qu'ils pouvaient être dénoncés par l'une quelconque des parties (article 17) par lettre recommandée avec accusé de réception moyennant un préavis de trois mois ; que c'est sans déloyauté que la société Honda a par courrier du 13 octobre 2009 mis fin au contrat en faisant part de sa volonté de ne pas le renouveler et en accordant un préavis de quinze mois qu'elle n'était pas dans l'obligation de donner ;

Considérant que c'est à tort que la société Challenge soutient que la société Honda a enfreint l'interdiction de l'article L. 442-6 1° du Code de commerce alors qu'elle n'a fait qu'user de la possibilité offerte par le contrat de ne pas le renouveler dans les circonstances ci-dessus décrites, que c'est à tort que la société Challenge soutient que seule la résiliation pouvait être prononcée judiciairement ; qu'enfin, la société Honda n'avait pas à motiver sa décision de ne pas renouveler, même si elle a cru bon de le faire ;

Considérant que le jugement sera confirmé,

Sur la demande de dommages-intérêts formée par la société Honda :

Considérant que l'accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, ce n'est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le fait d'intenter une action en justice est susceptible de constituer un abus ; qu'en l'espèce, il n'est pas établi que l'exercice par la société Challenge de son action était manifestement voué à l'échec et que cette action était intentée dans le dessein de nuire à la société Honda ; que la demande de dommages-intérêts sera rejetée,

Par ces motifs LA COUR, Confirme le jugement, Condamne la société Challenge à payer à la société Honda la somme de 8000 euro à titre d'indemnité pour frais irrépétibles exposés en appel, Déboute la société Honda de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, Condamne la société Challenge aux entiers dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile pour le conseil de la société Honda.