CJCE, 6e ch., 13 décembre 2001, n° C-481/99
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Heininger
Défendeur :
Bayerische Hypo- und Vereinsbank AG
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Macken
Avocat général :
M. Léger
Juges :
MM. Gulmann (rapporteur), Puissochet, Skouris, Cunha Rodrigues
Avocats :
Mes Nirk, Gross, Niemeyer, Berg
LA COUR (sixième chambre),
1. Par ordonnance du 29 novembre 1999, parvenue à la Cour le 20 décembre suivant, le Bundesgerichtshof a posé, en vertu de l'article 234 CE, deux questions préjudicielles sur l'interprétation de la directive 85/577/CEE du Conseil, du 20 décembre 1985, concernant la protection des consommateurs dans le cas de contrats négociés en dehors des établissements commerciaux (JO L 372, p. 31, ci-après la "directive sur le démarchage à domicile"), et de la directive 87/102/CEE du Conseil, du 22 décembre 1986, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de crédit à la consommation (JO 1987, L 42, p. 48), telle que modifiée par la directive 90/88/CEE du Conseil, du 22 février 1990 (JO L 61, p. 14, ci-après la "directive sur le crédit à la consommation").
2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant M. et Mme Heininger à la Bayerische Hypo- und Vereinsbank AG (ci-après la "banque") au sujet de la révocation d'un contrat de crédit garanti par une sûreté sur un bien immobilier.
Le droit communautaire
3. L'article 1er, paragraphe 1, de la directive sur le démarchage à domicile dispose:
"La présente directive s'applique aux contrats conclus entre un commerçant fournissant des biens ou des services et un consommateur:
- pendant une excursion organisée par le commerçant en dehors de ses établissements commerciaux
ou
- pendant une visite du commerçant:
i) chez le consommateur ou chez un autre consommateur;
[...]
lorsque la visite n'a pas lieu à la demande expresse du consommateur."
4. L'article 3, paragraphe 2, sous a), de cette directive prévoit:
"La présente directive ne s'applique pas:
a) aux contrats relatifs à la construction, à la vente et à la location des biens immobiliers ainsi qu'aux contrats portant sur d'autres droits relatifs à des biens immobiliers.
[...]"
5. L'article 4 de la même directive énonce:
"Le commerçant est tenu d'informer par écrit le consommateur, dans le cas de transactions visées à l'article 1er, de son droit de résilier le contrat au cours des délais définis à l'article 5 ainsi que des nom et adresse d'une personne à l'égard de laquelle il peut exercer ce droit.
[...]
Les États membres veillent à ce que leur législation nationale prévoie des mesures appropriées visant à protéger le consommateur lorsque l'information visée au présent article n'est pas fournie."
6. Aux termes de l'article 5, paragraphe 1, de cette directive, le consommateur a "le droit de renoncer aux effets de son engagement en adressant une notification dans un délai d'au moins sept jours à compter du moment où le consommateur a reçu l'information visée à l'article 4 et conformément aux modalités et conditions prescrites par la législation nationale".
7. L'article 8 de ladite directive dispose que celle-ci "ne fait pas obstacle à ce que les États membres adoptent ou maintiennent des dispositions encore plus favorables en matière de protection des consommateurs dans le domaine couvert par elle".
8. L'article 1er, paragraphes 1 et 2, sous c), de la directive sur le crédit à la consommation dispose:
"1. La présente directive s'applique aux contrats de crédit.
2. Aux fins de la présente directive, on entend par:
[...]
c) 'contrat de crédit' un contrat en vertu duquel un prêteur consent ou s'engage à consentir à un consommateur un crédit sous la forme d'un délai de paiement, d'un prêt ou de toute autre facilité de paiement similaire.
[...]"
9. L'article 2 de la même directive prévoit:
"1. La présente directive ne s'applique pas:
a) aux contrats de crédit ou de promesse de crédit:
- destinés principalement à permettre l'acquisition ou le maintien de droits de propriété sur un terrain ou sur un immeuble construit ou à construire,
[...]
[...]
3. Les dispositions de l'article 1er bis et des articles 4 à 12 ne s'appliquent pas aux contrats de crédit ou promesses de crédit garantis par une hypothèque sur un bien immeuble, dans la mesure où ceux-ci ne sont pas déjà exclus du champ d'application de la présente directive en vertu du paragraphe 1 point a).
[...]"
10. Aux termes de son article 15, la même directive "n'empêche pas les États membres de maintenir ou d'adopter des dispositions plus strictes pour la protection des consommateurs, compte tenu des obligations qui leur incombent au titre du traité".
Le droit national
11. Le Gesetz über den Widerruf von Haustürgeschäften und ähnlichen Geschäften (loi relative à la révocation de contrats conclus par démarchage à domicile et de transactions similaires), du 16 janvier 1986 (BGBl. I, p. 122, ci-après le "HWiG"), prévoit, à son article 1er, un droit de révocation pour le consommateur, de sorte qu'une transaction conclue hors des locaux du commerçant ne prend effet que si le consommateur n'a pas révoqué par écrit sa déclaration de volonté dans un délai d'unesemaine. Selon l'article 2, paragraphe 1, du HWig, le délai ne commence à courir qu'à partir du moment où une information répondant aux exigences de fond prévues par la loi a été communiquée par écrit au consommateur. En l'absence de communication d'une telle information, le droit de révocation du consommateur ne s'éteint qu'un mois après l'exécution par les deux parties de la totalité de leurs obligations.
12. L'article 5, paragraphe 2, du HWig contient une exception au champ d'application de cette loi en ce qu'il prévoit que, si une transaction au sens de l'article 1er, paragraphe 1, du HWiG est soumise au Verbraucherkreditgesetz (loi sur le crédit à la consommation) du 17 décembre 1990 (BGBl. I, p. 2840, ci-après le "VerbrKrG"), seules les dispositions de cette dernière loi sont applicables.
13. Le champ d'application du VerbrKrG est défini comme suit à son article 1er:
"1) La présente loi s'applique aux contrats de crédit et aux contrats d'intermédiation de crédit passés entre une personne, qui accorde un crédit (le donneur de crédit) ou en indique ou en négocie un (l'intermédiaire de crédit) dans l'exercice de son activité professionnelle, et une personne physique, sous réserve que le crédit, selon les termes du contrat, ne soit pas destiné à l'activité professionnelle déjà exercée par cette dernière (le consommateur).
2) Le contrat de crédit est un contrat par lequel un donneur de crédit accorde ou promet à un consommateur, à titre onéreux, un crédit, prenant la forme d'un prêt, d'un report de paiement ou d'une autre aide financière.
[...]"
14. L'article 3, paragraphe 2, du VerbrKrG, qui définit des exceptions à son champ d'application, dispose:
"Ne sont pas applicables, en outre, [...]
[...]
2. l'article 4, paragraphe 1, quatrième phrase, point 1, sous b), et les articles 7, 9 et 11 à 13 aux contrats de crédit selon lesquels le crédit est subordonné à la constitution d'une sûreté immobilière et est accordé à des conditions habituelles pour des crédits garantis par une sûreté immobilière et leur financement intermédiaire [...]"
15. L'article 7 du VerbrKrG, qui prévoit un droit de révocation du consommateur, est libellé comme suit:
"1) La déclaration par laquelle le consommateur dit vouloir conclure un contrat de crédit ne prend effet que si l'intéressé ne l'a pas révoquée par écrit dans un délai d'une semaine.
2) L'envoi de la révocation en temps utile suffit pour le respect du délai. Celui-ci ne court qu'à partir du moment où le consommateur reçoit une information clairement lisible, à contresigner à part par le consommateur, sur la disposition de la première phrase, comportant l'indication de son droit à révocation, de la perte de celui-ci en vertu du paragraphe 3, ainsi que du nom et de l'adresse du destinataire de la révocation. Si le consommateur ne bénéficie pas d'une information conforme à la deuxième phrase, le droit à révocation ne s'éteint que lorsque les deux parties ont accompli en totalité la prestation, mais au plus tard un an après que le consommateur a déclaré vouloir conclure un contrat de crédit."
Le litige au principal et les questions préjudicielles
16. Pour financer le prix d'achat d'un appartement, M. et Mme Heininger ont souscrit un prêt d'un montant de 150 000 DEM auprès de la banque, par un contrat des 28 avril et 7 mai 1993 (ci-après le "contrat de prêt"). Le prêt a été garanti par une "Grundschuld" (sûreté foncière) du même montant.
17. Par une action en justice engagée en janvier 1998, M. et Mme Heininger entendent révoquer leur déclaration de volonté tendant à la conclusion du contrat de prêt, conformément à l'article 1er du HWiG. Ils prétendent qu'un agent immobilier qu'ils connaissaient, exerçant à titre indépendant des activités pour la banque, s'est rendu à leur domicile à plusieurs reprises, sans qu'ils l'aient sollicité. Cet agent les y aurait incités à acheter l'appartement concerné et à conclure le contrat de prêt. Il ne les aurait pas informés de l'existence d'un droit de révocation.
18. M. et Mme Heininger exigent de la banque le remboursement des sommes versées en capital et intérêts ainsi que la restitution de frais relatifs à l'exécution du contrat de prêt, à savoir un montant total de 118 443,81 DEM. Ils demandent en outre que soit constaté que la banque ne tire aucun droit du contrat de prêt.
19. Le 26 mai 1998, le Landgericht München (Allemagne) a rejeté la demande de M. et Mme Heininger. Le 1er février 1999, l'Oberlandesgericht München (Allemagne) a rejeté l'appel interjeté contre ce jugement. M. et Mme Heininger ont alors introduit un recours en "Revision" auprès du Bundesgerichtshof.
20. Dans son ordonnance de renvoi, le Bundesgerichtshof relève qu'il est essentiel, pour la solution du litige au principal, de déterminer si un droit de révocation en vertu de l'article 1er du HWiG est exclu au motif que le VerbrKrG, applicable aux contrats de crédit foncier, primerait la réglementation du HWiG. La réponse à cette question dépendrait du point de savoir si les contrats de crédit foncier relèvent aussi de la directive sur le démarchage à domicile et s'il y a lieu d'accorder à celle-ci la primauté, en ce qui concerne le droit de révocation prévu à son article 5, sur la directive sur le crédit à la consommation.
21. Le Bundesgerichtshof estime, en premier lieu, que M. et Mme Heininger ne bénéficient d'aucun droit de révocation en application de l'article 7 du VerbrKrG étant donné qu'il résulte de l'article 3, paragraphe 2, point 2, de cette loi que son article 7 n'est pas applicable aux contrats de crédit foncier. Il considère, en second lieu, que, en principe, un droit de révocation en application de l'article 1er du HWiG est exclu étant donné que l'article 5, paragraphe 2, de celui-ci dispose que, lorsqu'une transaction au sens de l'article 1er, paragraphe 1, du HWiG est soumise au VerbrKrG, ce qui est le cas en l'espèce au principal, seules les dispositions de cette dernière loi sont applicables.
22. Le Bundesgerichtshof est d'avis que le droit communautaire relatif à la protection du consommateur n'impose pas une interprétation différente de l'article 5, paragraphe 2, du HWiG, mais il demande à la Cour de se prononcer sur ce point puisque des doutes peuvent subsister.
23. Pour le cas où, en vertu de la directive sur le démarchage à domicile, il y aurait lieu d'admettre un droit de révocation au profit de M. et Mme Heininger, la solution du litige au principal dépend, selon la juridiction de renvoi, de la question de savoir si ce droit de révocation s'éteint à l'expiration d'un délai d'un an à compter du moment où le consommateur a déclaré vouloir conclure le contrat de crédit foncier, conformément à une application par analogie de l'article 7, paragraphe 2, troisième phrase, du VerbrKrG, ou si sont applicables les dispositions du HWiG qui, conformément à l'article 5, paragraphe 1, de la directive sur le démarchage à domicile, ne prévoient pas de limitation dans le temps du droit de révocation en l'absence de communication de l'information requise.
24. Dans ces circonstances, le Bundesgerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
"1) La directive 85/577/CEE du Conseil, du 20 décembre 1985, concernant la protection des consommateurs dans le cas de contrats négociés en dehors des établissements commerciaux [...], s'applique-t-elle également aux contrats de crédit foncier (article 3, paragraphe 2, point 2, du VerbrKrG) et bénéficie-t-elle, en ce qui concerne le droit de révocation prévu à l'article 5, d'une primauté sur la directive 87/102/CEE du Conseil, du 22 décembre 1986, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de crédit à la consommation [...] ?
2) Si la Cour répond par l'affirmative à cette question :
La directive sur le démarchage à domicile s'oppose-t-elle à ce que le législateur national applique également le délai prévu à l'article 7, paragraphe 2, troisième phrase, du VerbrKrG pour l'exercice du droit de révocation aux cas dans lesquels un contrat conclu par démarchage à domicile a pour objet l'octroi d'un crédit foncier au sens de l'article 3, paragraphe 2, point 2, du VerbrKrG, lorsque l'information prévue à l'article 4 de la directive n'a pas été fournie ?"
Sur la première question
25. Compte tenu des observations de la banque selon lesquelles l'espèce au principal ne relève pas du champ d'application de la directive sur le démarchage à domicile tel que délimité à son article 1er, il convient de souligner à titre liminaire que la question soumise à la Cour par le Bundesgerichtshof part de la prémisse que le contrat de crédit foncier entre M. et Mme Heininger, d'une part, et la banque, d'autre part, a été conclu dans des conditions visées à l'article 1er de ladite directive.
26. Il y a donc lieu de répondre, sur le fondement de cette prémisse, à la première question. Par cette question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive sur le démarchage à domicile doit être interprétée en ce sens qu'elle s'applique à un contrat de crédit foncier tel que celui en cause au principal, de sorte que le consommateur qui a conclu un contrat de ce type dans l'un des cas visés à son article 1er dispose du droit de révocation instauré par son article 5.
27. À cet égard, il convient d'abord de rappeler que la directive sur le démarchage à domicile est applicable, conformément à son article 1er, en principe à tout contrat conclu dans les cas visés à cet article et notamment dans le cas d'une visite du commerçant chez le consommateur. En outre, les quatrième et cinquième considérants de ladite directive énoncent ce qui suit:
"[...] les contrats conclus en dehors des établissements commerciaux du commerçant se caractérisent par le fait que l'initiative des négociations émane normalement du commerçant et que le consommateur ne s'est, en aucune façon, préparé à ces négociations et se trouve pris au dépourvu; [...] souvent, il n'est pas à même de comparer la qualité et le prix de l'offre avec d'autres offres; [...] cet élément de surprise entre généralement en ligne de compte, non seulement pour les contrats conclus par démarchage à domicile, mais également pour d'autres formes de contrat dont le commerçant prend l'initiative en dehors de ses établissements commerciaux;
[...] il y a lieu d'accorder au consommateur un droit de résiliation pendant une durée de sept jours au moins, afin de lui donner la possibilité d'apprécier les obligations qui découlent du contrat".
28. Il y a lieu ensuite de rappeler que, en son article 3, la directive sur le démarchage à domicile énumère, de manière limitative, un certain nombre de types de contrats auxquels elle ne s'applique pas.
29. Dans le cas de l'espèce au principal, la question qui se pose est celle de savoir si un contrat de crédit foncier tel que celui en cause au principal est couvert par l'article 3, paragraphe 2, sous a), de la directive sur le démarchage à domicile, qui exclut de son champ d'application les "contrats relatifs à la construction, à la vente et à la location des biens immobiliers ainsi qu'aux contrats portant sur d'autres droits relatifs à des biens immobiliers".
30. Si M. et Mme Heininger, les gouvernements français, italien et autrichien ainsi que la Commission sont d'avis que la disposition mentionnée au point précédent n'est pas applicable aux contrats de crédit foncier, la banque ainsi que les gouvernements allemand et espagnol considèrent, en substance, qu'un contrat de crédit foncier constitue un contrat relatif à des droits sur des biens immobiliers puisqu'il crée un droit réel sur l'immeuble qui constitue l'assiette de la sûreté garantissant le crédit.
31. À cet égard, il y a lieu de relever, premièrement, qu'il est de jurisprudence constante que des dérogations aux règles communautaires visant à protéger les consommateurs sont d'interprétation stricte (voir, notamment, arrêt du 10 mai 2001, Veedfald, C-203/99, Rec. p. I-3569, point 15).
32. Il convient d'observer, deuxièmement, que, si un contrat de crédit foncier, tel que celui en cause au principal, se rattache à un droit relatif à un bien immobilier, dans la mesure où le prêt accordé doit être garanti par une sûreté immobilière, cet élément du contrat ne suffit pas à considérer que ledit contrat porte sur un droit relatif à des biens immobiliers au sens de l'article 3, paragraphe 2, sous a), de la directive sur le démarchage à domicile.
33. En effet, pour les consommateurs, que la directive sur le démarchage à domicile vise à protéger, ainsi que pour les prêteurs, l'objet d'un contrat de crédit tel que celui en cause au principal est l'octroi de fonds lié à l'obligation corrélative de remboursement et de paiement d'intérêts.
34. Or, le fait que le contrat de crédit est garanti par une sûreté immobilière ne saurait rendre moins nécessaire la protection accordée au consommateur ayant conclu un tel contrat en dehors des établissements du commerçant.
35. À toutes fins utiles, il convient d'ajouter que, si un contrat de crédit comme celui en cause au principal tombe ainsi dans le champ d'application de la directive sur le démarchage à domicile, les conséquences d'une éventuelle révocation de ce contrat, intervenue conformément aux règles de la même directive, sur le contrat d'achat du bien immobilier et la constitution de la sûreté immobilière relèvent du droit national.
36. Enfin, il convient d'examiner la question de savoir si la directive sur le crédit à la consommation, adoptée postérieurement à la directive sur le démarchage à domicile, a limité le champ d'application de cette dernière directive pour ce qui concerne les contrats de crédit foncier.
37. Selon le gouvernement allemand, la directive sur le crédit à la consommation prévaut sur la directive sur le démarchage à domicile en vertu du principe "lex specialis derogat legi generali". Le fait que la directive sur le crédit à la consommation se borne à recommander l'instauration d'un droit de révocation pour les contrats de crédit, sansl'imposer, contrairement à la directive sur le démarchage à domicile, serait révélateur de ce que la directive sur le crédit à la consommation constitue, s'agissant des contrats de crédit foncier, un acte de droit communautaire plus spécifique. La directive sur le crédit à la consommation aurait ainsi tenu compte du fait que l'instauration d'un droit de révocation pourrait se révéler problématique à l'égard de certains contrats de crédit et, plus particulièrement, des contrats de crédit foncier.
38. À cet égard, il suffit de souligner, d'une part, que la directive sur le démarchage à domicile vise, comme il vient d'être rappelé, à protéger le consommateur contre le risque découlant des circonstances propres à la conclusion d'un contrat en dehors des établissements du commerçant et, d'autre part, que la protection du consommateur y est réalisée par l'instauration d'un droit de révocation.
39. Or, ni le préambule ni le dispositif de la directive sur le crédit à la consommation ne comportent des éléments faisant apparaître que le législateur communautaire a entendu, par l'adoption de cette directive, limiter le champ d'application de la directive sur le démarchage à domicile afin que la protection spécifique accordée par cette seconde directive ne s'applique pas aux contrats de crédit foncier.
40. Par conséquent, il y a lieu de répondre à la première question que la directive sur le démarchage à domicile doit être interprétée en ce sens qu'elle s'applique à un contrat de crédit foncier tel que celui en cause au principal, de sorte que le consommateur qui a conclu un contrat de ce type dans l'un des cas visés à son article 1er dispose du droit de révocation instauré par son article 5.
Sur la seconde question
41. Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive sur le démarchage à domicile s'oppose à ce que le législateur national applique un délai d'un an à compter de la conclusion du contrat pour l'exercice du droit de révocation instauré par l'article 5 de cette directive, lorsque le consommateur n'a pas bénéficié de l'information prévue à l'article 4 de ladite directive.
42. M. et Mme Heininger, le gouvernement français et la Commission soutiennent que, en l'absence d'information au sujet du droit de révocation, la directive sur le démarchage à domicile ne limite pas dans le temps l'exercice de ce droit. L'article 5 de ladite directive s'opposerait à une mesure nationale limitant à un an à compter de la conclusion du contrat le délai d'exercice du droit de révocation d'un consommateur qui n'a pas été informé de ce droit. En effet, le délai minimal de sept jours prévu à cette disposition pour la révocation devrait être décompté à partir du moment où le consommateur a été informé par écrit de ce droit.
43. La banque ainsi que les gouvernements allemand, italien et autrichien font valoir que, compte tenu que l'article 4 de la directive sur le démarchage à domicile dispose queles États membres veillent à ce que leur législation nationale prévoie des mesures appropriées visant à protéger le consommateur lorsque celui-ci n'a pas été informé de son droit de révocation, il est loisible au législateur national de limiter à un an le délai d'exercice du droit de révocation prévu à l'article 5 de cette directive. En outre, même si cette directive ne prévoyait pas expressément une limitation dans le temps du droit de révocation, le principe de sécurité juridique imposerait de fixer un délai pour l'exercice de ce droit.
44. À cet égard, il y a lieu, d'abord, de rappeler que l'article 4, premier alinéa, de la directive sur le démarchage à domicile dispose que "[l]e commerçant est tenu d'informer par écrit le consommateur [...] de son droit de résilier le contrat au cours des délais définis à l'article 5" et que l'article 4, troisième alinéa, de la même directive dispose que "[l]es États membres veillent à ce que leur législation nationale prévoie des mesures appropriées visant à protéger le consommateur lorsque l'information visée au présent article n'est pas fournie". L'article 5, paragraphe 1, de cette directive prévoit que "[l]e consommateur a le droit de renoncer aux effets de son engagement en adressant une notification dans un délai d'au moins sept jours à compter du moment où le consommateur a reçu l'information visée à l'article 4 et conformément aux modalités et conditions prescrites par la législation nationale".
45. Il convient, ensuite, de souligner que la directive sur le démarchage à domicile dispose ainsi expressément que le délai minimal de sept jours prévu pour la révocation doit être calculé "à compter du moment où le consommateur a reçu l'information" relative à son droit de révocation et que l'obligation de fournir cette information incombe au commerçant. Ces dispositions s'expliquent par la considération que, si le consommateur n'a pas connaissance de l'existence d'un droit de révocation, il se trouve dans l'impossibilité de l'exercer.
46. Compte tenu du libellé de l'article 5 de la directive sur le démarchage à domicile et de sa finalité, il n'est pas possible d'interpréter l'article 4, troisième alinéa, de cette directive comme permettant au législateur national de prévoir que le droit de révocation du consommateur doit en tout état de cause être exercé dans un délai d'un an, même si le commerçant n'a pas informé le consommateur de l'existence de ce droit.
47. Enfin, quant à l'argument selon lequel il est indispensable de limiter le délai d'exercice du droit de révocation pour des motifs de sécurité juridique, il convient d'observer que de tels motifs ne peuvent prévaloir dans la mesure où ils impliquent une limitation des droits expressément accordés par la directive sur le démarchage à domicile au consommateur pour le protéger contre les risques découlant du fait que les institutions de crédit ont choisi de conclure des contrats de crédit foncier en dehors de leurs établissements commerciaux. En effet, si ces institutions choisissent de telles méthodes pour commercialiser leurs services, elles peuvent sans difficulté sauvegarder tant les intérêts des consommateurs que leurs propres exigences de sécurité juridique en se conformant à leur obligation d'informer ceux-ci.
48. Au vu de ces considérations, il y a lieu de répondre à la seconde question que la directive sur le démarchage à domicile s'oppose à ce que le législateur national applique un délai d'un an à compter de la conclusion du contrat pour l'exercice du droit de révocation instauré par l'article 5 de cette directive, lorsque le consommateur n'a pas bénéficié de l'information prévue à l'article 4 de ladite directive.
Sur les effets du présent arrêt dans le temps
49. Dans ses observations, la banque a évoqué la possibilité pour la Cour, au cas où celle-ci considérerait que la réglementation allemande en cause au principal est incompatible avec le droit communautaire, de limiter dans le temps les effets du présent arrêt.
50. À l'appui de cette demande, la banque fait valoir, notamment, que l'application du droit de révocation prévu par la directive sur le démarchage à domicile aux contrats de crédit foncier crée un risque financier significatif pour les institutions de crédit.
51. Il convient de rappeler que l'interprétation que la Cour donne d'une disposition de droit communautaire se limite à éclairer et à préciser la signification et la portée de celle-ci, telle qu'elle aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de son entrée en vigueur (arrêt du 24 septembre 1998, Commission/France, C-35/97, Rec. p. I-5325, point 46).
52. Conformément à une jurisprudence constante, selon laquelle la Cour peut, à titre exceptionnel, par application d'un principe général de sécurité juridique inhérent à l'ordre juridique communautaire, compte tenu des troubles graves que son arrêt pourrait entraîner pour le passé dans des relations juridiques établies de bonne foi, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d'invoquer une disposition qu'elle a interprétée en vue de remettre en cause ces relations juridiques, la Cour s'est attachée à vérifier l'existence des deux critères essentiels pour qu'une telle limitation puisse être décidée, à savoir la bonne foi des milieux intéressés et le risque financier significatif (voir, en ce sens, arrêt du 28 septembre 1994, Fisscher, C-128/93, Rec. p. I-4583, point 18).
53. À cet égard, il suffit de constater que la banque n'a apporté aucun élément précis susceptible de conforter son argument selon lequel le présent arrêt risquerait, si ses effets n'étaient pas limités dans le temps, d'entraîner des conséquences financières significatives pour les institutions de crédit qui ont conclu des contrats de crédit foncier dans les conditions visées à l'article 1er de la directive sur le démarchage à domicile.
54. Par conséquent, il n'y a pas lieu de limiter dans le temps les effets du présent arrêt.
Sur les dépens
55. Les frais exposés par les gouvernements allemand, espagnol, français, italien et autrichien, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre),
statuant sur les questions à elle soumises par le Bundesgerichtshof, par ordonnance du 29 novembre 1999, dit pour droit:
1) La directive 85/577/CEE du Conseil, du 20 décembre 1985, concernant la protection des consommateurs dans le cas de contrats négociés en dehors des établissements commerciaux, doit être interprétée en ce sens qu'elle s'applique à un contrat de crédit foncier tel que celui en cause au principal, de sorte que le consommateur qui a conclu un contrat de ce type dans l'un des cas visés à son article 1er dispose du droit de révocation instauré par son article 5.
2) La directive 85/577 s'oppose à ce que le législateur national applique un délai d'un an à compter de la conclusion du contrat pour l'exercice du droit de révocation instauré par l'article 5 de cette directive, lorsque le consommateur n'a pas bénéficié de l'information prévue à l'article 4 de ladite directive.