CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 15 octobre 2015, n° 14-07926
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Grohe France (SARL)
Défendeur :
Ahiamoe
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mme Rohart-Messager, M. Dabosville
Avocats :
Mes Taze Bernard, Routhe Beaucart, Benoist, Verniole Davet, Hammou
Faits et procédure
M. Ahiamoe a exercé à titre individuel sous l'enseigne Saminex une activité de transport et de routage, entretenant depuis 1991 des relations quasi exclusives avec la société Grohe qui, en 2009, a mis fin à cette relation commerciale.
C'est dans ces conditions que M. Ahiamoe a saisi le Tribunal de commerce de Paris qui, par jugement du 13 mars 2014 assorti de l'exécution provisoire, a :
- condamné la société Grohe à payer à M. Ahiamoe la somme de 47 092 euro,
- l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts,
- condamné la société Grohe à lui payer la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu l'appel interjeté le 9 avril 2014 par la société Grohe.
Vu les conclusions signifiées le 12 juin 2015 par la société Grohe qui demande à la cour de :
- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 13 mars 2014.
- Débouter Monsieur Kokou Ahiamoe de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions et notamment de son appel incident.
A titre subsidiaire,
- Fixer la durée du préavis dû par la société Grohe à Monsieur Kokou Ahiamoe à une durée de six mois ;
En tout état de cause,
- En cas de confirmation, totale ou partielle déduire de la durée du préavis dû par la société Grohe à Monsieur Kokou Ahiamoe la période de trois mois effectuée ;
- Condamner Monsieur Kokou Ahiamoe à la somme de 4 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile et le débouter de sa demande de ce chef.
La société Grohe fait valoir que dès le mois de janvier 2009, elle avait informé M. Ahiamoe qu'il serait mis fin à la relation commerciale à compter du mois d'avril suivant et qu'ainsi il a bénéficié d'un préavis de trois mois.
Elle ajoute que celui-ci ne justifie pas de son préjudice et notamment de son taux de marge.
Vu les conclusions en date du 28 avril 2015, par lesquelles Monsieur Ahiamoe demande à la cour de de confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a :
- Reçu Monsieur Kokou Ahiamoe en ses présentes écritures, et y faisant droit ;
- Constaté que la société Grohe a mis brutalement fin à sa relation commerciale établie depuis l'année 1991 avec l'entreprise Saminex sans lui accorder un préavis écrit raisonnable conformément à l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ;
- Jugé brutale la cessation des relations commerciales par la société Grohe au sens de l'article L. 442-6 I) 5° du Code de commerce ;
- Fixé le délai de préavis raisonnable à une durée de 24 mois compte tenu des circonstances de l'espèce résultant de l'ancienneté et de l'intensité de la relation commerciale, de l'investissement entier de Monsieur Ahiamoe et de la part de son chiffre d'affaires dans le chiffre total réalisé par la société Saminex ;
- Condamné la société Grohe à lui verser la somme de 47 092 euro en réparation du préjudice subi du fait la rupture brutale des relations commerciales au sens de l'article L. 442-6 I) 5° du Code de commerce ;
- Condamné la société Grohe à lui verser la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
Statuant à nouveau, il est demandé à la cour :
A titre subsidiaire, et si la cour estimait qu'une autre méthode de calculs devait s'imposer en l'espèce, de condamner la société Grohe à lui verser soit la somme de 1 153 272 euro ou la somme de 124 800 euro selon la méthode de calcul proposée en réparation du préjudice subi du fait la rupture brutale des relations commerciales au sens de l'article L. 442-6 I) 5° du Code de commerce ;
En tout état de cause,
- Condamner la société Grohe à lui verser la somme de 10 000 euro en réparation du préjudice moral subi du fait la rupture brutale et fautive des relations commerciales ;
- Condamner la société Grohe à lui verser la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers dépens. M. Ahiamoe fait valoir qu'il a subi une rupture brutale des relations commerciales qu'il entretenait depuis 1991 avec la société Grohe et que contrairement à ce que soutient cette dernière il n'a bénéficié d'aucun préavis. Il estime que celui-ci doit être fixé à 24 mois en raison de la durée des relations et de son état de dépendance économique, la société Grohe ayant été son seul client sans qu'il ait eu la possibilité de se diversifier.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
Le caractère établi des relations commerciales entre M. Ahiamoe exerçant sous l'enseigne Saminex et ayant commencé en septembre 1991 n'est pas discuté par la société Grohe qui en revanche conteste l'état de dépendance économique invoqué par M. Ahiamoe et affirme que celui-ci a bénéficié d'un préavis de trois mois à partir de janvier 2009 ;
M. Ahiamoe soutient que la société Grohe a arrêté de lui passer des ordres de missions par téléphone ou par télécopie comme elle le faisait jusque-là sans lui avoir donné une information préalable suffisante en mars 2009 ;
La société Grohe affirme avoir avisé M. Ahiamoe en janvier 2009 qu'elle mettait fin à leurs relations commerciales et avoir continué à lui passer des commandes pendant les trois mois suivant ce qui constituait selon elle un préavis suffisant ;
Par télécopie du 28 janvier 2009 la société Grohe a demandé à M. Ahiamoe de " faire le compte très précis de tous les produits qui sont dans ton local et qui seront à ramener à la Sogaris et au siège... et de me dire combien de voyages avec ta fourgonnette tu devras faire et combien coûtera chaque trajet "; ces termes ne sont pas parfaitement clairs et ne font mention d'aucun préavis de sorte qu'ils ne constituent pas une notification écrite de la rupture de la relation commerciale existante, quand bien même ils sont de nature à laisser présager à M. Ahiamoe la fin prochaine de ces relations; cette télécopie ne saurait dès lors constituer le point de départ d'un préavis; par ailleurs la société Grohe a encore envoyé une télécopie le 19 mars 2009 évoquant " la dernière facturation de M. Ahiamoe " et n'a plus à compter de cette date confié de prestations à M. Ahiamoe; en conséquence c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la société Grohe n'avait notifié aucun préavis écrit à son partenaire et qu'elle avait rompu brutalement les relations commerciales entretenues avec M. Ahiamoe à cette date, peu importe que pour sa part elle ait décidé dès le mois de janvier de rompre les relations commerciales avec celui-ci, le courrier du 28 janvier ne constituant pas une dénonciation claire des relations contractuelles ;
M. Ahiamoe estime à 24 mois la durée du préavis dont il aurait dû bénéficier afin de répondre aux spécificités de son entreprise et lui permettre de se réorganiser, faisant valoir que depuis 1991, il n'a exercé ses activités sous l'enseigne Saminex que pour la société Grohe et que, compte tenu des contraintes liées à l'organisation du temps de travail requis par la société Grohe, il a été dans l'incapacité de développer une clientèle propre et qu'il n'a pu, tout au long de ces relations, réaliser qu'une intervention ponctuelle en 2002 pour le compte d'une autre entreprise ;
La société Grohe fait valoir que M. Ahiamoe n'a pas souhaité diversifier son activité pour des raisons personnelles indépendantes de sa volonté et dont elle ne saurait subir la conséquence ; M. Ahiamoe a développé principalement une activité de stockage et de transport de divers petits matériels laquelle aurait pu être développée avec d'autres clients que la société Grohe; il ne conteste pas avoir réalisé ponctuellement un transport pour la société Plastic Omnium puis avoir fait le choix de renoncer à poursuivre avec ce nouveau client ;
Si M. Ahiamoe fait valoir qu'il était assimilé à un travailleur salarié, ayant saisi dans un premier temps la juridiction prud'homale, il convient de relever qu'il a été débouté de sa demande et n'a pas interjeté appel de cette décision, saisissant au contraire la juridiction commerciale; M. Ahiamoe était entrepreneur individuel et il avait une activité de stockage et de transport ouvert à la concurrence ; il ne démontre pas avoir dû maintenir son entreprise dans le cadre d'un lien unique avec un seul client la société Grohe en raison de la spécificité d'activités développées avec elle, puisqu'il s'agissait d'activités de stockage et de transports et qu'il pouvait élargir sa clientèle du fait même de la banalité de ce type de prestations, ce qui impliquait en revanche un effort de diversification et d'organisation de sa part ; il en résulte que la situation de dépendance alléguée par M. Ahiamoe a été voulue par lui et il ne saurait dès lors l'invoquer comme étant le fait de la société Grohe ;
Si la relation commerciale a duré 18 ans, elle a généré un chiffre d'affaires qui se situait entre 41 406 euro et 54 370 euro au cours des cinq dernières années avec un bénéfice de 16 039 euro en 2008, chiffre d'affaires que M. Ahiamoe n'a à l'évidence pas tenté de développer ;
Quand bien même les parties n'avaient pas soumis leurs relations au contrat-type qui fixe à trois mois le délai de préavis, il n'en demeure pas moins que cette durée caractérise un usage en matière de transport ; M. Ahiamoe réalisait toutefois également du stockage ce qui résulte des courriers qui lui ont été envoyés par la société Grohe ;
Il convient en conséquence au vu de l'ensemble de ces éléments de fixer la durée du préavis raisonnable dont aurait dû bénéficier M. Ahiamoe à 6 mois sans qu'il y ait lieu de prendre en compte la période de janvier, février et mars 2009 dont il a été vu qu'elle ne constituait pas un préavis ; M. Ahiamoe propose à la cour trois méthodes pour calculer le montant des dommages et intérêts dus au titre du préavis non exécuté ; la cour écartera celles fondées sur le montant de son chiffre d'affaires et sur sa rémunération moyenne au cours des trois dernières années pour retenir celle fondée sur la marge brute ; M. Ahiamoe produit de façon détaillée le montant de ses chiffres d'affaires et de ses charges déductibles pour parvenir à un taux de marge brute de 49 % ; la société Grohe conteste ce taux sans pour autant remettre en cause les chiffres détaillés de M. Ahiamoe tant en ce qui concerne son chiffre d'affaires que celui de ses charges déductibles ; la cour retiendra le taux de 49 % et sur la base d'un montant de marge brute de 47 092 euro au cours des deux dernières années elle fixera le préjudice de M. Ahiamoe à la somme de 23 546 euro, réformant le jugement entrepris ;
M. Ahiamoe ajoute avoir subi un préjudice moral en ce qu'il a dû liquider son entreprise et qu'il s'est retrouvé sans emploi et, sans espoir, compte tenu de son âge, 62 ans, d'en trouver un.
M. Ahiamoe qui exerçait une activité commerciale à titre individuel ne pouvait ignorer les contraintes et les risques inhérents à celle-ci dont celle d'une rupture des relations commerciales; il ne fournit aucun élément concernant les conditions dans lesquelles il a mis fin à son activité et le lien entre existant entre le préjudice moral allégué et la brutalité de la rupture de ses relations avec la société Grohe ; c'est donc à bon droit qu'il a été débouté de sa demande par les premiers juges.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs Et, adoptant ceux non contraires des Premiers Juges, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré sauf en ce qui concerne la durée du préavis et le montant des dommages et intérêts et statuant à nouveau de ces deux chefs, Dit que le préavis dont aurait dû bénéficier M. Ahiamoe est de 6 mois, Condamne la société Grohe à payer à M. Ahiamoe la somme de 23 546 euro à titre de dommages et intérêts, Condamne la société Grohe aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.