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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 13 octobre 2015, n° 14-04280

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Maisons Francois Léon (SASU)

Défendeur :

Le Jannou

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Poumarède

Conseillers :

Mmes André, Guéroult

Avocats :

Mes Le Couls-Bouvet, Le Nadan, Chatellier

CA Rennes n° 14-04280

13 octobre 2015

I - EXPOSE DU LITIGE

La société SASU FL qui a pour activité la vente et la construction de maisons individuelles et six agences situées à Brest, Landerneau, Lesneven, Morlaix, Carhaix et Saint Quay Perros, a conclu le 23 juin 2010 un contrat d'agent commercial aux termes duquel elle donnait mandat à M. Le Jannou de conclure avec des maîtres d'ouvrage des contrats de construction, portant sur les maisons individuelles de la gamme Maison François Léon et Batybois.

Par courrier recommandé en date du 26 juillet 2012, la société FL a notifié à l'agent sa décision de résilier le contrat.

Par courrier du 10 octobre 2012, M. Le Jannou a mis en demeure la société FL de lui régler une indemnité de préavis équivalente à deux mois et une indemnité de résiliation de 185 277,94 euro.

Faute d'accord, c'est dans ces circonstances que M. Le Jannou a fait assigner son mandant le 5 décembre 2012.

Par jugement contradictoire du 18 avril 2014, le Tribunal de commerce de Brest a :

Débouté M. Le Jannou de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis,

Condamné la société FL " Les maisons François Léon " à payer à M. Le Jannou :

- 143 268,65 euros à titre d'indemnité compensatrice

- 8 713,89 euro TTC au titre des commissions restant dues au 28 juillet 2012

Débouté la société FL de toutes ses autres demandes

Condamné la société FL à payer à M. Le Jannou la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du CPC, outre aux dépens

Ordonné l'exécution provisoire de la décision sous réserve de la mise en place d'un cautionnement.

La société FL a formé appel de la décision.

L'appelant demande à la cour de :

Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Brest en ce qu'il a débouté Monsieur Le Jannou de son indemnité de préavis et de son indemnité pour préjudice moral

Infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Brest sur les autres points et:

Débouter Monsieur Jeannou de l'intégralité de ses demandes,

A titre subsidiaire, ramener le préavis de Monsieur Le Jannou à la somme de 1 706,88 euro

Fixer l'indemnité de résiliation à hauteur de 23 875,56 euro HT

A titre infiniment subsidiaire, fixer l'Indemnité de résiliation à la somme de deux années de commissions recalculées soit la somme de 94 472,13 euro

Débouter Monsieur Le Jannou de sa demande de règlement de sa facture d'un montant de 22 813,23 euro et constater que seule la somme de 8 713,89 euro est due

Condamner Monsieur Le Jannou à régler la facture n° 030912 d'un montant TTC de 14 729 euro correspondant à des commissions perçues sur les dossiers annulés

Condamner Monsieur Le Jannou à 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC

Condamner Monsieur Le Jannou aux entiers dépens; lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC.

Ordonner le remboursement des sommes exécutées.

L'intimé demande à la cour de :

Confirmer la décision déférée en ce qu'elle a dit y avoir lieu à indemnité compensatrice liée à la réparation du préjudice subi en application des dispositions de l'article L. 134-12 du Code de commerce.

Réformer la décision déférée en ce qu'elle a limité le montant des indemnités allouées à Monsieur Le Jannou,

Statuant à nouveau:

Condamner la SASU FL à payer à Monsieur Le Jannou les sommes suivantes:

- 15 439,75 euro, au titre de l'indemnité de préavis,

- 185 277,94 euro, au titre de l'indemnité de fin de contrat

- 3 000 euro à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi,

- 5 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du CPC,

Condamner la même aux entiers dépens d'instance, y compris ceux d'exécution.

L'ordonnance de clôture est du 6 mai 2015.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties la cour se réfère aux énonciations de la décision déférée et aux conclusions régulièrement signifiées des parties :

- du 4 mai 2015 pour l'appelant

- du 5 mai 2015 pour l'intimé

II - MOTIFS

Sur l'indemnité de préavis.

Le mandant dans sa lettre de rupture indiquait que la première présentation de la lettre fera courir la durée du préavis de rupture qui est de deux mois et confirme devant la cour que la durée du préavis est de deux mois.

Mais par application de l'article L. 134-11 la durée du préavis est de trois mois pour la 3e année commencée, ce qui est le cas en l'espèce puisque que le contrat est du 23 juin 2010 et que la résiliation du 26 juillet 2012 est intervenue alors que la 3e année du contrat était commencée depuis le 23 juin 2012. La durée du préavis courait donc jusqu'au 26 octobre 2012. Si M. Le Jannou se prévaut d'un préavis de trois mois, il ne présente qu'une demande de paiement correspondant selon lui à deux mois de préavis.

Le mandant n'a pas dispensé l'agent d'exécuter son préavis au terme de son courrier de rupture.

M. Le Jannou soutient cependant qu'il a été mis par son mandant dans l'impossibilité d'exécuter son préavis alors qu'il lui a été demandé la restitution des clés de l'agence et de ses dossiers, que l'accès à son bureau lui a été interdit, si bien qu'il a droit à l'indemnité, ce que conteste son mandant qui mentionne qu'il n'a pas été empêché de travailler, que la société FL n'avait pas à mettre un bureau à sa disposition, qu'en toute hypothèse, cela ne l'empêchait pas de travailler, ce qu'il a d'ailleurs fait dès lors qu'il a établi une facture le 24 août 2012 avant d'être en arrêt maladie le 31 août jusqu'à la fin de son préavis.

Mais M. Le Jannou n'établit pas les faits qu'il impute à son mandant quant à la suppression par son mandant des moyens d'exercer son travail, le seul fait que le barillet de la serrure du bureau où il avait accès à Saint Quay Perros ait pu être changé alors qu'un tiers indique qu'il ne pouvait plus l'ouvrir le 31 août 2012 avec ses clés habituelles, étant manifestement insuffisant. M. Le Jannou indique d'ailleurs dans un courrier non daté adressé à son mandant qu'il travaille depuis bientôt deux ans du lundi au samedi seul dans les bureaux de Lannion.

Le courrier émanant d'une Mme L. évoquant la prise d'un rendez-vous prévu avec M. Le Jannou le 1er septembre 2012 ne fait état que des doléances de M. Le Jannou quant au fait qu'il ne pouvait plus accéder à ses dossiers et son système informatique et par ailleurs, M. Le Jannou fait part lui-même dans un courrier adressé à son mandant le 24 octobre 2012 de ma surprise de votre volonté de me confisquer mes dossiers en cours lors de mon départ, ce qui établit qu'il en disposait encore jusqu'à cette époque.

Enfin M. Le Jannou a été en arrêt de travail à compter du 31 août 2012, prolongé jusqu'au 15 octobre 2012, soit quasiment jusqu'à la fin de son préavis et il n'est pas établi que cet arrêt résulte d'un comportement fautif du mandant.

Il est ainsi établi que la société SASU FL a, de fait, respecté un préavis de trois mois et que jusqu'à la fin de la période de préavis de trois mois M. Le Jannou disposait des moyens d'exercer ses fonctions.

Il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. Le Jannou de sa demande d'indemnité de préavis.

Sur les commissions restant dues

M. Le Jannou demande, dans le dispositif de ses conclusions, à ce que la société FL soit condamnée à lui payer la somme de 22 813,23 euros au titre des commissions restant impayées.

Cette somme correspond à une facture du 28 juillet 2012, pièce 5/2 de M. Le Jannou. Cette facture correspond aux dossiers Eouzan, Sambin, Perrot Quillomach, Congard, Souvannarath et El Arquam.

Il n'est présenté, dans le dispositif des conclusions, aucune demande de paiement de commission au titre du dossier Pecheu. Ce dossier ne sera donc pas examiné.

La société FL qui conclut au débouté de l'ensemble des demandes formées par M. Le Jannou demande cependant subsidiairement à la cour de constater que seule la somme de 8 713,89 euro est due au titre des commissions dues. Il s'agit des commissions dues sur les affaires Perrot Guillomarch, Souvannarath, El Arquam. Il n'existe pas de discussion sur le montant total de ces commissions pour la somme de 7 285,86 euro HT soit 8 713,89 euro TTC

La société FL ne conteste d'ailleurs, comme devant le tribunal, que les commissions au titre des affaires Eouzan, Sambin et Congard qu'il convient en conséquence d'étudier.

Le contrat d'agent commercial dispose en son article 8 que :

8.1. En rémunération de ses services, le mandataire percevra une commission de 5 % sur chiffre d'affaires hors taxes réalisé sur les ventes de maisons hors terrains.

Ces commissions seront versées aux conditions suivantes:

- contrat signé par le client,

- contrat complet et bon pour enregistrement définitif,

- contrat non résilié (en cas de résiliation, les commissions devront être rendues),

(...)

8.4. Il n'est due aucune commission sur les commandes acceptées par le mandant, que la force majeure aurait empêché d'exécuter, ni sur les commandes exécutées mais non payées par le client.

Il convient de relever que le contrat d'agent commercial mentionne qu'en cas de résiliation du contrat les commissions ne sont pas dues, sans plus de précision quant aux motifs de résiliation du contrat signé avec le client.

Cependant l'article L. 134-10 du Code de commerce, dont les dispositions sont d'ordre public, dispose que "Le droit à la commission ne peut s'éteindre que s'il est établi que le contrat entre le tiers et le mandant ne sera pas exécuté et si l'inexécution n'est pas due à des circonstances imputables au mandant".

Concernant le dossier Eouzan, il est justifié que la résiliation du contrat provient du divorce des clients. Une opposition, d'ailleurs tardive, a été faite par la société FL agissant poursuites et diligences de M. Le Jannou lui-même sur le prix de vente d'un fonds de commerce à l'encontre de M. Eouzan en paiement de l'indemnité de résiliation prévue conformément à l'article 5-2 des conditions générales du contrat. Quoiqu'il en soit la résiliation du contrat Eouzan est acquise et il est justifié que cette résiliation n'est pas imputable à la société FL.

Concernant le dossier Congard, la résiliation du contrat signé le 29 juin 2011 résulte d'une lettre du client en date du 4 mai 2012. Le client indique qu'il entend annuler le contrat faute de possibilité de s'entendre avec la société FL et ajoute qu'il ne veut plus être importuné par M. Le Jannou. La société FL ne justifie pas que la résiliation du contrat résulte de circonstances qui ne lui sont pas imputables. La commission de 3 435,90 euros HT soit 4 109,34 euros TTC est donc due.

Concernant le dossier Sambin, la résiliation du contrat du 27 octobre 2011 est intervenue par lettre du client en date du 1er octobre 2012. Il résulte de cette lettre que le client justifie sa résiliation par le fait que la société FL n'a pas entamé le chantier dans le délai prévu aux conditions du contrat, alors que le permis avait été accepté en février 2012 et que le délai d'un mois pour démarrer les travaux était largement dépassé. L'inexécution du contrat, entraînant la résiliation du contrat par le client, est imputable au mandant. La commission de l'agent réclamée à hauteur de 2 984,95 euro HT soit 3 570 euro TTC est donc due.

Reste donc dû au titre des commissions les sommes 7 285,86 euro HT (soit 8 713,89 euro TTC), 3 435, 90 euros HT (soit 4 109,34 euros TTC) et 2 984,95 euro HT (soit 3 570 euro TTC), soit un total de 13 706,71 euros HT et de 16 393,23 euros TTC.

La facture de la société FL en date du 28 septembre 2012 pour une somme de 14 729 euros correspond à une écriture comptable afférente aux contrats Eouezan, Sambin et Congard qu'elle estimait annulés. Il n'est pas justifié que la société FL ait payé au titre de ces dossiers des sommes dont elle pourrait demander le remboursement. Il a été statué sur ces dossiers à travers l'examen des demandes de M. Le Jannou de paiement de commissions impayées. Il y a lieu de rejeter la demande de la société FL en paiement de la somme de 14 729 euros au titre de la facture n° 030912.

Sur l'indemnité de rupture

Il convient de relever en préliminaire que la société FL, qui n'allègue d'ailleurs aucune faute grave de son agent, ne conteste pas le principe de l'indemnité de rupture mais seulement son montant. Les faits qu'elle impute à M. Le Jannou sont simplement évoqués comme éléments à prendre en compte pour fixer le montant de l'indemnité de rupture.

L'article L. 134-12 alinéa 1er du Code de commerce dispose que:

En cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi (...). M. Le Jannou sollicite une somme de 185 277, 94 euro représentant selon lui deux ans de commissions. Il convient de relever qu'il effectue son calcul sur le montant de commissions TTC et non hors taxe. Par ailleurs si l'indemnité de rupture a vocation à compenser le préjudice subi par l'agent du fait de la perte des commissions auxquelles il aurait pu prétendre, l'usage d'accorder le montant de deux ans de commissions ne s'impose pas et l'indemnisation doit se faire en fonction des circonstances de l'espèce.

M. Le Jannou justifie de commission pour 15 558,37 euros HT en 2010, 91 854,37 euro HT en 2011 et 33 771,72 euros HT pour 2012.

Il n'est pas établi que M. Le Jannou se soit désintéressé de son mandat. La baisse d'activité en 2012 est cependant une donnée constante. Alors que la durée du contrat, tenant compte du préavis de trois mois n'a été que de 28 mois, que M. Le Jannou ne justifie d'aucun investissement particulier pour exercer ses fonctions, qu'il n'établit pas s'être retrouvé dans une situation de précarité, son préjudice sera évalué à la somme de 48 000 euro.

Sur le préjudice moral sollicité par l'agent

M. Le Jannou ne justifie d'aucun préjudice moral résultant d'une faute de son mandant dans la rupture du contrat d'agent commercial. Il n'établit pas la preuve d'une agressivité de celui-ci à son égard, précision apportée que l'arrêt de travail du 31 août 2012 n'est accompagné d'aucun certificat médical qui attesterait d'une situation de choc de M. Le Jannou et que la mention d'un rapport avec un choc émotionnel professionnel figurant sur l'avis d'arrêt de travail de prolongation en date du 4 septembre 2012 n'est pas assez précis et argumenté pour établir l'existence d'une préjudice moral et son imputation à la société SASU FL. Le jugement qui a débouté M. Le Jannou de cette demande sera confirmé sur ce point.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Chacune des parties succombe pour partie. Chacune supportera les dépens par elle engagés. Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR : Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a fixé :- le montant de l'indemnité de rupture à 143 268,65 euros à titre d'indemnité compensatrice - le montant des commissions restant dues à 8 713,89 euros TTC, Statuant de nouveau : Condamne la société FL à payer à M. Le Jannou : - 16 393,23 euros TTC au titre des commissions restant dues, - la somme de 48 000 euros au titre de l'indemnité de rupture, Rejette les autres demandes des parties, Rejette les demandes formées au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Dit que chacune des parties supportera les dépens par elle engagés.