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Décisions

Cass. com., 20 octobre 2015, n° 14-18.753

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Haulotte group (SA)

Défendeur :

Soudacier (SAS), Mayon (ès qual.), Selarl Vincent Méquignon (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Tréard

Avocat général :

M. Mollard

Avocats :

SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin

T. com. Bourges, du 15 mars 2011

15 mars 2011

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Orléans, du 5 juin 2014), rendu sur renvoi après cassation (Chambre commerciale, financière et économique, 15 janvier 2013, pourvoi n° 12-17.553), que la société Haulotte Group (la société Haulotte), qui exerce une activité de fabrication et de commercialisation d'engins de manutention et de levage, était depuis 1996 en relation de sous-traitance avec la société Soudacier, à qui elle confiait la fabrication d'éléments de ces engins ; qu'en octobre 2007, la société Haulotte a mis fin à la relation ; que la société Soudacier l'a assignée en paiement de dommages-intérêts pour rupture brutale d'une relation commerciale établie ; que l'arrêt du 23 février 2012, qui avait retenu la responsabilité de la société Haulotte dans la rupture et alloué une indemnisation à la société Soudacier, a été partiellement cassé ; que la société Soudacier ayant été mise en liquidation judiciaire, son liquidateur, la Selarl Laurent Mayon, est intervenu volontairement à l'instance ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société Haulotte fait grief à l'arrêt de fixer à douze mois la durée du préavis qui aurait été raisonnable et de la condamner à payer à la Selarl Laurent Mayon ès qualités la somme de 2 508 861 euros à titre de dommages-intérêts pour la perte de marge alors, selon le moyen : 1°) que la cassation d'un arrêt condamnant, par un chef de dispositif unique, une partie à verser des dommages-intérêts, investit la juridiction de renvoi de la connaissance du chef du litige tranché par cette disposition dans tous ses éléments de fait et de droit ; qu'en énonçant " qu'il est acquis, à la suite de l'arrêt de la Cour de cassation, que cette société [la société Haulotte] n'a accordé aucun préavis ", ce que ne disait pas l'arrêt de cassation, après avoir pourtant constaté que la cassation de l'arrêt du 23 février 2012 dans sa disposition globale condamnant la société Haulotte à payer à la société Soudacier la somme de 1 568 109 euros en réparation du préjudice subi n'en avait rien laissé subsister, ce dont il résultait que la cour de renvoi devait constater ou relever l'ensemble des éléments de faits afférents au préavis dû et au préavis effectivement accordé, celle-ci, méconnaissant son office en tant que juridiction de renvoi, a violé les articles 624, 625 et 638 du Code de procédure civile ; 2°) que l'auteur d'une rupture brutale de relations commerciales établies, est tenu de réparer le préjudice résultant de l'insuffisance de préavis, sans qu'il puisse en résulter pour la partie lésée aucun profit ; que pour accorder à la société Soudacier la somme de 2 508 861 euros correspondant à la perte de la marge brute que celle-ci aurait pu réaliser au cours des douze mois du préavis jugé nécessaire, la cour d'appel a relevé qu'il était " acquis, à la suite de l'arrêt de la Cour de cassation ", que la société Haulotte " n'a accordé aucun préavis " ; qu'en se fondant sur ces motifs, sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée, si les commandes passées par la société Haulotte postérieurement à l'annonce le 1er juin 2007 confirmée par écrit le 5 juin, de la cessation des relations assortie de l'engagement de permettre à la société Soudacier de se réorganiser, commandes dont la réalisation et la livraison s'étaient étendues jusqu'à fin mars 2008, n'avaient pas permis à la société Soudacier à tout le moins de tirer parti du préavis " finalement exécuté ", dont la durée devait s'imputer sur celle du préavis jugé nécessaire, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1382 du Code civil et L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; 3°) qu'à supposer que l'attitude ambivalente de la société Haulotte n'eût pas permis à la société Soudacier de trouver d'autres partenaires, il n'en demeurait pas moins que la société Haulotte avait fait valoir que des commandes avaient été exécutées, livrées et facturées par Soudacier après la confirmation écrite à Soudacier, le 5 juin 2007, de sa décision de rompre les relations commerciales, dont le montant devait être imputé sur le chiffre d'affaires qui aurait pu être réalisé, afin de déterminer la marge perdue ; qu'en prenant en considération uniquement la moyenne du chiffre d'affaires annuel des trois dernières années civiles précédant celle au cours de laquelle la rupture est intervenue sans tenir aucun compte du montant des commandes exécutées et facturées à Haulotte après l'annonce et la confirmation écrite de la rupture assortie de l'engagement de permettre à la société Soudacier de se retourner, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1382 du Code civil et L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; 4°) que le principe de la réparation intégrale du préjudice implique la prise en compte de la totalité du chiffre d'affaires réalisé pendant le préavis jugé nécessaire, afin de l'imputer sur celui qui aurait pu être réalisé pendant le préavis jugé nécessaire ; que la société Haulotte avait fait valoir, preuve à l'appui, que la société Soudacier avait réalisé un chiffre d'affaires avec d'autres clients ; qu'en s'abstenant de prendre en considération le chiffre d'affaires de substitution, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 du Code civil et L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; 5°) que le sous-traitant ne saurait utilement alléguer la perte d'un chiffre d'affaires causée par la diminution de l'activité de son donneur d'ordres ; que la société Haulotte avait fait valoir (p. 52) qu'elle avait subi une chute brutale de son chiffre d'affaires en 2008 et n'aurait pu passer un montant de commandes équivalent à la moyenne des trois dernières années civiles ayant précédé celle de la rupture ; que la cour d'appel, qui a estimé nécessaire un préavis de douze mois, s'est abstenue de répondre à ce moyen, privant ainsi sa décision de motifs, violant ainsi l'article 455 du Code de procédure civile ; 6°) que l'acceptation des risques, traduit par l'absence de diversification et d'anticipation d'une rupture doit s'analyser comme une faute de la victime dont il doit être tenu compte lors de l'évaluation de son préjudice ; qu'en se bornant à relever, pour fixer à douze mois la durée du préavis nécessaire et apprécier le préjudice que son absence avait causé à la société Soudacier, que le chiffre d'affaires réalisé par cette dernière avec la société Haulotte " représentait 83 % de son activité, traduisant ainsi un état de dépendance économique, durant la période 2004-2007 ", sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée, si le fait pour la société Soudacier de réaliser l'essentiel de son chiffre d'affaires avec un seul client en l'absence de toute exclusivité contractuelle imposée par la société Haulotte ne devait pas être considéré comme une faute dont il devait être tenu compte lors de l'évaluation de son préjudice, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 du Code civil et L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; 7°) que dans ses conclusions d'appel, la société Haulotte group exposait que la société Soudacier ne justifiait pas le taux de marge particulièrement élevé sur lequel elle fondait l'évaluation de son préjudice ; qu'elle soutenait, à cette fin, compte tenu des exigences applicables aux attestations entrant dans le cadre des diligences directement liées à la mission de commissaires aux compte, la forme et le libellé de l'attestation produite par la société Soudacier suscitaient les plus sérieuses réserves, que l'auteur de l'attestation ne précisait aucun taux de marge brute ni comment cette marge brute était déterminée et que ledit taux n'apparaissait que dans un tableau qui n'était ni daté ni signé ; qu'en se bornant à énoncer qu'elle disposait des éléments suffisants pour condamner la société Haulotte payer à la Selarl Laurent Mayon, ès qualités, la somme de 2 508 861 euros à titre de dommages-intérêts, correspondant à douze mois de marge, sans répondre à ce moyen pertinent contestant autant la fiabilité des chiffres figurant dans l'attestation litigieuse que sa régularité formelle, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ; 8°) qu'en se bornant à se référer aux données chiffrées du commissaire aux comptes commandité par la société Soudacier sans vérifier, ainsi qu'elle y était expressément invitée, en quoi avait consisté la méthodologie de ce dernier, ni sur quelles bases et en fonction de quels documents comptables le préjudice avait été calculé, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1382 du Code civil et L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt du 23 février 2012, qui avait retenu la responsabilité de la société Haulotte dans la rupture de ses relations avec la société Soudacier et l'avait condamnée à lui payer une certaine somme en réparation de son préjudice, a été cassé, mais seulement en ce qu'il ne précisait pas en quoi l'absence de préavis avait été de nature à engendrer le préjudice qui a été indemnisé ; que la cassation ainsi prononcée n'a pas atteint le chef de dispositif de cet arrêt qui retient la responsabilité de la société Haulotte en raison de l'absence de notification à la société Soudacier de la durée du préavis qu'elle entendait lui octroyer et de l'incertitude entretenue sur son intention de rompre, ce dont il résultait que la notification en cause n'avait fait courir aucun délai de préavis répondant aux exigences de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; qu'en cet état, c'est sans méconnaître son office et sans être tenue de procéder à la recherche inopérante visée à la deuxième branche que la cour d'appel a retenu qu'il était acquis, à la suite de l'arrêt de la Cour de cassation, que la société n'avait accordé aucun préavis, de sorte qu'il lui incombait uniquement d'apprécier les demandes au titre des préjudices allégués et de définir, à cette fin, la durée du préavis raisonnable ;

Et attendu, en second lieu, qu'après voir défini la durée de la relation commerciale, rompue en octobre 2007, et retenu l'état de dépendance économique, dont il n'était pas soutenu qu'il procédait d'un choix délibéré de la société Soudacier, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche visée à la sixième branche, ni de s'expliquer sur le moyen inopérant tiré de la baisse du chiffre d'affaires de 2008 de la société Haulotte et a pris en considération les éléments pertinents, qu'elle a souverainement appréciés, pour définir la marge perdue par la société Soudacier résultant du préavis dont elle avait été privée, a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le second moyen, pris en sa troisième branche : - Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur ce moyen, pris en sa première branche : - Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, ensemble l'article 1382 du Code civil ; - Attendu que pour condamner la société Haulotte à payer à la Selarl Laurent Mayon ès qualités la somme de 52 383 euros au titre du coût des licenciements économiques des salariés du site du Creusot, l'arrêt retient que la perte du marché a entraîné le licenciement des huit salariés du site du Creusot, moins de trois mois après la rupture ;

Qu'en statuant ainsi, alors que seuls sont indemnisables les préjudices découlant de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et sur le même moyen, pris en sa deuxième branche : - Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, ensemble l'article 1382 du Code civil ; - Attendu que pour condamner la société Haulotte à payer à la Selarl Laurent Mayon ès qualités la somme de 16 931,25 euros au titre des loyers des bâtiments du Creusot, l'arrêt relève que la société Soudacier a réglé des loyers jusqu'à la fin de l'exercice 2008, que ce préjudice est néanmoins déjà réparé, en grande partie, par l'indemnisation de la perte de marge pendant une année à compter d'octobre 2007, qui a pour objet de couvrir les frais d'exploitation de l'entreprise, et en déduit que seul est indemnisable le loyer du dernier trimestre 2008, soit 16 931,25 euros ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans préciser en quoi l'absence de préavis avait été de nature à engendrer un préjudice à ce titre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

Par ces motifs : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il condamne la société Haulotte group à payer à la Selarl Laurent Mayon, agissant en qualité de liquidateur de la société Soudacier, les sommes de 52 383 euros pour le coût des licenciements économiques des salariés du site du Creusot et 16 931,25 euros pour le remboursement du loyer du site du Creusot du quatrième trimestre 2008, l'arrêt rendu le 5 juin 2014, entre les parties, par la Cour d'appel d'Orléans ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris.