CA Versailles, 13e ch., 8 octobre 2015, n° 14-01166
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Marseille courses (Sté), Laure (ès qual.), SCP Bouet Gillibert (ès qual.)
Défendeur :
Chronopost (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Belaval
Conseillers :
Mmes Vaisssette, Dubois-Stevant
Avocats :
Mes Dumeau, Gombert, Lafon, Di Vetta
FAITS ET PROCEDURE,
A compter de 2002, la société Chronopost a conclu avec la société Marseille courses divers contrats de sous-traitance de prestations de transport routier de marchandises. Le dernier contrat en date a été passé le 2 novembre 2006 pour une durée indéterminée avec une prise d'effet le 2 janvier 2007. Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 9 février 2009, la société Chronopost a résilié le contrat avec effet au 11 mai 2009, ce préavis correspondant au préavis conventionnel de trois mois stipulé à l'article 12 du contrat.
La société Chronopost a procédé à un appel d'offres auquel la société Marseille courses a participé sans être retenue. Elle en a informé cette dernière le 1er avril 2009 et le préavis a été prolongé d'un commun accord jusqu'au 30 juin suivant.
Estimant avoir été victime d'une rupture brutale d'une relation commerciale établie, la société Marseille courses a assigné la société Chronopost devant le Tribunal de commerce de Nanterre aux fins d'obtenir des dommages-intérêts sur le fondement des articles 1382 du Code civil et L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce.
Par jugement en date du 15 juin 2011, le tribunal a débouté la société Marseille courses de toutes ses demandes, débouté la société Chronopost de sa demande reconventionnelle, condamné la société Marseille courses à payer à la société Chronopost la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et condamné la société Marseille courses aux dépens. Le tribunal a retenu que le préavis de 4 mois et 21 jours dont avait bénéficié la société Marseille courses était supérieur au préavis déterminé par les usages du commerce par des accords interprofessionnels, la loi du 30 décembre 1982, dite loi LOTI, et le décret du 26 décembre 2003 ayant arrêté un contrat-type applicable de plein droit aux transports routiers de marchandises qui indique dans son article 12 que le préavis est de trois mois quand la durée de la relation est d'un an et plus.
La société Marseille courses a fait appel du jugement et par arrêt du 26 juillet 2012, la Cour d'appel de Versailles a infirmé le jugement sauf en ce qu'il avait débouté la société Chronopost de sa demande reconventionnelle, et statuant à nouveau, a dit que la société Chronopost a brutalement rompu la relation commerciale avec la société Marseille courses, et condamné la société Chronopost à payer à la société Marseille courses la somme de 118 467,66 euro à titre de dommages-intérêts et la somme de 8 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. La cour d'appel a retenu qu'il n'y avait pas lieu d'écarter l'application de l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce dès lors que les rapports entre la société Chronopost et la société Marseille courses n'étaient pas régis par le contrat-type institué par la LOTI mais par les stipulations des contrats qu'elles avaient conclus qui définissaient les conditions dans lesquelles les contrats pouvaient être résiliés, qu'il appartenait au juge d'apprécier si le délai du préavis accordé par la société Chronopost, serait-il identique à celui, supplétif, prévu par le contrat-type, était suffisant en considération de la durée de la relation commerciale et que celle-ci ayant duré sept années, et compte tenu de la répercussion de la perte d'un tel volume de chiffre d'affaires et des conditions contractuelles, un préavis jusqu'au 31 décembre 2009 aurait été nécessaire pour que la société Marseille courses se réorganisât.
La société Chronopost a formé un pourvoi contre l'arrêt qui a été cassé dans toutes ses dispositions par un arrêt de la Chambre commerciale, financière et économique du 19 novembre 2013, la Cour de cassation affirmant qu'il résultait de la combinaison des articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, ensemble les articles 8, II, de la loi LOTI et 12,2 du contrat-type approuvé par le décret du 26 décembre 2003, que les usages commerciaux en référence desquels devait s'apprécier la durée du préavis de résiliation du contrat de sous-traitance de transport contractuellement convenu étaient nécessairement compris comme conformes au contrat-type dont dépendaient les professionnels concernés, et faisant grief à la cour d'appel d'avoir violé par fausse application l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce et, par refus d'application, les deux autres.
La Cour d'appel de Versailles, désignée cour d'appel de renvoi, a été saisie par la société Marseille courses le 13 février 2014.
Par dernières conclusions du 2 avril 2015, la société Marseille courses, mais aussi Maître Laure en sa qualité de mandataire judiciaire et la SCP Bouet Gillibert en sa qualité d'administrateur, qui sont intervenus volontairement à l'instance, demandent à la cour de :
- infirmer le jugement et statuant à nouveau,
- condamner la société Chronopost à lui payer la somme de 255 792 euro de dommages et intérêts en application de l'article 442-6 du Code de commerce, outre celle de 10 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Chronopost aux dépens avec droit de recouvrement direct.
En substance, la société Marseille courses et les organes de sa procédure collective soutiennent que :
- en sortant du préavis contractuel de trois mois et en accordant un préavis rallongé, la société Chronopost se situait désormais dans un préavis d'une durée de 4 mois et 21 jours soumise à l'appréciation du juge,
- la Cour de cassation n'a pas pu vouloir exclure l'examen par le juge du préavis laissé à la victime de la rupture au regard de la durée de la relation commerciale rompue, même si le préavis est conforme aux usages,
- les parties étaient bien les partenaires d'une relation commerciale établie au bout de trois contrats successifs sur une période de plus de sept ans,
- le respect apparent par la société Chronopost du préavis contractuel n'est pas susceptible de l'exonérer de sa responsabilité délictuelle prévue par l'article L. 442-6,
- ce n'est que lorsque les parties au contrat n'ont rien prévu dans leur convention en ce qui concerne la durée du préavis que l'article L. 442-6 n'a pas lieu de s'appliquer puisqu'il laisse alors la place à l'application supplétive du contrat-type, c'est le sens de l'arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 23 septembre 2014 qui précise que ce n'est que lorsque les relations des parties sont régies par le contrat-type que les dispositions de l'article L. 442-6 ne s'appliquent pas au transport en sous-traitance,
- en sens inverse, l'article L. 442-6 s'applique de plein droit même s'il s'agit d'un transport en sous-traitance chaque fois que les parties auront opté pour l'instauration d'un préavis contractuel excluant l'application éventuelle du contrat-type de transport qui n'a qu'un caractère supplétif,
- il importe peu que le préavis contractuel soit celui du contrat-type, les parties n'ayant pas souhaité que le contrat-type s'applique à leurs relations,
- on ne peut pas considérer que du fait de sa conformité à l'usage professionnel, la condition de durée de l'article L. 442-6 n'a plus aucune influence parce que la condition d'usage est remplie car cela aboutirait à la négation du pouvoir d'appréciation du juge du fond qui, dans le cas d'un contrat de transport, devra limiter son appréciation, dans tous les cas d'une conformité du préavis contractuel, à celui du contrat-type et serait contraire au principe de la responsabilité civile et de la réparation intégrale du préjudice subi,
- la Cour de cassation a considéré qu'au-delà de l'usage conforme, le juge du fond doit aussi tenir compte de la durée de la relation rompue, y compris en matière de transport,
- le préavis soumis en l'espèce à l'appréciation du juge trouve sa genèse dans la volonté des parties et exclut l'usage déterminé par le contrat-type, car les parties ont prorogé le préavis contractuel et ont ainsi accepté une novation contractuelle par modification des obligations des parties au sens de l'article 1251 et suivants du Code civil, en outre l'acceptation de prorogation par la société Chronopost démontre que cette société a accepté de considérer que le préavis initial de trois mois était inférieur à la durée nécessaire prévue par l'article L. 442-6 et a ainsi accepté de renoncer à l'application stricto sensu de la déclinaison du contrat-type pour se placer sous le régime de L. 442-6.
Selon ses conclusions du 24 octobre 2014, la société Chronopost demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Marseille courses de ses demandes,
- y ajoutant en tant que de besoin, condamner la société Marseille courses à lui restituer la somme de 129 506,25 euro qui lui a été réglée en principal et intérêts en exécution de l'arrêt de la cour d'appel,
- dire que cette somme portera intérêt au taux légal majoré de cinq points jusqu'à parfaite restitution et ce à compter rétroactivement du 4 octobre 2012,
- ordonner la capitalisation des intérêts,
- statuant sur sa demande reconventionnelle, et infirmant le jugement, condamner la société Marseille courses à lui régler la somme de 30 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamner la société Marseille courses à lui régler la somme de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Marseille courses aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct.
La société Chronopost souligne que, pour recevoir application, l'article L. 442-6 du Code de commerce pose deux conditions, à savoir l'existence d'une relation commerciale établie et une rupture de la relation commerciale ne respectant pas la durée minimale de préavis déterminée par référence aux usages du commerce par des accords interprofessionnels, et qu'en l'espèce les deux conditions font défaut. Elle prétend que dès lors qu'elle avait la possibilité d'inviter le transporteur à participer à tout appel d'offres qui serait organisé, portant sur tout ou partie des prestations prévues au contrat, et qu'elle pouvait décider de résilier le contrat à condition de respecter le préavis, et qu'une procédure d'appel d'offres comporte par essence un aléa pour celui qui s'y soumet, les relations commerciales ne peuvent être considérées comme établies.
Elle soutient en outre que la rupture notifiée à la société Marseille courses respectait la durée minimale déterminée en référence aux usages du commerce, que l'article 12 du contrat reprenait purement et simplement les dispositions du contrat-type, et que par voie de conséquence, sauf à vider le contrat-type de sa substance, le préavis donné ne pouvait engager sa responsabilité.
Le Ministère public a eu communication du dossier qu'il a visé sans conclure le 28 novembre 2014.
SUR CE,
Considérant que l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait de rompre brutalement une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords professionnels ; que les usages commerciaux en référence desquels doit s'apprécier la durée de préavis de résiliation du contrat de sous-traitance de transport contractuellement convenu sont nécessairement compris comme conformes au contrat-type dont dépendent les professionnels concernés ; que dans sa jurisprudence la plus récente (Com. 22 septembre 2015, pourvoi n° 13-27.726, en cours de publication) faisant écho à l'arrêt du 19 novembre 2013 rendu dans notre espèce, la Cour de cassation a décidé que l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce ne s'appliquait pas à la rupture des relations commerciales de transports publics routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants lorsque le contrat-cadre liant les parties se réfère expressément au contrat-type institué par la LOTI, qui prévoit en son article 12.2 la durée des préavis de rupture ;
Considérant qu'il résulte de l'article 12.2 du contrat-type applicable aux transports publics routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants, dont dépendent la société Marseille courses et la société Chronopost, que le contrat de sous-traitance à durée indéterminée peut être résilié par l'une ou l'autres des parties par l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception moyennant un préavis d'un mois quand le temps déjà écoulé depuis le début d'exécution du contrat n'est pas supérieur à six mois, que le préavis est porté à deux mois quand ce temps est supérieur à six mois et inférieur à un an et que le préavis à respecter est de trois mois quand la durée de la relation est d'un an et plus ;
Considérant que le contrat rompu par la société Chronopost, en date du 2 novembre 2006, stipulait en son article 12 que chacune des parties pouvait y mettre fin à tout moment par lettre recommandée avec accusé de réception en respectant un préavis d'un mois si le contrat a été conclu dans les six mois, de deux mois si le contrat a été conclu entre six mois et un an et de trois mois si le contrat a été conclu depuis plus d'un an ; que le contrat particulier liant les parties comportait en conséquence des durées de préavis strictement identiques à celles prévues par le contrat-type institué par la LOTI ; qu'il faut en déduire que l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce ne s'applique pas à la rupture litigieuse et que la société Marseille courses ne peut prétendre opposer à la société Chronopost ces dispositions légales pour conférer au juge le pouvoir d'apprécier si le préavis accordé était suffisant au regard de la durée de la relation commerciale rompue et du préjudice subi ;
Considérant qu'il est indifférent que la société Chronopost ait accepté de modifier en cours d'exécution le préavis contractuel dès lors qu'en procédant ainsi, elle n'a pas entendu faire recouvrer au juge un pouvoir d'appréciation dont elle l'avait privé en signant un contrat fixant des durées de préavis identiques à celles du contrat-type, et que cette acceptation a eu pour effet de faire bénéficier la société Marseille courses d'un préavis d'une durée supérieure au préavis contractuel et au préavis minimal déterminé par les usages commerciaux ;
Considérant en conséquence qu'il convient de rejeter les prétentions de la société Marseille courses et de confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel ;
Considérant que la méprise d'une partie sur l'étendue de ses droits et les chances de succès de ses prétentions ne suffit pas, à défaut d'autres éléments non démontrés en l'espèce, à qualifier d'abusive la procédure initiée et poursuivie par la société Marseille courses ; que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Chronopost de sa demande reconventionnelle ;
Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort, Vu l'arrêt de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation en date du 19 novembre 2013 et la saisine de la cour d'appel de Versailles en tant que cour d'appel de renvoi, Confirme en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Nanterre en date du 15 juin 2011, Y ajoutant, Condamne la société Marseille courses à payer à la société Chronopost la somme de 10 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Marseille courses aux dépens d'appel et accorde aux avocats de la cause qui peuvent y prétendre le droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile. Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.