CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 22 octobre 2015, n° 14-03665
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Rocca Transports (SARL)
Défendeur :
SNCM ; Louis (ès qual.) ; Douhaire (és qual;) ; Abitbol (és qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mme Rohart-Messager, M. Dabosville
Avocats :
Me Guizard, Bensoussan, Grappotte-Benetreau, Cachard
Faits et procédure
La société Rocca Transports (ci-après Rocca) est une société de transport spécialisée dans le transport des marchandises entre le continent français et la Corse et elle est le premier opérateur spécialisé dans le transport de marchandises vers la Corse.
La société Rocca transports utilise majoritairement le transporteur maritime SNCM à partir du port de Marseille.
La société SNCM a mis en œuvre à partir de 2010 un système de remises et de ristournes afin d'attirer à elle un volume de transports réalisés notamment à partir du port de Toulon.
La société Rocca qui n'a pas bénéficié de celles-ci considère que le système mis en place par la SNCM à compter du 1er janvier 2010, est discriminatoire à plusieurs titres et anticoncurrentiel car :
- il aboutirait à favoriser les transporteurs routiers s'engageant à augmenter le volume de marchandises confié à la SNCM, en leur faisant bénéficier de ristournes sur la totalité dudit volume (et non sur le delta), alors que d'autres transporteurs qui confieraient pourtant à la SNCM un volume plus important n'en bénéficieraient pas, au seul motif qu'ils n'augmenteraient pas leur volume de marchandises confié à la SNCM.
- ce système aboutirait à léser les transporteurs routiers ayant déjà acquis une certaine taille et pour lesquels il est plus difficile de connaître une augmentation du volume de marchandises à transporter.
- ce système aboutirait surtout à désavantager les transporteurs routiers qui, connaissant une croissance d'activité, décident d'avoir recours à Corsica Ferries, en les excluant du système de ristournes, y compris pour le volume de marchandises confié à la SNCM.
- ce système aboutirait enfin à accorder une " prime " à l'exclusivité de 2%, discriminant encore un peu plus les transporteurs routiers ayant recours aux services de la compagnie concurrente de la SNCM.
Aucun compromis n'a pu être trouvé par la SNCM, la société Rocca Transports n'a bénéficié au cours des années 2010, 2011 et 2012 d'aucune ristourne.
C'est dans ces conditions que la société Rocca Transports a fait assigner le 06 mars 2013 la société SNCM aux fins d'obtenir réparation de son préjudice.
Par jugement rendu le 04 février 2014, le Tribunal de commerce de Marseille a :
- jugé que la SNCM a violé les termes de l'article L. 441-6 du Code de commerce ;
- jugé que la SNCM n'est pas en état de position dominante ;
- dit que la société Rocca Transports ne se trouve pas en état de dépendance économique vis à vis de la SNCM ;
- jugé que la Société Maritime Corse Méditerranée " SNCM " SA n'a pas pratiqué de système de remise discriminatoire et/ou anticoncurrentiel ;
- débouté la société Rocca Transports SARL de sa demande de production de tous comptes clients et fournisseurs ;
- débouté la société Rocca Transports SARL de toutes ses demandes d'indemnisation au titre des contrats 2010, 2011 et 2012 ;
- débouté la société Rocca Transports SARL de sa demande d'indemnisation au titre des quatre marchés perdus ;
- débouté la société Rocca Transports SARL de sa demande d'indemnisation au titre la perte de chance ;
- débouté la société Rocca Transports SARL de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- débouté la société Maritime Corse Méditerranée " SNCM " SA de sa demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts ;
- condamné la société Rocca Transports SARL à payer à la Société Maritime Corse Méditerranée " SNCM " SA, la somme de 5 000 euros (cinq mille euros) au titre des dispositions de l'article 700 du CPC ;
- condamné la société Rocca Transports SARL aux dépens toutes taxes comprises de la présente instance ;
- débouté les parties de leurs autres et plus amples demandes ;
- rejeté pour le surplus, toutes autres demandes, fins et conclusions des parties contraires aux dispositions du présent jugement.
Vu l'appel interjeté par la société Rocca Transports le 18 février 2014 contre cette décision.
Vu les dernières conclusions signifiées par l'appelante le 20 mai 2015 par lesquelles il est demandé à la cour de :
- dire et juger la société Rocca Transports recevable et bien fondée en son appel ;
- dire et juger que la Société Nationale Corse Méditerranée est mal fondée en l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ; en conséquence,
- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Marseille du 04 février 2014 dans toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a jugé que la Société Nationale Corse Méditerranée avait violé les termes de l'article L. 441-6 du Code de commerce, et l'a débouté de sa demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts ;
- débouter la Société Nationale Corse Méditerranée de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
et, statuant à nouveau,
- fixer la créance indemnitaire de la société Rocca Transports à la somme de 1,299,939 euros, sauf à parfaire, avec intérêt au taux légal à compter du 13 novembre 2012, correspondant au préjudice subi à raison des agissements de la Société Nationale Corse Méditerranée ;
- ordonner la capitalisation des intérêts ;
en tout état de cause,
- condamner la Société Nationale Corse Méditerranée à payer à la société Rocca Transports la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du CPC ;
- condamner la Société Nationale Corse Méditerranée aux entiers dépens dont ceux d'appel qui seront recouvrés dans les conditions prévues par l'article 699 du CPC.
Vu les dernières conclusions déposées par la Société Nationale Maritime Corse Méditerranée (SNCM) le 11 septembre 2014 par lesquelles il est demandé à la cour de :
- déclarer irrecevable en application de l'article L. 622-21 du Code de commerce toute demande de condamnation à l'encontre de la SNCM ;
- débouter la société Rocca Transports de toutes ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de la SNCM ;
- recevoir la SNCM en ses demandes reconventionnelles ;
- condamner la société Rocca Transports à payer à la SNCM :
* 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
* 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC,
- condamner la société Rocca Transports à payer à la SCP Douhaire-Avazeri 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC ;
- condamner la société Rocca Transports à payer à la SCP Valiot-Leguerneve-Abitbol 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC ;
- condamner la société Rocca Transports à payer à la SCP JP Louis & A. Lageat 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC ;
- condamner tout contestant aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Grappotte Benetreau en application de l'article 699 du CPC.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la demande de la société SNCM tendant à l'irrecevabilité de la société Rocca
Considérant que la société SNCM fait valoir qu'elle a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Marseille en date du 28 novembre 2014 ;
Considérant que la société Rocca a déclaré le 8 décembre 2014 sa créance, a attrait en intervention forcée les organes de la procédure collective et demande à la cour, par ses dernières conclusions, non pas de condamner la société SNCM à payer mais de fixer au passif le montant de sa créance ; qu'en conséquence elle est parfaitement recevable en sa demande.
Sur les pratiques illicites et anticoncurrentielles alléguées par la société Rocca à l'encontre de la société SNCM
Sur les obligations de transparence
Considérant que la société SNCM soutient que la société SNCM a persisté dans son refus de lui transmettre des informations sur les ristournes en cause en dépit de nombreuses demandes ;
Considérant que l'article L. 441-6 du Code de commerce dispose que " tout prestataire de services ... est tenu de communiquer ses conditions de vente à tout acheteur de produits ou tout demandeur de prestations de services qui en fait la demande pour son activité professionnelle. Celles-ci comprennent les conditions de vente, le barème des prix unitaires, les réductions de prix, les conditions de règlement " ;
Considérant que la société SNCM affirme avoir transmis le contrat prévoyant l'octroi de remises le 21 août 2009 à la société Rocca et que, par ailleurs les conditions de remise qui étaient les mêmes pour tous les transporteurs étaient disponibles sur son site ; qu'elle fait valoir que pour l'année 2012 il n'y a plus eu de politique commerciale de remises ;
Considérant que la société Rocca ne démontre pas qu'elle n'aurait pas été destinataire des barèmes des ristournes pratiquées puisqu'elle affirme avoir contesté cette pratique.
Sur la position dominante de la société SNCM
Considérant que la société Rocca soutient que la société SNCM détient une position dominante sur le marché des transports de marchandises vers la Corse alors que la société SNCM affirme que tel n'est plus le cas car il existe deux autres compagnies et que leurs prestations sont parfaitement substituables ;
Considérant l'article L. 420-2 dispose :
" Est prohibée dans les conditions prévues à l'article L. 420-2 l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de ventes discriminatoires... " ;
Considérant que, si selon décision du Conseil de la concurrence confirmée par la cour d'appel, il a été jugé que la SNCM occupait une position dominante, il y a lieu d'examiner sa situation dans le cas d'espèce, c'est-à-dire lors de la mise en place de la politique de remises incriminée, étant observé que la SNCM affirme que sa position a évolué et qu'elle n'occupe plus une position dominante ;
Considérant que trois compagnies maritimes desservent la Corse, d'une part, la société Corsica, au départ du port de Toulon, d'autre part la CMN et la SNCM au départ du port de Marseille ;
Considérant que la SNCM a produit une Communication provenant des Institutions et Organes de l'Union Européenne publiée le 24 février 2009 au terme de laquelle la Commission considère que " les parts de marché modestes sont généralement un bon indicateur de l'absence d'un fort pouvoir du marché. Elle sait d'expérience que si la part de marché de l'entreprise représente moins de 40% du marché en cause il est peu probable qu'elle s'y trouve en position dominante ; Il peut toutefois y avoir des cas au-dessous de ce seuil dans lesquels les concurrents ne sont pas en mesure de brider efficacement le comportement d'une entreprise en position dominante notamment lorsqu'ils sont confrontés à de fortes limitations de capacité " ;
Considérant qu'il est produit un rapport parlementaire sur la desserte maritime de la Corse du 19 mai 2010 qui a procédé à une étude portant d'une part sur le transport passager, d'autre part sur le transport fret ; qu'il relève une croissance de 4,6% au cours des dix dernières années du transport fret lequel s'effectuait alors principalement du port de Marseille, secondairement de Toulon, Nice ayant une activité marginale ; qu'il relève qu'en 10 ans la compagnie Corsica a capté plus de 20% des trafics fret avec encore une bonne marge de progression de sorte que " Marseille qui, en 2002, gérait 94% des trafics sur la Corse, ne représente plus aujourd'hui que 78%du marché, ce qui traduit une érosion des parts de marché de la SNCM (de 49% en 2002 à 42%en 2010) et de la CMN de 45% en 2002 à 36% en 2010) " ; que le rapport explique cette évolution par le développement de la compagnie Corsica Ferries et l'augmentation du nombre de départs sur Toulon mais aussi par " d'autres paramètres tels que les conditions d'accès au port de Toulon, le coût du passage portuaire (plus élevé à Marseille qu'à Toulon), les soutes (en relation avec la distance des deux ports avec la Corse) " ;
Considérant que la SNCM produit des statistiques et données fournies par l'Observatoire Régional des Transports de la Corse et un tableau établi partir à de celles-ci, relatif à l'évolution des parts de marché de chacune des trois compagnies ; qu'il en résulte que, si les parts de marché fret de la SNCM étaient supérieures à 40% jusqu'en 2009, celles-ci ont diminué en 2010 et 2011, passant alors à 37,4% en 2010 et à 34, 8% en 2011 alors que celles de la CMN ont été pour ces deux années de 35,2% et de 38,2% et celles de Corsica Ferries de 24,8% et de 26,1% ; que l'évolution à la hausse a surtout été nette pour la société Corsica Ferries puisque sa part de marché qui se situait entre 14,7%, à compter de 2009, a dépassé 20% alors que la part de CMN qui, comme celle de SNCM dépassait 40% en 2004 a baissé, quoique dans une moindre mesure que celle de la SNCM.; que par ailleurs la société SNCM a dû faire face à des grèves d'une ampleur exceptionnelle au cours de l'exercice 2011 soit 47 jours consécutifs ce qui explique aussi la réduction de sa part de marché ; que, si ces éléments démontrent que l'érosion des parts de la SNCM et de la CNM s'est poursuivie, la part de marché de la SNCM se situant encore à 34,7% en 2010, celle-ci n'exclut pas une position dominante de la société SNCM sur le port de Marseille ;
Considérant que les chiffres avancés distinguent en effet les ports de départ, Toulon et Marseille, mettant en évidence la concurrence qui s'est développée entre ceux-ci au travers notamment des compagnies Corsica Ferries et SNCM, chacune intervenant au départ de l'un des deux ports, quand bien même la Commission parlementaire a conclu qu'il y aurait lieu d'étudier à plus long terme l'intérêt économique et la faisabilité de regrouper dans une même délégation de service publique des deux ports au regard de la position de la Commission Européenne ;
Considérant que, s'agissant des offres des deux compagnies concurrentes, la CMN et Corsica Ferries, il y a lieu d'observer que :
- la CMN fait des liaisons trois fois par semaine entre Marseille et Propriano et un jour sur deux avec les ports de Bastia et d'Ajaccio, de sorte qu'un jour sur deux la SNCM bénéficie d'une exclusivité sur ces deux ports au départ de Marseille, au surplus la CMN ne dessert pas les ports de Porto Vecchio et Ile Rousse ;
- la société Corsica Ferries n'offre des liaisons maritimes quotidiennes pendant toute l'année que sur la ligne Toulon Bastia, des liaisons quotidiennes Toulon Ajaccio pendant la seule période estivale soit d'avril à septembre et trois rotations le reste de l'année, des transports occasionnels sur la ligne Toulon Ile Rousse et elle a des capacités limités en raison de ses types de navires, ferries et cargos mixtes transportant passagers et marchandises ; elle ne dessert que deux ports et au surplus son offre sur Ajaccio n'est pas quotidienne tout au long de l'année, sa disponibilité pour le transport de marchandises dépendant de l'espace garage réservé aux voitures des passagers ;
Considérant au surplus que les dessertes à l'arrivée concernent différents ports ; que la topographie montagneuse de la Corse rend les distances à parcourir d'une ville à l'autre parfois difficiles de sorte que le port d'arrivée est un élément essentiel pour les transporteurs routier et qu'il ne peut y avoir substitution de l'un à l'autre ;
Considérant que la société Rocca fait également valoir la spécificité du port de Marseille qui seul était en mesure d'offrir une prestation portant à la fois sur du fret tracté ou inerte ce qui n'est pas contesté ;
Considérant que la SNCM a bénéficié d'une délégation de service public régulièrement renouvelé ; que s'agissant du renouvellement, le Conseil de la concurrence, par une décision du 27 février 2009 confirmée par un arrêt définitif de la Cour d'appel de Paris du 9 mars 2010 a retenu que " s'agissant de la situation de la SNCM sur le marché retenu par le Conseil de la concurrence c'est-à-dire celui du renouvellement de la délégation de service public pour le transport maritime entre Marseille et les ports de Corse..., la SNCM qui assurait déjà cette délégation de service public presque seule (la CNM avec ses trois navires ne lui apportait qu'un complément) ne subissait pas de réelle pression concurrentielle et était devenue un opérateur incontournable pour la desserte de la Corse " ;
Considérant en conséquence que les offres de la société Corsica pas plus que celles de la société CNM quand bien même cette dernière opère au départ de Marseille ne constituent des alternatives à celles complètes de la société SNCM qui occupe encore une position dominante sur le marché des liaisons maritimes entre Marseille et la Corse ; qu'il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris sur ce point.
Sur la dépendance économique de la société Rocca
Considérant que la SNCM soutient qu'il n'a existé aucune dépendance économique car le coût financier du transport maritime n'aurait été que de 7,56% du chiffre d'affaires total de la société Rocca ;
Considérant que la société Rocca conteste ce chiffre et fait valoir qu'il y a lieu de prendre en compte la part de la SNCM dans son budget maritime globale et non le chiffre d'affaires global qu'elle a réalisé ; qu'elle avance les chiffres suivants :
en 2008 :
- CA 36 735K
Budget maritime : 10 019K soit 27% dont SNCM 4 365K soit 44%
en 2009 :
- CA 37 039K
Budget maritime : 11 703K soit 32% dont SNCM 4 564K soit 39%
en 2010 :
- CA 38 279K
Budget maritime : 11 185K soit 29% dont SNCM 2 599Ksoit 23%
en 2011 :
- CA 39 371K
Budget maritime : 13 935Ksoit 33% dont SNCM 3 307K soit 25%
en 2012 :
- CA 38 032K
Budget maritime : 13 842K soit 36% dont SNCM 4 190K soit 30% soit sur 5 ans une moyenne de 31,8%, détail chiffré sur lequel la SNCM n'apporte aucune observation pertinente pour le remettre en cause ;
Considérant que sur cette même période le volume moyen des marchandises confiées à la SNCM par rapport au volume confié aux autres transporteurs maritimes s'établit aussi à 31,8 % ;
Considérant que l'état de dépendance économique se définit " comme la situation d'une entreprise qui ne dispose pas de la possibilité de substituer à son fournisseur ou à ses fournisseurs un ou plusieurs autres fournisseurs répondant à une demande d'approvisionnement dans des conditions techniques et économiques comparables " ;
Considérant que les pouvoirs publics ont en raison même des difficultés de desserte quotidienne de la Corse alloué le 7 juin 2007 une délégation de service public à la SNCM et à la CNM qui devaient assurer des obligations de régularité et de volume dans le transport des marchandises, la SNCM bénéficiant à ce titre d'une subvention annuelle de 40 millions d'euros ; que par une décision du 2 mai 2013, la Commission Européenne a conclu que les compensations accordées à la SNCM depuis 2007 pour le service dit de " base " à savoir celui qui permet d'assurer quotidiennement la desserte maritime entre Marseille et la Corse pour les marchandises étaient pleinement justifiées dès lors que ce service de base remédiait à une véritable carence du marché ; qu'elle a ainsi relevé que " En particulier, concernant la période sur laquelle cette carence est observée, la Commission considère que la constatation, sur chaque ligne en cause, d'une carence de l'initiative privée au regard d'un besoin de transport bien identifié pendant les seules périodes creuses de l'année suffit à justifier l'inclusion dans le champ du service public du service de base pour l'année pour l'ensemble des lignes " ; qu'il résulte de cette décision la constatation, qu'au moins au cours des périodes creuses de l'année, il n'existait aucun service substituable de sorte que, pour l'assurer, la SNCM était fondée à bénéficier d'aides ; qu'ainsi il est fait la démonstration qu'elle seule assurait ledit service et que les transporteurs comme la société Rocca ne pouvait recourir à aucun autre prestataire ; que la société SNCM a d'ailleurs bénéficié de renouvellements de sa délégation de service public, le dernier à compter du 24 septembre 2013 pour une durée de 10 ans ;
Considérant qu'il résulte de ces éléments que, quand bien même la société SNCM a vu ses parts de marché diminuer au cours des années 2010 et 2011, elle a, du fait de contraintes techniques et géographiques, conservé une position dominante sur le transport de marchandises au départ de Marseille à destination de la Corse et que la société Rocca était en situation de dépendance économique ; qu'il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la société Rocca n'était pas dans une situation de dépendance économique.
Sur l'abus allégué de position dominante et de dépendance économique
Considérant que la société Rocca fait valoir que le système de ristournes mis en place par la SNCM est constitutif d'un abus en ce qu'il est incohérent et discriminatoire, créant une distorsion de concurrence ;
Considérant que, si la société Rocca, comme les autres transporteurs, a été invitée à adhérer au système mis en place ce qu'elle ne conteste pas et qu'elle l'a refusé, cette circonstance est sans conséquence puisqu'en toute hypothèse elle en était exclue ;
Considérant qu'elle fait grief à la SNCM d'avoir permis à des opérateurs qui lui ont confié des volumes de marchandises identiques, voire inférieurs à ceux confiés par elle de bénéficier de ristournes ;
Considérant que les dispositions du 1 de l'article L. 442-6-1-1, 7° du Code de commerce qui sanctionnait la faute civile de discrimination a été abrogée par la loi du 4 août 2008 relative à la modernisation de l'économie de sorte que ces pratiques ne sont répréhensibles que si elles constituent un abus de droit ;
Considérant que les ristournes en cause ont eu pour conséquence de :
- favoriser les transporteurs s'engageant à augmenter leur volume, la SNCM leur faisant alors bénéficier de ristournes sur l'ensemble du volume alors même que des transporteurs confiant un volume plus important en étaient exclus ;
- léser les transporteurs ayant déjà acquis une certaine taille et étant déjà en relations avec la SNCM ;
Considérant que la SNCM a ainsi mis en place un système anticoncurrentiel, abusant de sa position dominante et de la dépendance économique de la société Rocca ;
Sur le préjudice de la société Rocca
Considérant que la société Rocca fait état d'un préjudice pour avoir été privée de ristournes au titre des années 2010, 2011 et 2012 qu'elle chiffre à la somme de 1 009 7007,00 sauf à parfaire comme correspondant à 10% du chiffre d'affaires réalisé outre un préjudice concurrentiel de 237 790 résultant de la perte de quatre clients et un préjudice résultant de la perte de chance de se développer ;
Considérant que la société Rocca ne peut se prévaloir d'un préjudice résultant d'une ristourne dont elle ne conteste pas que celle-ci ne lui était pas applicable ; que son préjudice résulte du fait qu'elle a été privée d'un avantage concurrentiel en ce que d'autres transporteurs avec lesquels elle se trouve en concurrence en ont bénéficié et ont pu la répercuter sur leur prix, devenant alors plus attactifs ;
Considérant toutefois qu'elle allègue avoir perdu dans ces conditions quatre clients :
- le client Weldom avec lequel elle était en affaires depuis 2003, faisant état d'une perte partielle ou totale des opérations de transports à destination des magasins Weldom au profit de la société SMIRT ;
- le client TNT Express, son client depuis 1998 au profit de la société TTC ;
- le client Leclerc de l'Ile Rousse, son client depuis 2008 au profit de la société Seb ;
- le client Corseprim, son client depuis 2007 au profit de la société Setec.
Considérant toutefois que, si la société Rocca affirme avoir perdu ces clients en raison de tarifs plus intéressants pratiqués par des transporteurs concurrents qui ont bénéficié des ristournes, elle n'apporte aucun élément concernant les tarifs qui ont été pratiqués par ceux-ci et qui auraient déterminé le choix de ces clients ; qu'en conséquence elle ne démontre pas que ces transporteurs ont pratiqué auprès des clients qui étaient les siens des conditions tarifaires plus intéressantes ;
Considérant néanmoins que la société Rocca a été désavantagée sur le plan concurrentiel en ayant des coûts supérieurs et qu'elle a ainsi perdu une chance de conquérir de nouveaux clients ; qu'il y a lieu de réformer le jugement entrepris et de fixer son préjudice à la somme de 50 000.
Sur la demande de communication de pièces
Considérant que la société Rocca soutient que la SNCM a continué d'accorder des ristournes en 2012 et demande à la Cour d'ordonner la communication des comptes clients de cinq entreprises ;
Considérant que, d'une part que la SNCM affirme avoir abandonné sa pratique des ristournes en 2012, d'autre part que, comme il a été v précédemment la société Rocca ne rapporte pas la preuve qui lui incombe d'un préjudice concurrentiel directement lié à cette pratique qui aurait perduré au-delà de 2011 ; qu'il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de sa demande.
Sur la demande reconventionnelle
Considérant que, si la SNCM soutient que la procédure engagée l'a été de façon abusive, la Cour ayant fait droit partiellement à la demande de la société Rocca, il y a lieu de la débouter de sa demande de dommages et intérêts ;
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
Considérant que la société Rocca a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge, qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 dans la mesure qui sera précisée au dispositif.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement entrepris. Declare recevable la société Rocca Transports. Dit que la SNCM était en état de position dominante. Dit que la société Rocca Transports se trouvait en état de dépendance économique vis à vis de la SNCM. Dit que la Société Maritime Corse Méditerranée " SNCM " SA a pratiqué un système de remise discriminatoire et anticoncurrentiel. Fixe la créance indemnitaire de la société Rocca à la somme de 50 000 avec intérêts au taux légal à compter du 13 novembre 2012. Ordonne la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil. Rejette toute autre demande, fin ou conclusion plus ample ou contraire. Condamne la société Nationale Maritime Corse prise en la personne de ses représentants à la procédure collective à payer à la société Rocca la somme de 8 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la société Nationale Maritime Corse prise en la personne de ses représentants à la procédure collective aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.