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Décisions

Cass. crim., 7 octobre 2009, n° 09-80.175

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dulin

Avocat :

Me Blanc

Aix-en-Provence, 5e ch., du 10 déc. 2008

10 décembre 2008

LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par X Chantal, Y Michel, contre l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 5e chambre, en date du 10 décembre 2008, qui, pour tentative d'escroquerie et abus de faiblesse, les a condamnés, chacun, à deux ans d'emprisonnement dont un an avec sursis et mise à l'épreuve, et a prononcé sur les intérêts civils ; - Joignant les pourvois en raison de la connexité ; - Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ; - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, dans l'exercice de son activité d'auxiliaire de vie au domicile de Lucien Z, Chantal X s'est fait consentir par celui-ci un testament et le bail à titre gratuit d'une villa située à Fréjus ; qu'elle y a établi son domicile avec son ami Michel Y ; qu'elle a encore obtenu de Lucien Z, qu'elle hébergeait, des remises de chèques et d'espèces, s'appropriant, pour masquer ces versements, des documents bancaires et notariés appartenant à la victime ; qu'enfin, sous le couvert d'une fondation pour personnes âgées sans existence légale, Chantal X et Michel Y ont mis en vente, sans droit ni titre, une maison appartenant à Lucien Z à Saint-Raphaël ; qu'après avoir fait visiter le bien à Joëlle A et signer un compromis de vente notarié, Michel Y lui a présenté, pour signature, une reconnaissance de dette, portant sur la fraction dissimulée du prix de vente, mais établie à l'ordre de Chantal X ; que Joëlle A a porté plainte et qu'un gérant de tutelle a été désigné pour assister Lucien Z ;

Attendu que, sur le renvoi ordonné par un juge d'instruction, Chantal X et Michel Y sont poursuivis pour avoir, d'une part, abusé de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse de Lucien Z, personne majeure qu'ils savaient particulièrement vulnérable en raison de son âge, d'une maladie, d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique, en l'amenant à leur remettre des fonds ainsi qu'à leur consentir la mise à disposition à titre gratuit d'une villa située à Saint-Raphaël, d'autre part, en employant des manœuvres frauduleuses, tenté de tromper Joëlle A, pour la déterminer à remettre des fonds, valeurs ou bien quelconque, ladite tentative manifestée par un commencement d'exécution, la signature d'un compromis de vente, n'ayant manqué son effet qu'en raison de circonstances indépendantes de leur volonté, en l'occurrence le dépôt de plainte de la victime ;

En cet état : - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-4, 313-1 du Code pénal, 388, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Michel Y et Chantal X coupables de tentative d'escroquerie au préjudice de Joëlle A;

" aux motifs que cette tentative concernait la proposition de reconnaissance de dette d'un montant de 90 000 euro et non de la signature du compromis de vente chez le notaire pour la partie de la somme destinée au paiement de la maison de Fréjus appartenant à Lucien Z ; que Chantal X et Michel Y habitaient ensemble et avec Lucien Z la maison à l'époque des faits ; que tous deux s'occupaient de Lucien Z ; que celui-ci n'était pas informé de la possibilité d'une reconnaissance de dette qui était bien rédigée au bénéfice de Chantal X ; que Lucien Z n'était pas en possession de tous ses moyens ; que Chantal X avait intérêt à une telle reconnaissance de dette puisqu'elle en était la bénéficiaire ; que Michel Y profitait avec Chantal X de la location à titre gratuit de la maison de Lucien Z, ainsi que de ses largesses ; qu'il avait intérêt à la vente de la maison de Lucien Z située à Fréjus et de profiter de cette occasion pour obtenir 90 000 euro de Joëlle A; qu'il avait envoyé une copie de la reconnaissance de dette à Joëlle A, ce qui prouvait qu'il était impliqué dans la confection de cette reconnaissance de dette et de la tentative d'escroquerie qui n'avait manqué son effet que par la réaction de la victime potentielle qui avait refusé d'agréer à cette malversation ; que, le 26 janvier 2005, Lucien Z avait rédigé un testament par devant Me B, notaire au profit de Chantal X, en présence de celle-ci, en vue de lui léguer ses biens ; qu'à cette occasion, Chantal X avait exprimé le désir de vendre la maison de Lucien Z mais que le notaire avait refusé en raison de la commission occulte prévue par les parties, prélude à la tentative d'escroquerie ; que l'accord sur le prix de la maison était conclu entre Joëlle Aet Michel Y ; que la visite et l'accord étaient faits dans le cadre de la fondation pour personnes âgées dont Michel Y était le président ; qu'il ne pouvait qu'être déduit des opérations qu'il menait pour la vente de cette maison que Michel Y les avait entreprises en tant que président de la fondation ;

" 1°) alors que le juge pénal ne peut statuer sur des faits autres que ceux visés dans la prévention et sur lesquels le prévenu a refusé d'être jugé ; qu'en s'étant fondés sur une reconnaissance de dette quand l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel visait uniquement la signature d'un compromis de vente et que les prévenus ne s'étaient défendus que sur ce compromis de vente, les juges ont excédé les limites de leur saisine ;

" 2°) alors que le dossier ne comportait aucune reconnaissance de dette d'un montant de 90 000 euro ; qu'en ayant énoncé que la tentative d'escroquerie était relative à une proposition de reconnaissance de dette pour un montant de 90 000 euro, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

" 3°) alors que la production d'un écrit, fût-il mensonger, ne constitue pas une manœuvre caractéristique du délit d'escroquerie ; qu'en s'étant fondée sur la confection d'une reconnaissance de dette pour retenir les prévenus dans les liens de la prévention, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision " ;

Attendu que, pour déclarer les prévenus coupables de tentative d'escroquerie, l'arrêt énonce, notamment, que les manœuvres frauduleuses résultent de la proposition de reconnaissance de dette portant sur une partie du prix de vente ; que les juges retiennent que Lucien Z n'a pas été informé de cet acte rédigé au profit de Chantal X et que Michel Y, également bénéficiaire de l'opération, l'a adressé à Joëlle A; qu'ils en déduisent, après avoir relevé que Michel Y a agi en qualité de président d'une fondation inexistante, une mise en scène qui n'a manqué ses effets qu'en raison de la réaction de la victime qui a refusé d'agréer à la malversation ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que les manœuvres frauduleuses retenues pour caractériser cette mise en scène, constitutive du délit, résultent des motifs de l'ordonnance de renvoi adoptant ceux du réquisitoire définitif, la cour d'appel a justifié sa décision sans excéder sa saisine ; d'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-4, 223-15-2 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Michel Y coupable de tentative d'abus d'ignorance ou de faiblesse et Chantal X coupable d'abus d'ignorance ou de faiblesse ;

" aux motifs que l'état de faiblesse de Lucien Z à l'époque des faits pouvait être constaté grâce à plusieurs éléments ; qu'un examen psychologique doublé d'une expertise psychiatrique avaient démontré que Lucien Z présentait manifestement un état de faiblesse psychique avec évolution patente d'une sénilité entraînant des troubles des fonctions cognitives supérieures, des fonctions mémorielles et une tendance au laisser-aller ; que le médecin de famille n'avait pas relevé de troubles profonds en dépit de la mention de pertes de mémoire ; que l'expert près la Cour d'appel d'Aix-en-Provence requis par le juge d'instruction concluait expressément à l'état de faiblesse apparent de Lucien Z ; qu'ainsi, l'état de faiblesse existait depuis plusieurs mois avant le premier examen du docteur C ; que Chantal X avait elle-même reconnu cet état de faiblesse lors de sa déclaration à la police le 19 mai 2005 ; que Michel Y, qui avait suivi des études médicales, ne pouvait ignorer cette situation psychique de Lucien Z ; que les 113 763 euro de chèques et les 69 600 euro en espèces dont les prévenus avaient bénéficié ne pouvaient correspondre à des dépenses destinées à l'entretien de Lucien Z ; que les travaux sur la maison de Fréjus ne justifiaient en rien le montant des chèques ; qu'en effet, ces factures correspondaient à des travaux d'embellissement intérieurs ou extérieurs ayant largement profité aux prévenus durant leur séjour dans cette maison et non à des travaux nécessaires ; qu'en tout état de cause, Chantal X ne produisait que des documents pour un montant de 22 400 euro ; que Chantal X et Michel Y avaient abusivement profité du bail à titre gratuit que Chantal X avait obtenu de Lucien Z ; qu'il en était de même pour le testament que Chantal X s'était fait consentir par Lucien Z ;

" 1°) alors que la tentative d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse n'est pas réprimée par le Code pénal ; qu'en ayant condamné Michel Y de ce chef, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

" 2°) alors que l'état d'ignorance ou de faiblesse apparente doit exister au moment des faits délictueux ; qu'en s'étant fondée sur des examens réalisés postérieurement aux faits, tout en constatant que les certificats médicaux établis par le médecin de famille au moment des faits établissaient l'absence de troubles profonds, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations ;

" 3°) alors que l'état d'ignorance ou la situation de faiblesse doit être apparent et connu de son auteur ; qu'en s'étant fondée sur les " études médicales " qu'aurait suivies Michel Y sans indiquer l'origine de cette constatation de fait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

" 4°) alors que la cour d'appel, qui a retenu pour 113 763 euro de chèques quand l'instruction n'en avait révélé que pour environ 67 392 euro et a retenu pour 69 600 euro en liquide quand l'instruction n'avait nullement mis en évidence la perception de sommes en liquide par les prévenus, a entaché sa décision d'un défaut de motifs ;

" 5°) alors que l'acte incriminé doit avoir été gravement préjudiciable à la victime ; que la cour d'appel, qui a constaté que des factures de travaux étaient produites à hauteur de 22 400 euro correspondant à des travaux sur la maison de Lucien Z à même de lui procurer une plus-value, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations ;

" 6°) alors que la cour d'appel, qui s'est fondée sur l'existence d'un bail à titre gratuit qui ne figurait nullement au dossier, a entaché sa décision d'un défaut de motifs " ;

Attendu que, pour déclarer Chantal X et Michel Y coupables du délit d'abus de faiblesse visé à la prévention, l'arrêt énonce, notamment, qu'un examen psychologique et une expertise psychiatrique ont démontré que Lucien Z présentait un état manifeste de faiblesse psychique avec évolution patente d'une sénilité entraînant des troubles des fonctions cognitives supérieures, des fonctions mémorielles et une tendance à l'incurie et au laisser-aller ; que les juges relèvent que Chantal X a admis l'état de faiblesse de la victime, que Michel Y ne pouvait ignorer, ayant suivi des études médicales ; qu'ils ajoutent que les sommes ayant bénéficié aux prévenus ne peuvent correspondre à des dépenses destinées à l'entretien de Lucien Z ni être justifiées par des travaux prétendument effectués pour l'amélioration d'une maison dont ils ont abusivement profité sous le couvert d'un bail à titre gratuit ; qu'enfin, les juges retiennent que ces abus sont confortés par la qualité de légataire testamentaire que Chantal X s'est fait reconnaître en abusant de cet état de faiblesse ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, procédant du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond, et abstraction faite d'une erreur matérielle susceptible d'être rectifiée suivant la procédure prévue aux articles 710 et 711 du Code de procédure pénale, la cour d'appel, qui a, sans insuffisance ni contradiction, caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit d'abus de faiblesse dont elle a déclaré les prévenus coupables, a justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen, irrecevable en sa première branche, ne saurait être accueilli ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 du Code civil, 2, 591 et 593 du Code de procédure pénale :

" en ce que l'arrêt attaqué a condamné solidairement les prévenus à payer diverses sommes à la fois à Lucien Z et à son gérant de tutelle, M. D;

" aux motifs que le tribunal avait équitablement apprécié le préjudice subi par les parties civiles et qui correspondait au montant des sommes détournées ainsi qu'au préjudice moral ;

" alors qu'un même préjudice ne peut être indemnisé deux fois ; qu'en ayant alloué les diverses sommes réparant les préjudices subis tout à la fois à Lucien Z et à son gérant de tutelle chargé de percevoir les revenus de l'incapable, la cour d'appel a indemnisé deux fois les mêmes dommages " ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt et du jugement qu'il confirme qu'une seule condamnation, réparant les préjudices matériels et moral nés de l'infraction, a été prononcée au profit de Lucien Z, assisté de son gérant de tutelle ; d'où il suit que le moyen manque en fait ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme,

Rejette les pourvois.