Cass. crim., 16 décembre 2014, n° 13-86.620
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Défendeur :
Fondation Institut Pasteur
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
Mme Harel-Dutirou
Avocat général :
M. Liberge
Avocats :
SCP Gadiou, Chevallier, SCP Waquet, Farge, Hazan
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la Fondation Institut Pasteur, partie civile, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, chambre 2-8, en date du 17 septembre 2013, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 27 juin 2012, n° 11-83.695), dans la procédure suivie contre Mme Evelyne X du chef d'abus de faiblesse, a prononcé sur les intérêts civils ; - Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 223-15-2 du Code pénal, 591, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a débouté l'Institut Pasteur de ses demandes de partie civile, dirigées contre Mme X ;
" aux motifs que les libéralités susmentionnées, consenties par Andrée Y à Mme X, peuvent caractériser un potentiel abus de faiblesse par la seconde, à condition toutefois que les transferts financiers concernés aient été gravement préjudiciables à la première ; que concernant les modifications apportées en janvier et juin 2002 aux bénéficiaires des contrats d'assurance vie, celles-ci n'ont pas été inclues par la prévention dans les actes constitutifs du délit visé ; que ces modifications, révocables à tout moment par la souscriptrice, constituent en effet un acte de disposition post-mortem et sont donc insusceptibles de lui être gravement préjudiciables ; que le même raisonnement doit s'appliquer au testament visé par la prévention, la désignation d'un nouveau légataire universel, dénuée de tout caractère irrévocable, étant sans incidence aucune sur la disponibilité du patrimoine de la testatrice du vivant de cette dernière ; que par ailleurs il n'est pas contesté par la partie civile que le virement au bénéfice de Mme X de la somme de 40 000 euro a été concomitant à la récupération par Andrée Y d'une somme, plus importante, de 68 768 euro, qui avait été détournée au préjudice de la seconde par un conseiller financier indélicat ; que la défense fait valoir que cette libéralité constitue la contrepartie librement consentie de l'aide apportée à la victime de ces agissements, en butte au scepticisme de son entourage quant à la réalité de ces derniers, pour récupérer son bien ; que cette thèse est confortée par plusieurs éléments du dossier, et notamment par la condamnation pénale de l'auteur du détournement ; qu'il n'est ainsi pas établi que le virement incriminé ait été gravement préjudiciable à son auteur ; qu'enfin le don de pièces d'or, vendues par Mme X pour un montant de 13 570 euro, ne constitue pas une gratification disproportionnée au regard du patrimoine de la donatrice et de la durée pendant laquelle l'intimée s'est occupée de cette dernière ; que, plus généralement, le montant des retraits effectués chaque mois sur le compte d'Andrée Y en 2002 et 2003, soit mille euro, n'excède pas de manière manifeste les besoins courants de l'intéressée ; qu'il n'est dès lors pas établi que les libéralités consenties par Andrée Y à Mme X lui aient été gravement préjudiciables ; qu'il convient donc de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté l'Institut Pasteur de ses demandes ;
" 1°) alors que constitue un acte gravement préjudiciable pour une personne vulnérable celui de disposer de ses biens en faveur d'une personne qui l'a conduite à cette disposition, par testament ou par un acte n'ayant vocation à s'appliquer qu'après le décès ; qu'en estimant qu'il n'était pas établi que les libéralités consenties par Andrée Y à Mme X lui aient été gravement préjudiciables dès lors que, s'agissant des contrats d'assurance-vie instituant bénéficiaire Mme X ou du testament l'instituant légataire universel, ces actes, révocables à tout moment, étaient sans incidence sur la disponibilité du patrimoine de la testatrice ou souscriptrice du vivant de cette dernière, la cour d'appel a violé les textes visés ci-dessus ;
" 2°) alors que le fait d'abuser de la particulière vulnérabilité d'une personne pour l'amener à souscrire un acte qu'elle n'a pas librement consenti occasionne nécessairement un préjudice ne serait-ce que moral ou psychologique à la personne dont la liberté a ainsi été abolie ; qu'en constatant l'état de particulière vulnérabilité de Andrée Y, mais en estimant que les actes établis par cette dernière au profit de Mme X n'étaient pas préjudiciables dès lors qu'ils étaient révocables et n'avaient vocation à produire effet qu'après le décès de leur auteur, sans rechercher si ces actes litigieux n'avaient pas engendré un préjudice, moral ou psychologique, suffisant pour caractériser le délit dans tous ses éléments constitutifs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
" 3°) alors qu'en toute hypothèse, il appartient aux juges du fond pour apprécier le caractère gravement préjudiciable des actes consentis d'envisager, dans leur ensemble et leur importance, les actes litigieux ; qu'il apparaissait ainsi que Andrée Y avait souscrit au profit de Mme X deux contrats d'assurance vie d'une valeur de 160 000 euro, qu'elle l'avait également instituée légataire universel, qu'elle avait, par ailleurs, effectué à son profit un virement de 40 000 euro, qu'elle lui avait, encore, donné des pièces d'or pour une valeur supérieure à 13 000 euro et que Mme X avait procédé sur le compte de Andrée Y, pendant deux ans, à un retrait mensuel de 1 000 euro en liquide, ces retraits s'étant poursuivis alors que Mme Y était en maison de retraite ; que pour considérer que les libéralités consenties n'avaient pas été préjudiciables à André Y, la cour d'appel a examiné chaque acte pris isolément ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si, dans leur ensemble et par leur importance totale, les actes litigieux n'avaient pas été gravement préjudiciables à Mme Y, la cour d'appel a privé sa décision de base légale et violé les textes susvisés " ;
Vu l'article 223-15-2 du Code pénal, ensemble l'article 1382 du Code civil ; - Attendu que constitue un acte gravement préjudiciable ouvrant droit à réparation le fait pour une personne vulnérable de disposer de ses biens par testament en faveur de la personne l'ayant conduite à cette disposition ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Mme X a été renvoyée devant le tribunal correctionnel pour avoir frauduleusement abusé de la situation de faiblesse d'Andrée Y en obtenant notamment qu'elle rédige à son profit un testament olographe l'instituant légataire universelle ; que le tribunal l'a relaxée ;
Attendu que, pour débouter la partie civile de ses demandes, l'arrêt retient que, si Andrée Y présentait, au moment des faits visés à la prévention, des déficiences physiques caractérisant un état de particulière vulnérabilité susceptible de la placer dans une situation de faiblesse, la désignation dans un testament d'un nouveau légataire universel, dénuée de tout caractère irrévocable, est sans incidence sur la disponibilité du patrimoine de la testatrice de son vivant ; que les juges en déduisent qu'un tel acte de disposition post-mortem est insusceptible de lui être gravement préjudiciable ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel, saisie sur renvoi après cassation des seuls intérêts civils, a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ; d'où il suit que la cassation doit être encourue ;
Par ces motifs : casse et annule en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Paris, en date du 17 septembre 2013, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, Renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Versailles, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.