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Décisions

CA Poitiers, 1re ch. civ., 30 octobre 2015, n° 15-03468

POITIERS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Dexter (SAS)

Défendeur :

MO 205 (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Potée

Conseillers :

Mmes Contal, Clément

Avocats :

Mes Clerc, Dalat, Brossy

T. com. La Rochelle, prés., du 30 juill.…

30 juillet 2015

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

Suivant contrat en date du 16 janvier 2015, la société Dexter, société de distribution spécialisée dans la vente en gros de produits pharmaceutiques et paramédicaux, s'est vue attribuer par la société MO 205 la distribution exclusive d'un produit créé par cette dernière à savoir un cale-écran destiné à maintenir l'ouverture buccale dans le cadre de soins dentaires.

L'exclusivité était accordée pour une durée d'une année. Le contrat prévoyait que "d'un commun accord entre les parties, pour l'année 2015, le distributeur s'engage irrévocablement à passer commande des sept mille cent vingt-cinq (7 125) coffrets sans possibilité de revenir sur cet engagement". Le total de ces commandes s'élevait à 217 312,50 euro.

La société Dexter n'ayant commandé que 1 000 coffrets au 15 avril 2015 alors qu'elle aurait dû en commander 3 000 à cette date et ayant cessé de passer les commandes telles que prévues au contrat, a été assignée devant le juge des référés du Tribunal de commerce de La Rochelle aux fins de voir :

- Enjoindre la société Dexter de passer commande à la société MO 205 pour 3 500 coffrets cale-écran correspondant au calendrier fixé pour les mois de mai à septembre 2015, sous astreinte de 1 000 euro par jour de retard ;

- Condamner la société Dexter à verser une provision de 121 695 euro correspondant au même calendrier ;

-Enjoindre la société Dexter de respecter le calendrier de commandes visé à l'article 5 du contrat, pour les mois d'octobre, novembre et décembre 2015, sous astreinte de 1 000 euro par jour de retard ;

- Se réserver le pouvoir de liquider l'astreinte ;

- Condamner la société Dexter à verser une somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ordonnance de référé du 30 juillet 2015, il a été fait droit à l'ensemble des demandes principales et à la demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile à hauteur de 2 000 euro.

La société Dexter a relevé appel de cette décision. Autorisée à assigner à jour fixe, elle argue, dans son assignation délivrée le 11 août 2015, de l'existence de contestations sérieuses et conclut au rejet des demandes présentées par la société MO 205.

Elle allègue :

- l'inopposabilité du contrat de distribution à la société Dexter au motif qu'il a été signé par Mme Charrier, directrice du marketing, qui n'a pas qualité à représenter et à engager ladite société ;

- l'absence de dommage imminent pour la société MO 205, celle-ci n'ayant pas procédé à la livraison de stocks impayés ;

- l'impossibilité pour le juge des référés de demander l'exécution d'une obligation sans rechercher si celle-ci n'était pas devenue impossible, le défendeur invoquant la force majeure, en l'espèce le fait que le produit ne convient pas aux patients, de sorte que la société Dexter s'est retrouvée confrontée à une absence de commandes de la part des chirurgiens-dentistes.

La société Dexter invoque en outre l'article 1142 du Code civil aux termes duquel toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d'inexécution de la part du débiteur et soutient qu'il appartient à celui qui se prévaut d'une inexécution contractuelle de saisir le juge du fond en réparation de son préjudice.

Par conclusions signifiées le 21 septembre 2015, la société MO 205 sollicite la confirmation de l'ordonnance déférée ainsi qu'une somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle soutient que le juge des référés peut sur le fondement de l'article 873 du Code de procédure civile contraindre une partie à exécuter une obligation de faire, qu'il n'existe pas de contestation sérieuse dans la mesure où la société Dexter avait déjà conclu un premier contrat le 3 novembre 2014 pour l'achat de 470 coffrets, qu'elle n'a jamais fait part de difficultés, et qu'elle n'a pas à subir l'incurie de la société Dexter qui devait transmettre les tableaux des ventes réalisées mensuellement et qui devait assurer une commercialisation active du produit.

MOTIFS

Aux termes de l'article 873 du Code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement excessif.

Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

La société Dexter réfute vainement l'application de l'alinéa 1 de l'article 873, non invoqué par la société MO 205 au soutien de sa demande. En effet, la demande tendant à enjoindre une partie à exécuter les stipulations d'un contrat ne constitue pas en l'espèce une mesure conservatoire ou de remise en état.

Si le juge des référés peut, en vertu de l'alinéa 2 de l'article précité, contraindre une partie à poursuivre aux conditions convenues l'exécution d'un contrat résilié ou suspendu de façon manifestement illicite, la société Dexter démontre par de nombreuses attestations qu'elle s'est trouvée confrontée au refus de ses clients chirurgiens-dentistes de recommander des coffrets du produit Ophis et que malgré le caractère ferme et définitif de son engagement, cette circonstance inconnue lors de sa conclusion en janvier 2015 (le contrat conclu le 3 novembre 2014 étant alors trop récent pour connaître les intentions de réassort des clients) est susceptible de faire obstacle à toute commercialisation et donc à la poursuite du contrat dont la suspension ne revêt pas dès lors un caractère manifestement illicite.

En vertu des articles 1184 et 1142 du Code civil, une partie peut demander des dommages et intérêts en cas de rupture d'un contrat.

Il ressort de l'article 10 du contrat de distribution exclusive " qu'en cas d'inexécution et/ou de violation par l'une des parties des obligations mises à sa charge dans le présent contrat, et 8 jours après une mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception restée infructueuse, le contrat sera, au gré de l'autre partie, résilié de plein droit aux torts de celle qui a manqué à ses obligations, par lettre recommandée avec avis de réception, sauf accord contraire express des parties. "

Le contrat a donc prévu expressément la possibilité d'une résiliation en cas de manquements de l'une des parties à ses obligations. Dès lors, et en présence des contestations émises par la société Dexter, le juge des référés ne pouvait s'en tenir au seul caractère ferme et définitif de l'engagement de cette dernière pour la contraindre à passer commande en exécution des termes du contrat.

Sans qu'il soit besoin de répondre au moyen tenant au défaut de pouvoir de Mme Charrier d'engager la société Dexter qui relève du juge du fond, il convient de constater l'existence de contestations sérieuses et de renvoyer la société MO 205 à saisir la juridiction compétente en réparation du préjudice résultant de la rupture abusive du contrat.

Nonobstant l'issue de l'appel, ni l'équité ni les situations économiques des parties ne justifient de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile en la cause.

Par ces motifs, Infirme l'ordonnance de référé du 30 juillet 2015, Statuant à nouveau, Se déclare incompétent en raison de l'existence de contestations sérieuses, Renvoie la société MO 205 à mieux se pourvoir, Dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande en remboursement de la provision allouée, l'infirmation de l'ordonnance entraînant de plein droit restitution à l'appelant des sommes versées, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société MO 205 aux dépens.