Cass. com., 10 novembre 2015, n° 14-14.820
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Guy Degrenne (SA)
Défendeur :
Sarya Ltd (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Laporte
Avocats généraux :
SCP Piwnica, Molinié, SCP Ortscheidt
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Guy Degrenne ayant rompu pour faute grave le contrat d'agence commerciale qui la liait à la société Sarya pour la distribution de ses produits dans plusieurs pays du Maghreb, du Moyen Orient et de l'Inde, celle-ci l'a assignée en paiement d'indemnités de cessation de contrat et de préavis ainsi que de commissions restant dues ; que la société Guy Degrenne a demandé reconventionnellement réparation des préjudices résultant de la violation, par l'agent, de la clause de non-concurrence stipulée dans son contrat et de manquements à d'autres obligations contractuelles ;
Sur le premier moyen, pris en sa première branche : - Attendu que la société Guy Degrenne fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Sarya certaines sommes à titre d'indemnités de rupture et de préavis ainsi que de commissions alors, selon le moyen, que pour démontrer que la société Sarya avait accepté la modification de son périmètre d'intervention arrêtée lors de la réunion du 4 décembre 2007 et qu'une rupture partielle du contrat d'agent commercial était intervenue au 31 décembre 2007, la société Guy Degrenne faisait valoir, d'une part, que le plan d'action pour 2008 élaboré par la société Sarya ne prévoyait aucune action dans le secteur de la vente au détail, non plus que, s'agissant du secteur hôtelier, dans treize des pays qui lui avaient été initialement confiés et, d'autre part, que la société Sarya n'avait, jusqu'au présent litige, jamais réclamé les commissions sur les ventes réalisées dans les pays retirés de son périmètre ; qu'en écartant la rupture partielle du contrat d'agent commercial et la fin de non-recevoir tirée de la prescription, sans répondre à ces chefs de conclusions pertinents, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que la modification du contrat proposée par la société Guy Degrenne lors de la réunion du 4 décembre 2007 était équivoque et n'avait pas fait l'objet d'un accord écrit approuvant de nouvelles dispositions, tandis que la société Sarya avait poursuivi ultérieurement son activité conformément aux stipulations originaires, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a répondu aux conclusions prétendument délaissées; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen : - Attendu que la société Guy Degrenne fait grief à la cour d'appel de rejeter sa demande de dommages-intérêts pour violation de la clause de non-concurrence et de prononcer les mêmes condamnations à son encontre alors, selon le moyen : 1°) que l'agent commercial ne peut accepter la représentation d'une entreprise concurrente de celle de l'un de ses mandants sans accord de ce dernier ; que la renonciation à un droit ne se présume pas, mais doit résulter d'actes manifestant sans équivoque la volonté d'abdiquer ; qu'il s'ensuit qu'une simple tolérance de la part du mandant ne vaut pas acceptation ; qu'en se bornant à retenir, pour affirmer que la société Guy Degrenne avait accepté que la société Sarya représente les sociétés Deshoulières et Apilco, qu'informée de ce que la société Sarya représentait ces entreprises concurrentes, elle ne l'avait pas mise en demeure de cesser ses agissements, la cour d'appel, qui a statué par un motif impropre à caractériser l'acceptation de la société Guy Degrenne, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 134-3, L. 134-11 et L. 134-13 du Code de commerce ; 2°) qu'un préjudice s'infère nécessairement de la violation d'une obligation de non-concurrence ; qu'en retenant, pour condamner la société Guy Degrenne au profit de la société Sarya et rejeter sa demande de dommages-intérêts au titre de la violation de la clause de non-concurrence, qu'il n'était pas démontré que la distribution des marques Deshoulières et Apilco avait créé un préjudice à la société Guy Degrenne qui n'établissait pas qu'il s'en serait suivi un transfert de clientèle, la cour d'appel a violé les articles L. 134-3, L. 134-11 et L. 134-13 du Code de commerce ; 3°) qu'ayant constaté que la société Guy Degrenne cherchait à développer les articles de porcelaine, ce dont il résultait qu'elle se trouvait dans un rapport de concurrence avec les sociétés Deshoulières et Apilco, spécialistes de la porcelaine de table et de la porcelaine de cuisine, la cour d'appel, qui a néanmoins retenu, pour affirmer que la société Sarya n'avait pas méconnu son obligation de non-concurrence, qu'en l'état, la société Guy Degrenne proposait essentiellement des couverts, en sorte que les produits en présence étaient complémentaires et non concurrents, a statué par un motif inopérant et a violé les articles L. 134-3, L. 134-11 et L. 134-13 du Code de commerce ;
Mais attendu qu'ayant souverainement constaté que, si la société Guy Degrenne avait commencé à développer quelques articles de porcelaine afin de répondre à la spécificité du marché hôtelier des arts de la table, où le réassort est effectué par collections complètes d'articles, son activité essentielle demeurait les couverts, de sorte que sa spécialité était différente de celles des sociétés Deshoulières et Apilco, qui commercialisaient la porcelaine de table et de cuisine, et que, les produits de ces trois marques n'étant pas interchangeables, leur représentation par la société Sarya assurait une complémentarité que la mandante avait acceptée après avoir été informée par l'agent de l'intérêt commercial qu'elle pouvait en tirer, la cour d'appel a pu en déduire que la société Sarya n'avait pas méconnu son obligation de non-concurrence ; que le moyen, inopérant en ses deux premières branches, n'est pas fondé pour le surplus ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, et sur le troisième moyen, pris en ses première, deuxième, sixième, septième et huitième branches, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le troisième moyen, pris en ses troisième, quatrième et cinquième branches : - Vu l'article 455 du Code de procédure civile ; - Attendu que pour condamner la société Guy Degrenne à payer à la société Sarya des indemnités de rupture et de préavis ainsi que des commissions et rejeter sa demande en réparation du préjudice résultant de la violation par l'agent de ses obligations contractuelles, la cour d'appel a exclu tout manquement de la part de celui-ci ;
Qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société Guy Degrenne, qui faisait valoir que la société Sarya n'avait jamais pris contact avec le distributeur de ses produits à Chypre, qu'une commande de la société Stic immobilier avait été annulée en raison de la non-transmission par elle des informations nécessaires à l'émission d'une lettre de crédit et qu'elle n'avait pas rendu compte à sa mandante de l'exécution de sa mission, en particulier quant à l'état du marché et à l'avancement de ses actions, la cour d'appel a méconnu les exigences du texte susvisé ;
Par ces motifs : casse et annule, mais seulement en ce qu'il condamne la société Guy Degrenne à payer à la société Sarya les sommes de 325 880 euros au titre de l'indemnité compensatrice, 81 970 euros en réparation du préavis de six mois non exécuté et 89 232,24 euros au titre des commissions restant dues et rejette sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de certains manquements de celle-ci, l'arrêt rendu, le 28 novembre 2013, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt, et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris autrement composée.