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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 27 mai 2015, n° 13-03529

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Alsatel (SA)

Défendeur :

Siempelkamp Nucléaire France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Panetta

Conseillers :

Mmes Roubertou, Alzeari

Avocats :

Mes Wiesel, Boucon, Delahaie-Roth

TGI Strasbourg, 2e ch. com., du 14 juin …

14 juin 2013

FAITS PROCEDURE PRETENTIONS DES PARTIES:

La SA Alsatel a saisi le Tribunal de grande instance de Strasbourg, afin d'obtenir que la SA ANSA soit condamnée à lui verser la somme de 14 780,02 euro correspondant à des factures de consommation téléphonique et de ses accessoires impayées suite à une consommation excessive d'appels téléphoniques à destination de Sierra Leone.

Par jugement du 14 juin 2013, la deuxième chambre commerciale du Tribunal de Grande Instance de Strasbourg a débouté la société Alsatel de tous ses chefs de demande et débouté la société ANSA de sa demande reconventionnelle et condamné la société Alsatel au paiement d'une indemnité de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par déclaration faite au greffe, le 16 juillet 2013, la société Alsatel a interjeté appel de cette décision et dans des dernières conclusions du 20 novembre 2014, elle sollicite de la cour qu'elle infirme la décision entreprise, et statuant à nouveau qu'elle condamne la SA ANSA à lui verser la somme de 14 780,02 euro et celle de 2 500 euro à titre de dommages et intérêts et la même somme sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

La SA Alsatel sollicite que la cour déclare irrecevable ou en tout cas mal fondé l'appel incident formé par la société ANSA.

Dans des dernières conclusions du 11 septembre 2014, la société SNF anciennement dénommée ANSA, sollicite la confirmation de la décision entreprise et demande dans l'hypothèse où la cour entrerait en voie de condamnation à son encontre de prononcer la compensation entre les créances détenues par la société Alsatel envers elle et la créance de dommages et intérêts à lui attribuer envers la société Alsatel, de déclarer recevable et bien fondé son appel incident et statuant à nouveau lui allouer la somme de 17 000 euros à titre de dommages et intérêts.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 décembre 2014 ;

L'affaire a été appelée et retenue à l'audience du 13 avril 2015 ;

MOTIFS DE LA DECISION:

La société Alsatel explique que ;

* elle exerce également une activité d'opérateur sous sa marque commerciale dénommée AGIL'IT qui repose sur un système d'achat et de revente de minutes de communication avec les opérateurs nationaux et notamment avec SFR Business Team;

* dans le cadre de relations d'affaires existant entre les parties, la société ANSA a souscrit le 12 février 2009, auprès de la société Alsatel un contrat de vente AGIL'IT;

* les conventions conclues avaient pour objet le seul acheminement de la facturation des communications sortantes de son cocontractant.

* par courrier du 22 janvier 2010, la société Alsatel va aviser la société ANSA de l'utilisation frauduleuse de son système de communication et à la demande de la société ANSA, Alsatel va exporter l'ensemble des données de communications téléphoniques pour la période considérée, permettant de constater que l'intégralité des appels étaient réalisés au départ de son système de communication par l'utilisation d'un numéro masqué, étant précisé que certains appels avaient été passés d'un numéro de téléphone attribué à l'un de ses préposés;

* la société ANSA contrairement aux stipulations contractuelles, va s'affranchir du paiement de ces communications, se retranchant derrière l'escroquerie dont elle a été victime.

La société Alsatel soutient que la société ANSA ne peut pas prétendre au bénéfice des dispositions de l'article L. 132-1 du Code de la consommation, applicables aux seules personnes physiques qui contractent pour des besoins personnels ou familiaux et car elle dispose parmi ses préposés d'un responsable technique-téléphonie.

La société Alsatel affirme qu'il ne lui appartient pas de prouver l'utilisation non frauduleuse de la ligne téléphonique, que la modification du mot de passe initial incombe à l'utilisateur, que les appels litigieux ont été passés pour partie par l'un de ses préposés, que la société ANSA ne peut pas lui faire endosser ses propres négligences en matière de sécurité et qu'elle a respecté ses obligations contractuelles.

La société Alsatel demande à la cour de rejeter l'appel incident de la société ANSA, les demandes ainsi présentées sont sans fondement.

La société SNF soutient que par application des dispositions de l'article 1315 du Code civil, l'exploitant de télécommunications doit prouver l'existence et le montant de sa créance;

La société SNF fait valoir que l'abonné qui entend contester le volume des communications peut en apporter la preuve contraire par tous les moyens et que plusieurs faits précis permettent de faire tomber la présomption dont bénéficie Alsatel dès lors qu'elle reconnaît elle-même l'anormalité de la situation et l'utilisation frauduleuse. Et que le détail des communications démontre que les appels ont été passés à destination du Sierra Leone soit en dehors des jours d'ouverture, soit en dehors des heures d'ouverture;

La société SNF affirme que la seule explication plausible est le piratage à distance des boites vocales lorsque les codes d'accès sont standardisés, ce qu'a reconnu un technicien d'Alsatel et que le fait que trois communications aient été passées par un préposé de la SNF ne démontre pas que les autres appels ont été passés par la société SNF.

La société SNF prétend que la demande de la société Alsatel est infondée à hauteur des montants sollicités et qu'il convient de limiter le montant de la créance aux seules communications qu'elle a passées.

La société SNF soutient que la demande en dommages intérêts présentée par la société Alsatel est infondée dès lors que le refus du paiement de l'intégralité des factures est parfaitement justifié comme l'a démontré et qu'elle ne justifie pas du montant de son prétendu préjudice.

La société SNF soutient que la société Alsatel doit être condamnée au paiement de dommages intérêts en réparation du préjudice qu'elle a subi des lors qu'elle a manqué à son obligation de conseil et d'information car les problèmes de piratage des systèmes de communication et leurs origines sont connues de tous les professionnels du secteur de la téléphonie et qu'à aucun moment elle l'en a informé préalablement à la conclusion du contrat, qu'elle ne l'a pas mise en garde contre ce problème fréquent comme il lui incombait de le faire en sa qualité de professionnel.

La société SNF affirme que la clause sur laquelle se fonde la société Alsatel est constitutive d'une pratique restrictive de concurrence des lors qu'elle est intervenue en qualité de non-professionnels et que les dispositions de l'article L. 442-6 I deuxièmement du Code de commerce trouvent application en l'espèce dès lors que sont constitutives d'une pratique restrictive de concurrence prohibée l'ensemble des clauses pouvant être abusives au sens des articles L. 132-1 et R. 132-1 du Code de la consommation dès lors que l'article " limitation de responsabilité " des conditions générales d'Alsatel répond à la qualification de clauses abusives car en rendant d'office responsable de toute utilisation du service même en l'absence de faute de sa part il a pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.

La société SNF prétend enfin qu'a été considérée comme une clause abusive, la clause exonérant le fournisseur en cas d'utilisation frauduleuse de la ligne puisqu'elle crée un déséquilibre manifeste au détriment de l'abonné en le rendant responsable de toute utilisation du service même en l'absence de fautes de sa part.

La société SNF affirme que la société Alsatel doit être condamnée à une somme qui ne serait inférieure à 17 000 euro en réparation du préjudice subi et à titre de dommages intérêts.

La société SNF demande à la cour d'appel de procéder à la compensation des sommes dues entre les parties.

L'article L. 132-1 du Code la consommation dispose que dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Un décret en Conseil d'Etat, pris après avis de la commission instituée à l'article L. 534-1, détermine une liste de clauses présumées abusives ; en cas de litige concernant un contrat comportant une telle clause, le professionnel doit apporter la preuve du caractère non abusif de la clause litigieuse.

Un décret pris dans les mêmes conditions détermine des types de clauses qui, eu égard à la gravité des atteintes qu'elles portent à l'équilibre du contrat, doivent être regardées, de manière irréfragable, comme abusives au sens du premier alinéa.

Ces dispositions sont applicables quels que soient la forme ou le support du contrat. Il en est ainsi notamment des bons de commande, factures, bons de garantie, bordereaux ou bons de livraison, billets ou tickets, contenant des stipulations négociées librement ou non ou des références à des conditions générales préétablies.

Sans préjudice des règles d'interprétation prévues aux articles 1156 à 1161, 1163 et 1164 du Code civil, le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat. Il s'apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque la conclusion ou l'exécution de ces deux contrats dépendent juridiquement l'une de l'autre.

Les clauses abusives sont réputées non écrites.

L'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.

Le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s'il peut subsister sans lesdites clauses.

Les dispositions du présent article sont d'ordre public.

Ainsi, par application des dispositions de l'article L. 132-1 du Code de la consommation pour qu'une clause soit abusive, il faut un contrat entre un professionnel et un non-professionnel ou un consommateur, et un déséquilibre contractuel significatif.

Le professionnel est la personne physique ou morale qui contracte dans l'exercice d'une activité professionnelle.

Un consommateur est un profane qui n'a aucune expérience professionnelle dans le domaine où il contracte. Il conclut ce contrat de biens de consommation ou de services pour son usage personnel.

Un non-professionnel est aussi un professionnel qui conclut un contrat dans le cadre de son activité professionnelle, en dehors de sa sphère de compétence et sans rapport direct avec son activité professionnelle.

Ainsi, une personne physique ou morale peut être considérée comme étant un non-professionnel lorsqu'elle contracte hors de sa sphère de compétence et que le contrat n'est pas destiné pas à l'acquisition d'un bien ou d'un service destiné à la réalisation de son activité professionnelle.

En l'espèce, la société SNF anciennement dénommée ANSA fournit des prestations de service d'assistance dans le domaine nucléaire et son activité n'a aucun lien avec de la téléphonie.

Dans ces conditions, la société intimée doit être considérée comme un non-professionnel et peut bénéficier dans ces conditions de la protection instituée par la théorie des clauses abusives, la présence au sein de la société intimée d'un responsable technique-téléphonie, n'est pas de nature à faire perdre à cette société sa qualité de non-professionnel en matière de téléphonie.

Est considérée comme une clause abusive, une clause qui exonère entièrement le professionnel de toute responsabilité et cette clause déclarée abusive est réputée non écrite;

En l'espèce, la clause " limitation de responsabilité ", figurant aux conditions générales du contrat opérateur, supprime tout droit à réparation du préjudice subi par l'abonné y compris en cas de manquement par la société Alsatel de l'une de ses obligations;

Ainsi, cette clause exonère la société appelante de toute responsabilité, et a pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.

Elle doit dans ces conditions être déclarée comme étant une clause abusive, réputée non-écrite.

L'utilisation frauduleuse de la ligne téléphonique mise en service pour la société ANSA devenue SNF, est établie par les pièces versées aux débats, et notamment les relevés des communications téléphoniques, qui démontrent le caractère inhabituel des communications passées quasi-exclusivement à destination du Sierra Leone, en dehors des heures d'ouverture de la société ANSA devenue société SNF et dont le montant a un caractère démesuré par rapport aux communications habituellement passées par la société intimée.

La société Alsatel a par ailleurs admis une probable utilisation frauduleuse du système de communication dans des lettres des 22 janvier et 4 mars 2010;

Ainsi, l'exploitant de télécommunications ne prouve ni l'existence, ni le montant de sa créance et sera débouté de sa demande en paiement et de sa demande en dommages et intérêts.

Sur l'appel incident de la société SNF, il convient de constater que la cour ne dispose d'aucun élément probant sur les codes installés et les codes utilisés et ne peut dans ces conditions apprécier si la société Alsatel a ou non respecté son obligation d'information et de conseil due à la société SNF en sa qualité de non-professionnel;

La société SNF sera déboutée de sa demande en dommages et intérêts.

Succombant, la société Alsatel doit supporter les dépens de l'appel.

L'équité commande l'application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la société SNF.

L'équité ne commande pas l'application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la société Alsatel.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement rendu par la 2e chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Strasbourg, le 4 juin 2013, Y ajoutant, Condamne la société Alsatel aux dépens de l'appel, Condamne la société Alsatel à verser à la société SNF, anciennement dénommée ANSA, la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Dit n'y avoir lieu à appliquer l'article 700 du Code de procédure civile, au profit de la société Alsatel.