Livv
Décisions

CA Orléans, ch. com., 8 mars 2012, n° 11-02238

ORLÉANS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Carty (SA)

Défendeur :

Neroisel (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Raffejeaud

Conseillers :

MM. Garnier, Monge

Avocats :

SCP Laval Lueger, SCP Desplanques Devauchelle, SCP Guibert - Jaunac, Me Laloum

T. com. Tours, du 17 juin 2011

17 juin 2011

Prononcé le 8 mars 2012 par mise à la disposition des parties au Greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

La société Carty a acheté à la société Neroisel en septembre 2009 un progiciel de la gamme Sage dénommé CRM, destiné à la gestion de la relation client. Alléguant les dysfonctionnements du produit, la société Carty a refusé de payer la facture et a résilié le contrat par lettre du 23 décembre 2009 et la société Neroisel l'a assignée, par acte du 10 mai 2010, en paiement de la somme due.

Par jugement du 17 juin 2011, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Tours a condamné la société Carty à payer à la société Neroisel la somme de 8 821,69 euro avec intérêts au taux légal à compter du 5 février 2010, outre celle de 3 000 euro en réparation de son préjudice financier et d'image.

La société Carty a relevé appel.

Par ses dernières conclusions signifiées le 9 janvier 2012, elle invoque le devoir de conseil du professionnel de l'informatique et son obligation de veiller à la compatibilité du logiciel fourni avec le système existant. Elle prétend que son administrateur système, la société PC Software BVBA, avait mis en garde la personne ayant installé le logiciel Sage sur les risques de manipulation du serveur de la société Carty et qu'à la suite de cette installation, son personnel n'a pu se connecter au logiciel Gescom de Sage. Elle reproche à la société Neroisel d'avoir eu recours à un sous-traitant sans information préalable. Elle considère que la rupture est imputable à la société Neroisel qui n'a pas achevé l'installation du logiciel, de sorte qu'il y a lieu de prononcer la résolution du contrat aux torts exclusifs du vendeur qui doit désinstaller le logiciel et remettre le système informatique dans son état antérieur. Elle conteste les demandes indemnitaires de la société intimée au titre de l'atteinte à l'image et des frais de remise en état du logiciel. Reconventionnellement, elle sollicite l'allocation d'une somme de 15 000 euro à titre de dommages et intérêts.

Par ses dernières écritures du 1er février 2012, la société Neroisel demande d'écarter des débats la pièce n° 9 de la société appelante et de déclarer irrecevable l'argumentation y afférente. Elle fait observer que la société Carty n'a pas réglé l'acompte à la commande, n'a cessé de reporter les rendez-vous fixés pour la formation, a mis à la porte sans raison valable le technicien venu pour la seconde formation administrateur et a refusé l'accès à son site à des techniciens chargés de diagnostiquer les soucis rencontrés, tout en autorisant des tiers non certifiés Sage à intervenir sur son système informatique. Elle rappelle que dans le domaine des contrats informatiques, le client doit justifier d'une collaboration effective et relève que l'installation n'a pas été achevée par la faute de ce dernier. Elle ajoute que le fait d'avoir fait appel à un sous-traitant agréé ne constitue pas une faute de nature à entrainer la résolution du contrat. Elle demande la condamnation de la société Carty tant à lui payer le montant de la facture litigieuse ainsi que 15 000 euro de dommages et intérêts pour mauvaise foi et atteinte à l'image, qu'à procéder à l'exécution forcée du contrat avec prise en charge de tous les frais de remise en état du fait des manipulations intervenues.

SUR QUOI

Attendu que le vendeur professionnel d'un progiciel informatique est tenu d'une obligation de renseignement et de conseil envers un client dépourvu de compétence en la matière tandis que l'obligation de délivrance de produits complexes n'est pleinement exécutée qu'une fois réalisée la mise au point effective de la chose vendue ; que cette obligation de conseil s'étend à l'information de l'acheteur sur la compatibilité du progiciel fourni avec le matériel existant et les systèmes déjà installés ;

Attendu que le devis accepté par la société Carty comporte la facturation de l'analyse des besoins, mais l'étude produite sur la gestion de la relation client reste muette sur les préconisations techniques en matière de configuration requise des serveurs et du système d'exploitation, la pièce n° 35 de la société Neroisel intitulée " préconisations techniques pour Sage 100 pour SQL serveur " étant postérieure de deux années à cette étude ;

Attendu qu'aux termes de l'article 563 du Code de procédure civile, les parties peuvent invoquer en appel des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves ; que la société Carty communique (pièce n° 9) une lettre du 10 août 2011 de son prestataire habituel, la société PC Software bvba, qui indique que la consultante de la société Neroisel lui avait demandé des informations pour l'installation du logiciel Sage CRM ; que même si la société intimée conteste que sa collaboratrice ait interrogé la société PC Software, elle ne discute néanmoins pas les considérations techniques mentionnées dans cette lettre, à savoir que le serveur de la société Carty n'était pas assez puissant pour l'installation du système de gestion de base de données (SQL Server 2008 de Microsoft) supplémentaire et qu'en tout état de cause la base de données a été installée sur un espace trop étroit du disque dur de l'ordinateur ;

Qu'après l'installation, le progiciel CRM n'a pas fonctionné et a entraîné des perturbations dans les applications préexistantes, à tel point que la dernière formation des utilisateurs le 22 décembre 2009 a été interrompue au bout d'une heure ; que le rapport d'analyse établi par la société Neroisel le 4 novembre 2009 prévoyait une procédure de réception en deux étapes, une recette provisoire et une recette définitive à un mois d'intervalle pour tenir compte des anomalies identifiées ; que ces réceptions de l'application n'ont pas eu lieu ; que, même si l'obligation du fournisseur est tempérée par celle corrélative du client de coopération en termes d'implication, de dialogue et de participation financière, la société Neroisel ne rapporte toutefois pas la preuve d'avoir fourni l'assistance indispensable à la mise en route harmonieuse du système après les dysfonctionnements constatés, hormis quelques appels téléphoniques reconnus par la société Carty ; qu'en effet, la société Neroisel n'a jamais répondu aux lettres recommandées que lui a adressées sa cliente les 23 décembre 2009 et 16 janvier 2010, qui certes annulaient la commande, mais invitaient, néanmoins au dialogue, et s'est bornée, par l'entremise de son avocat, à mettre en demeure la société Carty de payer les factures ;

Que, compte tenu des circonstances de l'affaire, il apparaît que la société Neroisel a délaissé son acheteur et les manquements commis par le vendeur, au regard de l'ensemble de ses obligations, justifient la résolution de la vente à ses torts ; que le jugement sera infirmé de ce chef ; qu'il sera également ordonné à la société Neroisel de désinstaller, à ses frais, le progiciel CRM Sage, et de remettre les systèmes de la société Carty dans leur configuration antérieure, sous astreint de 100 euro par jour de retard un mois après la signification du présent arrêt ;

Que le sens du présent arrêt commande de rejeter la demande en dommages et intérêts formée par la société Neroisel pour préjudice d'image ;

Que la société Carty sera également déboutée de sa demande de dommages et intérêts puisqu'elle ne justifie pas avoir souscrit un emprunt bancaire pour le financement du progiciel et qu'elle n'a pas perdu la chance de voir aboutir le projet auquel elle a volontairement renoncé en s'abstenant d'exiger l'exécution forcée de l'installation ;

Attendu que la société Neroisel supportera les dépens de première instance et d'appel et versera la somme de 3 000 euro à la société Carty sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement entrepris, Et statuant à nouveau, Prononce la résolution du contrat de vente du progiciel CRM Sage aux torts de la société Neroisel, Déboute la société Neroisel de sa demande de paiement des factures et de dommages et intérêts, Ordonne à la société Neroisel de désinstaller à ses frais, le progiciel CRM Sage, et de remettre les systèmes de la société Carty dans leur configuration antérieure, sous astreint de 100 euro par jour de retard un mois après la signification du présent arrêt, Rejette la demande en dommages et intérêts formée par la société Carty, Condamne la société Neroisel aux dépens de première instance et d'appel et à verser la somme de 3 000 euro à la société Carty au titre de l' article 700 du Code de procédure civile, Accorde à la SCP Laval-Lueger, avocats postulants, le droit reconnu par l'article 699 du même Code.